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Du « nouveau mal du siècle » au sentiment de l'absurde






Les « valises vides » ou le désarroi d'une époque



Au cours de ses Entretiens de 1952, Breton a rappelé dans quel état de prostration et de désarroi, il se trouvait âu sortir de la guerre. Ce malaise a été celui de toute la génération des « rescapés ». Eugène Dabit reconnaîtra dans son Journal intime des années trente que « l'esprit de guerre [1'] a détruit » et que, depuis, règne partout « le perpétuel à quoi bon »2. Il traduira ce malaise dans Le Mal de vivre (1939). À environ un siècle de distance, et avec des conditions socio-historiques analogues (guerres et révolutionS), on voit se manifester un « nouveau mal du siècle », assez semblable, sur certains points, à celui qui avait affecté l'époque de René, Oberman ou Adolphe. L'être humain, pris dans les tourmentes de l'histoire, ressent alors plus fortement que jamais sa fragilité et il n'est pas sans se complaire parfois dans ce sentiment de faiblesse.



D'où, dans la littérature de l'époque, tant de « valises vides », de personnages « à la dérive », de « feux follets » ou d'« âmes en peine », c'est-à-dire d'êtres « incertains' » de ce qu'ils sont et de ce qu'ils veulent, voués à l'impuissance et à la passivité.

Deux romans, qui brossent une fresque de la période 1919-1939, témoignent de la déroute morale de toute une époque : Gilles de Drieu La Rochelle, où l'auteur a mis beaucoup de lui-même, et Aurélien (1944) d'Aragon, dont un des modèles est précisément son ami Drieu. Dans ces deux livres, le protagoniste, par son indécision, sa veulerie, gâche absurde-ment son destin. Contre cette faiblesse qu'ils sentent dans leur époque et en eux-mêmes, Drieu réagira par l'adhésion au fascisme et Aragon par celle au communisme, après qu'ils eurent, l'un comme l'autre, longtemps hésité entre des directions contraires.

Avec Plainte contre inconnu (1924), Drieu La Rochelle exprime ses désarrois de démobilisé à travers des personnages consumant leur vie dans l'ennui ou les plaisirs faciles. Dans l'une des nouvelles du recueil, « La Valise vide », il prend pour protagoniste un être désoriente et veulc, attiré par le néant parce qu'il se sent « vide » intérieurement. Ce personnage est inspiré à Drieu en partie par Jacques Rigaut (dadaïste de 1920 à 1924), comme plus tard celui du Feu follet (1931), où sont racontés la déchéance progressive et le suicide de ce lamentable héros, dont le modèle disait de lui-même qu'il se sentait « creux comme un mirliton4 ».

Dans Hécate, Jouve fait lui-même allusion, à propos de Pierre Indemi-ni - aimé de Catherine, mais ne répondant qu'imparfaitement à l'amour de celle-ci -, aux « valises vides d'aujourd'hui' », c'est-à-dire à des êtres viciés par une faiblesse intrinsèque (« une paille dans leur acier »), voués à l'impuissance morale et à la stérilité".

Les êtres « à la dérive » de Soupault ne trouvent d'issue que dans la fuite ou bien s'enlisent dans l'ennui (À la dérive, Le Bon Apôtre, 1923). Ses héros, comme ceux de Crevel, ne rencontrent qu'une caricature de la disponibilité, au sens où l'entendait Gide. Ils restent sans vrais désirs : « Je cherche ce que je cherche7 », déclare le protagoniste de Détours.



Après avoir analysé des âmes romantiques, reflets de son moi tourmenté, Arland tourne son regard vers le monde extérieur, en y projetant cependant son propre sentiment de précarité. Avec les nouvelles des Ames en peine (1927). il évoque la destinée prosaïque de pauvres héros, tel cet « homme de peu ». ou ce locataire de « la pension Loménic », résigné à l'échec.

