Emile Verhaeren |
Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir. « Au-dessus de la vie et des formes, dans l'air Non remué jamais de la pensée abstraite. Point immatériel, inaccessible et clair, Elée avait, jusques au faîte, Hissé le songe et l'unité d'un Dieu. La matière ? qui donc y jettera les sondes ? L'être immense, absolu, total. Emplit de son unique éternité les mondes. Les sages blancs, assis sur la montagne blanche. Ne voient même jamais d'éclair, lointainement. Tomber vers eux, par à travers le firmament, Tellement haut se darde son rayonnement. » Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir, Avec des bruits stridents de vrille et de fermoir. « Et lucides cristaux suspendus sur la mer Discordante des figures et apparences, Dans l'immobilité de leurs fixes essences. Les lucides cristaux scintillaient sur la mer Et ses vagues, vers l'infini échafaudées. C'étaient, Platon, tes purs orgueils d'idées De qui se réclamait, pour à l'instant finir, Le monde inconsistant et bref du Devenir. Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir, Avec des bruits stridents de vrille et de fermoir Et des griffes, en l'air, vers les étoiles. « Comme une grotte d yeux et d oreilles, ouverts Des splendeurs myriadaires, Les sens braquent leurs feux rouges et solidaires. Par à travers les faits, jusques à la pensée. La mémoire compare, agence et resplendit. L'idée éclate *- et la certitude dressée. En mât d'orgueil sur des voiliers de nuit, Monte à l'assaut des mers des univers. Et long rêveur et front ravagé de science, Epicure darde ces vérités, A travers des siècles de patience, Vers notre ivresse d'absurdités. » Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir, Avec des bruits stridents de vrille et de fermoir, Avec des bruits de vis et de coupoir, Et leurs griffes, en l'air, vers les étoiles. « Reposez-vous d'errer pauvres cerveaux antiques. En l'église du dogme et de l'extase, ici, Sans qu'un sophisme éclate en la pensée, ainsi Que sur des lins pieux les ors asiatiques. Les paradis chrétiens, verrières de splendeur, Brûlent, de leurs feux clairs, les murailles nocturnes Laissez croire les yeux, laissez pleurer les urnes Divinement de la croyance sur le cour, La neigeuse raison gèle le doux mystère Du bon Jésus pasteur qui s'en revient, là-bas, Par les jardins, avec ses pauvres agneaux las ; Laissez croire l'amour et la raison se taire. » Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir Avec des bruits de vrille, de vis et de fermoir. Les chats peignés d'un vent de flamme Ont traversé, de part en part mon âme. « Penser, même douter que l'on pense, c'est être. Première ! au jour intérieur, cette fenêtre. L'idée éclot innée, elle se scrute, insiste ; L'infini se conçoit : donc il existe, Et Dieu ne trompe pas l'homme sur l'univers. Mais l'âme humaine encore gothique Maintient le corps que rongeront les vers Ainsi qu'un instrument sous son doigté mystique. » Les chats d'ébène en flamme Ont traversé, de part en part, mon âme, Comme des rages de vent noir Et des tempêtes dans le soir Et des chocs de marées, Immensément, désespérées. « La raison invariable et fatale. Debout, dans le cerveau, à toutes ses issues. Préside à l'expérience brutale Et la fixe d'après des formes préconçues, Elle se scrute et se juge préexistante Aux sens, à l'entendement. Elle a sa vie et sa splendeur patente Elle est la reine, et vers son étincellement Marchent les critiques et les philosophies. » Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir. Avec des cris de vis et de fermoir. Ils ont griffé mon cour et le miroir De mes yeux clairs vers les étoiles ; Ils ont mordu, jusques au sang. Mon rêve atrocement agonisant. Ils ont mordu mon cour et mon rêve et mes moelles : Les chats d'ébène et d'or Ont déchiré mon cour à mort. « Et fleur dernière en la forêt des êtres, Après des millions de jours épars En semailles vers les hasards, L'homme se greffe clair sur ses humbles ancêtres Et lent, s'épanouit en suprêmes cerveaux. Matériel pourtant et de même substance Que l'univers qui s'ignore dans l'existence Et se roule, par l'infini des renouveaux. Dites, vers quels seuils de nocturnes tombeaux ? Et des mondes encore et puis des mondes Tournent autour de lui leurs mutuels flambeaux. Et l'homme est l'égaré de leurs routes profondes Et le perdu de leur immensité. » Les chats en noir ont traversé le soir, Quand le moulin des maladies. Fauchait le vent des incendies, Eperdument, sa voile au nord. Lorsque j'étais celui qui se casse la tête Aux blocs d'hiver de la tempête Et qui recommence, toujours, Sa même mort de tous les jours. Hélas ! ces tours de ronde de l'infini, le soir. Et ces courbes et ces spirales Et cette terreur, tout à coup, Comme une corde au cou, Sans aucun cri, sans aucun râle. Lorsque soudain les noirs chats d'or Se sont assis sur ma muraille Et m'ont fixé de leurs grands yeux, Comme des fous silencieux, Si longuement fixé de leur mystère, Avec de telles pointes de clous. Que j'en reste béant, avec des trous, Dans ma tête réfractaire, Morne de moi, fini d'essor, Hagard - mais regardant encor Les yeux des chats d'ébène et d'or. |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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