Essais littéraire |
Avant d'en venir à la grande aventure du Romantisme, celle qui dépasse le temps même des luttes, des triomphes et des apogées, se propage dans les arts et les idées, et se prolonge jusqu'à nous, on ne saurait oublier une période transitoire durant laquelle (Lamartine, Hugo et Vigny fourbissant leurs armeS) des poètes simplement estimables, que la nouvelle école rayera d'un trait de plume, se trouvent au premier rang de la scène. Durant cette période, les maîtres, les possesseurs des fauteuils académiques, sont les derniers représentants des dogmes classiques, et, pour les meilleurs, les précurseurs du proche romantisme : ils feront autorité jusqu'à ce que d'autres les supplantent. Les idées nouvelles, issues de la Révolution, font lentement leur chemin, préparent des formes neuves. La génération de l'Empire et celle de la Restauration sont nourries de Jean-Jacques Rousseau, de Chateaubriand, de Mme de Staël, de Sénancour, de Voltaire, de Bernardin de Saint-Pierre. Des signes préromantiques, nous en avons trouvé tout au long de ce voyage : au XVIe siècle chez un Joachim Du Bellay; au XVIIe siècle de Théophile, Tristan ou Saint-Amant, chez les grands classiques aussi; au XVIIIe siècle chez maints faiseurs d'élégies, d'héroïdes, d'épîtres, et l'on nomme Thomas comme les « îliens » Léonard, Bertin, Bonnard, Parny, et l'on nomme les élégiaques, les mélancoliques, Colardeau, Feutry, Malfilâtre, Gilbert, La Harpe, Legouvé, Millevoye, Arnault, Chênedollé et, bien sûr, au premier rang André Chénier, plus proche encore du futur parnasse que des romantiques. Au début du XIXe siècle, dans ce premier temps, dans cette parenthèse entre deux manières, où l'on trouve des femmes poètes nommées Marceline Desbordes-Valmore, Élisa Mercour, Sophie et Delphine Gay, Mmc Amable Tastu, pleines de promesses romantiques, où Népomucène Lemercier tait figure de chef d'école, où des noms se détachent qui sont Barthélémy et Méry, Casimir Dela-vigne, Pierre-Antoine Lebrun, parmi bien des rescapés de l'Empire déjà rencontrés dans le précédent volume, on entrevoit des disciples lointains de Voltaire qui mêlent l'art classique le plus pauvre à un art préromantique informe. On manque de génie, d'assurance, on ne crée ni système nouveau ni méthodes nouvelles, on en est à l'art d'agrément, on ne sait mener à bien des ambitions vagues. C'est le temps du pseudo-classique que suit le classico-romantique. L'appareil du langage est vieilli, les stances sont languissantes et monotones, les clairons sonnent faux. Le théâtre en vers se répand dans des centaines d'ouvres mornes, avec cependant quelques acclimatations des théâtres anglais et allemand encore méprisés - et là il faut saluer Lemercier et Lebrun -, des regards vers la Grèce et l'Italie. Tout cela fait semblant d'être fort. Il ne faut point se méprendre : on est à l'époque des beaux transports et ils tentent vainement de donner une idée de désordre passionné, de grandeur et d'enthousiasme. Dans les odes napoléoniennes, il n'est pas impossible qu'apparaisse un vers isolé que ne renieraient ni Victor Hugo ni Auguste Barbier; dans les pièces fugitives, plus sobres, on trouve de bons passages. La matière reste cependant molle, sans fermeté de trait. Avant d'entreprendre le grand voyage romantique, nous parlerons donc de ces années ni chair ni poisson et nous tenterons d'en exprimer les caractères par une galerie des portraits de ces poètes mineurs que nous nous sommes proposé de ne jamais ignorer. Deux illustres Marseillais. Auguste-Marseille Barthélémy (1794-1867) et Joseph Méry (1798-1866) parcourent à peu près le même temps de vie et s'unissent pour écrire de nombreux poèmes satiriques et héroï-comiques comme la Villéiade, 1826, dans le goût du Lutrin, Les Jésuites, les Grecs, 1826, la Corbiére'ide, 1827, la Peyronéide, les Sidiennes, épîtres à Sidi Mahmoud, ambassadeur du bey à Tunis, ou le poème descriptif et apologétique Napoléon en Egypte, suivi du Fils de l'Homme écrit à la suite d'une visite faite au duc de Reichstadt pour lui présenter le premier de ces poèmes. Puis ce furent Waterloo, 1829, l'Insurrection, que salue Sainte-Beuve, les livraisons satiriques hebdomadaires de la Némésis en vers. De Barthélémy, existe une Ode sur le sacre qui lui vaudra une aide financière de Charles X, et de nombreuses ouvres avec ou sans la collaboration de Méry. Nous avons déjà cité ses poèmes didactiques sur la Bouillote, le Baccara, la Vapeur, la Siphilis, l'Art de fumer. Inutile de dire que ces curiosités n'enrichissent pas la poésie. Barthélémy appelait Méry son « hémistiche vivant ». Ce dernier fit, seul, de nombreuses pièces de circonstance, des poèmes de tous genres, et l'on reste confondu par l'ampleur d'une ouvre promise à l'oubli. S'il reste difficile de séparer ces poètes, de distinguer l'apport de chacun d'eux, il semble que Méry fut plus léger, plus brillant, plus fantaisiste que son comparse. Ses contes nocturnes laissent prévoir le romantisme. Il traduit des drames en vers, le Chariot d'enfant et l'Imagier de Harlem en collaboration avec Gérard de Nerval. Ses romans-feuilletons, excentriques, paradoxaux, lui permirent de se créer un genre personnel auprès de Dumas, de Gozlan et d'Eugène Sue. Méry était sympathique, journaliste hardi et facétieux qui ne dédaigne pas la mystification au détriment de