Essais littéraire |
Charles Nodier et son Cénacle. « Il se trouva, dit Nodier, quelques hommes très jeunes alors, A épars, inconnus l'un à l'autre, qui méditaient une poésie nouvelle. Chacun d'eux, dans le silence, avait senti sa mission dans son cour. Lorsqu'ils se virent mutuellement, ils marchèrent l'un vers l'autre, ils se reconnurent pour frères et se donnèrent la main. » Nul mieux que Nodier favorisa ces rencontres : on allait chez Victor Hugo, on allait chez Emile Deschamps, on alla surtout chez le bibliothécaire de l'Arsenal. Né à Besançon, Charles Nodier (1780-1844) a connu dans son enfance la Révolution, la Terreur : son père présidait le tribunal criminel de la ville. Cela le marqua : dans Histoire d'Hélène Gillet, un de ses contes, l'héroïne tue le bourreau; dans Smarra, le héros voit sa tête coupée rouler sur l'échafaud. Les chefs-d'ouvre de Charles Nodier sont en prose. Aux ouvres de début comme le Peintre de Salzbourg, les Méditations du cloître, 1803, les Tristes, les Proscrits (qui lui valurent la prison, puis l'exil à LjubljanA) succéderont celles où il donnera toute sa mesure : Jean Sbogar, 1818, Thérèse Aubert, 1819, Adèle, 1820, Lord Ruthwen, 1820, Smarra ou les démons de la nuit, 1821, Trilby ou le Lutin d'Argail, 1822. Bibliothécaire à l'Arsenal en 1823, recevant la jeunesse romantique surtout à partir de 1824, il restera fidèle à son univers romanesque et gagnera même en qualité et en originalité, si l'on en juge par la Fée aux miettes, 1832, Mademoiselle de Marsan, 1832, Trésor des fèves et fleur des pois, 1837, la Neuvaine de la Chandeleur, 1839, Histoire du chien de Brisquet, 1844. Journaliste, on le trouve notamment au Journal des Débats, puis à la très royaliste Quotidienne. Ses ouvrages historiques, comme le Dernier banquet des Girondins, 1844, sont de qualité moyenne. Son universalité se manifeste par des titres scientifiques : Dissertation sur l'usage des antennes dans les insectes, 1798, Bibliographie entomologique. 1801. Philologue, il est l'auteur d'un Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises, 1808, qui lui valut alors la place de secrétaire d'un philologue anglais de valeur, le chevalier Croit. Il a laissé également des Souvenirs. Son rôle en poésie est celui d'une sorte d'accoucheur du mouvement romantique. Ouvert à toutes choses, allant « d'engouement en engouement » (Sainte-Beuve le diT), vrai « sac à paradoxes » (selon Alexandre DumaS), ayant a l'incurie de sa richesse » (écrit LamartinE), cet aîné conseille, écoute, dirige, indique les voies de la nouvelle littérature. Sa maison est celle du bon Dieu; il se ruine à recevoir. « C'est la boutique romantique », dit Musset. Dans le grand salon de l'Arsenal ou dans la chambre de Mme Nodier, se réunissent des hommes de lettres, beaucoup d'artistes, surtout des peintres. On peut imaginer une discussion entre le maître de maison, Hugo et Guttinguer sur l'esthétique de Kant ou de Hegel, ou bien Nodier narrant quelque aventure fantastique. Vers dix heures, le soir, on joue à l'écarté, car Nodier adore cela; les jeunes gens et les jeunes filles dansent; on se quitte vers minuit. Il faut insister dans ce cadre sur un phénomène fécond et dynamique qui tend à se raréfier : les contacts entre artistes de disciplines différentes. Chez Nodier se croisaient les idées venues du monde entier, se rencontraient les gens les plus divers : philosophes, poètes, peintres, savants, musiciens. Charles Nodier, malgré son ouverture, ne trahit pas sa nature profonde. Conteur, il conte. Est-il fantastique? En fait, il tient pour vrai ce qu'il écrit. L'irréel est sa réalité. Malicieux, bonhomme, racontant sans se forcer, un peu vieillot dans son écriture, il ne dédaigne pas d'imiter les vampires de Cyprien Bérard ou de Byron, «le regarder vers chez Dorn Calmet, Lenglct-Dufresnoy, Lewis ou le Suisse Zschokke, mais pour donner du Nodier sans dédaigner au besoin quelque mystification. Ce qui étonne, c'est qu'il apparaisse comme l'esprit le plus « normal » qui soit. C'est un homme sensé, un bourgeois cultivé, un bibliophile amoureux des beaux livres, un lecteur de Montaigne, un éminent bibliothécaire, un encyclopédiste, un bon connaisseur du xvie siècle, et il se montre adepte d'entomologie, de botanique, de grammaire, de philologie, d'histoire. Et en écriture, c'est ïour à tour un satanique, un frénétique, un chimérique, un lunatique, un pèlerin de l'imaginaire, un mineur de fond à la recherche d'un psychisme intérieur, quelque peu scandalisé que l'humanité ne vive qu'à sa propre surface. Imaginons-le parmi ses in-folio. Il est grand, maigre, maladroit dans ses gestes, distrait; il fait penser au poète Jules Supervielle. Sa vérité profonde est de fuir la vérité commune, il invente, il affabule, il vit dans la fiction. S'il raconte sa jeunesse, il la réinvente. Quelque peu dédaigné par l'histoire littéraire, il mérite un regard appuyé, même s'il n'est pas du tout grand par ses poèmes. On comprend que Luc Decaunes, pour son anthologie des romantiques, ait préféré tirer des extraits de Smarra ou les démons de la nuit en prose plutôt que de la Napoléone, l'anti-épopée qui le fit dans son jeune âge passer pour fou, ou de ses Essais d'un jeune barde. Pour la curiosité, citons un extrait de son poème contre l'Empereur : En vain la crainte et la bassesse D'un culte adulateur ont bercé ton orgueil; Le tyran meurt, le charme cesse, La vérité s'arrête au pied de son cercueil. Debout, clans l'avenir la justice implacable Évoque ta gloire coupable Veuve de ses illusions. Les cris des opprimés tonnent sur ta poussière. Et ton nom est voué par la nature entière A la haine des nations. On préfère encore des Stances à Alfred de Musset même si elles imitent mal l'art léger de leur destinataire ou tel gentil Retour au village qui a des allures de chanson campagnarde. Un poème de sagesse dit sans art qu'il faut Cacher sa vie, un autre prône le Style naturel : En vain une muse fardée S'enlumine d'or et d'azur. Le naturel est bien plus sûr : Le mot doit mûrir sur l'idée, Et puis tomber comme un fruit mûr. Le meilleur est encore dans ses rimes franc-comtoises où, comme ses compatriotes contemporains, Aimé de Loy, Maximin Buchon, Edouard Grenier, il chante sans prétention sa province. Mais on préfère saluer ici un écrivain en prose plein d'imagination qui nous dit à la fin de Jean-François les bas bleus : « La vérité est inutile » et fait dire à sa Fée aux miettes : « Tout est vérité, tout est mensonge. » Charles Nodier, c'est le rêve éveillé en littérature. Un Werther carabin. Bibliothécaire, le fut aussi Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869) né à Boulogne-sur-mer au cour d'une famille bourgeoise normande et picarde. Écririons-nous une histoire de la critique littéraire qu'il y occuperait la plus grande place. Bien qu'il ne soit pas sans défaut, bien qu'il ait commis des erreurs, et souvent dans le domaine poétique, faisant de Béranger un génie comparable à Racine et méconnaissant Nerval, par exemple, en un mot, bien qu'il soit resté aveugle devant ses contemporains, réprimant mal de secrètes