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LA DISCIPLINE EN LITTÉRATURE






L'autoritarisme politique, l'emprise de la religion et de la morale, la codification de la vie mondaine, le rationalisme impliquent une soumission institutionnelle, idéologique et esthétique de la pratique littétaire : elle n'est pas seulement écriture personnelle, mais activité sociale, publique.



1. La mainmise du pouvoir



Richelieu s'intéresse à la littérature pour trois raisons. Par goût : épris de belles-lettres, passionné de théâtre, il fait construire dans son palais la plus belle salle de Paris et réunit cinq auteurs prestigieux (Boisrobert, Colletet, L'Estoile, Rotrou et Corneille, qui partira ou sera exclu pour indisciplinE) qui écrivent quatre pièces sur des idées ou canevas de sa façon ; il annote la Pucelle de Chapelain et les Sentiments de l'Académie sur Le Cid. Pour contrôler la production imprimée, qui est alors le principal média et un instrument essentiel de propagande : il a ses pamphlétaires attitrés ; il fait fonder La Gazette par Renaudot qu'il contrôle (1631), et son ami le P.Joseph dirige le Mercure français ; l'octroi du privilège* devient plus strict et sert à favoriser des éditeurs dévoués : Cramoisy, Vitré... ; le choix des censeurs est transféré de la Sorbonne au gouvernement. Enfin, par volonté de prestige : Richelieu veut que le règne de Louis XIII « égale et surpasse les meilleurs du passé et serve d'exemple et de règle à ceux de l'avenir » (1626).

L'acte le plus spectaculaire sera la création de l'Académie française (1634-1635) chargée d'établir un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique « pour servir de règle à ceux qui voudraient écrire » ; elle examine avec minutie les ouvres que plusieurs auteurs lui soumettent ; elle sera bientôt appelée à juger Le Cid. Bien entendu, les membres de l'Académie ne sont pas choisis seulement pour leurs talents littéraires. La majorité est composée de doctes et de publicistes du Cardinal qui veut « ne souffrir dans son assemblée que des gens qu'il connaisse ses serviteurs » ; d'Aubignac est écarté pour avoir critiqué une pièce de Desmarets, protégé de Richelieu.

Le ministre impose son mécénat. L'exécution de Montmorency, l'emprisonnement de Bassompierre, la fuite de Vendôme et de Guise, le discrédit de Monsieur* réduisent le mécénat princier (2) et dispersent les petites cours, au bénéfice de celle du Roi. Richelieu a ses attachés culturels qui propagent ses désirs et attirent les écrivains : Boisro-bert, Bautru, Chapelain, voire Desmarets et d'Aubignac. Il distribue 40 000 livres de subventions par an. Ses ennemis l'accusent de considérer comme « un crime [...] de produire aucun ouvrage qui ne soit fondé sur ses éloges ou du moins entrepris sous ses auspices » (Cam-pion, 1641). Désormais à moins d'avoir le génie et la fierté d'un Corneille, « les bassesses sont nécessaires pour s'élever » (ChapelaiN).

La vie littéraire se concentre dans la capitale, devenue la plus grande ville d'Europe. Là sont le pouvoir et l'argent, la Cour, les salons, l'essentiel du public, les grands éditeurs, les deux seuls théâtres permanents.



2. La soumission au public



Les intellectuels, relativement autonomes depuis la Renaissance, sont désormais soumis à la vie mondaine et politique. Toute pratique littéraire est soumise à son public, particulièrement à cette époque où elle devient mondaine ou théâtrale, c'est-à-dire destinée à une consommation immédiate. D'un côté s'affirme l'influence des robins, de plus en plus nombreux et fort cultivés, « hommes de savoir, d'intelligence et de jugement plus que d'imagination et de passion » (M. FumarolI), De l'autre, la Cour et les salons (de Condé, Mme du Vigean, Mme de Sablé, Mme de Rambouillet surtouT) où le goût se codifie et où la littérature est subordonnée à des finalités officielles ou mondaines. « Il y a deux sortes d'éloquence, l'une pure, libre et naturelle, l'autre figurée, contrainte et apprise, l'une du monde, l'aurre de l'école » (BalzaC). Les écrivains apprendront ici les raffinements psychologiques et l'élégance du style mais aussi la frivolité.

