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LA FORCE DES RENONCEMENTS - Roger Gilbert-Lecomte






C'est entendu. Table rase : tout est vrai, - il n'y a plus rien. Le grand vertige de la Révolte a fait chanceler, tomber la fantasmagorie des apparences. Illusion déchiquetée, le monde sensible se déforme, se reforme, paraît et disparaît au gré du révolté. À la place de ce qui fut lui-même, sa conscience, l'autonomie de sa personne humaine un gouffre noir tournoie. Ses yeux révulsés voient entre ses tempes tendues s'étendre une immense steppe vide barrée, à l'horizon, par la banquise de ses vieux sens blanchis.

Celui qui a renoncé à tout ce qui est hors de lui comme à tout ce qui est en lui, - qui, partant, ne sait plus distinguer le monde-hors-de-nous du monde intérieur, n'en restera pas là. Il y a dans la Révolte, telle que nous la concevons, un besoin de tout l'être, profond, tout-puissant, pour ainsi dire organique (nous la verrons devenir une force de la naturE) une puissance de succion qui cherchera toujours, poulpe de famine, quelque chose à avaler.



Quelles sont la nature et la forme de cette marche de l'esprit vers sa libération? La révolte de l'individu contre lui-même, par le moyen de toute une hygiène d'extase particulière (habitude des poisons, auto-hypnotisme, paralysie des centres nerveux, troubles vas-culaires, syphilis, dédifférentiation des sens et toutes les manouvres qu'un esprit superficiel mettrait sur le compte d'un simple goût de destructioN) lui a donné la première leçon. Il s'est aperçu que l'apparente cohérence du monde extérieur, - celle-là même qui devrait, paraît-il, le différencier du monde des rêves, - s'effondre au moindre choc. Cette cohérence n'est véri-fiable que par les sens; or elle varie avec l'état de ces sens, elle est uniquement fonction de lui-même et tout se passe comme s'il la projetait du fond de sa conscience au dehors. A peine masque-t-elle habituellement l'effroyable chaos dont les ténèbres ne s'illuminent que de miracles. Par «miracles» nous entendons ces instants où notre âme pressent la réalité dernière et sa communion finale en elle. Plus de séparations entre l'intérieur et l'extérieur : rien qu'illusions, apparences, jeux de glace, reflets réciproques. Premier pas vers l'unité, mais pour retrouver en lui le même chaos qui nous entoure.

Que peut être une progression spirituelle dans ce magma sans espace et sans durée ? Comment imaginer différent de l'immobilité l'élan de l'âme révoltée, ce mouvement dépourvu de sens, de vitesse et de direction que l'on voudrait figurer là-dedans ? Tout ce qu'on peut en comprendre c'est qu'il revient constamment sur ses pas. Autrement dit, tout est toujours à recommencer. L'image même de mouvement est fausse. Désespérément vers le point mort, le point immobile en son propre intérieur vibrant, le punctum stans des vieilles métaphysiques, l'astre absolu, il n'y a qu'une tendance forcenée de tout un être qui a perdu son moi. Ce concept de tendance résiste à toute analyse rationnelle. L'esprit occidental ignore cette forme d'activité. Seule l'analogie, ou mieux les correspondances swe-denborgiennes peuvent en rendre compte d'une façon toute intuitive.



Des symboles :

William Blake a vu dans la nuit primordiale les derniers des dieux, les Éons créateurs, qui expiraient les mondes. L'éternité immobile les. avait vomis. La durée ne coulait pas encore. Sans fin, sans espoir, suant du sang, hurlant d'angoisse, ils martelaient le vide.

J'ai connu - au fond d'un cabanon - le pétrisseur d'étoiles. D'ordinaire, coquille vide, regard mort. Soudain une nuit, mangeant ses poings, il tournoyait sur lui-même, hyène en cage. À l'aube, il tombait. La crise, corde tendue de la nuque aux talons, creusait ses reins, arquait son corps. Pendant deux jours et deux nuits, sans trêve, il vibrait, comme une chanterelle sous l'archet, en tremblements au rythme fou. Après la troisième crise on l'a roulé dans un grand drap blanc-sale. Une feuille de décès épinglée là-dessus.