envies, on lui doit d'avoir aidé à l'éclosion du romantisme et d'avoir donné des fondements à la critique. Il est à son aise avec les écrivains du passé. Après tant d'oubli, il reconnaît, ce qui est aussi le cas de Nerval, la valeur de Ronsard. Son Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVI' siècle par ses redécouvertes modèle l'idée de la poésie et relie le jeune romantisme à la tradition nationale. Nous n'insisterons pas ici sur d'autres aspects de Sainte-Beuve : sa critique aux méthodes scientifiques qu'accompagne une vive curiosité des hommes l'amène à situer chacun dans son temps tout en le reliant aux grands mouvements de civilisation; ses titres : Chateaubriand et son groupe littéraire sous l'Empire, 1861, les séries de ses Portraits littéraires, de ses Causeries du Lundi, de ses Nouveaux Lundis, de Port-Royal, etc. Le critique est considérable, l'ouvre est immense et passionnante, qui ne le sait? Il n'est pas qu'un critique. On trouve en lui le romancier de Volupté, 1834, en avance sur son temps comme peut l'être l'Éducation sentimentale, et qui, de ce fait, désorienta la critique, et l'on peut ajouter le roman Arthur que son ami Ulric Guttinguer termina. Les amours poétiques du jeune Sainte-Beuve ont été René, les Méditations, Odes et ballades. Il a fréquenté le Cénacle, il a été jusqu'en 1834 l'ami de Victor Hugo (on connaît la fameuse liaison de Sainte-Beuve avec Mme Adèle HugO), il a lu les mémorialistes et les savants du siècle précédent, les idéologues qui l'ont formé, il s'est intéressé au saint-simonisme, au christianisme libéral de Lamennais, il a compris mieux que personne Pascal et le jansénisme. En bref, il a eu la plus intense et la plus féconde des vies intellectuelles. Le critique a effacé chez lui le poète. Mais si l'on se reprend à lire Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, 1829, ouïes Consolations, 1830, la surprise est plus qu'agréable. On le définissait alors comme un Werther carabin. En fait, il marquait une nette avance sur ses contemporains. Encore une fois, son ouvre fut incomprise. Aujourd'hui, elle reste mal connue. Notre anatomiste des âmes a quelque lourdeur, il reste entortillé, laborieux et froid, mais on peut distinguer des promesses d'avenir. Pour plus de liberté, par recul modeste en face d'une confession, peut-être par crainte du jugement public, Sainte-Beuve attribue son premier ouvrage poétique à un nommé Joseph Delorme, étudiant en médecine, mort de tuberculose avant la parution de son livre. Joseph Delorme (c'est-à-dire Sainte-BeuvE) appartenait, écrit-il, « à cette jeune école de poésie qu'André Chénier légua au xixe siècle, et dont Lamartine, Alfred de Vigny, Victor Hugo, Emile Deschamps et dix autres après eux, ont recueilli, décoré, agrandi le glorieux héritage ». Apparemment, Sainte-Beuve ressemble à ceux qu'il cite : le génie prédestiné au malheur est présent. Mais, si l'on creuse, on voit que le désespoir, moins outré qu'ailleurs, sonne plus vrai; que le rêve de la jeune fille idéale n'est pas conventionnel; que les traits qui apparaîtront dans l'Amaury de Volupté sont présents. Sainte-Beuve, malgré ses penchants au confort, à la bourgeoisie, n'est pas alors le critique replet que nous connaissons. Lamartine l'a dépeint « pâle, blond, frêle, sensible jusqu'à la maladie, poète jusqu'aux larmes, ayant une grande analogie avec Novalis en Allemagne » : voilà qui est inattendu. Sainte-Beuve est à ce point lucide que la meilleure critique analytique de sa poésie vient de lui-même. En effet, Joseph Delorme est ainsi présenté : « S'il a été sévère dans la forme et pour ainsi dire religieux dans la facture, s'il a exprimé au vif et d'un ton franc-quelques détails pittoresques ou domestiques jusqu'ici trop dédaignés, s'il a rajeuni ou refrappé quelques mots surannés ou de basse bourgeoisie, exclus, on ne sait pourquoi, du langage poétique... » Ces poèmes présentent différents aspects. Sainte-Beuve aime la difficulté vaincue, il joue avec les mètres variés, il déplace la césure, il cherche des rimes riches, parfois surprenantes. Les parnassiens pourront lire avec délectation ses Stances à la rime, véritables litanies voltigeantes : Ô Rime, qui que tu sois, Je reçois Ton joug; et longtemps rebelle, Corrigé, je te promets Désormais Une oreille plus fidèle. Mais aussi devant mes pas Ne fuis pas; Quand la Muse me dévore, Donne, donne par égard Un regard Au poète qui t'implore. « Il manque en plus d'un lieu le léger de la muse » reconnaît Sainte-Beuve lui-même. Un autre aspect est celui d'une poésie intime, populaire, relevée par l'art romantique. S'il s'adresse à Ma Muse, il exprime bien « des détails pittoresques et intimes auxquels ses aînés n'étaient pas descendus » : Avez-vous vu là-bas, dans un fond, la chaumine Sous l'arbre mort? Auprès, un ravin est creusé; Une fille en tout temps y lave un linge usé. Peut-être à votre vue elle a baissé la tête; Car, bien pauvre qu'elle est, sa naissance est honnête. Elle file, elle coud, et garde à la maison Un père vieux, aveugle et privé de raison. C'est là ma Muse, à moi, ma Muse pour toujours; Les nuits je la possède; elle s'enfuit les jours; De moi seul visitée, à tout autre inconnue, Ô chaste Muse, ô sour chaque soir bienvenue, Hâte-toi, la nuit tombe et ton vieux père dort. Ne trouve-t-on pas ici une direction toute prête pour François Coppée se recueillant devant les humbles? Mais Baudelaire saura comprendre ce regard sur les vies modestes et les souffrances cachées « dans les plis sinueux des vieilles capitales » qui est aussi celui de Hugo et reste à l'honneur du romantisme. Les poètes lakistes lui ont apporté de leur inspiration, témoin ce Sonnet imité de Wordsworth : Je ne suis pas de ceux pour qui les causeries, Au coin du feu, l'hiver, ont de grandes douceurs; Car j'ai pour tous voisins d'intrépides chasseurs Rêvant de chiens dressés, de meutes aguerries, Et des fermiers causant jachères et prairies, Et le juge de paix avec ses vieilles sours, Deux revêches beautés parlant de ravisseurs. Portraits comme on en voit dans les tapisseries. Oh! combien je préfère à ce caquet si vain, Tout le soir, du silence, - un silence sans fin; Être assis sans penser, sans désir, sans mémoire; Et, seul, sur mes chenets, m'éclairant aux tisons, Écouter le vent battre, et gémir les cloisons, Et le fagot flamber, et chanter ma bouilloire! Il sait être aussi plus musical et plus langoureux, comme dans ce poème A Alfred de Musset qui convient bien à son destinataire : Les flambeaux pâlissaient, le bal allait finir. Et les mères disaient qu'il fallait s'en venir; Et l'on dansait toujours, et l'heure enchanteresse S'envolait : la fatigue aiguillonnait l'ivresse. Oh! quel délire alors! Plus d'un pâle bouquet Glisse d'un sein de vierge et jonche le parquet. Une molle sueur embrase chaque joue; Aux fronts voluptueux le bandeau se dénoue Et retombe en désordre, et les yeux en langueur Laissent lire aux amants les tendresses du cour. Et le lyrisme romantique s'épanouit dans le poème le Calme, ce calme que l'austère critique aimera retrouver pour ses études : Souvent