L'effort volontariste et rationnel imposé par les affrontements des années trente permet au goût des robins de l'emporter, avec le théâtre, sur la frivolité de la poésie et du roman mondains. Les grands sujets politiques et moraux remplacent l'hédonisme. Le passage de Corneille de la comédie galante à la tragédie héroïque est révélateur, de même que le retour à l'Antiquité. Ce n'est plus l'admiration inconditionnelle de la Pléiade : de Malherbe à Balzac, on y a mis fin. Mais on y revient parce qu'on y trouve le modèle de ce qu'on veut exprimer : l'héroïsme de la Rome républicaine, « nourrice des hautes vertus de la nature » (Le MoynE), la tyrannie de Tarquin ou Néron, le rationalisme d'Aristote et le goût d'Horace, l'harmonie de Cicéron, Térence et Virgile.



3. L'autodiscipline



L'intervenrion du pouvoir ou des salons n'est pas arbitraire. C'est l'expression d'un mouvement général d'intégration socioculturelle dont les écrivains sont eux-mêmes des agents. Ils sont socialement plus intégrés que dans la période précédente. Nettement moins de nobles, de libertins, de protestants, de convertis. Beaucoup de fils d'officiers, soucieux d'ordre, de morale, de service public. Plus d'auteurs de profession et moins d'amateurs. Ils sont avides d'être reconnus dans les salons et à la Cour (3), alors que « poète, [...], bouffon, et parasit pour ne rien dire de pis y sont synonymes » (Chapelain, 1632). D'où une large adhésion à la politique de promotion culturelle de Richelieu qui promet une raison sociale aux écrivains. Tout le monde n'a pas les ressources ni le renom d'un gentilhomme comme M. de Saint-Évre-mond, auteur de la satirique Comédie des Acade'mistes (1637).

La proportion de doctes, critiques et grammairiens et leur importance sont révélatrices. Balzac et Chapelain régnent sur la vie littéraire, concurrencés par Conrart (dès 1630), secrétaire de l'Académie, Costar (après 1632), Ménage (après 1636) et les théoriciens du théâtre La Ménardière et d'Aubignac. Tous veulent imposer des normes. L'approbation du public ne suffit pas pour décider de la qualité d'une ouvre. Ce sont « les experts qui en sont les vrais juges » (Chapelain, 1623). « Le simple agrément » ne saurait être « la règle et la mesure du bien et du mal » en matière d'art littéraire (id., 1637). Il y a là-dessus « des préceptes invariables, des dogmes d'éternelle vérité » (id., 1656), une « bonne et solide doctrine fondée sur l'autorité d'Aristote ou pour mieux dire sur celle de la raison », principe d'une « beauté universelle qui doit plaire à tout le monde », car « il n'est pas croyable qu'un plaisir puisse être contraire au bon sens » {Sentiments de l'Académie, 1637). « A moins que d'avoir le goût bien dépravé, il est malaisé d'en prendre aux imaginations chimériques » (Chapelain, 1646). Le jugement, vertu de techniciens et d'administrateurs, l'emporte sur le génie aristocratique. On admet seulement qu'ils peuvent s'équilibrer en poésie. « Le génie et le jugement .sont les deux parties essentielles du poète. » Ronsard avait le premier, mais « peu d'ordre, peu d'économie, point de choix ; [...] dans la plupart de ses poèmes, le jugement n'est pas la partie dominante » (Balzac, 20 août 41). Malherbe « nous a appris [...] que [...] la propre et juste disposition des mots et des choses avait d'ordinaire plus d'importance que les choses mêmes et les mots » (id.).

L'ouvre renforce sa structure, mais les doctes lui refusent l'autonomie. « La vraie fin de la poésie est l'utilité » (ChapelaiN) : « il faut enseigner des choses qui maintiennent la société publique, qui servent à retenir les peuples dans leurs devoirs » (d'AubignaC) ; l'ouvre doit respecter la vraisemblance et la bienséance (cf. p. 77-79), c'est-à-dire le système de vision et de valeurs dominant. Elle doit au besoin corriger la réalité pour montrer « ce qui doit être » (Chapelain, 1623).

