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Alphonse de Lamartine - Le Long parcours d'une vie






Le Printemps d'un gentilhomme.



Milly n'est pas « la terre natale ». Alphonse-Marie-Louis Prat de Lamartine ( 1790-1869) est né à Mâcon d'une famille qui avait servi avec fidélité l'ancienne monarchie (son père, Pierre de Lamartine, fut emprisonné de 1793 à la chute de Robespierre, un de ses oncles déporté) et qui sera résolument anti-bonapartiste. Sa mère, née Alix Des Roys, âme artiste et religieuse, lui donne l'enseignement du temps : celui de Fénelon. Il avait sept ans lorsqu'on s'installa à Milly où il trouva, ce jeune aristocrate, le contact avec la nature et la paysannerie.,Le livre de chevet est la Bible illustrée de Royaumont. Après un court séjour à Lyon suivi d'une fugue, les Pères de la Foi, de Belley, vont se charger de l'éducation du jeune Alphonse. Il est né dans une famille selon son cour, parmi des nobles sans titre, le père étant un gentilhomme campagnard, la mère une femme raffinée, un esprit distingué et généreux. C'est d'elle qu'il tient l'essentiel de son caractère.



Il sort de Belley couvert de lauriers. Sa formation doit plus encore à ses lectures : Racine, Voltaire et Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre la Bible, Ossian, les élégiaques antiques et ceux du xvinc siècle, l'Arioste, le Tasse, Pope, Richardson, Fielding, et surtout Mme de Staël et Chateaubriand. On ajoute un peu de Montaigne, La Fontaine qu'il ne cessera de détesterj C'est surtout la lecture de René qui le bouleverse : il sera un des multiples « René » dont parle Chateaubriand. Ne serait-il pas l'image en vers de ce dernier?



Bien que dès 1809 iljiit ébauché le Lac, ses premiers vers, peu originaux, portent la marque de ses apprentissages^ Il y a en lui du Gresset :



Tandis que d'un léger coton

Mon visage frais se colore;

Que tout sourit à mon aurore

Et que raisonner en Caton

Chez moi serait risible encore...



Il lit beaucoup les vers de Voltaire et l'on s'en aperçoit aisément :



Ne peux-tu jouir seul de ces moments de joie,

Consolateurs d'un jour que le Ciel nous envoie?

Et ton cour abattu sous le poids de ses maux

Dans le cour d'un ami cherche-t-il du repos?



Non, sa poésie ne décolle pas encore de terre, et l'on voit encore un exercice, un calque parfait de Jean-Baptiste Rousseau :



Hélas! voyageurs que nous sommes,

Nos jours seront bientôt passés,

Et de la demeure des hommes

Demain nos pas sont effacés.

Qu'il est beau ce désir de l'âme,

Dont la noble fierté réclame

Contre un ténébreux avenir;

Dont l'orgueil aux races futures

Pour prix des vertus les plus pures

Ne demande qu'un souvenir.



Serait-il resté ce versificateur s'il n'avait rencontré l'amour? Vers vingt ans, il s'éprit d'une jeune Mâconnaise, et ses oncles, pour couper court, l'envoyèrent en Italie. On sait l'importance du voyage et de l'amour dans son ouvre poétique. L'Italie, celle de la Napolitaine Antoniella qui sera Graziella, celle surtout de son ciel et de ses artistes, sera sa seconde patrie.



De retour en France, nommé maire de Milly pour échapper à la conscription, car les Lamartine ne veulent d'aucune façon servir l'Empire, il a une liaison avec une jeune hobereaute, Nina de Pier-reclau, dont naîtra un fils qui épousera la nièce du poète. A la Restauration, il entre dans les gardes du corps, mais les Cent-Jours interrompent sa carrière et il ne reprend ensuite le service que pour démissionner quelques mois plus tard. Jusqu'en 1820, il sera sans emploi, mais son oisiveté féconde profite à la poésie. Il prépare quatre petits livres d'élégies dans le goût de Parny, répondant à l'Éléonore de son maître par la bien connue Elvire, en réalité une Mme Julie Charles rencontrée dans une ville d'eau par le jeune séducteur que l'adultère ne gêne nullement. La mort de MT Charles lui apporte le don de la souffrance, le jeune libertin est désormais un amoureux malheureux, le jeune versificateur est désormais un poète. Huit mois après la mort d'Elvire, Mme de Lamartine écrit dans son Journal : « On dirait qu'il est abattu par quelque chagrin qu'il ne me dit pas, mais que je crains d'entrevoir. »

A sa tragédie intérieure, correspond tout d'abord la composition d'une tragédie, Saiil, que Talma refuse de présenter à la Comédie-Française. Il pense à enfanter une autre tragédie, Clovis. Grâce au refus de Talma, il s'orientera vers ce qui fait sa gloire : le poème, celui des Méditations.