un grand désir de choses inconnues, D'enlever mon essor aussi haut que les nues, De ressaisir dans l'air des sons évanouis, D'entendre, de chanter mille chants inouïs, Me prend à mon réveil; et voilà ma pensée Qui, soudain rejetant l'étude commencée, Et du grave travail, la veille interrompu, Détournant le regard comme un enfant repu. Caresse avec transport sa belle fantaisie Et veut partir, voguer en pleine poésie. Encore un aspect frappant chez Sainte-Beuve, celui du bizarre poème le Suicide (ce suicide qui hantera les romantiques comme plus tard les surréalisteS), et surtout cette symphonie de couleur : les Rayons jaunes, poème où tout est jaune. Mal tourné, mal agencé, traduisant l'amateurisme, il intéresse par son souci des correspondances : Et les jaunes rayons que le couchant ramène, Plus jaunes ce soir-là que pendant la semaine Teignent mon rideau blanc. J'aime à les voir percer vitres et jalousie : Chaque oblique rayon trace à ma fantaisie Un flot d'atomes d'or, Puis, m'arrivant dans l'âme à travers la prunelle, Ils redorent aussi mille pensées en elle, Mille atomes encor. La lampe brûlait jaune, et jaune aussi les cierges; Et la lueur glissant aux fronts voilés des vierges Jaunissait leur blancheur; Et le prêtre, vêtu de son étole blanche, Courbait un Iront jauni, comme un épi qui penche Sous la làux du faucheur. Un autre recueil, les Consolations, 1830, est dédié à Victor Hugo. Là, on trouve encore des imitations anglaises : tout est mélancolique, fatal, byronien, à la mode. Le sévère critique s'en moquera plus tard. Les Pensées d'août, 1837, témoignent encore de cette poésie familière et intime que Sainte-Beuve a cultivée. On trouvera, en glanant bien, à côté de lourdeurs prosaïques, de beaux vers qui paraissent donnés par les dieux et qu'on pourrait attribuer à des poètes symbolistes : J'étais un arbre en fleur où chantait ma jeunesse. Et larges sur les fleurs quelques gouttes de pluie En faisaient mieux monter 1 odeur épanouie. En bas le lac limpide, où nagent sans frisson Les blancs sommets tout peints d'un bleu de porcelaine. Devant ces pics rosés de neige et d'argent fin, Devant ce lac qui luit comme un dos de dauphin... La muse couturière du poète réaliste s'est retrouvée parfois chez Nerval, souvent chez Baudelaire, Verlaine, Laforgue, Coppée qui ne l'ont pas dédaignée. Sainte-Beuve a aussi le mérite d'avoir remis le sonnet en vogue et l'on sait combien au xixe siècle les plus grands y excelleront. Sa poésie d'analyse sentimentale n'est pas si éloignée du symbolisme ni ses jeux de rime à la mode de la pléiade du pâmasse. Théodore de Banville a porté un jugement favorable : « Avant le grand poète Charles Baudelaire, et comme lui, Sainte-Beuve, rompant avec la psychologie de convention, regarda en nous et en lui-même, et traduisit en vers durables une souffrance nouvelle, un héroïsme nouveau : il connut et peignit poétiquement l'homme du XIXe siècle. » Pour résumer, on peut dire qu'il existe un Sainte-Beuve lyrique et romantique, un Sainte-Beuve déjà parnassien, ami des acrobaties, un Sainte-Beuve présymboliste chantant avec musicalité. En un temps où Lamartine, Hugo, Vigny, Musset, se montraient incomparables, avec des moyens infiniment plus précaires, des défauts nombreux (il est pesant, maladroit, embarrassé, prosaïque, il dirige mal certaines recherches de versificatioN), il a su pourtant trouver une voie personnelle, capable d'influencer Baudelaire et de provoquer une réaction anti-hugolienne. Chez lui, la réflexion prend le pas sur l'inspiration; il aime les nuances, mais peine lorsqu'il veut les faire saisir; il manque de spontanéité et le souci de la forme lui nuit; il se surveille trop pour aller jusqu'au bout de singularités intéressantes, certes, mais rendons-lui justice qu'il sait parfois étonner, et que, d'avant-garde au cour d'une avant-garde s'épanouissant, parce que libre, il montre la direction d'un avenir où, dans la deuxième partie du siècle, d'autres triompheront. Les Frères Deschamps. Ils sont des romantiques de la première heure, ces deux frères, Emile (1791-1871) et Antony Deschamps (1800-1869) °lu> méritent bien quelque lumière. Emile, comme son frère membre actif du Cénacle, a combattu par la plume dans la Muse française où il écrivait sous un pseudonyme, « le Jeune Moraliste ». Il a donné des comédies en vers, il a traduit Roméo et Juliette, Macbeth, le Romancero du Cid, il a adapté Schiller et Goethe, mais ses recueils de vers : Études françaises et étrangères, 1828, Poésies complètes, 1842, sont de valeur moyenne. Il a participé au grand combat et l'a poursuivi par des escarmouches, répondant aux demandes de conseils, dispersant des leçons poétiques, glissant des vers dans des albums, se dépensant avec un esprit vif et un talent souple, mais peu original, en romances, en sonnets, en poèmes de circonstance, chantant gentiment l'Eté de la Saint-Martin ou s'adressant A une mère qui pleure, écrivant à un jeune poète ceci : La poésie, hélas! n'est rien par elle-même, Tant que d'un cour touché de la grâce suprême Elle n éveille point le sympathique amour; C'est Galatée ouvrant ses yeux de marbre au jour : Pour qu'elle vive, il faut qu'on l'aime! Car cet homme, esprit ingénieux, bon connaisseur de la littérature allemande, tournant bien une critique et rimant bien une ballade est un acteur et un témoin de son siècle. Sur le tard, il publia des Contes physiologiques. Il faut lui rendre cette justice d'avoir aidé beaucoup de jeunes en son temps. Certains même se disaient ses disciples. Pourquoi ne pas en citer quelques-uns, même s'ils ne peuvent figurer que parmi les poètes très mineurs? L'un d'eux, Alexandre Cosnard (né en 1802) ne lait que chanter ses deuils familiaux à moins que ce ne soient les petites fleurs bleues qui vont mourir. Il n'est pas sans qualité, mais le ton romantique relève difficilement sa mièvrerie. D'un autre, Armand Renaud (né en 1836), Sainte-Beuve a dit : « Disciple sérieux d'un des plus gracieux poètes de notre ancienne jeunesse, d'Emile Deschamps, et, comme lui, rompu à l'art, maître achevé du rythme, M. Armand Renaud en est arrivé, de recherche en caprice, et après avoir épuisé la coupe, à des accents vraiment passionnés et profonds. » Cependant, on ne trouve dans ses Poésies de l'amour, 1862, ou ses Pensées tristes, 1865, rien de bien personnel. De même, à l'école des frères Deschamps, Paul Juillerat (né en 1815), rimeur habile dans les Soirs d'Octobre, ne mérite pas qu'Emmanuel des Essarts le dise « artiste achevé, conquérant et dompteur de la forme asservie », mais on sait que les éloges vont vite sous la plume des critiques du vivant des auteurs. Parmi les cadets aidés par Emile Deschamps, citons Achille Mil-lien (né en 1839), poète agreste imprégné des chants de la Bretagne, du Nord, de la Grèce, empruntant aux poésies populaires, mais arrivant bien tard et ne faisant que ressasser Lamartine, citons encore Eugène Bazin (né en 1817), honnête lamartinien, mais qui a parfois des accents vigoureux : Place! à toi, D'Aubigné! sonne, sonne, clairon! Non pas pour éveiller nos discordes civiles; Mais