Viennet ou de Ponsard; il fut de surcroît bon latiniste, intelligent et vif d'esprit. Si l'on en croit Alexandre Dumas, Barthélémy était froid et taciturne, Méry chaleureux et loquace. Pour Victor Hugo « Les vers de Barthélémy sont de beaux vers comme les sergents de ville sont de beaux hommes ». Méry, lui, fut loué davantage bien qu'il partageât les mêmes responsabilités. Voici, tiré de Napoléon en Egypte, un exemple de leur manière : Déjà les grenadiers, dans leur marche indécis, Fouillent les corridors par les torches noircis. Ils admirent longtemps, sur les frises tombées, Le vif azur qui teint 1 aile des scarabées, Les feuilles de lotus, les farouches Typhons, Les granits constellés qui parent les plafonds, Les murs où vainement de muets caractères D'un magique alphabet conservent les mystères. Le piédestal sonore où mugissait Apis Et les sphynx merveilleux, gravement accroupis, Qui semblent, sur le seuil de la longue avenue, Proposer au passant une énigme inconnue. C'est de la poésie Empire comme on dit du meuble Empire. Lorsque Barthélémy chante l'Art de fumer, voilà ce que cela donne : Là, l'enfant nouveau-né, créature éphémère. Suce à la fois la pipe et le sein de sa mère; L'homme que le destin relègue au dernier rang Pompe un arôme exquis dans un tube odorant. Heureux le grand seigneur de l'Inde et de la Perse! Tandis qu'à ses côtés, un esclave lui verse L'extase des élus dans les flots du moka, Un autre est à ses pieds, penché sur son houka, Merveilleux appareil, où la tiède fumée Refroidie en passant sur une eau parfumée, Dans un long serpentin qu'elle suit lentement Dépose l'âcreté d un impur sédiment... Ce houka, nous le retrouverons au début des Fleurs du Mal. Barthélémy jette ailleurs ce vers : « L'homme absurde est celui qui ne change jamais », morale pour girouettes, et il dira aussi « Le coupable est celui qui varie à toute heure ». Traverser autant de régimes successifs obligea ces poètes à bien des variations. Bien peu s'en tirèrent avec honneur. Nos deux poètes marseillais sont des poètes de transition auxquels on doit reconnaître, à défaut d'une valeur poétique, du moins de la force dans la satire, de la bonne volonté dans l'écriture qui reste toujours de bonne composition. Ajoutons que la traduction de l'Enéide due à Barthélémy fut la meilleure de son temps. Ne séparons pas Barthélémy et Méry de leur ami et compatriote Gaston de Flotte (né en 1805) de Saint-Jean-du-Désert. Sa notoriété ne sera pas comparable à celle de ses amis, à celle de l'autre Marseillais Joseph Autran; elle reposera sur ses collections de Bévues parisiennes, 1860, glanées dans la presse, plus que sur ses grands poèmes royalistes Jésus-Christ, 1841, et la Vendée, 1848. Quelques chantres de l'Empereur. La personnalité de Napoléon Ier, on le sait, après avoir inspiré le siècle finissant, inspirera le XIX siècle, admirateurs comme opposants : il n'est que de citer Mme de Staël et Chateaubriand, Lamartine et Vigny, comme Béranger, Auguste Barbier, Hugo, Balzac, Stendhal, Edgar Quinet. Tous ne diront pas sa gloire, tous affirment son importance. Les poètes rescapés de l'Empire dont nous parlons sont des inconditionnels. Louis-Marie de La Haye de Cormenin (1788-1868), juriste, adresse une Ode à Napoléon, 1813. L'officier Alexis de Charbonnières (1778-1819) fait jouer en vers la Journée d'Austerlitz et intitule un poème Essai sur le sublime avant que « l'enfant sublime » ne se manifeste. Louis-François Cauchy (1760-1868) écrit son Dithyrambe sur la bataille d'Austerlitz. Pierre David (1772-1846) a pour titre de gloire d'avoir acquis la Vénus de Milo, ce qui vaut mieux que sa Bataille d'Iéna, 1829, ou son Alexandréide, 1826. Anne Bigi.an (1795-1861) donne Napoléon en Russie, 1839. La même année, Adolphe Favre (1808-1886), auteur de menus poèmes, demande à Louis-Philippe le retour des cendres de Napoléon ce qui permettra à Théodore Villenave (1798-1866) d'écrire les Cendres de Napoléon, 1841, après avoir édité Napoléon, poème en dix chants du roi Joseph. Et Victor Lavagne traduit de l'arabe une Apothéose de Napoléon, 1829. Un homme politique, Louis Belmontet (1798-1879), consacrera la plupart de ses oeuvres, si l'on excepte les Tristes, 1824, et sa tragédie Une Fête de Néron, en collaboration avec Alexandre Soumet, à son idole et à sa famille : les Mânes de Waterloo, les Funérailles de Napoléon, les Impérialistes, les Napoléoniennes, Sébastopol, et... le Fils de Napoléon III. Lié quelque temps avec les romantiques, il finit par les faire sourire. Tenant d'un bonapartisme populaire, il a aussi écrit des poèmes tristes comme les Petits Orphelins qui sauront inspirer Hugo. On pourrait citer des centaines d'hommages lyriques, par exemple à propos du mariage de l'empereur : au Mercure, l'encens ne cesse de brûler avec, entre autres, Joseph Michaud (1767-1839), Pierre-François Tissot (1768-1854) ou le chevalier Fourcy. Nicolas Lemaire célèbre la grossesse de l'impératrice en vers latins tandis qu'en français 12730 candidats se disputent les cinquante prix proposés sur ce sujet. Pour célébrer Napoléon II, il y aura 1 300 rimeurs tous dépassés par Victor Hugo ou Auguste Barbier plus tard. Tout au long du siècle, des poètes impériaux trouvent dans ces sujets matière à lyrisme ampoulé. Citons encore le Napoléon au Mont-Thabor, 1825, d'Amédée Duquesnel (né en 