C'est là qu'il va transposer sa douleur et son espoir en Dieu; c'est là que va jaillir sa flamme poétique, son inspiration sincère et personnelle. Il dira plus tard : «Je n'imitais plus personne; je m'exprimais moi-même. Ce n'était pas un art, c'était un soulagement de mon propre cour. »



La Gloire littéraire.



En 1820, parurent les Méditations qui le firent entrer de plain- / pied dans la gloire. Celle-ci était assurée avant même la publication : Lamartine avait lu des passages dans les salons, il avait fait imprimer à petit tirage l'Isolement, et lait retarder l'impression du volume complet non par calcul, mais parce qu'il craignait que sa réputation de poète lui refusât le sérieux qui s'attache à la carrière diplomatique qu'il envisageait. En cela il se trompait, car c'est son succès qui devait lui ouvrir toutes les portes.

Plus qu'un succès, un triomphe! Talleyrand passe une partie de la nuit à le lire et dit : « Mon insomnie est un jugement. » Le ministre de l'Intérieur lui fait don d'une bibliothèque classique, latine et française. Le ministre des Affaires étrangères le nomme conseiller d'ambassade à Naples. Le roi le pensionne. Le 6 juin 1820, il épouse une jeune Anglaise, Maria-Anna-Elisa Birch qu'il emmène en Italie. Tout lui sourit à la fois : gloire, fortune, amour.

Dès lors, il publiera ses grands recueils avec des fortunes diverses mais sans rien perdre d'une gloire qui n'augmente ni ne faillit, malgré certaines déceptions comme le Chant du Sacre de 1824. Cette année-là, il subit un échec à l'Académie française où il entrera en 1829, peu de jours avant la mort de sa mère.

Sa carrière diplomatique se poursuit à Florence où il exercera ses fonctions jusqu'à la chute de Charles X. Il visite l'Italie du Sud, Malte, la Grèce, la Syrie, la Palestine, comme pour Chateaubriand, sources de prose et de poésie. En 1833, la mort de sa fille précipite son retour. Alors qu'il se trouvait en Orient, il a été élu député du Nord. Il entre dans la carrière politique alors que les Harmonies poétiques et religieuses, les Nouvelles Méditations enchantent ses contemporains.



Politique, historien, orateur.



De 1833 à 1851, tout en publiant ses ouvres, Alphonse de Lamartine parcourt les chemins de la politique. Il inaugure une manière très particulière d'envisager cette dernière, se situant hors de l'éventail des partis en se disant « au plafond » comme d'autres aujourd'hui disent « ailleurs ». Resté en dehors des coteries littéraires, il reste de même en dehors des partis habituels, ce qui lui vaut bien des attaques, mais aussi une grande autorité personnelle. Il sera un modèle pour ceux qui oublieront de le nommer. Comme eux, avant eux, il observe que « la France est une nation qui s'ennuie ». Il soulève sans cesse les applaudissements, ce qui ne veut pas dire qu'il rallie les votes. Il dit : « Je ferai l'insurrection de l'ennui, une révolution pour secouer ce cauchemar. » Il écrit : « Guizot, Mole, Thiers, Passy, Dufaure, cinq manières de dire le même mot. Ils m'ennuient sous toutes les désinences. Que le diable les conjugue comme il voudra. Je veux aller au fait et attaquer le règne tout entier. »



Il se sentit si maître de son art oratoire où il se montrait naturel jusque dans la pompe déclamatoire, si épris aussi de l'admiration qu'il suscitait, de la rage de convaincre et de la puissance de son verbe que, pris à son jeu, ayant parcouru tous les chemins de la gloire poétique, il tente de toucher, ce qui est le cas de bien des écrivains comblés, à autre chose. Il ira jusqu'à témoigner d'une certaine ingratitude envers la poésie : «J'avais toujours senti que l'éloquence était en moi plus que la poésie. » Il sacrifie à l'immédiat : « Adieu les vers. J'aime mieux parler; cela m'anime, m'échauffe, me dramatise davantage. Et puis les paroles crachées coûtent moins que les stances fondues en bronze. »