pour nous arracher à nos passions viles; A notre pauvre temps où les hommes, au lieu De dévouement, de foi, n'ont plus que l'or pour Dieu! Et citons enfin Prosper Delamare (né en 1810) qui chante à son tour une jeune poitrinaire et une fleur avec des accents angéliques sans faire oublier qu'il a lu Poe, Hoffmann ou Hawthorne. Ainsi, Emile Deschamps, jusqu'à la fin de sa vie, riche de son passé littéraire, eut une escorte déjeunes qui l'admiraient. Le temps a passé sur tout cela et fait oublier maître et disciples. L'autre Deschamps, Antony, est plus intéressant que son aîné. Il y a dans les vers de cet homme qui mourut fou, traducteur en vers de l'Enfer de Dante, un ton inquiet, étrange, avec des passages puissants. Conscient de son mal, comme Nerval, et avant lui, il a su observer, entre deux crises, son état mental. Vivant dans cet univers obscur, il en sortait parfois pour écrire des Italiennes où la couleur locale s'imprègne d'une sorte de symbolisme musical. Ses Dernières paroles, 1835, ou sa Résignation, 1839, chantent ses deux ennemis : L'un s'appelle la Mort, et l'autre la Folie. Il se rapproche, dans sa mélancolie, de Lenau comme de Gérard de Nerval, mais tandis que ce dernier luttait par sa fantaisie, Antony Deschamps, métaphysicien, s'enfonçait dans une tristesse morne, obsédé par l'Enfer comme Nerval le fut par Faust. Étincelles sur le pavé Lorsque, en 1830, Auguste Barbier (1805-1882) publia avec Alphonse Royer un roman historique, les Mauvais garçons, dissimulant une vive satire sociale, le livre fut remarqué, sans plus. On aimait alors que la protestation prît la voix de la poésie. Lorsque, au lendemain de la révolution de Juillet, parurent dans la Revue des Deux-Mondes des ïambes façon Chénier comme l'Idole ou la Curée, on vit des étincelles jaillir sous les sabots d'une cavale fougueuse. En ces temps élégiaques, lire le Lion, Quatre-vingt-treize, l'Émeute, c'était recevoir du nerf, de la vigueur. De plus, le souffle de Barbier ne s'interrompait pas au cours du poème. Nerveux, pressé, fringant, haletant, il bouleversait un univers de clichés politiques, pourfendait, brisait les icônes des idolâtres de l'Empereur ou du nouveau régime. Le rythme était rapide, enlevé, de la poésie de cavalier chargeant : Ô Corse à cheveux plats! que ta France était belle Au grand soleil de messidor! C'était une cavale indomptable et rebelle, Sans frein d'acier ni rênes d'or; Une jument sauvage à la croupe rustique, Fumante encor du sang des rois, Mais fière, et d'un pied fort heurtant le sol antique, Libre pour la première fois. L'émotion dura longtemps. Or, si on lit bien, si on ne se limite pas à quelques vers, derrière l'éloquence, le cliché fleurit, le bavardage apparaît, et ces défauts qui subsistent de l'époque néoclassique. La lecture des ïambes, ce passage constant de l'alexandrin à l'octosyllabe, finit par lasser l'oreille et le regard. On a comparé avantageusement ces poèmes aux Tragiques ou aux Châtiments, y découvrant les plus beaux accents de la satire et de l'invective. Si l'on reconnaît qu'il y a là un chant de la colère brûlé de fièvre, de soleil et de poudre, un mouvement bien enlevé, il faut faire un effort et se reporter au temps de la publication pour comprendre l'endiousiasme soulevé par ces ïambes aux passages verbeux et pompiers. Et pourtant, Baudelaire : « Chez Auguste Barbier, naturellement poète, et grand poète, le souci perpétuel et exclusif d'exprimer des pensées honnêtes et utiles a amené peu à peu un léger mépris de la correction, du poli et du fini, qui suffirait à lui seul pour constituer une décadence. » Sainte-Beuve accentue ce « oui mais... » : « Il a du talent, mais il ne domine pas ce talent; il y va sans direction et en tâtonnant, il ne sait plus bientôt où il en est, il s'y noie presque, comme un homme qui voudrait marcher dans l'eau en y étant jusqu'au menton. » Et le critique ajoute cette formule que nous faisons nôtre : « C'est un poète de hasard. » Après tant de succès, il y eut une retombée. Les autres recueils : // Pianto, 1833, Lazare, 1837, Nouvelles satires, Chants civils et religieux, 1841, Rimes héroïques, 1843, Sylves, 1865, furent dédaignés. On assura même qu'il n'était que le prête-nom de Brizeux, le poète de Marie que nous rencontrerons. Après un excès d'honneur, il ne méritait pas cette indignité. On trouve une veine humanitaire qui le rapproche de Vigny, de Laprade et d'autres poètes épris de ces mots à majuscule, le Bien, le Beau, le Vrai, mais une pensée banale ne rehausse pas une poésie de bon aloi. Pourtant, ça et là, loin de la verve bourbeuse et des déclamations débraillées, dans il Pianto, un sonnet bien façonné comme les aimeront ces messieurs du parnasse, Michel-Ange : Que ton visage est triste et ton front amaigri, Sublime Michel-Ange, ô vieux tailleur de pierre! Nulle larme jamais n'a mouillé ta paupière; Comme Dante, on dirait que tu n'as jamais ri. Hélas! d'un lait trop fort la Muse t'a nourri, L'art fut ton seul amour et prit ta vie entière; Soixante ans tu courus une triple carrière, Sans reposer ton coeur sur un cour attendri. Pauvre Buonarotti! ton seul bonheur au monde Fut d'imprimer au marbre une grandeur profonde. Et, puissant comme Dieu, d'effrayer comme lui : Ainsi, quand tu parvins à ta saison dernière. Vieux lion fatigué, sous ta blanche crinière, Tu mourus longuement plein de gloire et d'ennui. Un Breton : Auguste Brizeux. Ami d'Auguste Barbier (un voyage qu'il fit avec lui inspira le recueil la Fleur d'or, en 1841), Auguste -Julien-Pelage Brizeux (1803-1858) a publié encore des vers pour l'anniversaire de Racine, une épopée, les Bretons, 1843, Histoires poétiques, 1850, des chants en langue bretonne, Télen Armor tla Harpe armoricainE), une Histoire des Indo-Armoricains, 1854, une traduction en prose de la Divine Comédie, 1841, mais, pour tous, il est resté surtout le poète de Marie, 1831 à 1840. Là, il unit les Géorgiques de Virgile aujocelyn de Lamartine transportés en terre bretonne, avec un ton qui n'appartient qu'à lui, ce poète vrai et infiniment sympathique. Sait-on que son nom vient de Briseuk qui veut dire Breton en langue celte? Il est le chantre de sa terre, bien avant que Mistral ne chante la sienne; il est aussi, par-delà le clocher, celui qui a apporté au romantisme une nouvelle douceur, et à la poésie ce ton familier, intime, né de l'amour du terroir et du foyer où tant de disciples inavoués s'épuiseront sans faire aussi bien que lui. Aujourd'hui, on en ferait un poète écologicue. Marie est une idylle mélancolique, pleine d'effusion, limpide, rustique et gracieuse, loin des gentilles afféteries d'un Florian. Brizeux a le sens du paysage natal : Ô maison du Moustoir! combien de fois la nuit, Ou lorsque sur le port j'erre parmi le bruit, Tu m'apparais! Je vois les toits de ton village Baignés à l'horizon en des mers de feuillage, Une grêle fumée au-dessus, dans un champ, Une Femme de loin appelant son enfant, Ou bien un jeune pâtre, assis près de sa vache, Qui, tandis qu'indolente elle paît à l'attache, Entonne un air breton, un air breton si doux, Qu'en le chantant