1802), les Napoléoniennes, 1852, d'Henri Dottin (né en 1816). Tous les rimeurs, les Barthélémy et Méry, les Fontanes, les Lebrun, les Baour-Lormian, les Viennet, les Esménard, les Brifaut, les Casimir Delavigne, dans des odes ou des pièces, chantent Napoléon et sa famille. Seuls quelques-uns restent réservés : Népomucène Lemer-cier, Ducis ou Marie-Joseph Chénier. Nous allons encore rencontrer des chantres du pouvoir, occasionnels ou non. Un certain lyrisme : Lebrun. Parmi les poètes de transition, Pierre-Antoine Lebrun (1785-1873) mérite mieux que la place qu'on lui accorde généralement. On peut le situer parmi les derniers poètes classiques et aussi parmi les premiers poètes romantiques. Si ses tragédies, Coriolan ou Ulysse, rappellent Corneille, n'oublions pas que sa pièce Marie Stuart, 1820, fut considérée comme apportant une des premières victoires du Romantisme, que le Cid d'Andalousie, 1825, sans cesse lyrique, aura une influence sur Casimir Delavigne, Victor Hugo, Henri de Bornier, Hippolyte Lucas. Lebrun, qu'il ne faut pas confondre avec Lebrun-Pindare, donne l'Ode à la Grande Armée et des poèmes, des stances marquant la geste napoléonienne, chargés de clichés pseudo-classiques (qu'il éliminera en partie par la suitE) laissant préfigurer l'Aiglon d'Edmond Rostand. Ces ouvres de circonstance, parce que profondément ressenties, ne seront pas dénuées d'un certain lyrisme excla-matif : ô jours de ma jeunesse! ô beaux et nobles jours! Jours de printemps! Jours d'espérance! Que votre souvenir toujours A sur mon âme de puissance! A peine au sortir de l'enfance, J'ai vu sa gloire naître et commencer son cours. S'il chante la mort de l'empereur, un sentiment douloureux qui n'est pas de convention parcourt l'ensemble de son poème et lui confère une unité comparable à celle du Lac de Lamartine par exemple : Oui, le voilà, couché sur un lit funéraire, Sans sceptre, sans drapeaux qui lui parent la mort; Sans compagnons guerriers, sans pompe militaire, Tout seul en présence du sort. Disant adieu à son idole, il montre qu'il dit adieu à sa jeunesse et à toute une époque : Adieu! tout doit finir par ce mot douloureux. Adieu! toi, le héros des chants de ma jeunesse, Toi que j'aimai! Je sens dans les derniers adieux Se rassembler l'ardeur de ma première ivresse. On trouvera des réminiscences de ce Lebrun-là chez Delavigne et chez Hugo. Lebrun excellera dans les élégies funèbres (la mort de son homonyme Lebrun-Pindare, celle de Byron lui inspirent des chants dignes de considératioN) ou les élégies patriotiques comme Super Fiumina. Certes, ces ouvres ouvertes à l'avenir restent entachées d'expressions démodées et de clichés, mais on aime un Lebrun champêtre, virgilien, avec des accents byroniens, qui chante la Noimandie, notamment dans les Journées de Tancarville (il habita le château de cette villE), sans toutefois atteindre à l'ampleur des maîtres romantiques. Un poème intéressant est le Cimetière au bord de la mer dont le titre rappelle le Cimetière marin de Paul Valéry. Rien de commun entre les alexandrins déclamatoires du premier et la beauté, la pureté des décasyllabes du second. Mais ici et là, on trouve les mêmes thèmes, le même recueillement devant la mort et la mer. Citons pour la curiosité quelques vers isolés de Lebrun : Vous êtes là, couchés sous les gazons connus. Les vents ont dispersé de royales poussières. Les matelots ici n'ont plus peur... Au lieu qui les vit naître, ils reviennent mourir. Qu'un humble coin de terre, à l'ombre de ces arbres, Plairait mieux que ces lieux où les funestes marbres... Où souvent à leurs os on dispute l'espace, Où la vie au trépas vient demander sa place. Et maintenant des vers de Paul Valéry qui semblent répondre à chacun d'eux : Les morts cachés sont bien dans cette terre. Le vent se lève!... Il faut tenter de vivre! Tu n'as que moi pour contenir tes craintes. Tout va sous terre et rentre dans le jeu. Composé d'or, de pierre et d'arbres sombres Où tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres. Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche, A ce vivant, je vis d'appartenir. Pierre-Antoine Lebrun écrira aussi des poèmes charmants comme le Sommeil qui rappellent l'art de Léonard ou de Parny. La Méditerranée lui apportera une inspiration proche de celle de Chateaubriand, de Byron, de Lamartine. L'Italie et la Grèce sont présentes dans des poèmes où une fine peinture des paysages se mêle à l'épopée. Ses vers traduisent son émotion, ils ont des tonalités tristes, des couleurs pastel, et puis voilà que, dans des tableaux puissants, il compare la tempête à la révolution et se montre peintre de nature : nous sommes déjà au cour du romantisme. Le malheur pour Lebrun, c'est que, quoi qu'il écrive, il se trouve toujours un Hugo ou un Lamartine pour lui être supérieur. Herc Szwarc qui lui consacra un important ouvrage conclut ainsi : « Dans un temps où les ouvres de Schiller passent pour des monstruosités, Lebrun ose acclimater en France le théâtre allemand, brise le cadre rigide de la tragédie classique, prépare la voie à la tragédie romantique et au drame moderne. Son Voyage de Grèce donne à la littérature de son temps une sève nouvelle, en montrant une Grèce non point exsangue, mais pleine de vigueur. Enfin Lebrun, dans ses articles de la Renommée, est un des premiers qui font connaître et