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CRISES ET OUVERTURES : LA FIN DU CENTRALISME






Entre 1679 et 1685 « finit l'apogée de ce règne et ce comble de gloire et de prospérité » (Saint-SimoN). Crise économique, aggravée par des guerres ruineuses ; sclérose de l'absolutisme, autour d'un roi vieilli. De nouvelles tendances se dessinent en tous domaines. Une nouvelle littérature apparaît, caractérisée par des thèmes sociaux et idéologiques, un rationalisme critique, une structure éclatée, un style acéré et, quelquefois, par le sentimentalisme.



1. Difficultés économiques et militaires



La paix de Nimègue (août-septembre 1678) est avantageuse, mais le royaume s'est fatigué. La révocation de l'édit de Nantes et des provocations impérialistes entraînent à partir d'octobre 1688 une guerre épuisante contre presque toute l'Europe. Aux traités de Ryswick (septembre-octobre 1697), la Hollande et l'Angleterre hérétiques triomphent. Louis XIV rend toutes les annexions postérieures à 1679, sauf Strasbourg. La paix (1659-1672) avait favorisé l'effort de Colbert, en fait mal adapté. A partir de 1675, la fiscalité de guerre, l'inadaptation des structures économiques, une conjoncture climatique défavorable entraînent une récession agricole qui s'aggrave après 1680. Accapareurs et spéculateurs s'en mêlent. En 1693-1694, c'est la famine, qu'on n'avait pas connue depuis la Fronde et qu'on frôle encore en 1698. La manufacture aussi est en difficulté : la misère, la guerre et le blocus (1689-1697) réduisent les débouchés. Comparée à celles du premier tiers de siècle, la production de textiles semble inférieure du quart et celle de blé de 40 % : « Vos peuples [...] meurent de faim. La culture des terres est presque abandonnée. [...] Tous les métiers languissent. Tout commerce est anéanti [...]. La France entière n'est plus qu'un hôpital désolé » (Fénelon, Lettre à Louis XIV, 1693 ou 1694).



2. L'évolution sociale



Heu ! Fuimus Troes (1). C'est, vers 1700, l'exergue des Essais sur la noblesse de Boulainvilliers. En dehors d'une minorité de grands, parlementaires et favoris, la noblesse, brimée par le pouvoir, ruinée par la vie de guerre et de cour, perd du terrain face aux administrateurs et spéculateurs. On affirme de plus en plus « que tous les hommes sont égaux par la naissance » et que la noblesse « s'acquiert par vertu », récompensée par le prince (Hubert, 1682) (2). Quand on divise la population en vingt-deux classes pour l'impôt de capitation (8 janvier 1695), ministres et fermiers généraux sont dans la première, taxée à 2000 livres, avec les princes du sang, certains robins dans la deuxième et troisième avec les Grands, tandis que marquis, comtes, vicomtes et barons seront dans la septième, à 250 livres, et de pauvres gentilshommes jusque dans la dix-neuvième, à 6 livres. La valeur, c'est l'argent : « Vous n'avez ni naissance, ni esprit, ni talent, ni expérience, qu'importe ? » (La Bruyère, XIV. 40). « Quiconque est riche est noble sans naissance, savant sans étude, brave sans valeur » (Bour-dalouE). C'est le règne du luxe, « accru du prodige depuis huit ans » (Du Bos, 1696), de la frivolité, d'un arrivisme industrieux dont témoignent nouvelles et comédies (p. 332, 333 et 336).



3. Le centralisme se stérilise



Si le XVII' siècle est le siècle du centralisme, le voici qui se parfait et s'achève. A partir de 1682-1683, un roi vieilli, une cour sclérosée, un pouvoir enlisé dans les difficultés se renferment sur eux-mêmes, perdent prise sur les forces vives et cessent de sublimer les problèmes, auxquels ils répondent par l'autoritarisme. Les difficultés se répercutent en crise morale. On parle d'avortements, d'infanticides, d'empoisonnements, de messes noires, et de sacrifices humains : Louis XIV crée la Chambre ardente (7 avril 1679)- Mais rapidement de grands noms sont mis en cause. On arrête les recherches. Après trente-six condamnations à mort et quarante-cinq à la prison à vie, la Chambre ardente est supprimée (21 juillet 1682). L'affaire a jeté le trouble ; elle pousse le Roi à la conversion. Cette même année, la Cour s'installe définitivement dans le splendide isolement de Versailles (maI) (3). Louis XIV a quitté l'éblouissante Montespan. Peu après la mort de la reine (30 juillet 1683), il épouse l'austère Maintenon et se tourne vers la dévotion. La cour, hypocrite et cérémonieuse, « devient si ennuyeuse qu'on n'y tient plus » (Madame*, 1" octobre 1687) (4). « Tous ceux qui viennent en France à présent et qui y ont été il y a vingt ans restent stupéfaits ; il semble que ce ne soit plus la même nation. Alors c'étaient partout bals, festins, banquets, concerts [...]. A présent [...] le royaume paraît un séminaire » (Primi Visconti, 1680).