ma voix vous ferait pleurer tous. Et du fier passé de son pays dont retentissent les noms et les images : Du bois de Ker-Mélô jusqu'au moulin du Teir, J'ai passé tout le jour sur le bord de la mer, Respirant sous les pins leur odeur de résine, Poussant devant mes pieds leur feuille lisse et fine, Et d'instants en instants, par-dessus Saint-Michel, Lorsqu'éclatait le bruit de la barre d'Enn-Tell, M'arrêtant pour entendre : au milieu des bruyères, Carnac m'apparaissait avec toutes ses pierres, Et parmi les menhirs erraient comme autrefois Les vieux guerriers des clans, leurs prêtres et leurs rois. Il sait dire A la Bretagne un amour farouche et exclusif : Ô landes! ô forêts! pierres sombres et hautes, Bois qui couvrez nos champs, mers qui battez nos côtes. Villages où les morts errent avec les vents, Bretagne! d'où te vient l'amour de tes enfants? Des villes d'Italie, où j'osais, jeune et svelte, Parmi ces hommes bruns montrer l'oil bleu d'un Celte, J'arrivai, plein des feux de leur volcan sacré, Mûri par leur soleil, de leurs arts enivré; Mais dès que je sentis, ô ma terre natale, L'odeur qui des genêts et des landes s'exhale, Lorsque je vis le flux et le reflux de la mer, Et les tristes sapins se balancer dans l'air : Adieu les orangers, les marbres de Carrare! Mon instinct l'emporta, je redevins Barbare, Et j'oubliai les noms des antiques héros Pour chanter les combats des loups et des taureaux. Ce poème est extrait des Bretons, son épopée, et pourquoi ne pas dire que dans les années 1930, un chanteur corse comparera lui aussi « Venise et Bretagne »? Il existe aussi, sans cesse, dans Marie, un Brizeux élégiaque qui apporte une douceur champêtre. Ainsi, dans le Convoi de Louise, morte « à sa quinzième année », il apporte un ton qu'on ne trouve dans aucune mort de jeune fille romantique : Le convoi descendit au lever de l'aurore. Avec toute sa pompe d'avril venait d'édore, Et couvrait en passant d'une neige de fleurs Ce cercueil virginal et le baignait de pleurs; L'aubépine avait pris sa robe rose et blanche; Un bourgeon étoile tremblait à chaque branche; Ce n'étaient que parfums et concerts infinis; Tous les oiseaux chantaient sur le bord de leurs nids. Brizeux ne cesse de chanter son enfance en montrant des personnages vrais : sa mère, 1' « humble et bon vieux curé d'Arzannô », les gens de la paroisse, sans que rien de faux, d'amélioré, de convenu ou d'artificiel n'apparaisse. Sans gros réalisme outré, sans naturalisme voulu, sans abus de couleur locale, sans préciosité non plus, le paysage breton, les pauvres gens ressemblent à la vie. Si nous sommes loins des hauteurs de Lamartine, de Hugo, de Musset, de Vigny, cette poésie rustique apporte un parfum incomparable. Cette simplicité n'est pas sans art. Ce rêveur a médité, s'est appliqué à connaître toutes questions de littérature. Romantique rattaché à ses amis de 1830, il a aussi des goûts classiques qui le rapprochent de La Fontaine. Ce qui triomphe, c'est la franchise de sa nature, ce sont les caractéristiques bretonnes qu'on trouve tout au long de l'histoire de cette poésie si particulière sur le sol français. Ajoutons que les pièces en breton qu'a écrites le poète des landes, des chênes et du granit ont mérité de devenir populaires. Sa poésie a su prêter à bien des lieux communs, car on ne s'est souvent fié qu'aux idées vagues qu'inspirent les apparences, mais j'assure qu'une bonne lecture les détruit bien vite. On a pu l'exiler de bien des panoramas, ce poète loin de Paris. Brizeux qui chanta la petite Marie de son adolescence, qui regarda vers l'Italie et qui n'a jamais écrit un mauvais poème, est un des poètes originaux de son temps. Joséphin Soulary, sonnetiste lyonnais. Ceux qui ont lu dans la collection Lemerre les Ouvres complètes de Joséphin Soulary (1815-1891) ont peut-être le souvenir de la préface où Sainte-Beuve saluait ainsi : «J'ai quelque droit sur le sonnet, étant des premiers qui aient tenté de le remettre à l'honneur, vers 1828; aussi je ne sais si je mets de l'amour-propre à goûter cette forme étroite et curieuse de la pensée poétique, mais je sais bien (et je crois l'avoir écriT) que j'irais à Rome à pied pour avoir fait quelques sonnets de Pétrarque, et maintenant j'ajoute : - quelques sonnets de Soulary. » Ayant découvert le sonnet, Soulary s'y tint et publia sans cesse des recueils : Sonnets humoristiques, 1858, les Figurines, 1862, les Diables bleus, 1870, etc. Il en est de sérieux, de gais, de tristes, d'amusants; on en trouve qui décrivent, qui narrent, qui s'attristent dans l'élégie, qui satirisent; certains rappellent les poètes galants du xvne siècle; les vers sont jolis plutôt que beaux. Mais Soulary a raison de s'en tenir aux quatorze vers d'un sonnet, car dès qu'il emploie une autre forme, il s'essouffle, ce coureur de petites distances. Le drame pour lui, c'est que la quantité ne le sauve pas. Ses contemporains ont fait mieux dans tous les genres qu'il a choisis. Pourtant, on doit avouer ne pas s'ennuyer en lisant ses recueils cjui se sauvent par la diversité, les tours de force, les bonnes idées pour un sonnet avec le quatorzième vers qui affirme le trait - mais non point, comme chez Baudelaire par exemple, le prolongement et l'envolée. Un exemple de l'art de Soulary dans les Deux cortèges : Deux cortèges se sont rencontrés à l'église. L'un est morne : - il conduit le cercueil d'un enfant; Une femme le suit, presque folle, étouffant Dans sa poitrine en feu le sanglot qui la brise. L'autre, c'est un baptême : - au bras qui le défend Un nourrisson gazouille une note indécise; Sa mère, lui tendant le doux sein qu'il épuise. L'embrasse tout entier d'un regard triomphant! On baptise, on absout, et le temple se vide. Les deux femmes alors, se croisant sous l'abside, Échangent un coup d'oil aussitôt détourné. Et - merveilleux retour qu'inspire la prière - La jeune mère pleure en regardant la bière, La femme qui pleurait sourit au nouveau-ne! Cela donne la mesure du talent de Soulary qui, ne se rendant nullement compte de sa pauvreté intellectuelle, se croyait l'égal de Ronsard, le supérieur de Heredia - car son emploi d'une forme fixe le fit assimiler au parnasse. Un Autre Lyonnais : Victor de Laprade. Professeur aux universités lyonnaises, Victor de Laprade (1812-1883) est d'un niveau de pensée bien plus relevé. Vivant à Lyon, au pays de Maurice Scève et de Louise Labé, il est en fait né dans le Forez d'Honoré d'Urfé, à Montbrison. C'est un lamartinien convaincu, un poète idéaliste faisant grand cas de la valeur éducative et morale de son art, se disant « platonicien » égaré dans son siècle. Ses vers sont imprégnés de spiritualisme. Il a beaucoup écrit, ce poète-penseur à la gravité digne de Vigny, apprécié par le poète des Méditations, mais méprisé par Musset ou Barbey d'Aurevilly qui parle de « poésie de glacier ». Aujourd'hui, on en ferait un raseur. Si l'on y regarde de près, on lui concède d'avoir le sentiment de la nature. Si l'on approfondit, on trouve auprès de l'esprit distingué un homme sincère et épris de sa recherche. Après avoir publié les Parfums de la Madeleine (où il y a du Klopstock et du LamartinE), 1830, la Colère de Jésus, 1840, sa Psyché est ce qu'il a fait de mieux. Cette légende spiritualiste est une interprétation de l'hellénisme fort édifiante : l'union de Psyché et d'Éros, de l'homme avec Dieu, est nécessaire pour compléter l'être et le bonheur infini est engendré par l'union de l'âme et de l'idéal, par le retour de l'humanité au sein de Dieu. Voici un extrait de cette Psyché dont on voit les accents préraphaélites et symbolistes : Entre les fleurs, Psyché, dormant au bord de l'eau, S'anime, ouvre les yeux à ce monde nouveau, Et, baigné des vapeurs d'un sommeil qui s'achève, Son regard luit pourtant, comme après un doux rêve; La terre avec amour porte la blonde enfant; Des rameaux par la brise agités doucement Le murmure et l'odeur s'épanchent sur sa couche. Le jour pose, en naissant, un rayon sur sa bouche : D'une main supportant son corps demi-penché, Rejetant de son Iront ses longs cheveux, Psyché Écarte l'herbe haute et les fleurs autour d'elle, Respire, sent la vie, et voit la terre belle, Et blanche, se dressant dans sa robe à longs plis, Hors du gazon touffu monte comme un grand lys. Ses Odes et poèmes, 1844, moins ambitieux, moins érudits, sont plus libres. Le poète est hanté par la nature, par l'arbre surtout. De même, dans ses Poèmes évangéliques, 1851, dans les Symphonies, 1855, il fait parler les paysages sur un ton hautain et monotone. Citons encore les Idylles héroïques, Frantz, Rosa mystica, Herman, 1858. Partout, il veut enseigner aux jeunes « la beauté de la vertu et des victoires morales ». Cette gravité noble est aujourd'hui bien insupportable. Un autre aspect de Laprade est qu'il fut l'ennemi de l'Empire. Il juge les événements au fil de sa méditation poétique dans des Poèmes civiques, de 1850 à 1872, et fait de la satire académique dans Tribuns et courtisans. Un poème de 1861, les Muses d'État, s'en prend particulièrement à Sainte-Beuve traité d' « ignoble bonapartiste » et de « Père Duchesne de la police ». On peut s'arrêter à un poème rustique, Pernelte, 1868, bien inférieur à la Marie de Brizeux, mais le Livre d'un père, effusion familiale, nouveau témoignage d'une pensée élevée, bien que retrouvant une certaine simplicité vraie, est d'un ennui achevé. Connus pour un seul sonnet. Un camarade d'Alfred de Musset (« un sosie » dit Roger de BeauvoiR) et d'Alfred Tattet, c'est-à-dire un des jeunes « lions » de l'époque, auteur de théâtre et dandy, Félix Arvers (1806-1850) fit un joui pour Marie Nodier un sonnet pétrarquisant qu'il reprit dans un recueil réunissant poèmes et théâtre en vers sous le titre Mes heures perdues. Intitulé Un Secret, ce sonnet plus connu sous la dénomination du « sonnet d'Arvers » comme on disait « le sonnet de Christophe Plantin » fut le sujet d'un engouement sans pareil et dont on parle encore aujourd'hui chez les nostalgiques d'une culture de salon. Pendant des lustres, on le déclama en société au même titre que le Lac de Lamartine. Mérimée en témoigne qui écrit à Sainte-Beuve : « Il m'a fallu avaler ces deux pilules trois fois en une semaine. » Cet objet de consommation qui toucha tant d'âmes peut rester comme un témoignage de la sensibilité amoureuse ou de la sensiblerie d'époque. Pourquoi ne pas le citer? Mon âme a son secret, ma vie a son mystère : Un amour éternel en un moment conçu, Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire, Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su. Hélas! j'aurai passé près d'elle inaperçu, Toujours à ses côtés, et pourtant soiitaire; Et j aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre, N'osant rien demander, et n'ayant rien reçu. Pour elle, quoique Dieu l'ait laite douce et tendre, Elle suit son chemin distraite et sans entendre Ce murmure d'amour élevé sur ses pas. A l'austère devoir pieusement fidèle Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle : « Quelle est donc cette femme? » et ne comprendra pas. Cette adaptation bourgeoise et très xix' siècle du pétrarquisme des amoureux transis, en fait sonnet bien quelconque, a fait l'objet d'une foule d'imitations et les Marc Monnier, Jean Lahor, Maurice de Féraudy, Edmond Haraucourt, Eugène Manuel, Jean Goudezki (Sonnet d'art verT) pour n'en citer qu'une demi-douzaine parmi cent et cent s'en inspirèrent ou pastichèrent gaiement en jouant des bouts-rimés. Pour arracher Arvers à cette malédiction, nous avons cherché vainement une ouvre supérieure, mais nous restons toujours dans le même genre, témoin ces derniers vers d'un autre Sonnet : Le ciel m'a donné plus que je n'osais prétendre : L'amitié, par le temps, a pris un nom plus tendre, Et l'amour arriva, qu on ne l'attendait plus. A tout prendre, le comte Jules de Rességuier (1789-1862), main-teneur des Jeux Floraux de Toulouse, un des fondateurs avec Hugo et Saint-Valry de la Muse française, aristocrate, soldat, rimeur, connu lui aussi par un sonnet tant de fois cité, est plus intéressant. Son sonnet à lui a l'originalité d'être monosyllabique : Fort Sort Rose Brise Belle, Frêle Close, L'a Elle Quelle La Prise. Dort. Mort. Mais il fit d'autres poèmes, des Tableaux poétiques, 1829, des Prismes poétiques, 1838, des Dernières poésies, 1864. Il est tantôt léger, tantôt touchant, tantôt humanitaire quand il jette un appel aux ouvriers chrétiens sous le titre le Chemin du ciel, en vers. Il a chanté Toulouse, il a dit ses regrets du temps passé en avouant « Je ne vis plus, car je ne souffre pas », il s'est dit « déjà créduie en mon berceau », il a annoncé à ses enfants « Je me crois votre frère », il a écouté chanter les bouleaux, et ses vers sont jolis et bien tournés, gentiment intimistes. De petits airs comme la Bouquetière sont prêts pour la musique : Je vends anémone, Jacinthe, lilas; Mon cour, je le donne Et ne le vends pas. Encore quelques médaillons romantiques. Ulric Guttinguer (1785-1866), Rouennais, fut du Cénacle, de la Muse française, des bonnes batailles. Nous avons parlé d'Arthur, ce roman qu'il fit avec Sainte-Beuve. Cet aîné du romantisme a aussi écrit des vers convenables, des élégies, des romances surtout et quelques poèmes d'album. Sans grande influence, il fut apprécié en son temps comme un homme du monde fort courtois à qui ses contemporains dédiaient des vers, comme Musset par exemple dans ses Contes d'Espagne : Ulric, nul oil des mers n'a mesuré l'abîme... Il n'osait publier ses vers et il reçut d'Henri de Latouche à qui il demandait conseil ce vers excédé et prosaïque : « Publiez-les vos vers, et qu'on n'en parle plus. » Ce furent les Mélanges poétiques, 1824, le Bal, suivi de Poésies, 1834, les Deux âges du poète, 1844. Il nous dit Embarquez-vous : Embarquez-vous, qu'on se dépêche, La nacelle est dans les roseaux; Le ciel est pur, la brise est fraîche, L'onde réfléchit les ormeaux, Le dieu de ces riants rivages, Le tendre Amour veille sur nous. Jeunes et vieux, folles et sages, Embarquez-vous. Et après cela très XVIIIe, ce poème A toi plus romantique : A toi ma voix, mes chants, mon regard et ma lyre. Les désirs de la nuit, les songes du sommeil, Les rêves de mon cour et