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Emile Verhaeren



Maison de fous - Poéme


Poéme / Poémes d'Emile Verhaeren





Je sortis de là morne, attristé, découragé d'être homme. J'avais devant moi la vision de tous ces fous, qui me regardaient, m'interrogeaient, me parlaient. D'abord les doux, exhalant des plaintes, gémissant sur des persécutions imaginaires ; alors, les agités, les hurleurs, marchant droit devant eux, avec des images saintes sur la poitrine. Des femmes immobiles, des femmes muettes, se plantaient devant mon esprit ; d'autres dansaient s'arrachant les cheveux, bavaient, criaient des blasphèmes, puis, faisaient des signes de croix tout à coup. L'une, une énorme tétonniere, se plaignait de faiblesse et implorait de la sour un élixir miraculeux ; une deuxième accusait ses compagnes de lui communiquer le ver solitaire : elle le sentait lui ronger l'estomac et y faire des trous comme dans une éponge ; une troisième, centenaire depuis trois ans, gueulait que ses fils la volaient et rassemblait ses jupes croyant y recueillir de l'or.



Les hommes ? J'en vis qui chantaient d'une voix lente des refrains d'amour, en se balançant des heures entières, comme des ours captifs. Un vieux soldat se trouait la joue avec l'index ; quand on lui liait les mains, il cherchait des clous à la muraille pour continuer quand même. Un poète chauve adressait des requêtes en vers au président du tribunal. Derrière des cloisons, hurlaient des hystériques, prêchaient des illuminés. Des furieux s'agitaient sur leur lit de fer et l'on entendait les ressorts secoués heurter le mur. Quelques-uns, le cerveau brûlé d'orgueil, se proclamaient créateurs de mondes, constructeurs de voies lactées où l'on marchait sur des amas de diamants; les mélancoliques détournaient la tête et regardaient un égout à travers la fenêtre ; les gâteux, les détruits, les vidés par la femme s'acharnaient sur eux-mêmes, et il fallait leur ganter les mains pour qu'ils ne «s'attentassent» point. Un aveugle, gluant de saleté, les yeux pourris, errait le long des murs, où son corps sans cesse frotté mettait une traînée de crasse. Un vieil huissier se mordait la langue en morceaux.

Tout cela tournait devant moi lentement avec des arrêts brusques, quand une vision plus baroque que les autres s'offrit.

C'était une forme de vieil homme des campagnes, qui semblait sortir tout à coup d'un grenier où des araignées auraient filé dans sa barbe, si vide de toute sa vie et si ramoné déjà par la mort, les lèvres et les yeux comme des taches de suie, les mains soufflées et seulement assez fortes pour tenir un jouet de deux sous, qu'il agitait devant son propre rire idiot.

La petite poupée, haillons cousus ensemble, lui battait les joues de ses petits bras et l'homme riait toujours et lui levait les jupes quand personne ne regardait. Une lueur encore lui cinglait le visage ; puis comme quelqu'un qui ne saurait achever son plus ardent désir, il laissait tomber la loque, n'en pouvant plus, par terre.

J'éprouvais un violent dégoût de tout. La beauté m'ennuyait, me semblait cruelle. Puis des peurs me prirent de devenir fou à mon tour. Je partis, je courus à ma chambre, et, devant une glace, me regardant, nez à nez avec moi-même, je criai, je hurlai : « Je ne suis pas fou ! pas fou ! assurément pas fou ! »



(Société nouvelle. 1890.)

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Emile Verhaeren
(1855 - 1916)
 
  Emile Verhaeren - Portrait  
 
Portrait de Emile Verhaeren

Biographie / Ouvres

Emile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local.

A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn

Bibliographie


Chronologie


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