Emile Verhaeren |
Depuis l'été que se brisa sur elle Le dernier coup d'éclair et de tonnerre, Le silence n'est point sorti De la bruyère. Autour de lui, là-bas, les clochers droits Secouent leur cloche, entre leurs doigts. Autour de lui, rôdent les attelages, Avec leur charge à triple étage, Autour de lui, aux lisières des sapinières, Grince la roue en son ornière, Mais aucun bruit n'est assez fort Pour déchirer l'espace intense et mort. Depuis l'été de tonnerres chargé, Le silence n'a pas bougé, Et la bruyère, où les soirs plongent Par au delà des montagnes de sable Et des taillis infinissables, Au fond lointain des loins, l'allonge. Les vents mêmes ne remuent point les branches Des vieux mélèzes, qui se penchent Là-bas, où se mirent, en des marais, Obstinément, ses yeux abstraits ; Seule le frôle, en leurs voyages, L'ombre muette des nuages Ou quelquefois celle, là-haut, D'un vol planant de grands oiseaux. Depuis le dernier coup d'éclair rayant la terre, Rien n'a mordu, sur le silence autoritaire. Ceux qui traversèrent sa vastitude, Qu'il fasse aurore ou crépuscule, Ont subi tous l'inquiétude De l'inconnu qu'il inocule. Comme une force ample et suprême, Il reste, indiscontinûment, le même : Des murs obscurs de sapins noirs Barrent la vue au loin, vers des sentiers d'espoir ; De grands genévriers songeurs Effraient les pas des voyageurs ; Des sentes complexes comme des signes S'entremêlent, en courbes et lignes malignes. Et le soleil déplace, à tout moment. Les mirages, vers où s'en va l'égarement. Depuis l'éclair par l'orage forgé, L'âpre silence, aux quatre coins de la bruyère. N'a point changé. Les vieux bergers que leurs cent ans disloquent Et leurs vieux chiens, usés et comme en loques, Le regardent, parfois, dans les plaines sans bruit, Sur les dunes en or que les ombres chamarrent. S'asseoir, immensément, du côté de la nuit. Alors les eaux ont peur, au pli des mares, La bruyère se voile et blêmit toute, Chaque feuillée, à chaque arbuste, écoute Et le couchant incendiaire Tait, devant lui, les cris brandis de sa lumière. Et les hameaux qui l'avoisinent. Sous les chaumes de leurs cassines, Ont la terreur de le sentir, là-bas, Dominateur, quoique ne bougeant pas ; Mornes d'ennui et d'impuissance. Ils se tiennent, sous sa présence. Comme aux aguets - et redoutent de voir, A travers les brumes qui se desserrent, Soudainement, s'ouvrir, dans la lune, le soir, Les yeux d'argent de ses mystères. |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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