Les créateurs participent jusqu'à un certain point à cette normalisation. Violence et grossièreté reculent, jusqu'à disparaître à la fin des années trente. La raison l'emporte sur l'imagination créatrice. Les structures s'imposent. Les recherches stylistiques s'atténuent ; la vogue de la pointe cesse peu après 1630. Camus a publié trente-six romans de 1620 à 1631 et seulement trois par la suite : ses nouvelles ouvres se disent « historiques » (dix-sept de 1628 à 1644). Beaucoup d'écrivains soumettent leurs ouvres avant publication à Chapelain ou Conrart, qui multiplient les minutieuses remarques.

L'évolution de Balzac se poursuit jusqu'à l'inverse de ses premières tendances idéologiques et esthétiques. Le Prince (1631) est centraliste jusqu'au machiavélisme, l'éloge remplace la critique, l'esthétique est fortement disciplinée. En 1634, le passage qui célébrait la retraite disparaît : l'heure est à la mobilisation nationale. Le ralliement à Richelieu s'impose : « la liberté n'est point si douce qu'une si raisonnable sujétion » (16 avril 1634). La variété brillante des premières ouvres, leur goût et leur dénonciation des apparences, leurs thèmes et leur style vitaliste, expressionniste, leut scepticisme, leur inquiétude, tous ces traits baroques reculent devant le rationalisme. Même les esprits indépendants doivent compter avec les doctes et les pouvoirs (l'auteur du Cid en fera l'expériencE) et avec le goût du public, «je crains tout ce qui est capable d'assujettir ma liberté [...]. Mon esprit [...] se plaît en la confusion. Il aime les dérèglements (...]. J'ai toujours été ennemi de l'ordre. » Mais « pour vous plaire je me suis rendu capable d'ordre, de patience et de conclusion » ; si vous me signalez des invraisemblances, je les corrigerai (Gomberville, Polexandre, 1637, Avertissement aux honnêtes genS).

Deux formes de cette évolution méritent un développement particulier : l'épuration du langage, la normalisation du théâtre.



4. L'épuration du langage



Elle résulte de la convergence entre le besoin scientifique et technique d'une langue plus rationnelle, la nécessité commetciale, administrative et politique d'un langage commun débarrassé des particularismes et propre à contribuer au rayonnement national et enfin la volonté de l'élite (surtout dans ses nouvelles couches auxquelles appartiennent Voiture, fils de négociant et Vaugelas, fils de robiN) de se distinguer par son langage (4).

Rabelais et Montaigne mêlèrent tous les langages et la Pléiade se souciait « d'inventer des mots » (5). Richelieu donne mission à l'Académie « de nettoyer la langue des ordures qu'elle avait contractées » - tournures populaires, jargon des juristes, etc. -, de « la rendre pure, élégante et capable de traiter les arts et les sciences », voire de succéder au latin comme langue internationale. Parallèlement, Vau-gelas fixe le bon usage dans ses Remarques sur la langue française, commencées avant 1637 et publiées en 1647, qui se présentent comme les observations d'un « simple témoin » de « la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d'écrire de la plus saine partie des auteurs du temps ». Pour lui, « il n'y a qu'un maîrre », c'est « l'usage qui, en matière de langues, l'emporte toujours sur la raison ». Au point que « c'est la beauté des langues que ces façons de parler qui semblent être sans raison, pourvu que l'usage les autorise ». Cet élitisme mondain - pour qui « le mauvais usage se forme du plus grand nombre de personnes, qui presque en toutes choses n'est pas le meilleur » - s'oppose au rationalisme des doctes. Mais ils ont en commun de prôner la clarté et la soumission à un ordre collectif. Vaugelas condamne la recherche d'originalité; toute nouveauté lui est suspecte : « il n'est pas permis à qui que ce soit d'en inventer ». Son ouvre, « code de savoir-vivre » plutôt que grammaire ou linguistique (R. LaganE), s'inscrit parfaitement dans le mouvement général d'assujettissement et de civilisation.



