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Essais littéraire

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Guy de MAUPASSANT 1850-1893






Canotage et petites femmes, vergers normands et salons bourgeois, on a tôt fait d'imaginer une vie de Maupassant qui ressemblerait à ses nouvelles ou à une toile impressionniste. La réalité est plus complexe, avec d'abord une enfance dans un foyer désuni, de bonnes études, cependant, et un goût précoce pour la littérature. Il passe son baccalauréat au lycée de Rouen où il a pour correspondant Louis Bouilhet, l'ami de Flaubert qui va devenir son maître en littérature. Après la guerre, il cherche un emploi et le trouve dans les ministères : sa jeunesse est alors partagée entre un travail, guère absorbant (!), les charmes d'Argen-teuil, de Chatou ou d'Étretat et l'écriture des premiers textes, de petites nouvelles, des articles, des projets de drames non exclusifs de saynètes grivoises... Grâce à Flaubert souvent, Maupassant rencontre aussi, à cette période, les écrivains intéressants de l'époque : Goncourt, Zola, Mallarmé même, et des jeunes qui ont nom Huysmans ou Mirbeau, plus tard les gens du Chat-Noir. Une pièce de lui est représentée plusieurs fois (l'Histoire du vieux temps, 1879), mais c'est ailleurs qu'il trouve sa voie...

Maupassant publie de la poésie (Des vers, 1880) et entame surtout une abondante collaboration aux journaux et aux revues, parfois source d'ennuis (un procès en 1880), mais aussi de revenus assez confortables. Toujours en 1880, il participe, avec Boule-de-suif aux Soirées de Médan qui le lancent vraiment avant les recueils de la Maison Tellier (1881), Mademoiselle Fifî (1882), les Contes de la bécasse et Clair de lune (1883). Les années 1880 sont en effet celles où la production de Maupassant est la plus abondante : tout en voyageant beaucoup, de la Normandie à la Côte d'Azur, pour son plaisir ou ses cures, il écrit beaucoup beaucoup et, chaque année, on compte par dizaines ses chroniques et ses contes rassemblés en recueils : Miss Harriet, les Sours Rondoli et Yvette (les trois en 1884), les Contes du jour et de la nuit, Monsieur Parent (1885), Toine et la Petite Roque (1886), le Horla (1886-1887), le Rosier de Mme Husson (1888), la Main gauche (1889), l'Inutile Beauté (1890). À côté de cela, l'ouvre romanesque proprement dite, que Maupassant, à la fin de sa vie, semblait préférer, comporte Une vie (1883), Bel-Ami (1885), Mont-Oriol (1887), Pierre et Jean (1888), dont la préface fait date, Fort comme la mort (1889) et Notre cour (1890). À ce travail considérable, il faudrait encore ajouter les nouvelles remaniées ou ajoutées, les ouvres théâtrales : le rythme, cependant, se ralentit vers la fin de la décennie, en raison des progrès de la syphilis qui, depuis longtemps, fait souffrir Maupassant et à laquelle on peut attribuer certaines inquiétudes dont le Horla porte témoignage. À présent, la folie gagne la partie et Maupassant finit sa vie à la clinique du docteur Blanche.



« Une secrète quintessence de vie »



« Certaines rencontres, certaines inexplicables combinaisons de choses, contiennent assurément, sans que rien d'exceptionnel y apparaisse, une plus grande quantité de secrète quintessence de vie que celle dispersée dans l'ordinaire des jours. » Cette conclusion d'une nouvelle mérite d'être mise en épigraphe de l'ouvre entière de Maupassant. En apparence, il est vrai, rien de plus quotidien, rien de moins « exceptionnel » que la matière première de la fiction ; au point même qu'on a vu dans ces romans et ces nouvelles le portrait fidèle, quoique anecdotique, de la société contemporaine : avec ses bourgeois, ses paysans, ses viveurs, ses filles, ses militaires et ses curés, l'univers de Maupassant semble présenter tout le spectre social, en donner le compte rendu fidèle. Façons de faire et de parler, chaque personnage est campé dans son environnement, de façon rapide et allusive souvent (nouvelle oblige !), mais tout de même précise : le fermier normand au milieu de ses pommes et avec son patois, le célibataire devant son bock au café, la bourgeoise parmi les tentures et les petits meubles de son boudoir. Malgré les différences, cependant, les préoccupations ne changent guère en passant d'un univers à l'autre : la rapacité, le désir sexuel, la jalousie et la haine sont universels et, si leur expression change, leur intensité ne dépend pas de la classe où on les rencontre, encore moins de l'occasion, souvent banale, à la faveur de laquelle ils se révèlent.

