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Hofmannsthal






Il y a une époque, vieille maintenant de plus d'un siècle et devenue quelque peu lointaine, mais dont nous gardons avec une certaine ferveur le souvenir. Les derniers descendants du romantisme, c'est-à-dire les Baudelaire, les Verlaine, leurs suivants immédiats et leurs imitateurs s'y livrèrent, comme nous savons, à un vaste et mal défini mouvement de pensées, de rêves et de symboles, plus confus encore que celui qui, un demi-siècle auparavant, l'avait précédé et qui avait porté le nom fameux de romantisme. Ce second romantisme, moins éclatant que le premier dans ses ouvres, reçut un nom, celui de symbolisme. Ce fut un romantisme plus exacerbé peut-être que le précédent, moins soutenu par la force de l'élan qui le portait comme par la puissance de ses structures. Mais il en émanait une sorte de profondeur complexe, composée de formes volontairement brouillées, avec, en plus, une impression trouble de pensées équivoques, balbutiées, inachevées, comme si leur fragilité volontaire contribuait à révéler et à dissimuler à la fois une profondeur cachée. Epoque donc assez mal définissable ou déterminable, mais qui eut l'honneur de produire quelques-uns des meilleurs poètes de l'époque et de les aider à faire apparaître, le plus souvent en demi-teintes, une certaine poésie indéterminée, dont il s'agissait plutôt d'explorer précautionneusement les mystères que d'étaler au grand jour les richesses. C'est cette dualité qui apparaît le plus souvent dans le courant qui traverse la fin du siècle, en France d'abord, et puis dans le reste de l'Europe. On le discerne, entre autres, chez le grand poète autrichien, Hugo von Hofmannsthal.



A la différence pourtant de ce que l'on remarque chez les grands maîtres français de l'époque et chez certains de leurs disciples, il y a chez Hofmannsthal un trait qu'on a de la peine, à première vue, à distinguer de la profondeur baudelairienne ou de l'extrême finesse musicale de la poésie verlainienne, mais qui n'existe pas moins comme marquant avec insistance son originalité propre. Alors que chez Baudelaire ou Verlaine une sorte d'unité, moins confuse que volontairement voilée, tend toujours à se manifester, qui joint à la profondeur de l'un la mélodie délicatement prolongée de l'autre, et qui fait qu'il est parfois possible de passer par un mouvement continu d'une de ces poésies à l'autre, chez le poète autrichien, au contraire, l'on assiste, dès l'abord, à ce qu'on pourrait appeler la manifestation d'une série de saillies successives, le plus souvent désordonnées, qui ont pour effet de faire de cette poésie très imagée un admirable complexe de sons et de formes, constamment interrompu et constamment renouvelé, car la substance même de cette poésie, au lieu, comme celle de Baudelaire ou de Verlaine, de chercher une continuité spirituelle où rien ne gêne le glissement de la pensée vers une pure musique verbale, opère au contraire par des jaillissements discontinus et répétés, par des ruissellements de mots et d'images, et aussi par des permutations aussi hardies que multiples. Tel est l'aspect curieusement morcelé, mais trépidant, que présente la poésie de Hofmannsthal. Aucune continuité dans le domaine de la pensée et du sentiment, mais une transmutation incessante des formes qui s'y succèdent, aussi bien que des états d'âme qui s'y révèlent, donnant l'impression d'un mouvement tumultueux et palpitant, mais spasmodique, procédant par jets discontinus, entrecroisés, perpétuellement interrompus et recommencés, et suggérant moins un ensemble composé d'expériences unies les unes aux autres en vue d'un dessein commun, qu'une humeur capricieusement déchaînée, procédant dans son parcours par vagues inégales mais successives. Aussi ce qui est, dès l'abord, volontairement troublé dans une telle poésie, c'est l'unité même de l'entreprise. On dirait que le poète, cédant à une sorte de fièvre, ne pouvait jamais se satisfaire des images successives qu'il faisait défiler devant nous, mais qu'il lui fallait toujours dépasser les images déjà créées par de nouvelles images plus violentes ou plus hardies, comme s'il cherchait à bâtir une échelle vertigineuse, faite de la conjonction de mille fils reliés les uns aux autres : ou bien que l'ensemble de la construction fût composé comme une toile d'araignée aux proportions presque gigantesques, qui aurait assemblé dans son sein une combinaison d'images curieusement variées, formant une pluralité extraordinaire d'objets de toutes sortes. Car l'art de Hofmannsthal se présente essentiellement comme un art composite : et cela, non seulement par l'abondance de ses éléments, mais par leur variété, la multiplicité des formes qui s'y associent, la permutation perpétuelle de leurs associations dans l'espace, et encore par la capacité inverse qu'exhibe leur assemblage pour disparaître ensuite, sans crier gare : de sorte que la poésie ainsi conçue se révèle comme n'étant pas autre chose que le déploiement vertigineux d'une infinité, non pas de réalités déterminées, possédant une place fixe dans l'espace poétique, mais d'une pluralité torrentueuse et éphémère de formes disparates, se dissolvant les unes après les autres dans une étendue, elle, indéterminée, où elles ne peuvent que se laisser remplacer par ce que le poète appelle l'éternel nulle part.



HOFMANNSTHAL : TEXTES ET COMMENTAIRES



Thème du lointain.

Ma vie glisse loin de moi en découvrant un vide.

Mes pensées débouchent sur le vide et m'empêchent ainsi de penser avec une continuelle cohérence.



Conjonction que je perçois entre les milliers de fils qui, arrivant de l'infini, se croisent en moi.



L'espace apparemment indéterminé et désert est en réalité animé par la magie de l'infini.



Mélange du lointain et du proche.

Lointains qui se découvrent non seulement au-dehors mais en nous.

L'ensemble du monde est semblable à un chaos de formes accumulées, en elles-mêmes sans vie, et pourtant fécondes, mais d'une fécondité qui dissimule le vide du néant.



La pensée qui contemple l'univers glisse de la pluralité et de la fragmentation à l'unité, à moins que, vice versa, elle ne passe du sentiment de l'unité à celui de la multiplicité.



Certains poèmes : il y flotte un souffle de vie et de mort, un pressentiment de floraison, une intuition frissonnante de la décomposition, un ici, un maintenant, et, en même temps, un au-delà, un immense au-delà.



Dans la peinture il y a fixation de l'objet. Dans la poésie, l'expression se dissout, grâce à son ambiguïté, en un brouillard magique.



Thème de la pluralité

Voies lactées qui sont des milliers d'étoiles... Obscurités mille fois répétées...



Eléments étouffés par leur abondance même... Pluralité des éléments de la beauté-Pluralité utilisée comme moyen magique... Multiplicité des relations entre les parties... Conjonction de mille fils qui ne se rencontrent jamais. Chaos fécond...

Je me découvre dans la multiplicité de ceux qui me. précèdent...

La vie est un ruissellement...



La vie est une permutation perpétuelle des formes...

Décomposition incessante des parties composantes..

Dissolution de tout ce qui est...

Pluralité en tant que moyen magique...



Formation et déformation perpétuelle des réseaux.

Relation entre la pluralité des lumières de l'espace et le caractère indéterminé qui est essentiellement le leur.



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