Pris dans ce tourbillon, il garde cependant ses sentiments de poète et de penseur. Il sait à la fois défendre les études littéraires, traiter de la question d'Orient, des fortifications de Paris, de la loi de Régence, s'élever dès qu'il s'agit de la peine de mort ou de l'assistance sociale. Il ne perd pas, quoi qu'il en dise, le goût des grandes ouvres. En 1835, il voyage et cela donne les quatre volumes de son Voyage en Orient dont les aperçus nouveaux, la hardiesse de pensée sont masqués par des négligences de composition et des inexactitudes géographiques flagrantes.

Apparaît au cour de cette vie politique une ouvre poétique de longue haleine, Jocelyn, 1836. C'est le journal d'un curé de village annoncé comme un épisode, un fragment d'un vaste poème humanitaire voulant embrasser tous les âges de la nature et toutes les époques de la civilisation. Après quelques hésitations, ce poème fut accepté comme l'ébauche d'une épopée en accord avec les idées du temps. Deux ans plus tard, la Chute d'un ange, 1838, justifia son titre : les négligences de la forme furent remarquées et, malgré son ambition, le poème tomba.

Heureusement, les Recueillements poétiques, 1839, en dépit de leur inégalité, montrent un élargissement de sa poésie auquel le public du temps ne fut pas sensible d'ailleurs : on ne retint que le mauvais; son inspiration, si elle s'est renouvelée, si le lyrisme individuel s'accompagne d'un vaste regard vers l'avenir de l'humanité, le poète n'a pas su trouver la forme nouvelle qui convenait à son message.

Désormais, Lamartine se manifeste surtout par ses ouvres en prose, avec d'heureuses exceptions comme la Marseillaise de la Paix. Tout à la politique, il contribue par ses écrits et ses discours à déconsidérer le gouvernement de Louis-Philippe, appelant la majorité « le parti des bornes », provoquant contre elle « la révolution du mépris ». Son Histoire des Girondins, 1847, peut inspirer à la bourgeoisie des sentiments républicains dont elle s'est éloignée. Il fut comme ministre des Affaires Étrangères le chef populaire du gouvernement provisoire de 1848 (c'est le temps de sa défense des trois couleurs du drapeaU) avant d'être éclipsé par l'élection du général Cavaignac qui le fait entrer dans l'ombre à l'avènement de Napoléon III.



Dès lors, de 1851 à sa mort, il va connaître le triste hiver de la vieillesse impécunieuse. Sa seule ressource est sa plume et vont naître bien des livres de commande. On peut s'en étonner, car il fut souvent très riche. Généreux, grand seigneur, menant la vie somptueuse d'un artiste adulé, il connut bientôt la ruine. Dès lors, il se vit condamné aux travaux forcés littéraires : d'où une foule d'ouvrages peu durables dans tous les genres, l'histoire, le roman, la biographie, les confidences, la critique littéraire, le drame, les articles de journaux, les ouvrages de vulgarisation. Tout cela ne serait que littérature alimentaire si, par moments, l'élévation du sentiment, l'élégance de la plume n'apparaissaient, mais parmi bien des négligences, des inexactitudes, des défaillances de doctrine. Sa misère reste relative, certes, mais le contraste entre les moments de sa double gloire, littéraire et politique, et cet abaissement est frappant.

C'est le temps des souscriptions ouvertes en sa faveur, des appels directs à la charité publique, des loteries, des opérations financières le plus souvent avortées. Il faut attendre 1867 pour qu'une loi lui apporte une dotation viagère de la rente d'un capital de cinq cent mille francs. Il traîne deux années pénibles de maladie. A sa mort, un décret impérial prescrit que ses funérailles seront célébrées aux frais de l'État. Lamartine ne reçoit pas cette aumône posthume : il a demandé d'être enterré le plus simplement possible dans sa terre de Saint-Point. Ni poète prévoyant ni poète maudit, sa vie connaît les plus hauts sommets et les déclins les plus subitsj Elle est passionnante comme un roman et Maurice Toesca nous en persuade qui a écrit une biographie fort intéressante.

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