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APOGÉE ET DÉCLIN DE LA RENAISSANCE EN HONGRIE






Il y avait peu de pays européens où les circonstances fussent aussi favorables qu'en Hongrie à la réception de la Renaissance italienne. C'était la dynastie des Anjou de Naples qui y régnait au XIVe siècle, et la politique hongroise se mêlait étroitement aux affaires de l'Italie. Les campagnes de Naples (1347-1350) de Louis le Grand, roi de Hongrie (1342-1382), sa guerre victorieuse contre Venise (1378-1381), le renforcement de la domination hongroise sur le littoral dalmate, la présence permanente des mercenaires hongrois en Italie, une colonie de commerçants italiens dans la capitale hongroise, des étudiants hongrois aux universités de Bologne et de Padoue et les relations intellectuelles qui se multipliaient assurèrent la circulation constante des biens matériels et culturels entre les deux pays. Cette tendance se fortifia encore sous le règne du roi Sigismond (1387-1437), surtout après 1410 quand il fut élu empereur germanique et que sa résidence royale Buda devint un des centres de la politique européenne. En dehors des seigneurs italiens exilés, comme les Car-rarâ et les Délia Scala, ou des adversaires de l'humanisme naissant, tel Giovanni Dominici (mort à Buda, en 1419) qui avait combattu Salutati, la Cour du roi accueillait des figures toujours plus nombreuses de la première grande génération de l'humanisme italien. Fran-cesco Filelfo et Ambrogio Traversari y passèrent des mois, Branda da Castiglione et Giuliano Cesarini des années, et Pietro Paolo Vergerio presque trois décennies (1417-1444). Poggio Bracciolini se préparait à y occuper une charge importante, mais finalement il ne vint pas. Filippo Scolari (Pippo SpanO), connu par le tableau d'Andréa del Castagno, y accomplit une carrière brillante, et Masolino y exécuta les premières toiles (malheureusement détruites depuiS) qui marquèrent en Hongrie les débuts de la Renaissance. Les sources attestent, en outre, l'installation en Hongrie d'évêques et d'autres dignitaires ecclésiastiques, aussi bien que de médecins et de banquiers italiens. C'est pour le roi Sigismond que Giovanni da Serravalle traduisit en latin La Divine Comédie, et Vergerio l'Anabasis Alexandri d'Arrien. Quand il séjourna, entre 1431 et 1433, dans les villes d'Italie, à l'occasion de son couronnement comme empereur germanique, ce que les membres hongrois de sa suite purent y connaître, c'était déjà l'univers de la jeune Renaissance italienne. Ce fut en ces temps-là que Jean Hunyadi, le futur grand capitaine, entra provisoirement au service des Visconti.



Mais toutes ces conditions réunies ne constituent encore qu'une ouverture potentielle à la réception de la Renaissance italienne. La société hongroise vit encore au Moyen Age et ne manifeste, au début tout au moins, aucune sensibilité pour la nouvelle culture. Quand un document de Louis le Grand, rédigé dans un latin plein de barbarismes, tomba par hasard sous la main de Pétrarque, celui-ci remarqua avec mépris que le roi de Hongrie eût mieux fait de payer de bons clercs à la place de chiens de chasse. Quelques décennies plus tard, Enea Silvio Piccolomini, installé alors en Autriche, comme secrétaire de Frédéric III, se plaignit ainsi à Cesarini qui séjournait en même temps à Buda : « Il serait aussi insensé de chercher Rome en Autriche que de s'informer auprès des Hongrois sur Platon ». Mais il ne fallait pas être forcément italien, pour qu'un humaniste se sentît isolé en Hongrie : Janus Pannonius (1434-1472), le plus grand poète humaniste hongrois, étant rentré dans son pays en 1458, après un séjour italien de onze ans, s'attrista de voir cette terre barbare qui l'habituait à une langue barbare et qui ferait taire Virgile ou Cicéron mêmes. Mais cette même année 1458 justement, monta sur le trône Mathias Hunyadi, autrement dit Corvin, à qui nous devons que la réception de la Renaissance italienne en Hongrie ne fut plus une possibilité seulement, mais bientôt une réalité. Il était fils de ce chef d'armée Jean Hunyadi, mort deux ans plus tôt, qui, avec ses soldats hongrois, slaves méridionaux et tchèques, et avec les croisés paysans hongrois réunis par Jean de Capistran, avait remporté la victoire sur les Turcs en 1456 à Belgrade, assurant ainsi pour soixante-dix ans l'intégrité de l'État hongrois, et rendant ainsi possible l'épanouissement de la Renaissance hongroise. Mathias fut le premier roi, en dehors de l'Italie, qui avait été formé par des humanistes. Ce n'était pas en vain que Vergerio, auteur du premier traité célèbre de pédagogie humaniste. De ingenuis moribus et liberalibus adolescentiae studiis (1400-1402), avait vécu si longtemps en Hongrie : ses enseignements, bien que lentement, finirent quand même par agir. C'est en développant ses principes qu'Enea Silvio Piccolomini écrivit en 1451 son De liberorum educatione à l'intention de P enfant-roi de Hongrie, Ladislas V, et le premier humaniste hongrois, Johannes Vitéz (v. 1408-1472), fut à son tour un disciple de Vergerio, avec qui il organisa, au début des années 1440, le premier cenacolo des érudits humanistes à Buda ; fidèle collaborateur de Jean Hunyadi, il était aussi précepteur du jeune Mathias. Représentant de la nouvelle culture et du nouvel idéal d'homme, formé par la pédagogie humaniste, héritier d'une immense fortune familiale et fils d'un père glorieux, Mathias, bien que homo novus parmi les monarques européens, était prédestiné au rôle de prince tel que le conçut la Renaissance.



