Essais littéraire |
« Ce soir on marie sainte anne1 aux piroguiers congolais la croix du sud est témoin avec l'escargot il y a des goyaves pour ceux qui ont la nausée des hosties noires2 le fleuve retourne à la boue au jour lejour le héraut clame le regard lubrique laissez-vous faire quoi les aubes et les ongles trop tard oncle nathanaël3 m'écrit son étonnement d'entendre le tam-tam à radio-brazzaville sainte anne du congo-la-pruderie priez pour l'oncle Nathanaël prenez les nénuphars et les libellules exsangue la parure nuptiale de notre dame prends la peine notre journée déborde l'aurore migrations massives des piroguiers tendance ferme luxure servile à la bourse coloniale on n'a plus de totems alcool à gogo ce ne sont plus les sèves ni les rythmiques le christ sauvera le reste luxure à qui mieux y gagne mon catafalque4 est prêt et je suis mort assassiné sur l'autel du christ comment voudrait-on voir mon cadavre un cadavre utile vert non ce sont les floraisons mortes soyons lucides vive la mariée elle a sa robe faite de boue et de limaces et de sang ses encens puent la cervelle gratuite ô liesse-tam-tam-et-cloches-mcs-piroguiers va pour les sabbats mais la luxure au nom du christ halte-là credo le fleuve passe et ça sent la rosée vomie une résine ranec qui ne chassera plus les papillons de nuit de la plaie béante - coule il pleut doucement dans poto-poto le ciel immobile m'attend » Décoration funèbre au-dessus du cercueil. En latin: «je crois»; c'est le mot par lequel commence le «symbole des apôtres», texte qui rassemble les principaux articles de la foi Né à Mpili en 1931 dans un Congo encore colonisé, Gérald-Félix Tchicaya s'installe en France à l'âge de quinze ans avec son père, député du Moyen-Congo et fait des études au lycée Janson de Sailly. U'Tamsi, son nom de plume, signifierait «petite feuille qui parle pour son pays». Journaliste à Radio France outre-mer, pour laquelle il écrit une centaine de contes {Légendes africaines, 1968), il fonde le journal Congo lors de l'indépendance du Congo pour soutenir le révolutionnaire Patrice Lumumba. Fonctionnaire international à l'Unesco (1961-1985), il mourut subitement à son domicile en Normandie en avril 1988. Ouvre: Poésie - Le Mauvais sang ( 1955) - Feu de brousse (1957) - A triche-cour (1958) - Epitomé (1962) - L'Arc musical (1970) - Selected Poems (1970) - Le Destin glorieux du maréchal Nnikon Nniku, prince qu 'on sort (1979) - Le Zulu (1916) - Viwème de fondateur (1977) Nouvelles -La main sèche ( 1980) Romans - Les Cancrelats (1980) - Les Méduses (1982) - Les Phalènes (9U) - Ces fruits si doux de l'arbre à pain (1987) Sa poésie dévoile un riche imaginaire, use de symboles et rythmes africains pour dénoncer les effets du christianisme, du colonialisme, de la pédagogie européenne. L'originalité et la richesse de l'ouvre sont aussi données par la juxtaposition des événements de l'histoire du Congo et ceux de sa propre histoire. L'imaginaire lunaire, l'arbre (généalogique, de vie-morT), la thématique des eaux (pluie, eaux vives, eaux douces, eaux croupies, eaux mortes, eaux violenteS), la mer, le ventre, la figure christique et le martyre, le sel, le sang, le feu, le soleil, la mère et l'enfant sont autant de thèmes qui scandent sa poétique. Commentaire suivi Le jour qui devrait être joyeux, celui du mariage, ne présage que le malheur. C'est le mariage métaphorique de sainte Anne (épouse de saint Joachim et mère de la Sainte Vierge, à laquelle la cathédrale catholique de Brazzaville est dédiéE) et du Congo, représenté par la métonymie des piroguiers congolais. La religion chrétienne vient remplacer (avec les colons et leurs missionnaireS) l'animisme, représenté toujours par des métonymies: le ciel/cosmos (la croix du SuD), l'animal (l'escargoT), le végétal (des goyaveS). Il y en a qui ont la nausée des hosties noires. L'hostie, symbole de la transsubstantiation, signifie aussi la victime offerte en sacrifice; l'adjectif noires symbolise les Africains. Il y a une déchéance évidente, jusqu'au fleuve qui retourne, jour après jour, à la boue, à la terre dont il est sorti. On proclame tout haut (hérauT), solennellement, le vice (le regard lubriquE). La révolte du poète est visible dans l'incitation ironique: laissez-vous faire, préparez-vous à la fête (couper les ongleS), revêtez vos robes blanches de premiers communiants (aubeS). On s'étonne, ailleurs, en France (oncle Nathanaël m'écriT) d'entendre la voix du peuple africain (le tam-tam, autre métonymiE) à Radio-Brazzaville. Il n'y a qu'affectation (la pruderiE), pourtant on s'adresse à cette sainte pour qu'elle prie pour la France, pour l'oncle Nathanaël et pour qu'elle se parc de nénuphars et de libellules, dont la blancheur et, respectivement, la transparence, expliquent la parure nuptiale exsangue. Abaisse tes yeux (prends la peinE) sur notre monde où il n'y a plus de repères temporels (la journée déborde l'aurorE) et qui se vide de ses habitants qui choisissent l'exil (migrations massives des piroguiers, tendance fermE). Ceux qui restent sont débauchés et serviles à la bourse coloniale, alléchés par l'argent, oubliant leur religion anccstrale (on n'a plus de totemS) et s'adonnant au vice (alcool à gogO). On a perdu les racines (les sèveS) et la joie (les rythmiqueS). L'espoir du salut du reste par le christ n'est pas évident (luxure à qui mieux y gagnE). Le poète est prêt à accueillir sa fin, il s'y préparc (mon catafalque est prêT), car il est mort assassiné, sacrifié au christ, son cadavre sera utile, vert; mais non, puisque les floraisons sont mortes; il faut être lucides et l'accepter. Vive la mariée ? Comment peut-on le crier quand sa robe est maculée de boue, de limace, de sang, de cet animisme tué, et que les encens puent la cervelle gratuite ? On doit accepter cette autre religion (va pour les sabbatS) mais empêcher la luxure au nom du christ. C'est là son credo. Le fleuve ne s'arrête pas (passE) mais se charge de mauvaises odeurs: la rosée est vomie, la résine est rance, la plaie béante est envahie par les papillons de nuit; le fleuve continue de couler, c'est tout ce qu'il peut faire sans rien symboliser d'autre que le simple passage. En ville, comme sur le sol boueux (poto-potO), la pluie descend doucement, sans violence. Le ciel immobile et immuable, véritable certitude, attend le poète. À consulter 1 Chiappano Nino (dir.), Tchicaya, notre ami: l'homme, l'ouvre, l'héritage, Paris, Présence africaine, 1999. 2. Delas, D., «Tchicaya U Tam'si: la voix du refus», dans Cahiers de Sémiotique textuelle, no. 1, 1984, p. 181-200. 3. Godard, Roger, Trois poètes congolais, Pans, L'Harmattan, 1985, p. 68-181. 4. Planque, Joël, le Rimbaud noir: Tchicaya U Tarn 'si, Ed. Moreux, 2000. 5. Povey, John, « Tchicaya U Tam'si: Selected Poems by Gerald Moore», dans AfricanArts, vol. 4, no. 2 (winter 1971), p. 76-77. |
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