vulgarisent l'ouvre de Byron. Cinq ans avant la préface de Cromwell, il lance un plaidoyer en faveur du romantisme... Il mérite que l'histoire littéraire conserve son nom comme précurseur du romantisme et le distingue parmi ces poetae minores qui ont eu leur heure de célébrité et ont soutenu la gloire des lettres françaises dans une période stérile de transition. » Le Poète des Messéniennes : Casimir Delavigne. Poète lyrique et national, Casimir Delavigne (1793-1843) est surtout connu par ses Messéniennes, 1818, élégies politiques ainsi intitulées par allusion aux lamentations des Messéniens vaincus. Ce recueil, en son temps, connut un immense succès. Aujourd'hui, ces poèmes nous paraissent embarrassés, empêtrés dans une fade rhétorique : c'est que, depuis, nous avons lu Hugo, Lamartine ou Vigny. Or, ils tranchaient sur le ton général de l'époque : parmi le morne orchestre de ses contemporains, Delavigne apportait quelques sonorités cuivrées. Pleurant la patrie blessée, trouvant la juste vibration qui naît de la sincérité, il exprimait, dans le ton qui était le sien, la souffrance de tout un peuple et la France du désastre s'y reconnaissait. Même les hommes du nouveau pouvoir y furent sensibles. Il est aisé de répéter que tout cela reste d'une éloquence déclamatoire peu supportable de nos jours; il est nécessaire de situer le poète historiquement pour montrer qu'il assumait son rôle national. Bien plus gratuits apparaissent les poèmes didactiques comme la Découverte de la vaccine ou le Bonheur que procure l'étude, sujet académique que tout le monde ou presque traite. Il en est de même pour Charles XII à Narva, épopée. Mais voilà qu'il suit, comme Lebrun, le chemin de Grèce et donne des stances Aux ruines de la Grèce païenne dont voici un extrait : Eurotas, Eurotas, que font ces lauriers-roses Sur ton rivage en deuil, par la mort habité? Est-ce pour Taire ombrage à ta captivité Que ces nobles fleurs sont écloses? Non, ta gloire n'est plus; non, d'un peuple puissant Tu ne reverras plus la jeunesse héroïque Laver parmi tes lis ses bras couverts de sang, Et dans ton cristal pur, sous ses pas jaillissant. Secouer la poudre olympique. Dans la manière de son temps, Casimir Delavigne ne cesse de chanter la liberté, de célébrer la vie, de s'enthousiasmer à chaque frémissement d'un peuple. La mort de Byron à Missolonghi lui inspire des chants enthousiastes. Il s'indigne contre l'avènement de Charles X. Il célèbre juillet 1830 : Ce soleil de juillet qu'enfin nous revoyons, Il a brille sur la Bastille. Oui, le voilà, c'est lui! La Liberté, sa fille, Vient de renaître à ses rayons. Luis pour nous, accomplis l'ouvre de délivrance! Son culte de la liberté lui dicte des chants nationaux comme la Parisienne au sort éphémère, le Dies Irae de Kosciuszko et la Varsovienne. En une seule année, on vend vingt et un mille exemplaires de ses Messéniennes. Il prend figure de poète national, de héraut de la liberté. Comme chez Lebrun, la Normandie apparaît dans ses vers. Hôte de l'ancien prieuré de la Madeleine, il lui fait des adieux touchants desquels l'émotion n'est pas absente : Adieu, Madeleine chérie Qui te réfléchit dans les eaux Comme une fleur, dans la prairie, Se mire au cristal des ruisseaux. Ta colline où j'ai vu paraître Un beau jour qui s'est éclipsé, J'ai rêvé que j'en étais le maître. Adieu, ce doux rêve est passé. Comme Lebrun, comme les romantiques, il fut un homme de théâtre. Les Vêpres siciliennes, 1819, tinrent longtemps l'affiche; Xavier de Maistre lui inspira l'idée d'une autre tragédie, le Paria : les chours tonnent une belle ouvre lyrique dont Sainte-Beuve dit : « Le poète arrive au charme et nous rend mieux qu'un écho de la mélodie d'Esther. » Autres ouvres tragiques, Marino Faliero (avec un aspect de comédiE), Louis XI qui s'inspire de Walter Scott, les Enfants d'Edouard, Une Famille au temps de Luther, Don Juan d'Autriche, font montre d'un grand sens de la couleur locale. A défaut de hardiesse, on trouve du mouvement et de la verve. Côté comédie, en vers ou en prose, la Popularité, les Comédiens, l'École des vieillards, etc., sont du théâtre de second ordre qui ne manque pas de qualité, notamment dans la peinture des caractères. « Ce modeste, dit Jules Lemaitre, est celui qui, dans la trouble révolution romantique, a le mieux vu, le mieux dégagé ce qu'elle avait de légitime, de conforme au génie traditionnel de notre race. » C'est lui faire une bien belle part. Il préfigura le romantisme, mais il lui fit aussi des emprunts. Le mouvement était dans l'air. Dans le domaine poétique, il est curieux de voir que l'Italie lui inspire un tout autre art que la Grèce : elle lui dicte des vers légers, des ballades, des barcarolles, qui ont du charme, et qui, parées de musique, feront les délices des salons d'une époque. Écoutons-le chanter l'aurore : Déjà l'aurore aux mains vermeilles Sème les roses du matin; Va, jeune esclave, sous ces treilles Porter les coupes du festin. Que ces flacons dont la vieillesse Promet à la soif qui nous presse Un nectar longtemps respecté, Rafraîchis par des eaux limpides, M'apportent dans leurs flancs humides Le délire et la volupté. On le voit : c'est honnête, mais Théophile de Viau faisait mieux. Pour mieux voir l'homme, voici un court portrait par Sainte-Beuve : « Bienveillant par nature, exempt de toute envie, il