Pour mener une politique de grande puissance à l'ombre des Turcs et dans le voisinage de l'empereur qui lui disputait le droit à la couronne de Hongrie, Mathias eut besoin des méthodes les plus modernes. En dehors de la centralisation du pouvoir, d'une nouvelle politique d'impôts et d'une armée régulière, la propagande de l'humanisme et la représentation princière dans le goût de la Renaissance en faisaient également partie. Son précepteur Johannes Vitéz, devenu plus tard grand chancelier, avait déjà reconnu que des échanges diplomatiques, pour être efficaces, surtout avec le Saint-Siège et les États italiens, devaient nécessairement revêtir la nouvelle armure humaniste. Lui-même en montra l'exemple par ses épîtres et ses oraisons, premiers produits de la littérature humaniste hongroise. Il reconnut également que les futurs magistrats de l'État devaient avoir la meilleure formation possible ; il envoya par conséquent ses protégés, dont son neveu, le poète Janus Pannonius, chez les plus grands maîtres italiens, tel Guarino Véronèse. Ainsi a pu se former petit à petit une chancellerie humaniste avec des Hongrois instruits en Italie, qui écrivaient un latin auquel Pétrarque lui-même n'aurait rien pu reprocher. Argumentation politique dans des échanges épistolaires ou dans des discours oratoires, éloge du roi en vers et en prose, exhortation à la solidarité chrétienne contre les Turcs et la tâche de récrire l'histoire nationale hongroise dans l'esprit et dans le style de l'humanisme - telles étaient les préoccupations de la littérature hongroise humaniste à sa naissance. Cette mission qu'elle entreprit et l'amour de la cause attirèrent aussi des érudits italiens, comme Galeotto Marzio, Pietro Ransano, Antonio Bonfini, Bartolomeo Fon-zio, Aurelio Brandolini Lippo, Francesco Bandini et bien d'autres encore, qui restèrent plus ou moins longtemps au service du roi de Hongrie. Une élite humaniste d'Italiens et de Hongrois s'était ainsi constituée, qui, outre le service du roi et de l'État, menait désormais sa propre vie, communiquait régulièrement dans des discussions, échangeait des idées, étudiait les auteurs antiques et organisait des symposiums à la manière grecque et italienne. La poésie humaniste réservait aussi une place, à côté des idées propagées, à un lyrisme personnel, surtout dans les ouvres de Janus Pannonius.