Vaugelas marque un grand pas vers la célèbre clarté française, qui n'est pas due seulement à un amour cartésien des idées claires et distinctes. Le langage devient plus clair parce que sa fonction devient plus nettement culturelle, commune et arbitraire. On l'abstrait des réalités concrètes pour l'utiliser dans un milieu culturel qui rerose les diversités sociales et personnelles pour imposer un modèle commun ; il n'est pas seulement soumis à des règles, il exprime la norme ; dans une phase de compromis historique, il définit l'essence d'une humanité identique à travers les temps et les milieux ; à la diversité sociale, il impose l'identité culturelle. De plus, dans la vie mondaine il ne s'agit pas d'affirmer son originalité, mais de plaire avec la transparence de l'honnête homme pour qui le moi est haïssable. Mon centre de gravité n'est plus en moi mais dans les autres à qui je dois présenter une image conforme à leur attente ; l'essentiel est d'être bien perçu, bien reçu : le langage sera clair puisqu'il est conçu en fonction de l'attente de l'auditeur. Dans une Cour et des salons abstraits de la complexité du réel, la fonction de communication, principe de clarté, l'emporte largement sur la fonction de désignation, lestée de particularités. Le langage ici sera clair parce qu'il est, comme le reste, conventionnel : il tend vers le code. Il n'est pas perturbé d'être le reflet et le moyen d'autres pratiques : la vie, ici, est purement linguistique. Les mots, qui jusque-là tiraient leur valeur de leur participation au monde qu'ils exprimaient (p. 13-15), tendent à perdre cette âme pour devenir les outils d'une science, d'une administration, d'une communication. La capacité substantielle du verbe recule devant un usage fonctionnel : la poétique s'y ruine.



5. Civilisation et normalisation du théâtre



Cérémonie publique, le théâtre était tout désigné à la mainmise du pouvoir ; limité dans l'espace et le temps, il se prêtait fort bien à l'édiction de règles qui de plus avaient pour elles l'autorité d'Aristote. a. Le théâtre se civilise



A partir de 1629, les thèmes deviennent moins scabreux ; la comédie renaît tandis que la farce recule. Les tragédies de 1634-1636 ont encore pour sujets la douloureuse agonie d'Hercule, Creuse et Créon, le meurtre par Médée de ses propres enfants, l'assassinat de César, le viol de Lucrèce, la persécution de Mariane. Le merveilleux (songe, prophétie, magiE), la violence passionnelle, les longues tirades lyriques ou didactiques y sont importants. Mais ensuite le rationalisme l'emporte et la violence recule : en 1645, Théodore vierge et martyre de Corneille paraîtra incongrue. Le théâtre, naguère « médisance et saletés », « n'est que pudeur et modestie » (Scudéry, 1639)-

Le public évolue : on voit désormais au théâtre « non seulement les hommes les plus graves, mais les femmes les plus chastes et modestes » (1634). Le Roi, dit l'officieuse Gazette, sait « que la comédie, depuis qu'on a banni des théâtres ce qui pouvait souiller les oreilles les plus délicates, est l'un des plus innocents divertissements et le plus agréable de Paris » (6 janvier 1635). « Vous pouvez vous glorifier d'avoir réconcilié la comédie avec les dévots » écrit Balzac au directeur du Marais (15 décembre 1636). En 1641, le Roi ordonne que le métier des comédiens, à condition de ne « représenter aucune action malhonnête ni aucunes paroles lascives [...], ne puisse être imputé à blâme ni préjudicier à leur réputation ». Les théoriciens ouvrent dans le même sens : « la principale règle du poème dramatique est que les vertus y soient toujours récompensées ou pour le moins toujours louées et que les vices y soient toujours punis, ou pour le moins toujours en horreur » (d'AubignaC). En 1641, Richelieu fait construire une splendide salle de théâtre dans sa résidence, le futur Palais-Royal : Molière, puis Lulli y joueront. b. Et se normalise