4. Divisions religieuses



Le siècle du centralisme s'était ouvert par l'édit de Nantes, première décision d'un roi arbitre au-dessus des partis. Tout au long du siècle, les pressions du pouvoir et de la majorité catholique avaient réduit le nombre des protestants (5) : vers 1660, un millier de pasteurs, un million de fidèles. A partir de 1661, les restrictions se multiplient.'Elles se ralentissent après 1669 et surtout 1672 pour reprendre activement en 1679. Officiellement, pressions juridiques, incitation financière, persuasion ; sur le terrain, une fréquente violence, couronnée par les « dragonnades » du Poitou : on loge chez les réformés des soudards qui ont tous les droits (1681). Devenu dévot, Louis XIV perçoit la Réforme comme une tache sur son royaume. Bientôt les temples sont détruits, le culte interdit. L'état civil qu'assuraient les pasteurs, ne fonctionne plus. D'où une anarchie insupportable pour un pouvoir soucieux d'ordre. -Pour assurer l'encadrement social, il faut intégrer tout le monde à l'église catholique. On étend les dragonnades (mai 1685), les « conversions » pleuvent : on peut révoquer l'édit de Nantes (18 octobrE), en affirmant qu'il n'y a plus de protestants. 80 % des pasteurs s'exilent (avec autorisatioN) suivis, malgré l'interdiction, de 200 000 fidèles (de 1679 à 1700), en général des hommes jeunes dont le dynamisme et la compétence aide l'économie et les armées ennemies. Leur réaction critique pousse à la transformation de notre vie intellectuelle et littéraire (p. 329).

A l'intérieur même du catholicisme, les lézardes se multiplient. L'extension à tout le royaume du droit de régale, qui donne au gouvernement les revenus des évêchés vacants (1673), entraîne, à partir de 1678, un conflit avec le pape, qui refuse l'investiture des nouveaux évêques : en 1688, trente-cinq diocèses seront sans titulaire. Le conflit avec les jansénistes, dont l'audience s'accroît et que soutient le pape, recommence en 1679 : Arnauld s'exile.

Mysticisme et rationalisme menacent de l'intérieur la religion telle que la concevaient les dominants. Le mysticisme quiériste, spiritualisme d'abandon jouissif qui veut nous dépouiller de toute volonté propre pour « laisser faire et consentir seulement à tout ce que Dieu fait en nous » (Piny, 1683), prend de l'importance à partir de 1689-Fénelon y adhère. Le pouvoir, l'Église, les rationalistes réagissent, craignant « l'illusion, la témérité » de gens qui « prennent pour instinct de Dieu toutes ces idées vives et extraordinaires que forme leur imagination » (NicolE). D'où un violent conflit (p. 350). D'autres, à l'inverse, identifient religion et raison : « l'une et l'autre ne sont qu'une même chose », « cette loi parfaite, éternelle, immuable, infinie qu'on appelle la loi naturelle » (B. Lamy, 1688). Régis construit une théorie de la nature qui conduit au déisme (6). Pour Male-branche (p. 235), Dieu est l'agent des lois universelles, manifestées dans la Nature comme dans notre raison ; entre le spirituel et l'intellectuel, la métaphysique et une physique mécaniste, il n'y a plus qu'une différence de plan. « L'intelligence est préférable à la foi » : elle voit mieux l'essentiel (1684). Pour l'oratorien, cette identification du rationalisme mécaniste et de la teligion se fait au bénéfice de celle-ci ; mais, vue d'un autre oil, c'est presque le .naturalisme déiste du XVIII' siècle. Parallèlement, Huet (1679) et Thomassin (1681-1682) trouvent le vrai Dieu chez les Anciens, et certains Jésuites chez les Chinois (1696) : ils sont plus proches de Voltaire que des augustiniens de 1640-1680.