ne put jamais admettre ce qu'il considérait comme des infractions extrêmes...; il croyait surtout que l'ancienne langue, celle de Racine, par exemple, suffit; il reconnaissait pourtant qu'on lui avait rendu service en faisant accepter au théâtre certaines libertés de style qu'il se fût moins permises auparavant et dont la trace se retrouve évidente chez lui à partir de Louis XI. » Complétons par l'opinion de Victor Hugo : « Quoique la faculté du beau et de l'idéal fût développée à un rare degré chez M. Delavigne, l'essor de la grande ambition littéraire, en ce qu'il peut avoir parfois de téméraire et de suprême, était arrêté en lui et comme limité par une sorte de réserve naturelle, qu'on peut louer ou blâmer, selon qu'on préfère dans les productions de l'esprit le goût qui circonscrit ou le génie qui entreprend, mais qui était une qualité aimable et gracieuse, et qui se traduisait en modestie dans son caractère et en prudence dans ses ouvrages. » On ne saurait mieux définir Casimir Delavigne et son art : le goût qui circonscrit à défaut du génie qui entreprend, la modestie, la prudence, la sagesse... Un Homme de bien : Népomucène Lemerder. Lebrun, Delavigne, Lemercier, les mêmes définitions, les mêmes épithètes pourraient se répéter. Népomucène Lemercier (1771-1840) souhaitait cette épitaphe : « Il fut homme de bien et cultiva les lettres. » En son temps, il fit figure de novateur, presque de chef d'école. L'apparition du romantisme est chez lui constante, aussi bien dans sa comédie en prose, Pinto, 1798, que dans sa comédie historique Christophe Colomb, 1809. Dans ses autres pièces, de son Agamemnon, 1797, à sa Démence de Charles VI, 1820, en passant par Charlemagne, 1816, il attribue à ses personnages des caractères conventionnels en ajoutant une bonne dose de sentimentalisme. Il semble plus à l'aise en suivant la tradition classique qu'en usant de prestiges qui seront ceux d'un Hugo qui l'effacera complètement. Par ses grandes « machines », Lemercier se rattache bien aux poètes fin de siècle : les Ages français, en quinze chants, 1803, l'Atlantiade, en six chants, 1812, avec de curieux personnages allégoriques représentant le calorique, le phosphore, l'oxygène, etc., l'Ode sur le doute des vrais philosophes, 1813, la Mérovéide en quatre chants, 1818, Moïse... Dans cette énorme masse de vers, dans ces bataillons bien rangés, on ne trouve pas matière à enthousiasme. Deux poèmes, cependant, attirent la curiosité. Il tente la gageure de traduire par la poésie les ouvres de l'enfer du musée de Naples sans choquer la société raffinée et élégante qui l'entoure. Et ce sont les Quatre métamorphoses, 1800, où il tente de révéler le génie erotique des artistes antiques. Il a su en préserver la grâce et la volupté. La passion amoureuse donne à Diane des pieds de chèvre, métamorphose Jupiter en aigle, Vulcain en tigre et Bacchus en vigne. Il efface tout ce que cela pouvait avoir de scabreux par beaucoup de goût. Lemercier est attiré par l'antique. Marie-Joseph Chénier salua la tragédie Agamemnon : « Eschyle et Sophocle sont imités, mais avec indépendance. » Le second poème que nous distinguons s'intitule la Panhypo-crisiade ou la comédie infernale du XVIe siècle, 1819, dont on peut retenir au moins le titre qui s'inscrit bien dans ce goût des finales en ide ou en ode cher aux gonfleurs d'épopées de l'Empire. Lemercier a toujours eu un faible pour la satire, et cela dès sa comédie en vers, le Tartufe révolutionnaire, 1795. La Panhypocrisiade est une ouvre ambitieuse; Lemercier veut composer en quelque sorte ses Tragiques comme Agrippa d'Aubigné. Il mêle l'épopée, la comédie, la satire et fait ce que Victor Hugo définit comme « une sorte de chimère littéraire, une espèce de monstre à trois têtes, qui chante, qui rit et qui aboie ». L'accueil fut réservé si l'on en juge par une critique de Charles Nodier dans le Journal des Débats : « Il y a dans cette ouvre tout ce qu'il fallait de ridicule pour gâter toutes les épopées de tous les siècles, et, à côté de cela, tout ce qu'il fallait d'inspiration pour fonder une grande réputation littéraire. Ce chaos monstrueux de vers étonnés de se rencontrer ensemble rappelle de temps en temps ce que le goût a de plus pur, ce que la verve a de plus vigoureux. C'est quelquefois Rabelais, Aristophane, Lucien, Milton, à travers le fatras d'un parodiste de Chapelain. » Une certaine force rejoint des aspects fumeux et bizarres, mais il y a là de quoi satisfaire un amateur de curiosités, de « kitsch » poétique, qui s'étonnera de certains tableaux historiques inattendus. Indiquons aussi que, singulièrement précoce, il donna sa première tragédie, Méléagre, qui n'eut qu'une représentation, à l'âge de dix-sept ans. Sa pièce le Lévite d'Ephraïm, 1796, laissa pressentir Agamemnon. La diversité de son inspiration théâtrale s'exprime encore dans le drame en vers Clarisse Harlowe, 1792, Ophis, sur un sujet égyptien qui coïncida avec l'expédition de Bonaparte, ce qui lui assura le succès, et, parmi bien des pièces, Frédégonde et Brunehaut, 1821, qu'on reprit en 1845 avec Rachel pour actrice. Entre-temps, la faveur s'était tournée du côté des romantiques. On disait alors à Lemercier que ces derniers étaient ses enfants; il répondait : « Oui, des enfants trouvés. » Comme ses contemporains, il s'attacha à la Grèce moderne dont