Les gens du peuple, tels que les décrit Eugène Dabit dans L'Hôtel du Nord (1929). par une suite de tableaux que ne relie aucune intrigue, sont des êtres qu'« un destin monotone [...] accable », condamnés à la répétition des mêmes gestes dérisoires et des mêmes tâches machinales. Quant aux récits d'Emmanuel Bove, ils mettent systématiquement en scène des médiocres et des « ratés ». Dans son premier roman publié avec l'appui de Colette, Mes amis (1924), on voit un pensionné de guerre, oisif et aigri, mener une existence routinière et vide. Les anti-héros de Bove sont voués à l'échec et à la solitude (L'Amour de Pierre Neuhart, 1928 ; Un célibataire, 1932) ou à la misère morale et au narcissisme (Journal écrit en hiver, 1931 ). Leur vie terne est décrite avec minutie et donne elle aussi la sensation de l'absurde.



Même l'univers romanesque de Simenon est peuplé de héros médiocres que leur destin entraîne : M. Hire, escroc minable et complexé, qui finira par mourir de peur (Les Fiançailles de M. Hire, 1933) ; le piètre assassin du Locataire (1934) qui s'enlise dans le confort d'une pension de famille ; l'aventurier sans envergure de Faubourg (1937). Simenon nous conte sans pitié leur déchéance, et leur sort tragique a lui-même quelque chose de dérisoire. Comme l'« Hôtel du Nord » de Dabit, le petit hôtel du Cheval blanc (1938) est une sorte de microcosme, pittoresque et pourtant banal, des misères humâmes, observées par le vieux Félix, témoin impuissant et hargneux, comme le Bardamu de Céline.

Ces personnages au destin précaire sont bien caractéristiques de l'époque. Il est significatif que certaines grandes figures romanesques de l'entre-deux-guerres soient taillées sur ce modèle. Elles portent la marque du découragement des années vingt, lié au désarroi qui a suivi la guerre, comme de celui des années trente, lié à la « montée des périls ». Ainsi Sala-vin, Bardamu, Cripure ou Roquentin sont chacun à leur manière des « pauvres types,», pathétiques ou ridicules, bien que leur lucidité et leur souffrance leur confèrent une sorte de grandeur.



Le Salavin de Duhamel est un velléitaire et un rêveur. Chez Céline. Bardamu et son double Robinson sont deux « naufragés » de l'existence, ballottés au gré des circonstances sans aboutir nulle part. Quant au Cripure de Guilloux, lâche et impuissant, il n'est plus que la caricature de lui-même. Par certains côtés, Roquentin est lui aussi une" de ces « valises vides » : velléitaire, replié sur lui-même, refusant lès responsabilités, il est une sorte de « raté » qui, après avoir renoncé à l'aventure, à l'amour et à son ouvrage historique, envisage la création littéraire, mais sans grande conviction : « Je n'ose pas prendre de décision8 », avoue-t-il. L'idée du salut par l'ouvre d'art est la dernière illusion dont se berce le faible Roquentin.



Le « populisme » latent des décors et des atmosphères (cafés, hôtels sordides, rues tristes, faubourgs misérableS) qui apparaît chez beaucoup de ces auteurs (de Dabit ou Simenon à Céline ou SartrE) souligne la médiocrité ou la précarité de l'existence de leurs héros.



Le sentiment d'« étrangeté »



Ce sentiment de faiblesse interne se complique souvent d'une sorte de douté, de méfiance ou de peur à l'égard de la réalité extérieure. Salavin, par exemple, éprouve un jour un étrange malaise devant un arbre du Jardin des Plantes (Confession de minuiT). La présence massive de l'arbre lui fait mieux sentir sa propre précarité. D'autres fois, le monde extérieur lui apparaît comme un décor sans réalité, sans justification : par exemple l'homme qui téléphone dans sa cabine et semble ainsi causer avec le néant. Il fait donc l'expérience de l'étrangeté du monde, de l'étrangeté de sa présence dans le monde. C'est dire qu'il éprouve ce qu'on appellera le « sentiment de l'absurde ». La scène du téléphone se retrouvera plus tard dans Le Mythe de Sisyphe.

