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Essais littéraire

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Julien Gracq






Un lieu curieusement resserré dans ses limites, mais n'ayant apparemment en lui-même rien de remarquable, occupe souvent la première place dans les ouvres de Julien Gracq. Ce peut être une petite pièce d'eau, un buisson, un bras de mer, un terrain vague, parfois une clairière, ou un champ laissé en friche à la lisière d'une forêt. Mais c'est toujours, pris en lui-même, un paysage minutieusement borné, bien qu'affligé par une certaine ambiguïté, du fait qu'il ne se rattache d'aucune façon aux alentours, même les plus voisins, du lieu où il se trouve lui-même situé. Son importance n'est nullement dépendante des relations qu'il pourrait avoir avec le monde du dehors, et qui sont en fait, dans son cas, presque nulles. Considéré à part, ainsi qu'on est contraint de le faire, il laisse entrevoir quelque chose d'essentiellement étranger aux endroits qui l'avoisinent, comme si sa caractéristique principale était d'occuper de droit une certaine place unique qui le dispenserait de se présenter comme tributaire du pays environnant. Le voici, au contraire, tout à fait à part, libéré de l'obligation de jouer un rôle dans l'univers extérieur, ne manifestant aucune envie de se montrer solidaire d'un ensemble. On ne l'en voit pas moins tirer de cette situation privative un avantage considérable. D'un côté, le monde extérieur, très différent de lui, reconnaît son indépendance, tout en gardant avec lui ses distances. D'autre part, l'absence en lui de toute velléité d'exprimer au-dehors son originalité propre, aussi bien que le tracé très ferme de la frontière qu'il maintient avec le pays qui l'entoure confèrent à sa propre existence, dépouillée comme elle l'est, le plus souvent, de tout éclat, une profondeur insoupçonnée, comme il en va parfois pour telle ou telle réalité modeste gardant son secret au centre d'une profusion de richesses externes auxquelles elle ne manifeste aucune envie de participer : d'où un aspect quelque peu paradoxal, que l'auteur relève avec soin dans les descriptions qu'il en fait. Elles laissent voir, ou plutôt transparaître, des lieux en quelque sorte négatifs, en ce sens qu'ils marquent visiblement leur volonté de ne pas se laisser confondre avec les lieux ordinaires. Ils vivent de leur vie propre, isolément. Ce sont des endroits discrètement privilégiés, dont le pouvoir ne se révèle qu'à ceux qui se libèrent des plaisirs offerts par les paysages d'alentour. Loin d'étaler devant nous leurs richesses naturelles, ces lieux qu'on dirait intentionnellement retirés à l'écart renversent la perspective et n'offrent à ceux qui les découvrent qu'un paysage simplifié, en quelque sorte épuré, puisqu'il se trouve préservé du plaisir trop direct offert par les paysages qui les cernent, mais qui, en même temps, sont incapables de nouer avec eux des relations.



Pour le promeneur ordinaire cette différence des deux perceptions n'est pas toujours évidente, car elle n'a en elle-même rien qui retienne l'attention. La présence en quelque sorte voilée de ces îlots de vie intérieure ne saurait fixer longtemps la vue de la plupart des gens habitués à ne voir dans un paysage que ce qu'il montre un peu trop facilement au-dehors. Mais il en va tout autrement pour ceux qui savent que c'est parfois au sein d'un lieu offrant à tout venant une beauté quelque peu banale, que se dissimule un autre paysage, ne cherchant nullement à s'harmoniser avec le paysage environnant. Ainsi il se fait que deux types de paysages s'affrontent. Plus souvent encore, ils marquent à distance l'un de l'autre, silencieusement, leur manque d'accord. Alors il arrive quelquefois que le promeneur surpris se trouve choqué de cette désharmonie et se décide à faire un choix.



Il cède à l'envie qui le pousse de passer d'un monde dans un autre. Son regard glisse d'un univers familier à un univers qui ne l'est pas : passage d'autant plus intrigant qu'il a moins pour objet d'entraîner ceux qu'il séduit vers un monde du même type que de les inciter à quitter, au moins pour un temps, le monde déjà connu dans l'espoir de découvrir un autre monde, en sorte que l'objet final de ce changement ne consiste pas tant dans l'augmentation directe d'un certain plaisir que dans la découverte d'un plaisir différent, situé pour ainsi dire juste au-delà de celui auquel, pour l'obtenir, il aurait fallu renoncer : plaisir enfin qui se trouverait d'autant plus cher qu'il apparaîtrait d'abord comme mystérieusement délivré de toute réalité positive et susceptible par conséquent de mettre celui qui l'éprouve en présence de cette chose toujours étrange, la révélation d'un monde non familier, ignoré, et par conséquent en quelque sorte négatif.