Mais il savait que chacune des ondes émises par son corps vibrant à travers l'éther infini allait cogner, pétrir l'immensité lactée d'une nébuleuse. Contractée sous le choc, la nébuleuse devenait lumière, une étoile. Il est mort dans un éclaboussement d'astres.



C'est encore le travail de cet autre solitaire qui, sachant que le bonheur éternel ne se conquiert pas au mérite mais à la couleur des yeux, peine depuis des années pour modifier par la seule force de sa volonté la teinte brune de ses prunelles en bleu-céleste.

Peut-être de tels symboles font-ils naître le sentiment de ce labeur effroyable qui déroute l'esprit humain. Toujours est-il que dans cette marche de l'esprit en révolte vers sa résorption en l'unité, rien ne peut jamais être considéré comme acquis. Celui qui, ayant souffert mille morts successives, se croit tout près du but, au bout de sa voie, se retrouvera soudain, en face d'une action donnée, au stade végétal du malheureux qui n'a pas encore senti sourdre en lui le jet furieux de la révolte. Il croit, par exemple, avoir depuis longtemps dominé la tentation du suicide qui a hanté son adolescence et tout à coup une souffrance nouvelle lui fait désirer à nouveau pour son front desséché le baiser froid et visqueux de la petite bouche ronde du browning. Si bien que l'évolution dont nous voulons définir les stades successifs nous n'en donnons qu'une figuration schématique et théorique, nous la figeons arbitrairement alors qu'en fait tout se trouvera toujours lié à tout.

À l'état de révolte doit succéder l'état de résignation ; et cette résignation postérieure sera, au contraire de l'abjection, la puissance même. (Cf. René Daumal: Liberté sans Espoir.)

La lutte contre tout comporte nécessairement, reflet de son côté positif d'élan, de jaillissement formidable et spontané, un côté négatif de renoncements continuels. Quiconque a le désir profond de se libérer doit volontairement nier tout pour se vider l'esprit, et renoncer toujours à tout pour se vider le cour. Il faut qu'il arrive à faire naître peu à peu en lui un état d'innocence qui soit la pureté du vide. Sans jamais s'arrêter. Pas même au sein de la révolte. Le grand danger c'est de s'inventer des idoles pour se prosterner ensuite devant elles. Le révolté ne doit jamais considérer son état présent comme une fin en soi. Sous le knout de l'angoisse il doit le fuir, comme il a fui, déjà, l'abrutissement qui pesait autrefois sur sa vie. Car une révolte qui se prolonge risque de devenir un appui pour elle-même. Il faut savoir renoncer à cet appui comme à tous les autres.



Après l'action directe et violente voilà l'homme dans la position du monsieur qui a installé son fauteuil (en velours d'Utrecht cramoisI) sur les pavés de la place publique hérissée de barricades et qui, solidement vautré sur ce piédestal, ricane au milieu des incendies, des clameurs, des claquements d'étendards, des canonnades, en regardant les furieux héros de guerre civile : ils luttent pour de fausses libertés, ils remplaceront les institutions qu'ils détruisent par d'autres analogues, ils font de pauvres petites crises ministérielles. Et tout ce vain mouvement parce qu'ils n'ont pas encore atteint à sa belle conception du vide. Ne regardez jamais derrière vous, en vivant, nom de Dieua!

Imbécillité de l'individualisme.

La puissance de colère, le dynamisme de la révolte, son énergie potentielle, ne s'appliquent plus aux actions mêmes du résigné, puisque ne fixant plus ces actions, il ne peut plus rien fixer de son moi essentiel sur elles. Il entretient simplement cette force en dehors de lui (puisqu'il ne la refoule pas en sa conscience, et ne l'applique pas aux actions de son corpS). Cette force qui est, ne peut rester inemployée dans un cosmos plein comme un ouf et au sein duquel tout agit et réagit sur tout. Seulement alors un déclic, une manette inconnue doit faire dévier soudain ce courant de violence dans un autre sens. Ou plutôt dans un sens parallèle, mais grâce à un décalage subit, sur un autre plan. Sa révolte doit devenir la Révolte invisible. Il doit se produire quelque chose d'analogue à ce qu'on appelle en biologie un phénomène de variation brusque. Celui qui aura trouvé l'attitude favorable passera brusquement au-dessus de l'activité humaine. Comme un reptile qui devient oiseau, il passera de la connaissance discursive à la tendance-limite vers l'omniscience immédiate. Et son action de révolte deviendra une puissance naturelle, puisqu'il a saisi en lui le sens de la nature. Là seulement est la véritable puissance, celle qui soumet les êtres à sa loi et fait de son détenteur, aux yeux des hommes, un Cataclysme Vivant".