Quant à la scène de l'arbre, elle préfigure celle de La Nausée, où devant le marronnier du Jardin Public, Roquentin* comprend qu'il est « de trop » et découvre sa « contingence ». Ce divorce d'avec le monde se traduit aussi chez Roquentin par des fantasmes inquiétants formés d'associations incongrues comme on en trouve dans les textes ou les tableaux surréalistes. Il y a là, de la part de Sartre, peut-être un effet de parodie à l'égard du surréalisme, mais ce faisant il attribue à son personnage un malaise qui n'est pas sans rapport avec celui dont souffrent les inquiets ou les révoltés de l'après-guerre.

Malaise à la fois moral et métaphysique. Dada, par exemple, sous ses dehors tapageurs et burlesques, exprimait une profonde angoisse métaphysique, qui le conduisait à nier par l'absurdité un monde senti comme absurde. En 1920, Les Champs magnétiques de Breton et Soupault disent la désolation d'un univers obscur et vide que l'homme traverse en étranger sans connaître son but. Dans L'Autruche aux yeux clos (1924) de Ribemont-Des-saignes, les personnages mènent leur existence d'automates, remplissent leur vie d'occupations vaines, car aveugles comme l'autruche, ils ne se rendent pas compte qu'ils sont dans un désert (le « désert de la Petite-Joie »).

L'homme lucide découvre au contraire, selon la formule de Breton, « le peu de réalité'0 ». Il éprouve le sentiment d'étrangeté. Ainsi dans Mon corps et moi de Crevel, la vie apparaît soudain comme un simulacre où les hommes sont des pantins condamnés à la facticité, jusqu'à ce que les ficelles se cassent". Très sensible à l'indifférence des objets qui l'entourent, le narrateur éprouve le sentiment d'être un « étranger » devant un spectacle qui n'a plus de sens12. Etranger au monde, mais aussi à lui-même, puisqu'il perçoit douloureusement la distance entre « son corps et lui ».

Cette angoisse devant son propre corps. Supervielle l'exprime souvent, notamment à propos de son cour qui « ne sait rien de [lui] » (Le Forçat innocenT). Le poète parle volontiers de lui-même comme d'un intrus ; il est essentiellement un « Hors-venu », c'est-à-dire en somme une sorte d'étranger. S'il pense à ses « amis inconnus », c'est justement parce qu'il sent sa solitude dans un monde énigmatique.

La matérialité du corps fait de celui-ci un objet parmi les autres, un objet qui inquiète l'homme et rend sa propre existence problématique. Roquentin, un jour, ne se reconnaît plus lui-même dans la glace où il se regarde. Chez Malraux l'individu est souvent choqué par la présence devenue étrange de son propre corps : lorsque Perken dans La Voie royale est près de mourir, il se sent séparé de lui-même, et sa propre main lui apparaît comme une chose indépendante, étrangère à sa substance. De son côté, Green, dans son Journal", note le caractère inquiétant que peut prendre une simple main, si on l'observe attentivement. Or le sentiment d'être étranger au monde est constant chez les personnages de Green, notamment dans Le Voyageur sur la terre.

« Étranger », tel est le titre d'un poème du Fleuve caché (1933) où Jean Tardicu exprime le sentiment d'une distance vis-à-vis de lui-même et une incompréhension totale devant l'étrangeté de son existence : il est celui qui ne comprend pas ce qu'il est ni pourquoi il existe. Une impression confuse d'insécurité et de culpabilité le hante, mêlée à celle de la solitude (Accents, 1939).

On peut songer aussi à Michaux et à son héros, Plume ( Un certain Plume, 1930, puis Plume, 1936). Personnage burlesque et pathétique, comme Chariot, Plume se heurte sans cesse à des situations absurdes et saugrenues qui le mettent dans son tort sans qu'il les comprenne, tel un héros de Kafka. Ce personnage si bien nommé n'a aucun poids, aucune prise sur un monde où il est toujours « de trop » et à l'hostilité duquel il ne peut répondre que par l'indifférence.



