Emile Verhaeren |
Comme un troupeau de boufs aveugles, Avec effarement, là-bas, au fond des soirs. L'ouragan beugle. Et tout à coup, par au-dessus des pignons noirs, Que dresse, autour de lui, l'église, au crépuscule. Rayé d'éclairs, le clocher brûle. Le vieux sonneur, la tête folle, La bouche ouverte et sans parole, Accourt ; Et le tocsin qu'il frappe, à battants lourds, Rythme en tempête Le désespoir qui bat sa tête. La tour, Avec, à son faîte, la croix brandie, Epand, vers l'horizon halluciné. Les crins rouges de l'incendie. Le bourg nocturne en est illuminé. Les visages des foules apparues Peuplent de peur et de clameurs les rues Et. sur les murs soudain éblouissants. Les carreaux noirs boivent du sang. Le vieux sonneur, vers la campagne immense, Jette, à pleins glas, sa crainte et sa démence. La tour. Elle grandit, sur l'horizon qui bouge ; Elle est volante en lueurs rouges. Par au-dessus des lacs et des marais ; Ses ardoises, comme des ailes De paillettes et d'étincelles. Fuient, dans la nuit, vers les forêts ; Au passage des feux, les chaumières s'exhument De l'ombre et, tout à coup, s'allument Et, dans l'effondrement du faîte entier, la croix Choit au brasier, qui tord et broie Ses bras chrétiens, comme une proie. Le vieux sonneur sonne si fort qu'il peut Comme si les flammes brûlaient son Dieu. La tour, Le feu s'y creuse en entonnoir, Par au dedans des murs de pierre. Gagnant l'étage et le voussoir. Où saute et rebondit la cloche en sa colère. Les corneilles et les hiboux Passent, avec de longs cris fous, Cognant leur tête aux fenêtres fermées. Brûlant leur vol, dans les fumées, Hagards d'effroi, lassés d'efforts, Et, tout à coup, parmi les houles de la foule, S'abattant morts. Le vieux sonneur voit s'avancer, vers ses cloches [brandies. Les mains en or qui bout de l'incendie. La tour, On la dirait tout en rouges buissons Dont les branches de flamme Se darderaient, par à travers les abat-son ; Le feu sauvage et convulsif entame. Avec des courbes végétales, Les madriers et les poulies Et les poutres monumentales, D'où les cloches sonnent et clament leur folie. Le vieux sonneur, à bout de crainte et d'agonie. Sonne sa mort, dans ses cloches finies. La tour. Un décisif fracas, Gris de poussière et de plâtras, La casse en deux, de haut en bas. Comme un grand cri tué, cesse la rage, Soudainement, du glas. Le vieux clocher Tout à coup noir semble pencher ; Et l'on entend, étage par étage, Avec des heurts dans leur descente, Les cloches bondissantes, Jusqu'à terre, plonger. Le vieux sonneur n'a pas bougé. Et la cloche qui défonça le terrain mou Fut son cercueil et fit son trou. |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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