Toute cette activité exigeait des livres, et principalement les oeuvres des auteurs antiques. On n'en manquait point. Déjà Vergerio avait emporté avec lui à Buda son excellente bibliothèque. Le premier bibliophile humaniste hongrois fut Johannes Vitéz qui avait installé sa bibliothèque dans sa résidence épiscopale de Vârad d'abord, et dans sa métropole d'Esztergom ensuite ; il y passait ses rares loisirs à amender des textes antiques de sciences naturelles, en compagnie de Galeotto Marzio ou de l'astronome allemand Regiomontanus. Mais le véritable grand fait dans ce domaine fut celui du roi qui créa la « Bibliotheca Corvina ». Cette bibliothèque universellement connue, pour laquelle avait travaillé une multitude d'humanistes, de scribes, d'enlumineurs et de relieurs, dans les ateliers de Buda aussi bien que dans les botteghe de Florence travaillant pour Mathias, devint la réalisation culturelle la plus importante de la Renaissance hongroise. Malgré la dispersion et les ravages qu'elle devait subir au cours du XVIe siècle, elle resta une des principales sources où l'Europe centrale puisait ses connaissances de la littérature antique et humaniste.

Elle eut aussi la fonction d'accueillir les réunions savantes, organisées avec la participation du roi, à l'instar de l'« Academia Platonica » de Laurent de Médicis et de Marsile Ficin. Le coetus, comme l'a appelé Konrad Celtis, des humanistes hongrois et italiens de Buda pourrait être considéré comme une sorte de filiale de l'Académie florentine, puisque son animateur principal était un collaborateur étroit de Ficin, Francesco Bandini, qui avait passé quatorze ans à Buda. Le maître florentin lui-même n'a pas répondu à l'invitation des Hongrois pour un séjour à Buda, mais il y a régulièrement envoyé ses ouvres, dédiées souvent au roi, ou à tel ou tel humaniste hongrois. La tendance dominante de l'humanisme hongrois naissant fut ainsi le néoplatonisme : Platon s'enracina en Pannonie aussi, et ses idées, avec celles de Plotin, de Ficin et des ouvres hermétiques pénétrèrent désormais les plus belles poésies de Janus Pannonius et d'autres ouvres nées à Buda.



L'esprit humaniste de la Cour de Mathias s'épanouit dans une atmosphère artistique de Quattrocento, particulièrement après 1476, date du mariage du roi avec la princesse napolitaine Béatrice d'Aragon. Le palais royal gothique de Buda fut en partie transformé, en partie augmenté par de nouvelles ailes Renaissance. Selon Vasari, les travaux furent dirigés par Chimenti Camicia ; c'est lui qui fit construire aussi les célèbres jardins suspendus du palais, selon le modèle d'Urbin. Le roi voulut aussi reconstruire sa capitale, et dans ce but il fit traduire par Bonfini d'italien en latin le De architectura de Filarete, mais finalement il n'eut pas le temps de bâtir la ville idéale. Il s'occupa d'autant plus de la décoration du palais. Benedetto de Maiano, Giovanni Dalmata et Ercole de Roberti y travaillèrent sur place, mais Mathias fit des commandes en Italie aussi : Mantegna peignit son portrait, Filippino Lippi le tableau d'autel de la chapelle du château, Antonio Pollaiolo dessina la tapisserie du trône, Verrocchio exécuta les bas-reliefs de bronze d'un des portails du palais, les meilleurs enlumineurs de l'époque, comme Attavante degli Attavanti, Gherardo et Monte di Giovanni travaillèrent également, avec divers autres artisans, pour le roi de Hongrie. Des autres constructions qu'il fit entreprendre, citons le palais d'été de Visegrâd dont on peut encore admirer les ruines ; rappelons enfin le célèbre orchestre et la chorale de sa cour dont Bartolomeo de Maraschi lui-même, chef de la chapelle pontificale, avait reconnu qu'elle ne pouvait être comparée qu'à la sienne propre.



« Il s'efforça de transformer la Pannonie en une seconde Italie », dit Antonio Bonfini à propos de Mathias Corvin. En effet, il a tout fait pour que son pays, et particulièrement sa Cour, fût un partenaire digne des centres italiens de la Renaissance. Mais comment la société hongroise contemporaine accueillait-elle toutes ces nouveautés ? Était-elle capable d'assimiler, d'adopter et surtout de continuer les initiatives de son grand roi ? Il y en a eu, naturellement, qui condamnèrent les mours étrangères et le gaspillage inutile à leurs yeux, ou tout au moins les considérèrent-ils avec incompréhension. Mathias dut intervenir un jour pour défendre Miklôs Bâthory (1440-1506), évêque de Vâc, dont se moquaient ses seigneurs car, en attendant dans l'antichambre du roi, au lieu de deviser avec eux, il se plongeait dans la lecture de Cicéron.