il traduisit les Chants populaires. Ce curieux homme au caractère impétueux, aux réactions inattendues, connut bien des aléas : d'une part, les critiques de l'Empire le traitaient de fou et d'esprit burlesque; d'autre part, il refusera sa voix à Victor Hugo pour l'Académie française. Il fréquenta les Bona-partes, mais, par la suite, sa franchise brutale ne plut guère. Il osait prédire au premier consul qu'il préparait le lit des Bourbons. Quand Napoléon fut couronné empereur, il renvoya sa Légion d'honneur et fut dès lors en proie aux tracasseries, interdits, censures, entraves, du gouvernement impérial qui le tenait pour un fanatique. On peut saluer en lui un homme libre : jamais il ne renia son indépendance. Au cours du XIXe siècle, on tentera vainement de le ressusciter, d'en faire le père du romantisme, mais il s'indigna devant la nouvelle école, jetant : « Avec impunité les Hugo font des vers. » A défaut de génie, Lemercier eut de l'ingéniosité; sans être inspiré par l'ange heureux du bizarre, il donna dans la bizarrerie; la raison domina toujours son enthousiasme, et il s'est trouvé maintes fois en porte-à-faux. Il est devenu difficile de lire sa Panhypocrisiade car l'emploi exclusif de l'alexandrin jette une monotonie éprouvante, mais il faut saluer une tentative d'aborder à un monde poétique inconnu sans cesse limitée par une éducation première venant du temps de Voltaire. On ne refusera pas à son grand poème de porter un lyrisme remarquable dans des morceaux isolés comme celui où un chêne parle de sa mort. Dans ce grand concert cacophonique, on entend ainsi parfois la musique d'un instrument qui étonne par sa vigueur. Citer ici un passage serait vain car c'est par une longue accumulation qu'il crée un intérêt. N'oublions pas qu'en cette période de transition, un poète eut une ambition, malheureuse certes, mais qui aurait pu l'égaler aux plus grands. Il est rare que les voix de l'histoire et celles de la nature, celles de la terre et du ciel s'unissent dans le chaos d'un poème. Comme Lebrun et Delavigne, Lemercier mérite une certaine considération. Arnault, Brifaut, Viennet. Antoine-Vincent Arnault (1766-1834), Charles Brifaut (1781-1857) et Jean-Pons-Guillaume Viennet (1777-1868) nous intéressent surtout aujourd'hui par les Mémoires que chacun d'eux a laissés. Ceux de Viennet, par exemple, donnent un portrait remarquable d'une période étendue. Si Arnault fut exilé par la seconde Restauration, Brifaut traversa habilement les régimes successifs et Viennet connut des fortunes diverses. Arrêtons-nous à ce dernier. En 1813, à la bataille de Leipzig, il dut de rester en vie au manuscrit de sa tragédie Arbogaste : porté sur sa poitrine, il arrêta une balle ennemie. Viennet salua l'avènement de Louis XVIII, fut mal vu de Charles X, réhabilité par Louis-Philippe. Membre de l'Académie française, pair de France, grand maître du rite écossais de la franc-maçonnerie, il fut couvert d'honneurs, sans être figé par le poids de ses médailles. Anti-romantique, s'il devient leur tête de Turc favorite, il sait rendre coup pour coup. Ses poèmes sont médiocres, son Siège de Damas, 1824, son épique Franciade, 1843, font sourire tristement, mais il est persuadé que ses Fables, ses Mémoires lui assureront l'immortalité, ce qui est presque vrai pour ces derniers que consultent les historiens. La fable, genre qui nécessite souplesse et légèreté, selon le modèle de La Fontaine ou de Florian, chez lui, bien qu'il mêle des vers de coupes différentes, est d'une singulière lourdeur et d'une constante platitude. Avec une ardeur combattante toute militaire, dans ces fables, comme dans ses Satires et ses Épîtres, il fait la même guerre aux Jésuites, au despotisme et aux romantiques. On rit beaucoup d'un de ses vers prêt au jeu de mots : « Les paysans fuyaient en emportant leurs lares. » Il tire l'épée contre Hemani dont il trouve l'expression triviale, contre Marion Delorme qu'il juge exécrable, contre Ruy Blas pour « son mélange de prétention et de niaiserie », etc. Alexandre Dumas a quelque grâce à ses yeux pour Henri III et sa cour, mais non sans réserves. Lui-même donne au théâtre Michel Brémond, en vers, où apparaît un précurseur de Jean Valjean, un Richelieu en prose où il tente de rejoindre la vérité du personnage historique. Comme tout un chacun, il donne une Philippide et une Franciade. Chose curieuse, sa prose est plus alerte et il s'y montre un homme d'esprit à la plume acérée. Dans cette période, il apparaît sans doute comme le plus attaché au passé. Il est d'un autre temps; il meurt à soixante-seize ans en désaccord avec un siècle qui connut soixante-huit ans de sa vie. Antoine-Vincent Arnault, déjà rencontré au xvme siècle, est nettement meilleur poète, que ce soit dans ses Fables ou dans ses Poésies diverses. On se souvient du poème « De ta tige détachée-Pauvre feuille desséchée...». Il faut retenir une bonne vingtaine de petites pièces gracieuses et repousser ses mauvaises tragédies. Quant à Brifaut, sa tragédie Ninus II rencontra un succès peu mérité. On préfère lire ses Dialogues et contes en prose que de subir ses pièces de circonstance pour saluer l'arrivée du roi de Rome ou le retour de Louis XVIII. Baour-Lormian, Boulay-Paty, Denne-Baron. Connu à la fin du XVIII siècle, Louis-Pierre-Marie-François Baour-Lormian (1770-1854), poète officiel