Essais littéraire |
La personnalité d'André Gide est une des plus contradictoires qui puissent exister. Considéré par d'aucuns comme un véritable chef de file (ses Nourritures terrestres furent la Bible d'une génératioN), il est considéré par d'autres comme l'auteur d'une ouvre "scandaleuse" où il étale sans ménagements ses défauts. Une chose reste pourtant certaine: Gide a fait preuve, tout le long de sa vie, d'un constant effort de sincérité. Voici quelques considérations sur son style: Le style de Gide «Cet écrivain, novateur à tant d'égards, est strictement conformiste dans son style. Persuadé comme Valéry que l'art naît de la contrainte, il a maintenu les règles traditionnelles du langage contre tous les perturbateurs, notamment contre Dada. Il a même rejeté le lyrisme musical et fleuri de ses débuts pour adopter progressivement une expression dépouillée, tout unie, qui se modèle sans qu'il y paraisse sur le mouvement secret de la sensibilité; par là, elle tend à la litote classique, que Gide admirait comme étant . Il réagissait ainsi contre la profusion d'images sous lesquelles symbolistes et surréalistes noyaient la pensée. Comme Valéry, Gide a maintenu dans la prose la primauté de l'intelligence, de l'ordre et de la clarté.» LANSON-TUFFRAU ANDRE GIDE (1869 - 1951) Né à Paris en 1869, dans une famille protestante, André Gide a subi d'abord l'influence symboliste, visible dans les Cahiers d'André Walter. Dans Paludes, les Nourritures terrestres et le Prométhée mal enchaîné, son esprit non conformiste, cultive l'inquiétude. Il parle avec véracité de ses défauts. Dans un style très classique, il a abordé le récit: l'Immoraliste, la Porte étroite; le roman: les Caves du Vatican, la Symphonie pastorale, les Faux-Monnayeurs. Nature contradictoire, il s'était proposé de ruiner toutes les disciplines qui contraignent l'homme: famille, religion, morale, tout en gardant la nostalgie d'une pureté et d'un espoir de reconciliation du "ciel et de l'enfer". Il se considère un "insoumis". Il a reçu le prix Nobel en 1947. PRINCIPALES OUVRES Les nourritures terrestres (1897); Le Prométhée mal enchaîné (1899); L'Immoraliste (1902); Le retour de l'Enfant prodigue (1907); La Porte étroite (1909); Les Caves du Vatican (1914); La Symphonie pastorale (1919); Les Faux-Monnayeurs (1926); L'École des Femmes (1929); Les Nouvelles Nourritures (1935); Le Journal des Faux-Monnayeurs (1937); Thésée (1946). LES CAVES DU VATICAN En 1914 paraît le roman Les Caves du Vatican, commencé dès 1905. C'est le premier succès de librairie de son auteur. Le livre fit scandale dans les milieux catholiques de l'époque. Ce livre, comme presque tous les écrits de Gide, soulève des discussions pour et contre. Pour Paul Claudel ce livre était vraiment sinistre, car tous les sentiments y étaient bafoués. Pour François Mauriac, Lafcadio peut, sans aucun doute, faire du mal, mais il peut faire aussi du bien, car tout poison guérit ou tue selon la dose administrée et selon la constitution de celui qui le reçoit. Le geste de Lafcadio «sans raison ni profit» n'est qu'une manière irresponsable de s'opposer au monde des raisons et des profits, de se situer par conséquent à son niveau. Serait-ce une libération? Après que la notion de liberté eut été expliquée et défendue par les philosophes existentialistes, et considérée comme sujette à caution pour les tenants du structuralisme, l'«acte gratuit» (nouS) semble aujourd'hui un mot sans conséquence, une anecdote de l'esprit, une sorte de "chèque sans provision". Gide a tiré des Caves du Vatican une farce dont la création à la Comédie Française en 1950 a signé une longue vie de succès discutés. Ce "roman" de Gide est un récit délibérément décousu, disparate, difficilement analysable selon les canons du genre. Sous les apparences d'une parodie des intrigues