La tentation de la gratuité et de l'indifférence



Les « nouveaux enfants du siècle » semblent avoir perdu le sens du but. Affaiblis dans leur volonté, doutant des valeurs communément admises, ils prônent volontiers la gratuité et l'indifférence. Le Lafcadio de Gide, le héros de l'« acte gratuit » (Les Caves du Vatican, 1913). est particulièrement apprécié par Breton et ses amis. Mais chez Gide, l'acte gratuit (acte sans mobile, qui est une revendication de liberté absoluE) est surtout une expression de la vitalité de Lafcadio, de sa « disponibilité », de son mépris de « surhomme » à l'égard de l'humanité moyenne, de son désir d'être une sorte de « dieu ».

Au contraire, au lendemain de la guerre, l'acte gratuit devient souvent un geste d'ennui ou de désespoir. Pour Jacques Rigaut, il est le signe de son vide intérieur et de son désintérêt pour l'existence. Chez Aragon, le suicide gratuit de Télémaque (Les Aventures de Télémaque, 1922), ponctué par les éclats de rire de Dieu, est moins une manifestation de sa liberté qu'une mauvaise farce dont il est à la fois l'auteur et la victime. Dieu se moque de cet homme qui s'est pris pour un dieu. Dans le roman de Sou-pault. Voyage d'Horace Pirouette (1925), qui est jalonné par le leitmotiv de l'acte gratuit, celui-ci est l'expression du mal de vivre des personnages. II se présente déjà sous la forme du geste que Breton préconisera en 1930 dans le Second Manifeste du surréalisme comme l'« acte surréaliste le plus simple » : tirer au hasard dans la foule. Il s'agit là d'une violence pure, destructrice et désespérée.



Sartre caricaturera l'acte « surréaliste » dans sa nouvelle du Mur, « Erostrate ». Il met l'aventure de son héros au compte des « fuites » devant l'existence, qu'il entend décrire dans son livre. L'Erostrate moderne n'est plus qu'un raté et un déséquilibré. Ce faisant, Sartre prend ses distances à l'égard de la disponibilité gidienne et de la gratuité surréaliste. Lui, dont l'ouvre est peuplée de personnages veules, de « valises vides » - par exemple le Mathieu des Chemins de la liberté (1945-49) qui évoquent les dernières années de l'entre-deux-guerres -, il insistera au contraire sur la nécessité du choix.

Au cours de l'entre-deux-guerres, l'acte gratuit n'est donc plus un geste triomphant. Il apparaît surtout comme un acte répondant par l'absurde à l'absurdité fondamentale de la vie. Le degré ultime de l'acte gratuit sera l'acte purement absurde : celui de Meursault.

La tentation de la gratuité procède souvent du sentiment de l'absurde, de « l'inutilité théâtrale (et sans joiE) de tout14 ». selon une formule de Jacques Vaché, une des grandes admirations de Breton durant les années de guerre. Or la guerre a favorisé la conscience de l'absurde15. C'est d'ailleurs au front que Drieu ou Montherlant ont découvert l'ivresse de l'action pure, sans considération de but16. Mais cette griserie nietzschéenne de l'action est le pendant du désarroi ou du scepticisme.

À cette absurdité on réagit souvent par l'indifférence, jumelle de la gratuité. L'indifférence, telle est bien l'une des anti-valeurs prônées par Dada qui, ennemi de tout système, professe l'équivalence des contraires parce qu'il a le sens profond de la vanité des choses humaines. « Rien » est un de ses mots clés et il renvoie au néant tout ce que l'on révère. Pour Dada, qui sent profondément l'omniprésence de la mort, la vie n'a pas de but, l'existence n'a pas de sens. Mais cette indifférence n'exclut pas le goût de vivre. Au contraire Dada prône le culte de l'instant et de l'intensité, complémentaire de l'indifférence. Il y a là une différence importante avec l'attitude des « clochards » métaphysiques de Beckett17. incapables de faire autre chose que de parler en attendant la mort.

