Essais littéraire |
En 1850 Honoré de Balzac meurt. Stendhal l'a précédé de huit ans dans la mort et les grands poètes romantiques, à l'exception de Hugo, se sont tus. Mais si le romantisme littéraire disparaît au coeur du siècle, est-ce à dire que ses messages et ses espérances s'évanouissent avec lui ? L'échec cuisant de Lamartine aux élections de décembre 1848 ne le laisse que trop voir. En réprimant violemment en juin ce qui n'a été qu'une révolution avortée puis en entérinant le coup d'Etat de décembre 1851, la bourgeoisie a résolument tourné le dos à la générosité romantique et aux utopies des Saint-Simon et des Fourier pour se lancer dans une frénétique course au progrès à laquelle le peuple participe sans en retirer profit. La chute du Second Empire et la Commune de 1870 montreront clairement combien, au temps des prospérités bourgeoises, le fossé était profond entre des possédants aveuglés par une réussite sans précédent dans l'histoire économique et des travailleurs pour la première fois « éclairés » dans une histoire qu'ils n'ont jamais cessé de faire. Lamennais, Proudhon, puis Marx ne vont pas parler pour rien. Ce demi-siècle où le poids des choses, des hommes et de l'Histoire allait se faire plus lourd, marquera la littérature d'un mot lui aussi lourd de signification : le réalisme. Certes nous avons déjà vu Balzac ou Stendhal chercher à « peindre la réalité » du monde qu'ils vivaient. Mais quand, après 1850, cette réalité se fait plus contraignante et plus problématique, le but des écrivains n'est plus seulement de « peindre » ; ils sont tentés d' « expliquer », ou de se laisser aller à la fascinante « exploration » d'un réel toujours à conquérir. A l'âge des exploits de la science, la tentation explicative ne pouvait évidemment que séduire les penseurs et les écrivains qui cherchèrent dans la littérature le chemin d'une « objectivité » que le positivisme de Comte et le scientisme de ses successeurs avaient érigée en dogme. La critique et l'histoire seront les premiers domaines à s'ouvrir spontanément à cet esprit nouveau. Mais c'est bien sûr le genre romanesque, depuis les premières expériences théoriques de Champfleury jusqu'aux réussites naturalistes de Zola en passant par les étonnantes tentatives de Flaubert, qui donnera les meilleurs exemples du réalisme en littérature, même si ce seul mot ne suffit pas à rendre compte d'une multiplicité de recherches différentes et originales. La poésie elle-même n'échappera pas à cette tentation du réel et nous verrons que l'épisode du Parnasse, à défaut d'illustrer ce qu'aurait pu être un véritable réalisme poétique, s'inscrit, dans une certaine mesure, dans la perspective d'une soumission aux données d'un réel que l'on décrit ou explique sans jamais le remettre en cause. Or précisément, cette « observation » du réel, à tous les sens du terme, était contestable dès que l'on admettait que la réalité elle-même puisse être contestée. Aussi verra-t-on se lever, tout au long du demi-siècle, des hommes pour refuser ces contraintes des faits et de leur logique au nom d'une autre réalité, moins aisément saisissable et jamais en tout cas définissable. Baudelaire ainsi (qui écrira : « La poésie est ce qu'il y a de plus réel, c'est ce qui n'est complètement vrai que dans un autre monde... ») sera le premier à conduire la littérature sur les chemins de l'exploration fascinante et de l'expression difficile d'une nouvelle réalité : celle des profondeurs mystérieuses du Moi, du monde et de leurs langages que Rimbaud, Verlaine, ou Mallarmé continueront de parcourir après lui. Ainsi encore les romanciers fantastiques et « surnaturalistes » comme Barbey d'Aurevilly et Villiers de l'Isle-Adam, ou « décadents », comme Huysmans à la fin du siècle, arracheront-ils le roman à la sclérose qui le menaçait. C'est cette double et concurrente séduction d'un réel à décrire et à expliquer ou d'une autre réalité à atteindre et à explorer qu'il nous faut maintenant commenter, dans l'espace d'un des demi-siècles les plus riches de notre littérature. |
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