La conversion du roi, l'influence de Mme de Maintenon, le zèle de l'Église donnent à la religion un pouvoir exceptionnel. Vers 1680, les livres religieux représentent 50 % de l'édition parisienne. « Si Dieu ne nous assiste, on mettra bientôt la moitié de la ville en couvents » (l'abbé du Bos, 1696). Mais c'est en grande partie un conformisme et, à la Cour, souvent une hypocrisie intéressée. A en croire Madame*, « on ne trouve plus un seul jeune homme qui ne veuille être athée.



Mais [...] le même homme qui à Paris fait l'athée joue le dévot à la cour» (11 août 1685). Les mours évoluent: luxe, élégance, liberté, débauches, brutalités (cf. La Bruyère VII, 74). L'homosexualité est à la mode, la fidélité conjugale paraît terriblement « bourgeoise » (Hébert, Mémoires, 1686-1704). C'est déjà la Régence.



5. Ouvertures



Crises ? Oui pour l'ordre établi, mais ouvertures sur Tailleurs et l'avenir. On commence à mieux connaître les Indes (récits de Bernier, 1670-1671 et de Tavernier, 1675-1680), la Perse (Chardin, Voyages, 1686), le Siam (Choisy, Journal, 1687), la Chine, le monde musulman (Herbelot de Molainville, Bibliothèque orientale, 1697). La confrontation conduit à relativiser les certitudes et pousse au libéralisme. Chardin, pieux calviniste, signale la tolérance des musulmans, chez qui l'on rencontre « de la justice, de la sincérité, de la vertu et de la piété » autant que « dans les religions que nous croyons les meilleures ». Des ouvrages jésuites (1687, 1696) s'émerveillent sur le confucianisme qu'ils assimilent à un christianisme antérieur au nôtre, déclenchant de vives polémiques.

La crise de civilisation pousse à revenir vers la nature et la simplicité. D'où les tendances primitivistes des utopistes, de Te'lémaque, de La Bruyère : les « premiers hommes » étaient « grands par eux-mêmes [...]. La nature se montrait en eux dans toute sa pureté et sa dignité, n'étant point encore souillée par la vanité, par le luxe et par la sotte ambition ». Leur « nourriture était saine et naturelle », leurs « plaisirs innocents » (Sur The'ophrastE). Le siècle de Descartes s'achève sur la vogue des contes de fées (p. 333-334). On soupire vers le passé, mais l'esprit critique prépare l'avenir. Si Locke et Newton n'ont guère d'influence, Spinoza < le plus dangereux homme de ce siècle » (ArnaulD) « tourne la cervelle à bien des jeunes gens » (Lamy, 1696). Les intellectuels exilés ont une influence décisive-. La plupart des essais de Saint-Évremond (p. 235) sont antérieurs à 1675. Mais la moitié n'est publiée qu'à partir de 1684. Il propose un matérialisme tranquille, un scepticisme critique, un épicurisme philosophique et moral. La Conversation du maréchal d'Hocquincourt avec le P. Canaye, publiée en 1687, réduit la piété à la stupidité, la religion à l'art de dominer les consciences. Plusieurs exilés protestants, notamment Bayle et Jurieu, écrivent des ouvrages savants ou critiques et des pamphlets qui ont une grande audience en France, malgré leur interdiction. Dans les sciences, la connaissance expérimentale l'emporte enfin sur la tradition érudite. Il ne s'agit plus de « paraître savant par des citations », mais de « l'être en effet » (Perrault, Parallèle, I).



6. Le rationalisme critique



Constructeur, conquérant en 1630, dogmatique en 1660, le rationalisme devient analytique, relativiste et critique. Il procède des antagonismes sociaux (La BruyèrE) ou religieux (Bayle, FéneloN) et surtout de l'esprit scientifique. « Nous vivons dans un siècle de philosophes, qui explique chaque chose par des causes naturelles » (Bayle, février 1685). Tout cela transforme le système des valeurs, la mentalité, le langage, jusqu'aux thèmes, aux structures et au style de la littérature. La critique vise l'essence du système : l'absolutisme, le dogmatisme, la pesanteur des modèles, des totalités, des traditions. Non seulement chez les exilés, mais chez La Bruyère ou Fénelon. Le Nain de Tille-mont applique le rationalisme critique à l'histoire et l'oratorien Richard Simon à la Bible. Son Histoire critique du Vieux Testament (1678), de nature, selon Bossuet, à « saper les fondements de la religion », est détruite en France (p. 349), mais réimprimée en Hollande, ainsi que ses travaux sur le Nouveau Testament (1689-1693).