policières, cette 199 «sotie » (mot puisé dans le répertoire des genres médiévaux et ressuscité par A. Gide pour désigner un récit où la pensée se cache sous le masque du jeU) repose sur le thème de l'«acte gratuit», thème emprunté par lui à Nitzsche et à Dostoïevski (Crime et ChâtimenT). C'est une réflexion sur la notion de liberté et sur les conséquences de celle-ci pour soi et pour les autres. Le jeune Lafcadio en est la meilleure illustration, car, prisonnier de sa "mystique" de l'acte gratuit, avec la même indifférence, le même détachement, il sauve un jour deux enfants dans un incendie, et un autre jour il tue, sans aucun mobile réel («Un crime immotivé, continuait Lafcadio: quel embarras pour la police») et par un geste resté célèbre dans l'histoire de la littérature, un autre personnage, Amédée Fleurissoire, petit homme falot °° et malingre, fabricant d'objets de piété. Lafcadio Wluicki (19 ans, blond et très beaU), personnage plein de contrastes, «être d'inconséquence», avait songé à un acte «sans raison ni profit», où il trouverait une étrange et dangereuse affirmation de sa liberté. En tuant sans raison une victime arbitrairement choisie (désignéE), il voulait accéder à la possession absolue de soi et au détachement souverain à l'égard du monde de la raison pratique. La conséquence de cet acte gratuit est le remords qui torture Lafcadio. UN HÉROS MALGRÉ LUI TEXTE DU MANUEL OFFICIEL Comme il tournait la rue de Babylone, Lafcadio vit des gens courir: près de l'impasse Oudinot un attroupement se formait devant une maison à deux étages d'où sortait une assez maussade fumée. Il se força de ne point allonger le pas malgré qu'il l'eût très élastique... [...] Pénétrant, traversant cette tourbe comme une anguille, Lafcadio parvint au premier rang. Là sanglotait une pauvresse agenouillée. «Mes enfants! mes petits enfants!» disait-elle. Une jeune fille la soutenait, dont la mise simplement élégante dénonçait qu'elle n'était point sa parente; très pâle, et si belle qu'aussitôt attiré par elle, Lafcadio l'interrogea. «Non, Monsieur, je ne la connais pas. Tout ce que j'ai compris, c'est que ses deux petits enfants sont dans cette chambre au second, où bientôt vont atteindre les flammes; elles ont conquis l'escalier; on a prévenu les pompiers; mais, le temps qu'ils viennent, la fumée aura étouffé ces petits... Dites, Monsieur, ne serait-il pourtant pas possible d'atteindre au balcon par ce mur, et, voyez, en s'aidant de ce mince tuyau de descente? C'est un chemin qu'ont déjà pris une fois des voleurs, disent ceux-ci; mais ce que d'autres ont fait pour voler, aucun ici, pour sauver des enfants, n'ose le faire. En vain j'ai promis cette bourse. Ah! que ne suis-je un homme...» Lafcadio n'en écouta pas plus long. Posant sa canne et son chapeau aux pieds de la jeune fille, il s'élança. Pour agripper le sommet du mur il n'eut recours à l'aide de personne; une traction le rétablit; à présent, tout debout, il avançait, sur celte crête, évitant les tessons qui la hérissaient par endroits. Mais l'ébahissement de la foule redoubla lorsque, saisissant le conduit vertical, on le vit s'élever à la force des bras, prenant à peine appui, de-ci de-là, du bout des pieds aux pitons de support. Le voici qui touche au balcon, dont il empoigne d'une main la grille; la foule admire et ne tremble pas, car vraiment son aisance est parfaite. D'un coup d'épaule, il [a] fait voler en éclats les carreaux; il disparaît dans la pièce... Moment d'attente et d'angoisse indicible... Puis on le vit [voit] reparaître, tenant un marmot pleurant dans ses bras. D'un drap de lit qu'il a déchiré et dont il a noué bout à bout les deux lés, il a fait une sorte de corde; il attache l'enfant, le descend jusqu'aux bras de sa mère éperdue. Le second a le même sort... Quand Lafcadio descendit à son tour, la