C'est ainsi que le détournement de la pensée habituelle, déterminé par la révélation de certains paysages, a pour conséquence inattendue la découverte troublante et parfois mystérieusement révélatrice d'une réalité autre, qui ne peut être connue que si le connu lui-même s'efface et cède, ne fût-ce que pour un temps, la place à Y indéterminé. Cet indéterminé peut être de différentes sortes. Il y a une infinité d'indéterminés. Certains de ceux-ci, Gracq les désigne sous la forme quelque peu métaphorique, mais physique aussi, de « brouillard de terrain vague ». Il parle à leur propos de « flou indéterminé ». Le poète leur donne ainsi volontiers des dénominations plus ou moins concrètes, avec en plus quelque chose de métaphorique. L'atmosphère qui les baigne lui paraît avoir « une haleine chaude et mouillée ». Il mentionne leur « feutrage languissant ». On remarque que ces traits sont le plus souvent confus. Ils se trouvent rattachés à des lieux qui ont eux-mêmes, le plus souvent, un caractère indécis, comme certains coins de campagne, ou certains abords de ville. Le poète les identifie, mais en les dépaysant. C'est le cas, par exemple, des terrains vagues, des lisières où le brouillard crée, dit-il, « des espaces de rêve et des zones de libre vagabondage ». Bref, pour lui, aux confins des forêts, comme aussi dans les quartiers sombres au cour des villes, il est possible d'entr'apercevoir des réalités de moins en moins définissables, qui ont tendance à se fondre les unes dans les autres par une imperceptible dilution de leurs structures particulières : « On dirait, constate-t-il en parlant de ces lieux, que là, tout est soudain très loin, que les contours de toutes les pensées se dissolvent. » Ou encore, parlant moins de ces lieux en eux-mêmes que dans le reflet dissolvant qu'ils projettent dans l'ombre au-dehors : « En ces lieux la pensée évacue ses postes de guet et replie le réseau de ses antennes. » Il est donc évident que, pour Gracq, le retrait qu'il décrit ici est un mouvement rétractile profond qui se fait de l'extérieur vers l'intérieur, non simplement parce qu'il implique un glissement vers le bas, mais encore en ce sens que son point d'aboutissement est quelque réalité de moins en moins distincte, non pas une crête ou une pointe, mais au contraire quelque chose comme un puits s'enfonçant dans la pénombre.



De l'extériorité et du plein jour, par un chemin négatif, la pensée de Julien Gracq tend donc à se retirer dans une profondeur sans image. Elle s'y enfonce, non comme attirée par un vide total, ainsi qu'on pourrait le croire, mais comme si, induite à refluer, ainsi qu'il le suggère lui-même, vers la ligne de la pure concience d'être, elle se démarquait à mesure de toutes les formes qui, d'habitude, présentent à celui qui les contemple en plein jour un monde fait de structures ouvertes et stables. En fin de compte, dans cette élimination de ce qui se laisse seulement entr'apercevoir dans le détail de son apparence, il n'y a plus de réalité formelle qui persiste encore. C'est tout l'inverse qui se laisse voir. Gracq compare ce monde de plus en plus vague à une présence indéterminée, devenue presque entièrement spirituelle, et qui dans la quasi-disparition de toute forme distincte se laisserait à peine deviner, dans les termes du promeneur, comme « un impossible négatif de la nuit ».



GRACQ : TEXTES



Lorsque je revis en souvenir les premiers temps de mon séjour dans les Syrtes, c'est toujours avec une vivacité intense que revient à moi l'impression anormalement forte de dépaysement que je ressentis dès mon arrivée[...] Au long de ces chemins écartés, où toute rencontre paraissait déjà si improbable, rien n'égalait le vague indécis des formes qui s'ébauchaient de l'ombre pour y rentrer aussitôt. Dans l'absence de tout repère visible, je sentais monter en moi cette atonie légère et progressive du sens de l'orientation et de la distance qui nous immobilise avant tout indice, comme l'étour-dissement commençant d'un malaise, au milieu d'une route où l'on s'est égaré.



Sous ce jour fuligineux, dans cette moiteur ensommeillée et cette pluie tiède, la voiture roulait plus précautionneusement... Ce feutrage languissant de fin de cauchemar reculait dans les âges, sous cette haleine chaude et mouillée retrouvait les lignes sommaires, le flou indéterminé et le secret d'une prairie des premiers âges, aux hautes herbes d'embuscade.

Quelque chose s'étouffait derrière ce brouillard de terrain vague, comme une bouche sur un oreiller.



... Le profond génie neutralisateur de la ville... déchargeait les choses de tout pouvoir de suggestion trop vive... comme si tout l'effort séculaire d'Orsenna, toutes les images qu'elle s'était complu à donner de la vie eussent visé à une chute de tension presque effrayante, à une égalisation finale...



Cette mer qui n'offrait à l'oil, ni un oiseau, ni une voile, qui balayait en un instant son immense étendue, lui paraissait surtout insupportable par sa mortelle vacuité, car, demeurant tout entière d'un blanc grisâtre et terne sous un ciel éclatant, sa surface parfaitement bombée, dont la vue suivait malgré elle les courbes, imposait irrésistiblement à l'esprit l'image d'un oil révulsé dont la pupille eût chaviré en arrière, et dont seul fût resté visible le blanc hideux et atone...



La présence bizarre du Soleil sur cet horizon surélevé, à une heure avancée du jour, pareil à la lune effleurant au milieu de la nuit les hautes branches des arbres, la transparence ténébreuse de l'eau, la clarté du soleil divisée et vaporisée en un brouillard flottant par des milliards de feuilles, et semblable à un nuage soufré, ténu et glauque, tout concourut enfin à pénétrer l'âme d'Albert, au milieu de ce profond aquarium aérien, du sentiment intime qu'il ne pouvait se trouver en présence des effets ordinaires de la lumière, traversant notre atmosphère, mais seulement... d'un impossible négatif de la nuit.



Cela inspirait la nostalgie de cet âge d'Or, par exemple, qu'a été le romantisme allemand, monde de Novalis ou de Nerval, non point certes, coupé du tragique, mais où du moins l'homme était constamment replongé dans ses eaux profondes, réaccordé magiquement aux forces de la terre, irrigué de tous les courants nourriciers dont il a besoin comme de pain... Immense réserves de calme d'où monte un sentiment aveugle...



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