7. Une nouvelle psychologie



La sublimation ne résorbe plus l'insatisfaction. L'homme est d'un égoïsme féroce (La Bruyère, De l'homme. I). «La vie [...] se passe toute à désirer » en vain ; « il faut rire avant que d'être heureux, de peur de mourir sans avoir ri » (id., ib., 19 et 23). Les augustiniens recommencent à souligner « cette avidité terrible de bonheur dont l'homme est tourmenté » (NicolE). Bossuet affirme avec fougue l'impossibilité d'aimer Dieu de façon absolument désintéressée. « Tout le but de l'homme est d'être heureux : Jésus-Christ n'est venu que pour nous en donner le moyen. » Il affirme que c'est là « le principe inébranlable de saint Augustin » et de saint Thomas, que « nul théologien, nul philosophe, nul scolastique n'a songé à contester ». Il sera finalement contraint de reconnaître que c'est au contraire la charité « désintéressée », c'est-à-dire un « amour de Dieu pour lui-même, indépendamment de la béatitude qu'on trouve en lui », qui « est enseignée presque par toute l'École ». En fait ce n'est pas chez les Pères qu'il avait trouvé cette « vérité », mais dans ce qu'il appelle « la nature humaine », c'est-à-dire dans son expérience de la condition humaine sous Louis XIV. Malebranche (qui, jusqu'en 1677, soumettait nos désirs au respect de l'Ordre divin, sublimation idéologique de l'ordre louis-quatorzien, p. 235) insiste lui aussi, et de plus en plus, sur le « désir naturel et invincible du bonheur », motif de tous nos actes et sentiments. Notre volonté n'est que le désir d'eue heureux, « on ne peut aimer que ce qui plaît », jusque dans l'amour de Dieu. La grâce elle-même n'est pas « autre chose qu'un saint plaisir ».

Ceux que travaille l'avenir conçoivent eux aussi l'homme comme essentiellement avide ; mais ils lui proposent une carrière : l'entreprise, source d'heureuse prospérité. Le progrès du libéralisme économique, social, mental engendre l'individualisme, la réhabilitation de l'amour de soi, l'art de construire son bonheur, une nouvelle confiance en l'homme. Arrivistes, commerçants, émigrés, esprits critiques, jansénistes, mystiques, protestants, épicuriens ont une préoccupation commune : échapper à la contrainte des structures. « La liberté est l'âme du commerce » (Belesbat, 1692). « La religion et la conscience ne relèvent que de Dieu » (le pasteur Claude, 1683). « L'essence de l'homme consiste en sa liberté » (Foigny, 1676). L'amour-propre n'est plus seulement « de nos désirs la source criminelle », mais aussi « le fondement de toutes les vertus » (d'Ailly, 1697). C'est déjà la morale du libéralisme. Tandis que les traditionalistes dénoncent le règne de l'intérêt prédateur et torturant (7), d'autres commencent à en voir le dynamisme fructueux. Même l'idéaliste Télémaque montre l'heureuse prospérité de Tyr, fondée sur le commerce : « L'autorité [...] ne suffit pas : il faut savoir gagner les cours et faire trouver aux hommes leur avantage pour les choses où l'on veut se servir de leur industrie. » Après 1690, la morale, qui, depuis les années quarante était répression du désir, tend vers la science du bonheur. Alors paraissent L'Art de devenir heureux dans la société(Brisebarre, 1690), L'Art de mener une vie heureuse et tranquille (Peytou, 1696) par une sagesse épicurienne et une complaisance avisée (8), parfaitement compatibles avec le salut. On commence à dire que « les vertus ne sont faites que pour nous rendre heureux » (Gilbert, 1700).

La sociabilité s'est affirmée. « La politesse est un précis de toutes les vertus » ; « la complaisance est l'âme de la société civile » ; « l'esprit chagrin, [...] fléau de la société, [...], est de tous les vices le plus incommode » (9). Philinte triomphe ; même « le misanthrope » est devenu « extérieurement [...] civil et cérémonieux » (La Bruyère, XI, 155). Alceste, joué par Baron, est mesuré, poli. « La complaisance [...] tient lieu de mérite » (Gérard, 1682), au grand scandale de La Bruyère : « L'honnête homme est celui qui ne vole pas sur les grands chemins et qui ne tue personne » (XII, 55).