Mais est-ce là l'unique solution qui délivre de la vieille angoisse humaine? À quoi faire foi dans cette marche à l'absurde hérissée de difficultés sans nombre que l'on évite seulement au prix de ce qui semble à un cerveau occidental des subtilités byzantines? La réponse est simple. Des millénaires d'expérience ont appris à l'homme qu'il n'y a pas de solution rationnelle au problème de la vie. On n'échappe à l'horreur de vivre que par une foi, une intuition, un instinct antique qu'il faut savoir retrouver au fond de soi-même. Sondez l'abîme qui est en vous. Si vous ne sentez rien tant pis. La voie que nous tentons d'indiquer en ces pages nous en avons retrouvé le sens en nous. Appel aux hommes de bonne volonté ! Le reptile inlassablement a dévoré ses membres antérieurs qui repoussaient toujours dans le grand élan de vie des ères primitives, mais son instinct ne l'a pas trompé. Car soudain au fond des plaies béantes de ses moignons rongés les cellules qui naissent ont changé le sens de leur effort. À la place de ses torses pattes courtes antérieures poussent bientôt deux ailes immenses, conquérantes de l'air. Mais quel désir profond et obscur de voler, quel courage de mutilation, quelle absurdité (car où est le rapport, dirait l'intelligent, entre le désir de voler et le fait de se bouffer les patteS) ont permis ce magnifique envol au Père-des-oiseaux.



L'homme, dans son état actuel, est inévitablement condamné à l'abjection d'une misère sans bornes. Nous en sommes à un stade humain, que nous devons dépasser, puisque nous l'avons jugé. On ne le dépassera pas en exagérant ses caractères spécifiques. La vie, dans son évolution, procède par variations brusques. Il faut changer le sens de toute notre activité, prendre une attitude tellement nouvelle qu'elle bouleverse notre nature de fond en comble.

Les signes ne manquent pas qui proclament cette nécessité. Il n'est pas nouveau de dire que toutes les institutions sociales de l'Occident, entièrement pourries, sont dignes de toutes les révolutions. Mais dans un autre ordre d'idées, quel sort est réservé à la science discursive? Si ses applications donnent encore des résultats curieux, par contre où va la science théorique: devant l'accumulation des découvertes nouvelles, les savants se trouvent à court d'hypothèses; celles qu'on place en vedettes changent au jour le jour (un professeur du Collège de France ne disait-il pas récemment, au début de son cours, qu'il ne savait pas si ce qu'il professait serait encore tenu pour vrai à la fin de ce même courS), on est réduit à faire appel à des hypothèses contradictoires" pour expliquer des phénomènes différents.

Rotation sans fin d'une science sans base ni but dans la vanité abstraite ! Depuis Rimbaud, tous les écrivains, les artistes, qui ont pour nous quelque valeur - ils se reconnaîtront ici - ont-ils eu un autre but que la destruction de la « Littérature » et de l'« Art » ?



En général le travail de tous les esprits dignes de ce nom ne se réduit-il pas à la destruction des idoles Vrai-Bien-Beau et de tout ce qui fait la pseudo-réalité sur laquelle s'appuient encore les cerveaux hydrocéphales de quelques retardataires ?

Partout un besoin imminent de changer de plan.



Quant à savoir ce que sera le plan nouveau où se magnifiera notre vie, il est bien évident qu'un état auquel nous n'avons pas encore accédé, nous ne pouvons pas le comprendre ni même le concevoir puisque nous ne l'avons pas encore expérimenté. Du seul fait qu'il demeure le but vers lequel nous tendons, il se présente actuellement à nous comme étant l'absolu.

ROGER GILBERT-LECOMTE

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