Et c'est là qu'intervient chez Maupassant l'art du récit, la manière de mettre en scène les événements pour leur donner un tour à la fois surprenant et révélateur, de les agencer pour produire cette secrète « quintessence de vie » dont parle Maupassant. Le premier élément qui retient le lecteur est d'abord la présence très fréquente d'un narrateur (ou de plusieurs instances narratrices emboîtéeS). Le procédé est destiné non seulement à crédibiliser l'intrigue dont il témoigne, mais aussi à nous la faire voir à travers un regard. Nous serons donc admis dans l'intimité, et c'est par ce biais que l'émotion surgira : au second degré et dans la mesure où, ce qui nous sera rapporté aura déjà été vécu, aura déjà produit son effet sur une sensibilité ou une conscience. Dès lors, l'histoire proprement dite peut commencer : un personnage peut arriver, un télégramme, une lettre ou un testament, on peut retrouver de vieux papiers, mots d'amour ou d'affaires, on peut se rappeler une anecdote ou croiser, sur les boulevards, un vieil ami qui racontera sa vie. À partir de là, le plaisir du récit peut prendre mille formes et il est évidemment difficile de proposer un schéma narratif précis puisque le genre même de la nouvelle joue sur la surprise, les coups de théâtre, retardés souvent jusqu'à la chute.



« Voir : tout est là, et voir juste. »



Car c'est alors que l'inattendu ou le paradoxal révéleront une vérité cachée par « l'ordinaire des jours » : la lâcheté du fier-à-bras, la débauche de la prude, la fortune du miséreux. La fin du texte permet donc de comprendre a posteriori le comportement d'un personnage, à moins qu'elle ne le pousse jusqu'à l'outrance, ridicule ou émouvante : une formule bien ironique, ou très dramatique, annoncera le cocuage du jaloux ou son suicide. Le titre était souvent une question, la dernière ligne dissipe le secret ou relance l'énigme, désamorce l'émotion ou la renouvelle.

Le cas est particulièrement net avec les textes fantastiques : ceux-ci sont moins une section séparée de l'ouvre de Maupassant qu'une partie centrale, essentielle, où se retrouvent, accentuées, quelques-unes des techniques narratives qu'il utilise habituellement. L'une de ces nouvelles, Qui sait ?, commence en effet sur une question qui reviendra comme un leitmotiv : le narrateur, sur le conseil de son médecin, nous raconte cette curieuse soirée où ses meubles s'en sont allés hors de sa maison. Il croira les retrouver chez un brocanteur un peu sorcier, mais ils reviendront finalement chez lui, de la même manière qu'ils en étaient partis. Nous savons cependant que le narrateur lui-même est peut-être un aliéné et son témoignage est dès lors remis en question. Pour reprendre la définition de Tzvetan Todorov (Introduction à la littérature fantastiquE) le fantastique vient bien ici de l'hésitation d'un narrateur sur la nature de ce qu'il voit ou a cru voir : mais nous-même nous hésitons sur cette hésitation. En dehors, donc, des inquiétudes personnelles de Maupassant, de sa peur de la solitude et de la folie, on peut apprécier dans de telles nouvelles toute l'ambiguïté de son réalisme. Dans son introduction à Maupassant dans la collection de la Pléiade, Louis Forestier propose un rapprochement avec la peinture, mais moins avec Courbet qu'avec les impressionnistes dont Maupassant avait la qualité lumineuse, la fraîcheur de sensations : « l'automne, l'automne merveilleux mêlant son or et sa pourpre aux dernières verdures restées vives, comme si des gouttes de soleil fondu avaient coulé du ciel dans l'épaisseur des bois ». Au fond, comme le dit Maupassant dans une lettre que cite encore Louis Forestier, il s'agit moins de copier que d'apprendre à voir, à saisir la magie des êtres et aussi de ces objets qui ont une telle importance dans son ouvre : « Voir : tout est là, et voir juste. J'entends par voir juste, voir avec ses propres yeux et non avec ceux des maîtres [...]. Il faut trouver aux choses une signification qui n'a pas encore été découverte et tâcher de l'exprimer de façon personnelle. »

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