En dehors des petits genres mondains, la littérature ne s'intéresse guère à l'amour : les traditionalistes le condamnent et les modernes parlent de l'homme social, de l'idéologie, des réalités concrètes plutôt que d'affectivité.



8. Conditions et fonctions de la pratique littéraire



Les gratifications, tombées à 40 000 livres par an pour les années 1680, sont supprimées aux gens de lettres en 1690 (mais Donneau de Visé, directeur du Mercure galant, passe de 6000 livres en 1684 à 15 000 en 1697). La censure s'aggrave après 1683 et, pour le théâtre, après 1697, mais les libelles affluent de Hollande. La cour, qui s'enfonce dans la dévotion et la routine, n'est pas un public d'excellence. La vie théâtrale, contre laquelle se développe l'offensive des dévots (10), s'en trouve considérablement modifiée. Même l'opéra est en recul après 1687. Le théâtre littéraire encore plus, tandis que triomphe la petite comédie satirique et que les auteurs recommencent à dépendre des troupes. Le pouvoir à perdu prise sur la pensée, la culture vivantes : Bayle et Fénelon sont de ses ennemis ; il interdit les dernières ouvres de ceux qu'il avait naguère préférés : Boileau (Satire XII) et Racine (Athalie, sans parler de Y Abrégé de l'histoire de Port Royal, rédigé en secreT).

La vie intellectuelle se rénove ailleurs : autour de Monsieur* au Palais-Royal, de M. le Duc à Saint-Maur, de la duchesse du Maine, de Conti, de Vendôme ; dans les salons qui reprennent de l'importance ainsi que les cercles savants et déjà dans les cafés : Procope, Gradot, Laurent... : il y en a deux cents en 1696 selon Du Bos. Et particulièrement dans le Refuge : Genève, l'Allemagne, Londres, la Hollande surtout d'où affluent les libelles et une pensée critique. Dans le public, les mondains, les femmes et surtout les nouveaux intellectuels dominent. A eux seuls, les réfugiés, les élites européennes qui parlent notre langue (11) et les esprits critiques ou curieux de l'hexagone suffisent à constituer un public.

Les nouveaux auteurs, très divers par leurs statuts, leurs personnalités, leurs options, ont en commun d'être souvent en marge : Bayle exilé, Fénelon disgracié, La Bruyère méconnu, Dancourt noble devenu acteur, Courtilz, Mme d'Aulnoy, Mlle de la Force aventuriers. Plusieurs dramaturges sont des acteurs ; beaucoup de romanciers, des femmes. Plusieurs auteurs ont une compétence administrative (Perrault, ChaulieU), scientifique (FontenellE), technique (VaubaN), encyclopédique qui en fait des intellectuels et non plus des lettrés, leur donne une liberté critique, au besoin les moyens de gagner leur vie. On commence à pouvoir vivre de sa plume (Mme de Villedieu, BaylE) et de son travail d'intellectuel : journalisme, enseignement. Plusieurs auteurs revendiquent leur statut de travailleur intellectuel, qui se manifeste dans leur écriture. « C'est un métier que de faire un livre », et qui mérite salaire (La Bruyère, I, 3 et XII, 21). Les Caractères s'ouvrent sur deux chapitres fort étrangers à Théophraste : « Des ouvrages de l'esprit » et « Du mérite personnel », opposé à la naissance, à la faveur, à l'argent. Précepteur, bibliothécaire, gentilhomme chez Condé, La Bruyère, rompant avec l'esprit de fidélité, de clientèle, est un individualiste distant, un salarié amer. Il écrit moins pour la gloire que pour se venger.

L'esthétique n'est plus cette alliance salutaire du plaisir et de la vérité qu'elle fut de 1666 à 1678. Pour les uns, « on ne doit écrire que pour l'instruction » (La BruyèrE) ; ils condamnent la poésie (p. 332), sinon la rhétorique, « nuisible à la droiture et à la justesse de l'esprit [...], à la tranquillité et à la pureté du cour » (F. Lamy, 1697). Les autres n'écrivent que pour divertir : poésie frivole, roman d'évasion, théâtre pour rire, contes de fées. Les grandes ouvres se veulent utiles : moralistes, éducatives, scientifiques, politiques et surtout critiques. Non plus en parlant de l'homme en général, mais des réalités concrètes, au besoin à grand renfort d'érudition et avec un sens tout nouveau de la diversité historique et sociale.