mon triste sourire A l'heure du réveil. A toi ce long regret dont m'accable l'absence, Ce chagrin renaissant de ne jamais se voir; A toi ce doux transport lorsque de ta présence Je ressaisis l'espoir. A toi ma solitude et le monde et ses fêtes; C'est par ton souvenir que ces biens me sont doux; A toi le sombre éclair des fureurs inquiètes Et du soupçon jaloux. Il trouva sa retraite à Rouen, s'occupant des Palinods comme Rességuier s'occupait des Jeux Floraux, en gardant des relations épistolaires avec les amis qui réussissaient à Paris. Un des fondateurs de la Muse française, Adolphe Souillard de Saint-Valry (1796-1867) fut avec Rességuier, Vigny, Gaspard de Pons, Soumet, puis Hugo, du groupe des romantiques légitimistes. Il a publié en recueil ces poèmes : les Ruines de Monfort-L'Amaury, 1826, les Fleurs, 1829, Fragments poétiques, 1833. Chez lui l'éloquence se déploie en lourds bataillons d'alexandrins. Dans un poème adressé à Jules de Rességuier, il dépeint ses contemporains : Voyez comme la muse, aux chants de Lamartine, Se révèle, et trahit sa céleste origine. Comme un aigle qui prend son orgueilleux essor. Celui que nous nommions jadis notre Victor Aime à planer longtemps dans les hautes pensées; Puis, quand son aile est lasse, en rimes cadencées Il descend mollement, tel qu'un cygne argenté, Se mirer dans les eaux d'un beau lac enchanté, Réunissant ainsi, par un accord bien rare, La grâce de Virgile et l'élan de Pindare. De Vigny, grave et doux, d'un oil mélancolique Cherche à tout sa raison et son sens symbolique; Et la philosophie et l'art, céleste hymen! Habitent sous son toit, en se donnant la main. Disciple de Ronsard, le naïf Sainte-Beuve En des champs oubliés ouvrit sa route neuve; Ce fut lui dont la muse, à nos foyers bourgeois, Mit des pénates d'or pour la première fois, Et qui d humbles sujets força la poésie A tirer, sans rougir, sa divine ambroisie! Tout autre est ta manière à toi, à toi Rességuier! La pourpre comme un roi t'enveloppe en entier. Comme Vigny et Rességuier poète et soldat, le comte Gaspard de Pons ( 1798-1860), d'Avallon, put se distraire de la vie de caserne en écrivant des vers qu'il échangeait avec Victor Hugo, son cadet de quatre ans. Ses poèmes ont des titres curieux : le Congrès d'Aix-la-Chapelle, ode, ou Constante et discrète, poème en quatre chants. Son mince essor : Inspirations poétiques, 1825. En 1830, ce militaire quitta le 7e léger. Plus tard, il publia un choix de poèmes sous le titre parlant à'Adieux poétiques que complétait un Fatras rimé bien intitulé. Cet oublié, poète secondaire, a parfois des colères pré-baudelairiennes comme dans sa Prière d'un damné, chargée d'imprécations et blasphématoire, mais dans l'Infini, apparaît un romantisme apaisé : Que m'importe le temps? que m'importe le monde? Je parle à l'infini; que lui seul me réponde! Le fils du savant, Jean-Jacques Ampère (1800-1864) hérita du goût de la recherche, comme de celui de la poésie chers à son illustre père. De plus, il fut un infatigable voyageur, parcourant l'Europe, l'Amérique, l'Afrique, s'arrêtant surtout en Italie pour ranimer en historien les cendres de la Rome antique tout en étant le tendre chevalier servant de son aînée de tant d'années, la séduisante Mme Récamier dans son âge mûr. Ses fréquentations furent de qualité : Chateaubriand, Goethe, Mérimée. Erudit, il se fit remarquer par des essais sur la littérature d'avant le XIIe siècle, il fut de l'Académie française. On trouve dans ses vers des traces de la poésie Scandinave qu'il connaissait bien. Il a aussi traduit des chants basques, disant « les langues commencent par être une musique, et finissent par être une algèbre ». A son père, il envoie des vers émus : « Tu fais signe en marchant aux sciences humaines », mais lui-même, dans ses vers, avoue : J'ai trop vécu par la pensée, J'ai trop peu vécu par le cour; Je redescends des monts car leur cime est glacée : Ah! ce n'est pas si haut qu'habite le bonheur! Le Marseillais Joseph Autran (1813-1877) fut surnommé « le poète de la mer » en un temps où les poètes cherchaient dans le vaste océan des rapports avec la destinée humaine. Aidé à ses débuts par Lamartine, par Hugo, il multiplia les recueils : la Mer, 1835, réédité en 1852 sous le titre les Poèmes de la mer, Ludibria Ventis, 1838, l'An 40, ballades et poésies musicales, 1840, Milianah, 1842, où il poétise la conquête de l'Afrique par les soldats français. Les Dumas père et fils l'aidèrent à donner une tragédie antique, la Fille d'Eschyle, à l'Odéon, 1848, car notre poète de la mer fut habité par les souvenirs antiques. On les retrouve dans une nouvelle série de poèmes inspirés par Théocrite dont il traduisit le Cyclope. En effet, l'ambition de Joseph Autran fut, avant Mistral, mais en langue française, de devenir le grand poète de la Provence. Il voulut donc chanter le travail de la terre comme il avait dit le chant de la mer. Dès lors, les titres parlent : Laboureurs et soldats, 1854, la Vie rurale, 1858, Épîtres rustiques, 1861, que devaient suivre le Poème des beaux jours, 1862. Partout l'influence de Lamartine se mêle à l'inspiration antique. Il n'obtint pas le renom auquel il aspirait mais fut récompensé par une entrée à l'Académie française. On dit qu'il mourut d'un éclat de rire en lisant une bourde d'un poète connu. Henri Murger, mal connu. Connu pour ses Scènes de la vie de bohème, 1848, Henri Murger (1822-1861), fils de concierges parisiens, fondateur de la « Société des buveurs d'eau », écrivain militant, est généralement ignoré comme poète. Par la bohème, il se relie à Nerval et à Musset; il est aussi un précurseur dejules Vallès. Autodidacte, il dut s'inventer et vaincre bien des difficultés. Dans ses Ballades et Fantaisies, 1854, dans ses Nuits d'hiver, 1864, il évoque des souvenirs de jeunesse. L'amour parle avec lui la langue tendre des bohèmes de Musset, avec quelque chose de secret et de mélodieux qui fait penser à Henri Heine, comme dans cette Ballade du désespéré : Qui frappe à ma porte à cette heure? - Ouvre, c'est moi. - Quel est ton nom? On n'entre pas dans ma demeure, A minuit, ainsi sans façon! Ouvre. - Ton nom? - La neige tombe; Ouvre. - Ton nom? - Vite, ouvre-moi. - Quel est ton nom ? - Ah ! dans sa tombe Un cadavre n'a pas plus froid. Je suis l'amour et la jeunesse, Ces deux belles moitiés de Dieu. - Passe ton chemin! ma maîtresse Depuis longtemps m'a dit adieu. - Je suis l'art et la poésie, On me proscrit; vite, ouvre. - Non! Je ne sais plus chanter rna mie, Je ne sais même plus son nom. - Ouvre-moi, je suis la richesse Et j'ai de l'or, de l'or toujours; Je puis te rendre ta maîtresse. Peux-tu me rendre mes amours? Deux navigateurs. Léon Gozlan (1803-1866), fils d'un armateur de Marseille, s'il fut surtout journaliste, romancier, auteur d'un Balzac en pantoufles, 1865, de comédies et de drames, dès son jeune âge avait été marin, négrier, forban, signant ses ouvres « Léon Gozlan, ancien pirate » sans mentir. On le retrouve faisant tous les métiers avant de trouver ceux de l'écriture. Il fit de nombreux poèmes jusqu'à ce que son compatriote Méry lui