foule l'acclamait comme un héros: «On me prend pour un clown», pensa-t-il, exaspéré de se sentir rougir, et repoussant l'ovation avec une mauvaise grâce brutale. Pourtant, lorsque la jeune fille, de laquelle il s'était de nouveau rapproché, lui tendit confusément, avec sa canne et son chapeau, cette bourse qu'elle avait promise, il la prit en souriant et, l'ayant vidée des soixante francs qu'elle contenait, tendit l'argent à la pauvre mère qui maintenant étouffait ses fils de baisers. «Me permettez-vous de garder la bourse en souvenir de vous. Mademoiselle?» C'était une petite bourse brodée, qu'il baisa. Tous deux se regardèrent un instant. La jeune fille semblait émue, plus pâle encore et comme désireuse de parler. Mais brusquement Lafcadio s'échappa fendant la foule à coups de canne, l'air si froncé qu'on s'arrêta presque aussitôt de l'acclamer et de le suivre. Les Caves du Vatican ANALYSE - COMMENTAIRE L'analyse de ce texte pourrait être faite sur au moins deux plans / niveaux. Le premier niveau serait d'en limiter l'analyse aux seules lignes du manuel officiel. Mais privé, de cette manière, de son contexte plus large (le livre dans son ensemble, la "sotie" selon le terme de GidE), ce texte se comporterait alors comme une comparaison auquel il manquerait le deuxième terme, c'est-à-dire il lui manquerait toute une série de possibilités supplémentaires d'interprétation. Une telle analyse le limiterait forcément à une simple énumération de faits, telle qu'elle serait faite par une simple chronique de faits divers. Or de tels faits divers sont présents et présentés par milliers dans les différents journaux du monde entier sans être pour autant une page de "roman". Le texte de Gide revêt pourtant une signification plus profonde, une dimension beaucoup plus large, il est / cache sous son apparente simplicité (de fait diverS) quelque chose de plus qu'une simple chronique d'un fait divers. Mais, avant de passer à une analyse un peu plus étendue / poussée, une présentation sommaire (= un résumé) des faits s'avère pourtant nécesaire. La voilà: Près de l'impasse Oudinot, Lafacadio aperçoit une foule devant une maison qui avait pris feu. Bien que poussé par un sentiment tout à fait naturel de curiosité, Lafcadio s'efforce de ne pas se presser (c'est un exercice de maîtrise de soi, de .self-contrôlE). Une femme pauvre, dont les enfants étaient restés dans la maison en feu, pleure. Une jeune fille (pour laquelle Lafcadio éprouve tout de suite une attirance, ce qui l'oblige / le pousse sans doute à faire son geste cette fois pas tout à fait "gratuit") explique à Lafcadio que personne n'avait le courage de monter au second pour sauver les enfants, malgré une récompense qu'elle avait promise à l'audacieux. En parfaite condition physique («il avait le pas "très élastique", il avait traversé la foule comme une anguille...,» etc.), parfaitement à l'aise dans cette situation apparemment sans issue, en présence de la foule, Lafcadio monte et réussit à sauver, l'un après l'autre, les deux enfants que leur mère, éperdue, attendait et qu'elle étouffe ensuite de baisers. Acclamé par la foule comme un héros, d'un geste tout aussi gratuit que celui de sauver les enfants, il vide la bourse brodée que la jeune fille lui avait donnée et qu'il aurait pu / dû garder pour lui (car il était à court d'argenT) pour en offrir le contenu à la pauvre femme et ne garde pour lui que la bourse vide. Détestant les acclamations de la foule, il préfère s'éclipser, malgré le désir de la jeune fille de [lui] parler. Ce qui compte chez lui, dans ces moments, c'est le refus de toute forme de récompense. C'est ce qui pourrait nous faire penser que son acte est vraiment gratuit. C'est pour cela qu'il refuse également les acclamations [de la foule] en «fendant la foule à coups de canne, l'air si froncé