Dès 1628 certains voudraient, au nom de la vraisemblance et d'Aristote, que l'action d'une pièce de théâtre soit limitée à vingtquatre heures. Ogier proteste : « la poésie et particulièrement celle qui est composée pour le théâtre, n'est faite que pour le plaisir et le divertissement et ce plaisir ne peut procéder que de la variété des événements qui s'y représentent, lesquels ne peuvent pas se rencontrer facilement dans le cours d'une journée ». Godeau fait chorus. Réplique de Chapelain : l'action représentée devant ressembler autant que possible à sa représentation, « la règle des vingt-quatre heures » est nécessaire ; sans quoi les spectateurs ne « pourraient plus ajouter de foi ni de créance » à l'ouvre (novembre 1630). Entre temps, Mairet, sous l'influence d'un milieu italianisant, a fait représenter, fin 1629, Silvanire, la première pastorale régulière. Dans une longue préface, tout en proclamant la supériorité du génie sur l'art, il défend le modèle d'une « maîtresse et principale action, à laquelle toutes les autres se rapportent », et l'unité de temps : le spectateur « goûte incomparablement plus de plaisir » - puisque celui-ci « consiste principalement en la vraisemblance » - à voir « une active et pathétique représentation des choses comme si véritablement elles arrivaient » devant lui pendant la durée même de la représentation, sans que l'imagination « coure toujours après son objet ». Malheureusement, peu de sujets offrent assez de « beaux effets [...] dans un si petit espace de temps ».

Ni Mareschal (1630) ni Scudéry (1631) ne veulent de « ces étroites bornes ni du lieu, ni du temps, ni de l'action ». Après Du Ryer (1630), Rayssiguier dit que les comédiens et la majorité du public veulent « la diversité et changement de la scène et [... ] le grand nombre des accidents et aventures extraordinaires » : pour plaire, il faut « écrire sans observer aucune règle » (1632). Cependant, elles gagnent du terrain. Corneille qui avait écrit sa première pièce, en 1629, en ignorant « qu'il y en eût », concentre la seconde en un seul jour (Cli-tandre, 1630). Près de la moitié des pièces de 1630-1634 s'applique à respecter les règles, qui triomphent peu après avec le renouveau de la tragédie. Toutefois, Corneille déclare déjà ce que répéteront Molière et Racine : « notre premier but doit être de plaire [...]. Il faut, s'il se peut, y ajouter les règles » (1637).



Les théoriciens s'intéressent particulièrement au théâtre. A la demande de Richelieu, La Ménardière publie une Poétique dramatique (1639) et d'Aubignac, qui espérait être nommé « intendant ou grand maître des théâtres », entreprend en 1640 sa Pratique du théâtre, publiée seulement en 1657. A travers les ouvrages des Italiens Vida, Scaliger (1561), Castelvetro (1570) et du Néerlandais Heinsius (1611), ils s'autorisent d'Horace et surtout d'Aristote, « le maître de la Raison » (La MénardièrE). Ils veulent soumettre le style au bon usage, la forme aux unités, les thèmes à la raison et à la morale.



L'exigence de « vraisemblance [...] si nécessaire en tout poème » (ChapelaiN) est « l'essence du poème dramatique » (d'AubignaC) (6). Elle est complétée par celles des bienséances qui ne réclament pas nécessairement « ce qui est honnête, mais ce qui convient aux personnes soit bonnes ou mauvaises » (ChapelaiN), ce qui sied dans chaque circonstance selon les conceptions dominantes. Toutes deux s'opposent à la vérité brute et aux imaginations originales : car « la feinte vraisemblable est fondée sur la bienséance et sur la raison, et la vérité toute simple n'embrasse qu'un récit d'accidents humains qui le plus souvent ne sont pleins que d'extravagances » (Desmarets, 1639). Le mariage de Chimène avec l'assassin de son père fait partie de ces « vérités monstrueuses qu'il faut supprimer pour le bien de la société » (cf. p 97).



