Emile Verhaeren |
Où sont les vieux paysans noirs Par les chemins en or des soirs ? A grands coups d'ailes affolées, En leurs toujours folles volées, Les moulins fous fauchent le vent. Le cormoran des temps d'automne Jette au ciel triste et monotone Son cri sombre comme la nuit. C'est l'heure brusque de la terreur, Où passe, en son charroi d'horreur, Le vieux Satan des moissons fausses. Par la campagne en grand deuil d'or, Où vont les vieux silencieux ? Quelqu'un a dû frapper l'été De mauvaise fécondité : Le blé très haut ne fut que paille. Les bonnes eaux n'ont point coulé Par les veines du champ brûlé ; Quelqu'un a dû frapper les sources ; Quelqu'un a dû sécher la vie, Comme une gorge inassouvie Vide d'un trait le fond d'un verre. Par la campagne en grand deuil d'or, Où vont les vieux et leur misère ? L'âpre semeur des mauvais germes, Au temps de mai baignant les fermes, Les vieux l'ont tous senti passer. Ils l'ont surpris morne et railleur, Penché sur la campagne en fleur ; Plein de foudre, comme l'orage. Les vieux n'ont rien osé se dire. Mais tous ont entendu son rire Courir de taillis en taillis. Or, ils savent par quel moyen On peut fléchir Satan païen. Qui reste maître des moissons. Par la campagne en grand deuil d'or, Où vont les vieux et leur frisson ? L'âpre semeur du mauvais blé Entend venir ce défilé D'hommes qui se taisent et marchent. Il sait que seuls ils ont encore, Au fond du cour qu'elle dévore, Toute la peur de l'inconnu ; Qu'obstinément ils dérobent en eux Son culte sombre et lumineux, Comme un minuit blanc de mercure, Et qu'ils redoutent les révoltes, Et qu'ils supplient pour leurs récoltes Plus devant lui que devant Dieu. Par la campagne en grand deuil d'or, Où vont les vieux porter leur vou ? Le Satan noir des champs brûlés Et des fermiers ensorcelés Qui font des croix de la main gauche, Ce soir, à l'heure où l'horizon est rouge Contre un arbre dont rien ne bouge, Depuis une heure est accoudé. Les vieux ont pu l'apercevoir, Avec ses yeux dardés vers eux, D'entre ses cils de chardons morts. Ils ont senti qu'il écoutait Les silences de leur souhait Et leur prière uniquement pensée. Alors, subitement, En un grand feu de tourbe et de branches coupées Ils ont jeté un chat vivant. Regards éteints, pattes crispées, La bête est morte atrocement, Pendant qu'au long des champs muets, Sous le gel rude et le vent froid, Chacun, par un chemin à soi, Sans rien savoir s'en revenait. |
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Emile Verhaeren (1855 - 1916) |
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Portrait de Emile Verhaeren | |||||||||
Biographie / OuvresEmile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d'une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l'Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l'école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local. A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionn BibliographieChronologie |
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