conseillât le journalisme. On cite toujours une gentille pièce, l'Oiseau-mouche : Il est si petit qu'il se perd, Quand du soir souffle la risée; Par une goutte il est couvert, Par une goutte de rosée. Être navigateur oblige. Aussi se mêle-t-il d'exotisme dans les Bayadères : Sonnez, tambours chinois, et dansez, Bayadères, Voici les palanquins et les hauts dromadaires. Déployez le grand schall qui flotte à votre cou, Ecoutez! le tamtam déjà vous accompagne; Je vois vos seins bronzés palpiter sous le pagne, Comme un jonc de santal fléchit votre genou. Le grand-prêtre brahmane est là qui vous regarde; Car, vous le savez bien, fleurs d'Asie, on vous garde Pour les délices de Vichnou. Il puise dans le bric-à-brac oriental comme Simbad dans les coffres remplis de bijoux : Pour vous on oublierait la feuille du bétel, La pagode aux glands d'or qui s'élève en losange... On quitterait les bords du Bengale et du Gange; Le faquir oublierait Brahma sur son autel. Le Mahratte. qui porte au cou les fruits d'Angole, Laisserait son cheval et sa femme mogole : On viendrait du Coromandel. Gozlan négrier? Il fait penser au père de Tristan Corbière, Jean-Antoine-René-Édouard Corbière (1793-1875), de Brest, capitaine au long cours, inventeur du roman maritime le plus authentique, maître de romans et de contes comme les Trois pirates, les Contes de bord, et surtout le Négrier, 1832. Ce qu'on connaît moins : sa comédie en vers Jeux floraux, 1818, sa traduction des Poésies de Tibulle, 1829, ses tendances libérales qui lui firent connaître la prison, ses poèmes d'allure politique comme la Marotte des ultras, 1820, ses Philippiques françaises, 1820. Poètes socialistes. Avant de se consacrer au socialisme et à l'émancipation de la femme, avant de devenir député, puis sénateur, Alphonse Esquiros (1814-1876), ami de Hugo, Nerval, Gautier, fut, de 1834 à 1841, presque exclusivement poète. Il a débuté avec les Hirondelles, 1834, dont Hugo disait : « C'est un essaim de vers charmants qui s'envole; c'est un livre de poète que celui-là. » Selon Esquiros, il s'en vendit douze exemplaires. Ajoutons-lui quelques lecteurs : Mais dans ce lieu d'exil, pour compagne fidèle, Parmi tous les oiseaux. Mon cour par sympathie a choisi l'hirondelle Qui vole sur les eaux. Comme elle nous passons, comme elle, dans ce monde, Cherchons des cieux meilleurs, Et nous allons tous deux, rasant la mer profonde, Nous reposer ailleurs! Il est plus philosophique dans le Mal de l'attente : C'en est fait, le nuage a dévoré l'étoile; Mon Dieu, ta vérité disparaît sous un voile, Et la Foi, qui jadis éclairait l'univers, Flotte, soleil éteint, au sépulcre des airs. Il se lança dans la politique, connut la prison, eut plus de succès avec ses Chants du prisonnier, puis ses Fleurs du peuple, 1846, d'où est extrait le passage ci-dessus et qui fut dédié à Arsène Houssaye. Mentionnons ses autres ouvres : le Magicien, roman, 1835, l'Évangile du peuple, 1840, et ses ouvres pour la Femme : les Vierges folles, les Vierges sages, les Vierges martyres, 1840-1842. Baudelaire le rencontra en 1842. Pour Robert Desnos, il y avait déjà chez Esquiros des accents proches des Fleurs du Mal. On le voit dans ces vers : Ainsi dans ma nuit sombre, ainsi lune d'opale Allant chercher d'en bas votre regard vainqueur, Ô ma brune amoureuse! ô beauté triste et pâle! Ainsi monte vers vous l'océan de mon cour. Esquiros se maria avec Adèle Battanchon qui écrivit des romans et des poèmes où se retrouvent ses idées avancées. Noël Parfait (1814-1869) est l'écrivain socialiste de poèmes engagés comme l'Aurore d'un beau jour, comme de violentes Philippiques, 1832-1834, en même temps que l'auteur d'un drame en collaboration avec Théophile Gautier, la Juive de Constantine, 1846. Lors de la deuxième République, on le retrouve député d'extrême-gauche et ses Poésies politiques paraissent de 1848 à 1851. Lors du coup d'état, il fut expulsé en Belgique. On le confond généralement avec Charles Parfait, traducteur du russe Krilof. Adolphe Dumas (1810-1861), comme lui, a chanté 1830 dans un poème, les Parisiennes. Né à Bombas dans le Comtat Venaissin, il a écrit une épopée philosophique et socialiste de 15000 vers, la Cité des hommes, 1835. Dans la Provence, 1840, il a réuni ses vers et on lui doit aussi des drames. En 1848, il publia une Cantate des travailleurs. Poète d'oc, secrétaire de Lamartine, il mit Frédéric Mistral en rapport avec ce dernier. On peut placer auprès de lui l'obscur Louis-Marie Fontan (1801-1839) qui polémiqua contre le roi avec le Mouton enragé, ce qui lui valut des années de prison jusqu'à ce que Juillet 1830 le libérât. Latouche le touche-à-tout. On appela par erreur Hyacinthe Thabaud, Henri, et il garda ce prénom pour son pseudonyme Henri de Latouche (1785-1851). Il est un des personnages de l'époque romantique. Ses principaux titres de gloire sont d'avoir publié André Chénier et d'avoir deviné le génie de George Sand. Une autre part de lui-même, moins sérieuse, lui fait sans cesse s'adonner à la mystification : il se mêle de l'affaire Fualdès en publiant les Mémoires de Mme Manson; il fait des faux littéraires comme une correspondance où le pape Clément XIV échange des lettres avec l'arlequin Carlin Bertinazzi; il chipe à Hoffmann sa Fragoletta qui imite la Princesse Brambilla, et encore son Olivier Brussion en changeant le titre; il fabriqua aussi de l'André Chénier. Ses querelles littéraires sont fameuses, ses pièces, comme la Reine d'Espagne sont faites pour choquer et on le juge amoral. Mais Latouche est un bon poète dans les Adieux, 1843, et Encore adieu publié après sa mort par la poétesse Pauline de Flaugergues. Des poèmes comme les Agrestes, la Vallée aux loups (où il se retirA) ne cessent de décrire, de chanter le Berry qu'il partage avec son amie George Sand ou la Creuse, de dire les noms des paysages et des héros historiques avec charme et qualité. Certains poèmes sont en avance sur son temps : Sur les bords escarpés d'un grand vase où la Chine Avait, pour les yeux noirs de quelque mandarine, Épuisé le secret des riantes couleurs. Jeté l'azur du ciel et la pourpre des fleurs, Sélima, la plus chatte et la plus regrettée De l'espèce qui joue en robe tachetée, S'inclinait pour saisir un rayon du soleil... tandis que d'autres trahissent un classicisme attardé : Oui, l'amour vit d'erreur et de pressentiments : Eh ! qui ne lui connaît, dans ses vagues tourments, Pour irriter sa fièvre ou calmer ses alarmes, Des superstitions, des augures, des charmes? et dans le même poème apparaît soudain un autre ton : De Délie et d'amour que Tibulle occupé Achève au sein des nuits l'écrit plein de son âme, De la lampe incertaine il consulte la flamme; Et si l'ardent flocon vers lui s'est incliné, Ô bonheur! pour ses feux présage fortuné! Et Délie à l'enfant que le hasard appelle, Fait agiter des sorts l'urne trois fois rebelle. Souvent embarrassé dans son style, inégal, Latouche garde en partage le charme. Il passa en son temps pour avoir inventé le mot « camaraderie » : c'était encore un emprunt. |
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