Emile Verhaeren |
En ces nords d'Alster et de Weser allemands, où se dardent des tours en cuivre vert, où des cages de vieux martyrs pendues à des hampes alignent leurs bâtons d'ombre au clair des murs : là-bas, par des canaux de poix, de bitume et de mercure, qu'il soit mené mon rêve vers son désir d'habiter un coin de quai sculpté dont les balcons et les bretèques retraceraient par des symboles et des emblèmes quelque légende du temps des évêques convertisseurs. Cités jadis de Hanses et de Ligues, aujourd'hui lamées de voies en fer, stridentes de signaux et déchirées de bruit. Un tapage toujours de matelots et de pilotes en querelle ; des chansons de mer, hurlées en des tavernes rouges ; des nègres saoulés à la bière ; des mousses jaunes, avec, sur leur épaule, des singes violets ; des aras faisant, sur des perchoirs de cuivre, flamme crispée de leur crête ; des chats assis dans la mâture, un pélican péchant dans un égout, et, par-dessus les rauquements pachydermiques des steamers en partance, le soudain coup de canon d'un fort là-bas, qui, sur ce tumulte, comme un bondissant marteau, s'abat. Etablir là une halte dans sa vie, seul, en face de cette vie d'univers déversée dans un port ; s'y épanouir en songes noués aux mâts qui partent, tressés en cordes autour d'un arrivage de transatlantique, echevelés au vent de mer et parfumés d'huiles rares, de liqueurs d'or et de vins de nacres et d'opales fondues. Recueillir au fond des yeux l'émiettement en tons bleus, roses et verts, en senteurs havanes et musquées, des Indes et des Afriques conquises ; prendre en ses doigts refermés l'âme de l'infini qui passe, tout imprégnée d'étendue, en forêts, en fleuves, en montagnes et en savanes ; se susciter monde en travail, usines qui suent, mines qu'on fouille, régions qu'on engrange, déserts qu'on traverse, océans qu'on dompte, et réunir en son rêve les époques et les continents, les dates et les âges, les éléments et les forces, toute la terre, toute la mer, telles qu'elles furent et telles qu'elles sont, et se tuer à se les imaginer plus tragiques encore que leur passé. Oh ! toi, cette vie d'au bord d'un quai, toute la semaine ! Avec le fleuve devant et les carillons, comme des chiquenaudes musicales dans l'air ! Cette vie, toute la semaine, puis régulièrement la paix du dimanche soir sur tout cela, choyante. (Société nouvelle. 1891.) |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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