Mais Mathias était avant tout un homme politique, et l'adoption de la culture la plus moderne de l'époque, malgré tout l'amour qu'il lui portait, ne fut pas pour lui un but en soi. Il savait jouer sur d'autres cordes, s'il le fallait. Il s'assura la fidélité de la noblesse fort nationaliste et hostile à tout ce qui venait de l'étranger, à l'aide du culte de la prétendue origine hunnique des Hongrois et, tandis que les humanistes célébraient en lui le nouvel Hercule, il se laissa honorer par les premiers en tant qu'un second Attila. Tandis que, pour la conversation, il privilégie parmi tous l'épicurien et l'athée que fut Galeotto Marzio, d'un autre côté, il revêt le rôle du défenseur du christianisme et de l'Église, et mène des croisades contre les Turcs infidèles et les Tchèques hérétiques. Il prête son appui aux ordres mendiants, principalement aux franciscains, et leur bâtit église sur église - en style gothique, naturellement - contribuant ainsi à la floraison automnale en Hongrie de la culture conventuelle et du gothique tardif. A sa mort (1490), il laissa derrière lui un pays avec une élite intellectuelle résolument engagée à la culture humaniste de la Renaissance et capable désormais d'y ouvrer elle-même, produisant aussi des résultats remarquables, mais une élite contrebalancée par la majorité de la société qui vivait encore dans l'atmosphère traditionnelle du Moyen Age.



L'apparition subite de l'humanisme et l'introduction dynamique de la Renaissance italienne en Hongrie eurent pour résultat, dans les décennies qui suivirent la mort de Mathias, une coexistence de la culture ancienne et moderne. Il apparut alors que des couches plus larges de la société étaient de plus en plus ouvertes à la Renaissance. Les grands du pays marchaient en tête, naturellement, et c'était avant tout les cours des grands seigneurs et prélats qui se transformèrent rapidement en foyers de la nouvelle culture ; les constructions de palais et d'églises se succédèrent, en même temps qu'on transforma les anciens édifices selon le goût moderne et qu'on adjoignit des chapelles Renaissance aux cathédrales romanes et gothiques. Au début du XVIe siècle, des tabernacles Renaissance apparaissent même dans les petites églises villageoises, et les gentilshommes provinciaux jusqu'aux confins du pays se font sculpter des monuments funéraires dans le style nouveau. Tout cela, naturellement, n'est plus l'ouvre de maîtres venus d'Italie, quoique leur présence dans les centres principaux soit toujours attestée. Dans le temps de Mathias déjà, un nombre toujours croissant d'artistes hongrois travaillait aussi dans les ateliers aux côtés des maîtres italiens ; ils se répandent maintenant dans le pays entier. Cette évolution est en relation avec le changement des rapports de forces en politique intérieure. Grâce à son pouvoir absolu et à ses excellents conseillers, Mathias avait perçu dans le pays d'immenses revenus qui se concentraient entre ses mains, tandis que ses successeurs de la maison Jagellon, Vladislas II (1490-1516) et Louis II (1516-1526), ne disposant ni de son talent, ni de son pouvoir, laissèrent cette fortune aux mains de la population. L'État en devint plus pauvre, mais la société s'enrichit, et avait ainsi de quoi engager architectes et artistes pour réaliser des chefs-d'ouvre de la Renaissance, comme la célèbre chapelle à Esztergom de l'archevêque Tamâs Bakôcz (1442-1521). La culture humaniste se répandait à son tour, dans les institutions laïques et ecclésiastiques, les studia humanitatis devinrent la base de l'enseignement, le grec fut mis au programme dans plusieurs écoles, et les ouvres littéraires humanistes se multiplièrent.

Une des particularités de la Renaissance hongroise fut la haute envolée de ses débuts, au temps de Mathias, hauteur qu'elle ne parvint jamais plus à atteindre plus tard. Une conjecture heureuse de la situation historique et des données locales favorables avaient permis ce décollage extraordinaire, mais les conditions sociales requises pour maintenir le même niveau n'étaient pas données. Ce premier bond avait cependant suffi à assurer la propagation dans tout le pays, à un niveau moyen et honorable, de la culture humaniste et du goût artistique de la Renaissance.