Chez Malraux, l'absurde se nomme « farfelu ». Le « royaume farfelu » est celui où règne la Mort. C'est un monde étrange et étranger à l'homme, dont on ne peut se venger que par la dérision, comme le fait Dada (Lunes en papier, 1921 ; Royaume farfelu. 1928). Mais chez Malraux aussi, la passion de la vie s'associe au sens du néant et il fait dire à Garine : « J'ai appris aussi qu'une vie ne vaut rien mais que rien né vaut une vie18 ». Jusque vers 1930 il lance ses aventuriers dans des équipées gratuites où se réalise leur sens du jeu. Perkcn. dans La Voie royale, n'a même plus l'alibi révolutionnaire de Garine.

De même, pour Montherlant, un scepticisme profond et un sens aigu du néant provoquent la certitude que le « oui » et le « non » se valent et qu'il est bon de passer de l'un à l'autre. Tel est le principe de « l'alternance » prôné par l'auteur d'Aux fontaines du désir (1927) :



L'univers n'ayant aucun sens, il est parfait qu'on lui donne tantôt l'un et tantôt l'autre. C'est bien ainsi qu'il faut le traiter".



L'orgueil amer de Montherlant le fait rêver d'une « chevalerie du néant », se vouant à un « service » que sa lucidité tient pour « inutile » (Service inutile, 1935). Lui aussi vante donc l'« action gratuite ». Construire pour détruire ce qu'on a construit lui semble la formule d'une sagesse désabusée qui a pris la vraie mesure des choses. Mais c'est dans l'absurde lui-même que Montherlant puise sa ferveur pour la vie. Inversement, c'est l'intense lumière des paysages méditerranéens qui lui donne le sentiment du néant comme au Valéry du « Cimetière marin » (Charmes, 1922). Le pessimisme métaphysique de Valéry, nourri du nihilisme « fin de siècle », rejoint donc celui de ses cadets, marqués par le sens de l'absurde.

Cette thématique liée à la lumière méditerranéenne se retrouve chez Albert Camus ou chez Jean Grenier, qui fut son professeur de philosophie à Alger. En 1933, ce dernier publie Les îles, série de méditations où il exprime son sentiment du « vide », du « peu de réalité des choses20 ». selon une formule voisine de celle de Breton

Quant à Camus, son premier livre publié, L'Envers et l'endroit (1937), le montre doublement sollicité par le « oui » et le « non », par la conscience lucide du néant et l'attachement à la terre à laquelle le lient des « noces » sensuelles (Noces, 1939). Pour Camus « Il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre »2', formule proche de celle de Garinc chez Malraux. C'est précisément au cours~de ces années trente que Camus commence à élaborer son « cycle de l'absurde » : Caligula, dont la première version est terminée en 1938. L'Étranger (achevé en 1940) qu'il avait d'abord songé à intituler L'Indifférent22, et Le Mythe de Sisyphe. Durant cette période. Camus lit et admire les écrits de Malraux comme ceux de Montherlant23 qui chacun à leur manière dénoncent ou invoquent l'absurde.

Et dans une certaine mesure les provocations dadaïstes, l'exaltation de l'acte gratuit témoignent d'un même malaise existentiel que les gestes fous de Caligula, pour qui l'action n'est que le pur jeu d'une liberté qui serait celle d'un dieu. Caligula, comme les hommes désabusés et démoralisés de l'après-guerre, veut soulever les masques. Pour lui comme pour Dada, toutes les actions sont équivalentes et vaines, et s'il cultive la dérision et l'absurde, c'est parce que lui aussi a pris la mesure exacte de la condition humaine. Quant à l'indifférence tranquille de l'« Étranger », elle sera un refus instinctif des conventions et des prétendues valeurs par quoi les hommes se cachent la vanité de leur existence. Malgré sa médiocrité apparente. Meursault a la même lucidité dévastatrice que Dada. Le « nouveau mal du siècle » conduit bien sur les chemins de l'absurde.

Ces sentiments d'étrangeté et d'indifférence sont la manifestation la plus évidente de la tendance « schizoïde »24 (impression de division, d'irréalité, de vide, d'absurdité), que l'on peut reconnaître dans le malaise de l'homme moderne, notamment entre les deux guerres.

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