Sérieuses ou frivoles, la plupart des ouvres nouvelles se ressemblent par le style : intellectuel, un peu sec, brillant, rapide. Comme il ne s'agit plus d'intégrer, de sublimer, mais d'analyser, de critiquer, la structure close et la rhétorique majestueuse de l'époque précédente cèdent la place au style bref et aux ouvres en petits morceaux : Maximes, Caractères, Remarques, Réflexions^ Pensées (diverseS), Ana (12), Dialogues, Entretiens, Dictionnaires (13) et périodiques, sans parler des petits genres poétiques et des rapides comédies. Les ouvres de l'époque précédente se distinguaient par leur unité structurelle. On pourrait généraliser à la nouvelle période ce que Le Mercure galant dit des Caractères : « L'ouvrage de M. de La Bruyère ne peut être appelé livre que parce qu'il a une couverture. [...] Ce n'est qu'un amas de pièces détachées » (juin 1693). Analyse, polémique, frivolité poussent à une esthétique éclatée de la brièveté. « Les livres composés par traits détachés ou par maximes sans ordre, qui demandent peu d'attention et qui ne laissent pas d'instruire en amusant, Sont tellement du goût de notre siècle », dit Corbinelli pour se justifier de réduire en maximes les historiens latins (1694).

La nouvelle fonction de l'écriture proscrit le style ample, majestueux et autotélique (14). Bayle, Fontenelie et parfois La Bruyère ont un tempérament de reporter saisissant le concret sur le vif, de journaliste qui sait « mettre une vérité dans tout le jour nécessaire pour faire l'impression qui doit servir à son dessein » (La BruyèrE). Même Bos-suet et Fénelon sont conduits à multiplier les factums polémiques. Pour frapper et séduire, il faut de l'esprit et celui des intellectuels n'est pas si éloigné de celui des mondains ! La critique malicieuse de Fontenelie et de Bayle est plus proche de Voltaire que de Descanes. Il faut une brièveté fonctionnelle et piquante, une aimable élégance, « un tour d'expression facile et animé » (Callières, 1695). Les phrases sont brèves ; on aime la parataxe ; le vocabulaire devient plus concret ; la clarté n'est plus transparence, mais précision. L'intellectualisme entraîne parfois une certaine sécheresse (La BruyèrE), tandis que la réaction sentimentale aime les grâces un peu molles. Ces deux styles se combinent curieusement chez Fénelon.



9. Problèmes de chronologie



Faut-il arrêter en 1679 le siècle du centralisme, pour faire commencer celui des Lumières en 1682-1683, avec Bayle et Fontenelie ? Ce n'est pas si simple. Ils démarrent fort ; mais après 1686, ils reprennent leur souffle ; seul le premier revient à la charge à partir de 1692 et surtout 1695. De 1688 à 1694, l'ouvre qui s'amplifie avec grand succès, est celle de La Bruyère, nouvelle par sa critique sociale et son esthétique éclatée, mais conservatrice. Au même moment, Racine revient avec Esther et Athalie (1688-1691) et La Fontaine avec ses dernières Fables (1693). Couperons-nous en 1694, avant que Bayle ne publie son ouvre majeure, le Dictionnaire (1695-1697), qui sera une mine pour le XVIII» siècle ? Mais Bossuet et Boileau - sur la défensive il est vrai - sont très actifs jusqu'en 1703 et 1706. Décidément c'est une époque de transition. Mais voici un creux : entre le Dictionnaire de Bayle (1695-1697), les Contes de Perrault (1697), la publication des Épîtres X, XI et XII de Boileau (1698), du Télémaque (1699), et d'autre part les poésies de J.-B. Rousseau (connues à partir de 1702-1703), le Diable boiteux (1707), Le Légataire universel (1708), Tur-caret (1709), à partir desquels l'analyse critique l'emporte définitivement sur la modélisation classique. C'est là qu'on peut couper. Je propose de le faire en 1703-1706, c'est-à-dire de prolonger le XVII» siècle jusqu'à la mort de Bayle et à la dernière ouvre de Boileau (la satire XII, achevée début 1706), tout en faisant commencer le XVIII" siècle avec La Hontan (Dialogues curieux entre l'auteur et un sauvage de bon sens, La Haye, 1703). Du coup, je ne parlerai pas de la Lettre sur les occupations de l'Académie, de Fénelon (1714) : il est bon de laisser les choses à leur place, pour rappeler la complexité de l'histoire.

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