de l'Empire, doit être retenu moins pour ses Satires toulousaines ou ses Trois mots que pour sa traduction de la Jérusalem délivrée et surtout ses Poésies galliques, 1801. Son imitation d'Ossian en fait un préromantique; les romantiques trouvèrent en lui un ennemi acharné : Il semble que l'excès de leur stupide rage A métamorphosé leurs traits et leur langage; Il semble, à les ouïr grognant sur mon chemin, Qu'ils ont vu de Circé la baguette en ma main. Ayant aidé à connaître le Tasse, Young et Hervey, s'étant rallié à la Restauration, n'avait-il pas tout pour plaire aux romantiques? Il est paradoxal qu'il soit leur virulent adversaire. Passons sur ses poésies impériales pour retenir dans ses Poésies d'Ossian d'après Macpherson, un Hymne au soleil : Roi du monde et du jour, guerrier aux cheveux d'or. Quelle main, te couvrant d'une armure enflammée. Abandonna l'espace à ton rapide essor. Et traça dans l'azur ta route accoutumée? Nul astre à tes côtés ne lève un front rival ; Les filles de la nuit à ton éclat pâlissent; La lune devant toi fuit d'un pas inégal, Et ses rayons douteux dans tes flots s'engloutissent... A la fin de sa vie, aveugle, il traduisit en vers le poème de Job. Il montre un talent d'observateur minutieux et l'on a cité comme un modèle de traduction certaines descriptions comme celle d'un cheval mourant. On trouve là, en effet, une animation du verbe, proprement imitative, ayant les défauts d'époque, mais prouvant une science poétique consommée. Enfin, au théâtre, se situant entre Racine et Voltaire, il connut le succès avec Omasis ou Joseph en Egypte, 1806, et l'échec avec Mahomet II, 1811, deux pièces sans aucune valeur. Casimir Delavigne présenta au duc d'Orléans, qui se l'attacha comme bibliothécaire, Évariste Boulay-Paty (1804-1864), un jeune Breton qui débuta en pleine Restauration. Il connut bien Hugo, Vigny, Sainte-Beuve, les deux Deschamps, ressentit leur influence tout en gardant les défauts de l'ancienne école. Ces dissonances sont constantes chez lui et on le voit mêlant à une pompe surannée des éclats romantiques exacerbés. Comme Sainte-Beuve s'est incarné dans Joseph Delorme, Boulay-Paty se personnifie dans un mort imaginaire qui donne son nom à un volume, Élie Mariaker qu'on peut classer parmi les ouvres romantiques. Dans ses Odes, il se montre proche de Chêne-dollé dont nous avons parlé dans le précédent volume et qui ne mourra qu'en 1833 et, en même temps, de Denne-Baron que nous allons rencontrer. Or, quand ces Odes paraissent, on connaît les Chants du crépuscule qui les démodent. Un moule le requiert presque exclusivement, le sonnet. Son recueil les Sonnets de la vie humaine en contient un très grand nombre. Inégaux, souvent insignifiants d'idées, les meilleurs montrent un travail de recherche d'une langue personnelle. Emmanuel Des Essarts croit que « dans le nombre, une anthologie peut préserver une vingtaine de sonnets irréprochables où, soit la vigueur, soit la grâce du rythme, concorde avec la beauté des pensées ». On pourrait leur adjoindre les meilleurs morceaux des Odes et d'Élie Mariaker. Son Poème sur l'Arc de Triomphe, malgré l'éloquence pompeuse, se différencie des ouvres de ses aînés immédiats. Sainte-Beuve a salué son feu sacré, son culte de la forme, le charme de ses sonnets, a regretté qu'il eût plus de sentiment que d'idées, qu'il n'ait qu'un pied dans la nouvelle école poétique. « Ce n'est pas pour rien qu'il s'appelait Évariste, écrit-il, il tenait de Parny plus que d'Alfred de Musset. » Dans Élie Mariaker, on trouve une Élégie où apparaît sa Bretagne sous de fines nuances; parmi ses Odes, un poème sur Saint-Malo, les deux remarqués et retenus par Van Bever pour ses fameux Poètes du terroir. On apprécia durant quelques années Pierre-Jacques-René Denne-Baron (1780-1854) pour son poème Héro et Léandre, 1806, ses traductions des poètes latins, sa Guirlande à Mnémosyne, 1822, son Ode à la nymphe Pyrène, 1823, ses Fleurs poétiques, 1825, mais il fut bientôt démodé par la vogue de Lamartine. Il se replia sur ses travaux de traduction et de critique littéraire. Il s'attacha à Properce, Anacréon, mit en vers français le Corsaire de Byron et les Psaumes de David. Ses poèmes sont corrects mais appartiennent au xvme siècle : Il est un demi-dieu charmant, léger, volage : Il devance l'aurore, et, d'ombrage en ombrage Il fuit devant le char du jour : Sur son dos éclatant, où frémissent deux ailes, S'il portait un carquois et des flèches cruelles, Vos yeux le prendraient pour l'Amour. Ce demi-dieu charmant, c'est Zéphyre et la plupart des poèmes de Denne-Baron en ont la légèreté. Comme Sainte-Beuve, on peut penser qu'il fut « du nombre de ceux qui ont su être classiques sans convenu et avec originalité ». Et beaucoup d'autres poètes de transition. Proche de ces poètes à cheval sur deux époques, sur deux tendances, mi-classiques et mi-romantiques, des créateurs menus apparaissent. De Gustave Drouineau (1798-1878), on peut dire qu'il est un Casimir Delavigne en petit. Il lui adressa une Épître sur les ouvrages de M. Delavigne, 1823. Il écrivit comme lui un Don Juan d'Autriche, et par lui fut supplanté, ce qui ne fut pas étranger à son dérangement mental. Sous la Restauration, sa tragédie républicaine Rienzo, 1826, fut excellemment accueillie. Il salua en stances le Soleil de la Liberté, 1830; la même