Essais littéraire |
Le XIVe siècle n'a pas la verve du XIIIe et l'on n'y voit point apparaître de poètes aussi considérables que Rutebouf ou Jehan de Meung. La fin de la chevalerie, la limitation des privilèges de la féodalité, la naissance d'un pouvoir royal rationnellement organisé, les avatars de la guerre de Cent Ans répercutés à tous les degrés de la vie sociale, rendent pareillement caduques la poésie courtoise et les fabulations légendaires. Les poètes ne font guère, pendant de nombreux lustres, que se servir des procédés de leurs prédécesseurs. Les petits maîtres abondent. Les formes fixes sont d'autant plus pratiquées qu'elles requièrent moins de génie que d'habileté. Tout devient codification, rhétorique, virtuosité. Né avec le siècle, Guillaume de Machaut, par ailleurs grand musicien, reprend dans son Dit du Verger et dans son Dit de la Fontaine amoureuse les principes allégoriques mis en ouvre par Guillaume de Lorris dans le Roman de la Rose et fait preuve d'une science stylistique et prosodique extrême. Eustache Deschamps, qui vient au monde une quarantaine d'années plus tard, est peut-être encore plus savant et a, en outre, la fibre pédagogique, comme en fait foi son Art de dicter et de faire ballades et chants royaux. Il trouve cependant de beaux accents pour dénoncer la corruption, décrire la vie quotidienne, exprimer son pessimisme foncier : Tout se détruit et ne sait-on comment. Christine de Pisan et Alain Charrier méritent mention, à la charnière du xrve et du xve siècle. En cette langue française qui est celle du roi, de la Cour et des lettrés, mais qui reste encore imprégnée d'influences picardes, champenoises, lorraines, etc., ils font grand usage, certes, des « épiceries » raffinées dont Guillaume de Machaut fut le principal manipulateur, mais dans Le Trésor de la Cité des Dames, la première trouve des mots simples et émouvants pour louanger son sexe, et Charrier, s'il n'est pas le grand poète que ses contemporains voient en lui, possède une telle science de la langue et du vers, qu'il crée parfois de précieux bibelots sonores. Il faut pourtant attendre Charles d'Orléans (1391-1465), neveu de Charles VI, pour voir apparaître un poète digne d'admiration. Fait prisonnier à la bataille d'Azincourt, à vingt et un ans, il va rester un quart de siècle captif en Angleterre. La poésie devient sa seule raison de vivre et le demeurera jusqu'à sa mort. Subtil dialecticien du cour, prosodiste soigné qui semble se jouer des extrêmes difficultés propres aux formes fixes, il est le plus direct et en même temps le plus nuancé des poètes qu'il convie, dans son château de Blois, à s'affronter en concours amicaux, entre autres celui auquel il donne pour thème un de ses vers : Je meurs de soif auprès de la fontaine. Que son cour soupire après la patrie lointaine, le « Trescrétien, franc royaume de France », qu'il cherche à définir un état de conscience ou quelque sentiment complexe, qu'il chante la beauté de la nature ou la douleur d'être Comme cassé des gages de Jeunesse, ce poète, qui dit « Je » même lorsqu'il sacrifie au système allégorique en vogue chez ses prédécesseurs (Mélancolie, Penser, Espoir, Nonchaloir, Désireux Vouloir, etc.), écrit dans sa belle langue de Loire, plus épurée que le français ne l'est partout ailleurs, des poèmes qui parlent à tous et ne vieilliront pas : Plus penser que dire Me convient souvent Sans monstrer comment N'a quoy mon cueur tire. François Villon (1431-1463) qui, lui aussi, dit « Je », incarne une humanité plus concrète que celle dont Charles d'Orléans se fait le porte-parole. Cette humanité, c'est celle qui peine et ne mange pas toujours. Celle aussi - et c'est souvent la même au royaume d'argot dont Villon est le prince - des gueux et des mendiants, des rôdeurs et des prostituées. Le contexte économique, social et religieux, qui n'est souvent qu'une marge plus ou