qu'on s'arrêta presque aussitôt de l'acclamer et de le suivre.» Nous pourrions dire aujourd'hui, d'une manière amusante, qu'il refuse "toute forme de culte de la/sa personnalité"! Mais une analyse plus profonde / poussée de ce texte ne manque pas d'en faire ressortir d'autres facettes et d'autres traits de caractère du personnage. Mais pour faire cela il s'agit de rapporter le texte du manuel officiel au reste du livre et sonder les motivations intérieures du personnage. La formule par laquelle nous pourrions circonscrire les deux actions est / serait la suivante: x -> x' (l'action de sauver les enfants de ce sinistre, l'incendie (X) doit être rapportée au moment où Lafcadio précipitera Amédée Fleurissoire du train (x')- La première action annonce, d'une manière presque prémonitoire, la seconde. Malgré le désir de Gide d'attribuer à son héros / personnage une action dépourvue de toute motivation (l'acte gratuit par excellencE) il y a dans les deux cas une justification subconsciente pour les deux actions. Dans le premier cas (X) la présence de la jeune fille agit comme une sorte de catalyseur sur Lafcadio (elle était «si belle qu'aussitôt attiré par elle, Lafcadio l'interrogea.»). C'est cette attirance qui explique beaucoup des réactions du personnage. Peut-être que sans la présence de la jeune fille il n'aurait pas (ré /)agi de la même manière. Dans le deuxième cas (x') le désir de réaliser un crime parfait, comme plus tard dans les romans d'Agatha Christie, un crime inexplicable («Un crime immotivé, continuait Lafcadio: quel embarras pour la police» ) sert pourtant de justification / motivation de cet acte apparemment gratuit. Dans les Caves du Vatican, l'infortuné Amédée Fleurissoire est victime, à deux reprises, d'actes de violence qui relèvent d'une logique proche du terrorisme; d'abord par l'intermédiaire d'une idée de roman, ensuite dans l'étrange passage à l'acte gratuit que semble être la mise en pratique de cette idée. L'un des personnages du roman, Julius de Baraglioul, le scandalise en évoquant devant lui un roman dans lequel serait décrit un acte de méchanceté gratuite, quelqu'un qui ferait le mal sans tirer profit, un crime inexplicable, accompli comme un luxe, pour l'amour du jeu, par un besoin de vaine dépense. Pour Julius de Baraglioul, un tel exploit serait indubitablement «le signe d'une certaine aristocratie de l'âme». Un peu plus tard Amédée Fleurissoire mourra, victime de cete "aristocratie", précipité par Lafcadio. Celui-ci le tue parce qu'il le trouve laid et ridicule, surtout lorsque, ayant ôté sa veste, ce dernier essaie de changer de faux col et de manchettes. Comme on peut le voir, le crime "immotivé" commis par Lafcadio n'est pas aussi immotivé que cela. Son goût pour "l'acte gratuit" a des motivations subconscientes. Questions Compréhension du texte 1. Indiquez quels sont les sentiments et les réactions du personnage dans les derniers paragraphes et expliquez-les. 2. Parmi les mots suivants: aisance, éclat, sort, héros, choisissez-en deux. Expliquez le sens qu'ils ont dans ce récit, puis employez-les dans une phrase où ils auront un sens différent de celui qu'ils ont dans le texte. Composition Essayez de décrire un incendie, et les efforts des pompiers et des autres hommes pour l'étouffer. Voici quelques mots ou expressions: incendie, sinistre, embrasement, jet de flamme(S), langue de feu, flamboiement, lueur, crépitement, flamme, cendre, fumée, nuage, tourbillon, asbeste, amiante, extincteur, pompier, sapeur-pompier, corps des pompiers, pompe, seaux, chaîne, prise d eau, bouche d'incendie, tuyau, lance, échelle de sauvetage, opérer le sauvetage, attaquer l'incendie, dévaster, mettre en cendres, réduire en cendres, carboniser, calciner, crépiter, être la proie des flammes. |
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