année, sa tragédie Françoise de Rimini laissa le public froid. Il s'attacha ensuite dans les cinq volumes d'Ernest ou les travers du siècle à flétrir les maux de son temps. Habité par « ce vague instinct des cieux qui m'attire et m'enflamme », neurasthénique, il fonda une secte obscure, le néo-christianisme, à laquelle il consacra ses livres. En 1834, il donna ses Confessions poétiques. Il souhaite sans cesse un univers idéal : Devant le Dieu de tous, une égalité sainte, Des prix à la vertu, des regrets aux pervers. Un culte universel au Dieu de l'univers. En 1835, malade mental, il entra dans un asile d'aliénés où il devait finir ses jours. Nombre de biographes le font mourir cette année-là. Fernand Desnoyers (1828-1869) ne prisa guère Casimir Delavigne dont il voulut déboulonner la statue, laissant ce vers célèbre : « Il est des morts qu'il faut qu'on tue. » Il est plus connu que les poèmes fantaisistes de ses Chansons parisiennes, 1855. Ambroise-Anatole-Augustin, comte de Montesquiou-Fézensac (1788-1875), bien avant le poète des Hortensias bleus, fit briller un nom célèbre : non seulement parce qu'il fut général et député, mais parce qu'il ne cessa de se vouloir poète : Poésies, 1821-1821, Chants divers, 1843, Moïse, 1850. Cette fable a-t-elle servi de modèle à celui qui fut Des Esseintes? Elle s'intitule Distinction : « Je crains d'être un homme ordinaire, Disait un jeune enfant, je voudrais parvenir A me distinguer du vulgaire. - Il en est un moyen, lui répondit son père : Fais tout pour mériter et non pour obtenir. Suis ce sage conseil que ma raison te donne, Et sois bien sûr, à l'avenir, De ne ressembler à personne. » De nombreux Montesquiou-Fézensac ont écrit. L'un d'eux, l'abbé François-Xavier-Marc-Antoine, duc de Montesquiou-Fézensac (1756-1832), ministre de l'Intérieur en 1814, fut même de l'Académie française, sans avoir guère écrit. Le lieutenant-général Anne-Pierre, marquis de Montesquiou-Fézensac (1741-1798) avait lui aussi été de la même Académie; il avait écrit des Poésies légères et des Mémoires de finance. Avant de se spécialiser dans la littérature enfantine, Claudius-Antony Billiet (1804-1866) écrivit, souvent sous le pseudonyme d'Antony Rénal, des Stances sur la mort du général Foy, 1825, des Chansons et Romances, 1829, et d'autres recueils. Citons encore la Chute de Napoléon, 1846, poème de J.-P. Collot. Et aussi du Dr N. Misset une tétralogie allant de Religion napoléonienne, 1831, à la Nuit napoléonienne, 1843. On ira bientôt du mythe à la déification. Élégies, 1816, les Fleurs, 1818, Chants sacrés, 1821, sont les titres de quelques-uns des recueils de Charles-Louis Mollevaut (1776-1844), traducteur d'eeuvres latines, poète descriptif et énumératif des Fleurs, chantant la mort romantique : La jeune vigne en paix boit les feux de l'aurore, Le palmier verdoyant ne craint point de périr; La fleur même vivra plus d'un matin encore, Et moi, je vais mourir! Macchabées d'Alexandre Guiraud (1788-1847) qui ont droit à un petit salut de Victor Hugo; Régulus, 1822, de Lucien Arnault, tragédie en faveur de Napoléon; Louis IX, 1819, de Jacques-Arséne-Polycarpe Ancelot (1794-1854) en ajoutant que Léon Gozlan punissait ses enfants en les obligeant à lire cinq actes de ce dernier; quand l'un d'eux en tomba malade, il remplaça ce pensum par deux actes de Viennet. Il y a aussi Tippoo-Saïb, 1813, d'Etienne de Jouy (1764-1846); Oreste, 1821, de Jean-Marie Mély-Janin (1776-1827); Brunehaut, 1810, d'Etienne Aignan (1773-1824); Pyrrhus, 1807, de Louis-Grégoire Le Hoc (1743-1810) que Napoléon, maître-censeur, fit interdire; Intrigue et amour, d'après Schiller, d'Alexandre de La Ville de Mirmont (1783-1845). Tous ces poètes, opposés ou non au romantisme, ont écrit des vers, répétons-le, qui laissent préfigurer ou qui portent la marque des nouvelles influences. Établissant un pont entre deux époques, ils forment, même pour ceux qui vivront très avant dans le siècle, une génération sacrifiée, effacée par la bouillante nouvelle école. Il est curieux de constater comme leurs ouvres portent la marque de cette transition. Une poésie en cours de métamorphose qui n'est pas toujours dénuée de qualités. C'est le temps des fruits mal mûris. On ne considère encore la poésie que comme un art d'agrément ou d'ornement. Napoléon a sa part de responsabilité : il occupe la jeunesse ailleurs, il « étrangle d'une main ce qu'il essaie de galvaniser de l'autre » comme dit si bien Auguste Bourgoin. L'école nouvelle va laver les affronts faits à la poésie, mais cette période impériale et post-impériale laissera des traces faciles à retrouver : il y a du Delille encore chez Lamartine ou chez Hugo, et des fidèles du didactisme et de l'épopée, on en trouvera tout au long du siècle. Les romantiques, cependant patriotes, se moqueront de la « patrioterie littéraire », comme dit Emile Deschamps. C'est dans les pièces légères, les élégies, les épîtres que tous nos poètes ont laissé des ouvres lisibles. En imaginant qu'on veuille tenter de les sauver, on pourrait parler au moins d'un grand respect de la langue et de la prosodie, d'une correspondance parfaite au goût de leur temps, d'un accord relatif entre les « producteurs » qu'ils sont et les « consommateurs » qu'ils trouvent, mais non de profonde et réelle poésie. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.