Essais littéraire |
Il n'y a pas de mot qui revienne plus souvent dans les écrits de Bérulle que le mot de vide ou de néant, appliqué à la créature humaine. Mais ce vide ou ce néant ne se trouve jamais, chez lui, présenté isolément. Jamais l'homme n'est considéré ici séparément, détaché de son Créateur, dans la négativité intrinsèque de son être. Jamais Bérulle ne s'attarde à le décrire dans son état initial de non-être, ni encore moins dans la progression par laquelle on pourrait l'imaginer en train de se rapprocher sans aide d'une quelconque positivité ontologique. Tout cela serait inconcevable aux yeux de Bérulle. L'homme, dans son esprit, tel qu'il est créé, tel qu'il apparaît dans l'existence, n'est qu'un pseudo-être, un être-néant, à qui est dénuée par sa nature négative la possibilité d'accéder jamais par ses propres forces à un état proprement déterminé. Impossible de le concevoir sortant par lui-même de cet état premier d'indétermination, à peine moins rigoureux que celui imposé à cet autre néant qu'est la matière. Livré à lui-même, l'être bérullien ne pourrait jamais trouver en lui les ressources nécessaires pour se compléter et se développer selon sa nature. Car il n'a pas véritablement de nature, si on entend par là une qualité positive. En fait, il n'est ni un non-être pur, ni une créature librement engagée dans l'accomplissement de sa fin et l'épanouissement d'elle-même, comme les anges. C'est un être absolument passif, qui, dès l'abord et pour toujours, voit se confronter, en quelque sorte de façon inexorable, son manque d'être initial à la plénitude d'être, qui est celle de Dieu. Il est un vide qui a besoin d'être rempli, mais qui, de lui-même, ne peut jamais l'être. Il est un néant, mais un néant entouré de Dieu. Le néant humain n'existe donc pas dans la solitude de sa réalité négative. Il n'existe pas, non plus, dans un mouvement initié par lui-même, qui le rapprocherait de Dieu. Son seul espoir, sa seule issue, c'est que Dieu remplisse le vide qui est en lui, et qui est lui. Son manque, son insuffisance, la négativité inguérissable de son être ne peuvent être réparés, compensés, que par une incessante intervention divine. L'homme ne peut que la demander, l'implorer. Elle seule peut conférer à cette vague indétermination qui est le fond de sa nature, une vraie détermination. Citons à ce propos les remarques excellentes de L. Kola-kowski dans Chrétiens sans église, p. 414 : L'idéal de Bérulle est une passivité mystique poussée jusqu'à ses conséquences dernières, c'est-à-dire l'anéantissement de la personnalité... C'est là un dépouillement du « moi » qui le réduit à la passivité complète, une dépersonnalisation, le passage à un mode d'existence où l'esprit humain est en quelque sorte un récipient totalement vidé et qui attend que la substance vienne le remplir. BÉRULLE : TEXTES Au regard de Dieu, il faut nous mettre par esprit et par grâce en un état de néant... (Opuscules, Ed. Aubier, p. 142.) L'homme est un néant environné de Dieu, indigent de Dieu, capable de Dieu et rempli de Dieu s'il le veut. (Opuscules, Ed. Aubier, p. 119.) Dieu est tout et en lui-même et dans sa créature, et la créature hors de Dieu n'est rien. Cette pensée nous lie à Dieu et nous délie des choses créées... Si vous êtes en ce dégagement d'-esprit, vous trouverez suffisance dans l'indigence et abondance dedans le manquement de la créature... (Corr., Ed. Dagens, I, p. 199.) Nous devons regarder notre être comme un être manqué et imparfait, comme un vide qui a besoin d'être rempli. (Ouvres, p. 665.) Dieu nous soutient en nous confondant, il nous vivifie en nous anéantissant, et il se donne à nous en nous privant de nous-mêmes... (Corr., t. 2, p. 372.) |
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