Emile Verhaeren |
Blafards et seuls, ils sont, les sceptiques malades. Aigus de tous leurs maux. Ils regardent le soir Se faire dans leur chambre et grandir les façades. Une église près d'eux lève son clocher noir. Heure morte, là-bas, quelque part, en province. En une ville éteinte, au fond d'un coin désert, Où s'endeuillent des murs et des porches, dont grince Le gond monumental, ainsi qu'un poing de fer. Blafards et seuls, les malades hiératiques. Pareils à de vieux loups mornes, fixent la mort, Ils ont mâché la vie et ses jours identiques Et ses mois et ses ans et leur haine et leur sort. Mais aujourd'hui, serrés dans le pâle cynisme De leur dégoût, ils ont l'esprit inquiété: « Si le bonheur régnait dans ce mâle égoisme, « Souffrir pour soi, tout seul, mais par sa volonté ? « Ils ont banalement aimé comme les autres « Les autres ; ils ont cru benoîtement aux deuils, « A la souffrance, à des gestes prêcheurs d'apôtres ; « Imbéciles, ils ont eu peur de leurs orgueils. « Ils discutent combien la cruauté rapproche « Mieux que l'amour ; combien ils se sont abusés «A pavoiser l'ingratitude et le reproche; « Combien de pleurs, pour quelques yeux qu 'ils ont baisés ! « Vides, les îles d'or, là-bas, dans l'or des brumes, « Où les rêves assis sous leur manteau vermeil, «Avec de longs doigts d'or effeuillaient aux écumes, « Les ors silencieux qui pleuvaient du soleil. « Cassés, les mâts d'orgueil, flasques, les grandes voiles ! « Laissez la barque aller et s'éteindre les ports ; « Les phares ne tendront plus vers les grandes étoiles, « Leurs bras immensément en feu - les feux sont [morts ! » Blafards et seuls, les malades hiératiques, Pareils à de vieux loups mornes, fixent la mort ; Ils ont mâché la vie et ses jours identiques Et ses mois et ses ans et leur haine et leur sort. Et maintenant, leur corps ?- cage d'os pour les fièvres Et leurs ongles de bois heurtant leurs fronts ardents. Et leur hargne des yeux et leur minceur de lèvres Et comme un sable amer, toujours, entre leurs dents. Et le regret les prend et le désir posthume : « De s'en aller revivre en un monde nouveau « Dont le couchant, pareil à un trépied qui fume, « Dresse le Dieu d'ébène et d'os en leur cerveau. « Là-bas, en des lointains d'hystérie et de flamme « Et d'écume livide et de rauque fureur, « Où l'on peut abolir férocement son âme, « Férocement joyeux, son âme et tout son cour. » Blafards et seuls, ils sont les tragiques malades Aigus de tous leurs maux. Ils regardent les feux Mourir parmi la ville et les pâles façades Comme de grands linceuls venir au-devant d'eux. |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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