Dans les décennies qui suivirent le règne de Mathias, l'orientation internationale de la Hongrie changea. Tout en maintenant ses relations avec l'Italie, elle privilégia désormais celles qu'elle établit avec l'Autriche, la Bohême et la Pologne, où les positions de l'humanisme s'étaient renforcées vers 1500. Les universités de Vienne et de Craco-vie étaient devenues les foyers les plus importants de l'humanisme en Europe centrale. L'intérêt des Hongrois se tourne donc de plus en plus vers ces pays, ne serait-ce qu'à cause des relations dynastiques : Vladislas II et Louis II sont aussi rois de Bohême en même temps que de Hongrie, ils ont des parents très proches sur le trône de Pologne, et un double lien matrimonial les lie aux Habsbourg d'Autriche. Il se forme ainsi un cosmopolitisme humaniste centre-européen avec, au cour, cette « Sodalitas Litteraria Danubiana », suggérée par Konrad Celtis, organisée et animée par des humanistes hongrois, allemands et tchèques, et l'astre conducteur, le phare n'est plus l'italien Ficin, comme avant, mais le plus grand penseur de l'Europe transalpine, Érasme.

C'est dans son admiration que vivent, pendant l'hiver et le printemps 1526, les principaux humanistes de la Cour de Buda, devenue assez nécessiteuse ; plusieurs d'entre eux sont en correspondance avec le grand maître néerlandais, et leur enthousiasme est partagé par le jeune Louis, roi de Hongrie et de Bohême, et par sa femme Marie de Habsbourg qui montre une certaine sympathie pour les doctrines de Luther aussi. Mais quelques mois plus tard, un événement met fin, et pour longtemps, non seulement aux réunions savantes de Buda, mais aussi à la Cour Renaissance de Hongrie, à la royauté hongroise autonome et indépendante et à l'intégrité de tout l'État hongrois. Ce fut la défaite écrasante à Mohâcs, le 29 août 1526, de l'armée royale hongroise par les forces turques de Soliman le Magnifique. Le roi lui-même resta sur le champ de bataille ; sa jeune veuve, fuyant Buda, se vit dédier, en guise de consolation, la Vidua christiana d'Érasme et les Vier trôstliche Psalmen de Luther. Pendant ce temps, le Sultan prit Buda, admira, et pilla ensuite le palais de Mathias, saccagea la « Bibliotheca Corvina » et emporta avec lui une partie des livres, tout comme les statues colossales dressées devant le palais, dont celle de Mathias en Hercule. On connaît les suites politiques. La catastrophe militaire et la dévastation d'une grande partie du pays furent aggravées par le démembrement politique de son territoire. Une partie élut pour roi Jean Szapolyai (1526-1540), le plus puissant des seigneurs hongrois, l'autre couronna Ferdinand de Habsbourg (1526-1564), frère de Charles Quint ; aucun des deux ne réussit à se rendre maître de l'autre. Ferdinand et ses successeurs ne purent garder que la partie nord et nord-ouest du pays, Jean et ses successeurs restèrent cantonnés dans l'est, partie qui devint par la suite, sous le protectorat turc, la Principauté hongroise de Transylvanie ; et la partie médiane du pays, avec Buda définitivement occupée en 1541, tomba pour cent cinquante ans sous la domination des Turcs.



La Renaissance n'en prit pas fin pour autant en Hongrie, mais elle devait évoluer désormais dans des circonstances radicalement différentes, tout comme l'ensemble de la culture hongroise. Il y eut une rupture : le puissant État précédent étant disparu, ce fut dans les cadres d'un pays démembré et en s'appuyant sur les efforts d'un peuple opprimé qu'il a fallu reconstruire la culture nationale. A la fin du XVIe siècle, la Renaissance hongroise produisit de nouveau des ouvres remarquables dans certains domaines, dans la poésie avant tout, mais cela ne put compenser la continuité rompue. Rupture et recommencement, élan prodigieux au début, arrêté par la suite - c'est ce qui caractérise la Renaissance en Hongrie. Cette même particularité marque d'ailleurs toute l'Europe centrale, où une discontinuité fâcheuse troubla l'évolution à plusieurs reprises au cours de l'histoire, y compris les dernières décennies qu'elle vient de vivre.

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