moins vague dans l'ouvre des poètes, s'intègre si fortement à l'ouvre de Villon qu'il en est à la fois le prétexte et le texte. Le plus illustre des « mauvais garçons » de notre poésie sait de quoi il parle. Recueilli en 1438, à la mort de sa mère, par un ecclésiastique de ses parents, il prend le nom de celui-ci (on ne sait s'il s'appelait Moncorbier ou des Loges à l'originE), fait grâce à lui de solides études et obtient le diplôme de licencié maître es arts. Mais il ne se plaît qu'en la compagnie des ribauds et ribaudes, fait les quatre cents coups, vole, se bat. En 1455, au cours d'une rixe, il tue un prêtre, s'enfuit, erre quelque temps en Anjou avec quelques larrons de son acabit, les « coquillarts ». Gracié, il rentre à Paris, y compose son Petit Testament, puis cambriole le collège de Navarre et doit reprendre le large. On le retrouve à Blois, auprès de Charles d'Orléans, puis, à la suite de nouveaux méfaits, dans les prisons d'Orléans et de Meung-sur-Loire. L'année d'après (1462), revenu à Paris, il écrit le Grand Testament, recommence à courir les « bourdeaux » et à cambrioler. Condamné à la pendaison, il voit sa peine commuée en dix années de bannissement. Que devient-il alors ? On perd sa trace. Mais l'ouvre est là, nombreuse, musclée, palpitante, tout armée pour affronter victorieusement les siècles. Et peut-être n'y eût-il pas eu d'oeuvre du tout, si son auteur s'était « à bonnes mours dédié », ce qui lui eût valu « bonne maison et couche molle ». Villon, en clerc fort savant qu'il demeure, ne manque pas de truffer ses vers de références mythologiques, mais il a une manière - ce sera celle, aussi, de Rabelais - de les agréger à sa mythologie personnelle, qui n'est pas d'un cuistre ou d'un rhétoriqueur. Pour lui, Hélène de Troie et la « grosse Margot » ne font qu'un seul et même Corp» féminin qui tant est tendre Poly. souaf, si précieux. Au demeurant, les sentiments qu'il leur voue et, surtout, la vibration lyrique de ces sentiments ont plus d'importance qu'elles-mêmes. Villon - et en cela il est très proche d'une conception de la poésie dont les poètes modernes se peuvent réclamer depuis Verlaine et Laforgue - tire sa vertu de la diction particulière qu'il imprime â son dire, diction tout en nuances à la fois spirituelles et sensorielles qui chargent le mot et la phrase de significations infiniment plus profondes que celles qu'on peut attendre du discours le plus parfait. Et cela, quel que soit son thème, sérieux ou drolatique, de pure circonstance ou d'essentielle réflexion sur la chair « que trop avons nourrie », l'amour, la destinée extraterrestre des humains. Sa ferveur, qu'il veut aussi naïve que celle de son humble mère, mais exprime en imagier accompli : Femme je suis povrette et ancienne, Qui riens ne say ; oneques lettres ne lus. Au moustier voy, dont suis paroissienne. Paradis paint, où sont harpes et luths... sa charité et son sentiment d'être en fraternité avec les morts et les vifs de son temps et de l'avenir : Frères humains, qui après nous vivez N'ayez les cueurs contre non» endurcis... l'incrustent dans notre conscience autant que dans celle de 6on époque. Ce grand poète du Moyen Age est des nôtres. A côté de lui, Jean Régnier, Jean Robertet, Jean Molinet, Arnoul Gréban - même si chez le premier, son aîné de quarante ans, il a pu trouver un prototype de ses Testaments - font figure de bons artisans. On ne peut nier cependant l'extrême humanité de Molinet, bien qu'il s'erabarbouille d'une rhétorique excessive, ni la force dramatique et l'espèce de rugueuse tendresse que Gréban met dans son Vrai Mystère de la Passion, qui fait accourir les foules en 1452 sur les parvis d'Abbeville et de Paris : Mon fils, mon fils je vous veux supplier. Mon doux enfant, mon bienheureux loyer Est-ce bien fait de sa mère oublier En tel manière ? |
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