6. Résistances



L'autoritarisme suscite de multiples résistances. Révoltes et complots, malgré une sévère répression, se poursuivent jusqu'à la mort du Cardinal - en attendant la Fronde. « La rage effrénée des duels » (Richelieu, 1625) ne recule que légèrement (7). Toutefois une sévérité nouvelle contre cette « gangrène [...] a montré qu'elle n'était pas tout à fait incurable » (Camus, 1638). Le Cid, tout en le condamnant au passage par obligation, exalte le duel et proclame que sans lui

Les affronts à l'honneur ne se réparent point. (468)

Mais de tels encouragements deviennent plus rares. Dans les années trente, il y a cinq fois plus de pièces de théâtre condamnant le duel que dans les années vingt.

Devant l'affirmation de l'absolutisme et de la religion, la libre pensée se replie sur la discrétion des cercles érudits, dont le plus célèbre est celui des frères Dupuy, l'Académie putéane. Des croyants dont l'esprit critique refuse soumission et superstition, comme Gassendi ou Gui Patin, y voisinent avec des athées comme La Mothe le Vayer (1588-1672). Il y a de curieuses contradictions : autour de Richelieu on trouve des athées, notamment son cher abbé de Boisrobert. Inversement, La Mothe le Vayer, à la demande du Cardinal, développe le point de vue de l'humanisme chrétien, alors que sa véritable pensée est un relativisme sceprique, opposé à la foi comme au rationalisme (cf. ses Dialogues de 1630 et ses Opuscules de 1643).



L'assujettissement et la normalisation de la littérature suscitent également des résistances. La décision de créer l'Académie fait « soulever force monde » (ChapelaiN) : « c'est une tyrannie qui se va établir sur les esprits » (BalzaC). Le Parlement, craignant pour ses prérogatives (législation sur le livre, censurE) refuse pendant deux ans d'enregistrer les statuts. L'Académie elle-même, jusqu'au moment où Richelieu se fâche, montre si peu de zèle qu'on devrait « l'appeler l'Académie des fainéants » (ChapelaiN). Les doctes ne sont pas tout d'une pièce. Balzac admire Le Cid : « savoir l'art de plaire ne vaut pas tant que savoir plaire sans art ». Chapelain se méfie du dogmatisme, reproche à la Cour « d'appauvrir la langue », préfère Gassendi à Descartes et Ronsard à Malherbe, dont les ouvres, moins « poétiques qu'oratoires » ne sont guère que « de fort belle prose rimée ».

Les personnalités les plus marquantes, tout en travaillant à l'avènement de l'ordre intellectuel, préservent leur liberté. Saint-Cyran par le refus de toute fonction dans la hiérarchie. D'autres par l'éloignement : Balzac en Charente, Corneille à Rouen, Descartes en Hollande, qui hésite à donner son adresse (8). Corneille est réticent devant les règles et la subordination idéologique : « Notre art n'a pour but que le divertissement » (1645) ; les doctes insisteraient moins sur les règles si, écrivant eux-mêmes, ils avaient « reconnu par l'expérience quelle contrainte apporte leur exactitude et combien de belles choses elle bannit de notre théâtre » (1660). Chantre de l'extraordinaire, il soutient « que le sujet d'une belle tragédie doit n'être pas vraisemblable » (1647). Mairet dénonce « la tyrannie de l'usage » et « le goût d'une cour qui fait et change [...] au gré de son caprice le prix des choses et des paroles » (1647). La Mothe le Vayer oppose la solidité linguistique des savants à la futilité des mondaines (1637, 1647).

Bref, la discipline avance sur tous les plans et le rationnel commence à l'emporter sur l'affectif. Mais l'évolution n'est pas achevée. Chapelain regrette que ne règne pas encore tout à fait cette « bienséance nécessaire qui oblige [...] à considérer à qui l'on parle et à choisir ses pensées et ses paroles [...] selon les circonstances. En la plupart des hommes, la nature gouverne et non pas l'art ; chacun suit son génie et ne reçoit son précepteur que de lui » (20 mars 1639). La crise de la Régence va permettre un recul de la discipline ; mais le déchaînement des Frondeurs et des intérêts, des précieuses et des burlesques suscitera une réaction en faveur de son renforcement.

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