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La guerre : des témoignages personnels aux grandes fresques






L'individu dans la guerre



Pour la première fois en 1914 entre en application le principe de la mobilisation générale. Ainsi la guerre devient l'affaire de tous. De ce fait, jamais autant d'écrivains ne se sont trouvés au front, ou du moins en contact direct avec la guerre. Ils ont donc pu la décrire en fonction de leur expérience et non d*après des documents, comme Zola lorsqu'il racontait la « débâcle » de 1870. Cela renouvelle profondément l'image traditionnelle de la guerre.

Ainsi, surtout dans les premières années qui ont suivi le conflit, on voit surgir une abondante littérature de témoignage, centrée sur l'expérience vécue par un individu, dont la vision reste nécessairement fragmentaire et impressionniste. Le point du vue du « poilu » correspond souvent à celui de Fabrice del Dongo. perdu dans l'immense champ de bataille de Waterloo, mais avec cette différence que la guerre moderne, « guerre d'enfer », selon Alphonse Séché, avec ses obus et ses tranchées, n'a plus rien de commun avec la guerre classique. Cette guerre industrielle et bureaucratique donne moins l'occasion de se battre que de se faire tuer. Elle est moins le lieu de l'exploit et de la gloire que celui de la misère et de la résignation. C'est la guerre sinistre et grisâtre telle que la peint Gromairc (La Guerre,

1925).

C'est Le Feu de Henri Barbusse (prix Concourt 1916), qui, présenté comme le « journal d'une escouade ». oriente la littérature de guerre dans la voie d'une description volontiers « naturaliste », peignant avec une précision cruelle les détails de la vie quotidienne et soulignant ainsi, du point de vue du simple soldat, les aspects sordides ou atroces de la guerre. Celle-ci perd donc son aura héroïque pour devenir une aventure inhumaine et lamentable.

Pour en parler, le ton de l'épopée sonnerait faux (c'est ce que Kessel lui-même fait constater par le narrateur de L'Équipage*). Les nombreux témoignages suscités par la guerre se veulent donc avant tout « sincères » : ils cherchent à détruire les légendes, à lutter contre tous les « bourrages de crâne » et la littérature artificielle de l'arrière. Et de ce fait ils constituent le plus souvent une critique de la guerre.



Avec Vie des martyrs (1917), Georges Duhamel nous l'ait part de son expérience de médecin qui a vu de près le front et les multiples souffrances, physiques et morales, causées par l'état de guerre. Il décrit avec pitié et émotion, indignation parfois, tout ce qu'ont eu à subir ces hommes, qui. malgré leur courage, sont plus des « martyrs » que des « héros » glorieux.

Les livres de Maurice Genevoix. rassemblés sous le titre général de Ceux de 14, sont de purs témoignages, dépourvus de toute transposition littéraire. L'auteur y avoue la désillusion que le conflit a provoquée en lui. Parti pour le front avec une image héroïque de la guerre, il est vite dégoûté et révolté par la morne vie des tranchées, par la grisaille et la boue d'un affrontement sans grandeur, où l'homme est diminué et réduit à l'état de matériel. Et sa révolte se trouve accrue du fait qu'il perçoit de moins en moins la justification d'un conflit senti comme une « farce démente4 » (La Boue, 1921, et Les Éparges, 1923).

Les Croix de bois (prix Femina 1919) de Roland Dorgelès sont, avec Le Feù, le plus célèbre de ces livres de guerre. Il nous offre l'exemple d'un témoignage romancé sans doute, mais qui donne pourtant une impression poignante d'authenticité. L'étonnement de l'intellectuel Demachy, tout comme la gouaille de l'homme du peuple Sulphart, contribuent également à dépoétiser la guerre, à la désacraliser, au besoin en montrant certains de ses aspects cocasses.

Quoique plus tardif, le témoignage de Drieu La Rochelle dans les nouvelles de La Comédie de Charleroi (1934) est représentatif du sentiment de désillusion inspiré à tant de combattants par la guerre de 14. Il y rend compte de sentiments complexes où se mêlent la nostalgie de l'aventure héroïque, telle qu'il l'a rêvée sur le champ de bataille de Charleroi, et l'horreur pour la guerre industrielle et déshumanisée des temps modernes, celle de Verdun.

Quel que soit le ton adopté, ces livres portent un jugement sévère sur le conflit de 14-18. C'est précisément aussi l'objectif d'Alain que de « juger » la guerre, qu'il avait faite comme engagé volontaire à 46 ans. Dans Mars ou la Guerre jugée (1921), il ne la décrit pas, mais en analyse les ressorts, qui sont selon lui les passions. La guerre exploite, en effet, les pulsions les plus irrationnelles de l'homme et elle est définie elle-même comme « un crime passionnel' ». Elle crée un ordre tyrannique par lequel l'individu se trouve asservi et dégradé.

Parfois, c'est par le biais de l'humour que va s'exprimer le désaveu de la guerre, ce qui est une autre manière de refuser les poncifs héroïques. Ainsi dans ses deux livres (Les Silences du colonel Bramble. 1918, et Les Discours du colonel O'Grady, 1922), André Maurois, par exemple, allie un humour froid à l'anglaise et une ironie mordante à la française pour mettre en relief les absurdités dont se nourrit la guerre. Sous le masque du cynique D' O'Grady, il dénonce l'éternelle comédie des instincts et des passions, que l'on pare d'idéologies flatteuses, afin de justifier les combats. Le Français Aurellc. moins cynique que O'Grady mais qui finit par devenir aussi sceptique que lui, représente souvent l'indignation de Maurois lui-même et son malaise devant un monde où tombent au hasard les obus et les décorations.



Giraudoux relate sa propre expérience dans Lectures pour une ombre (1917) et Adorable Clio (1920). Le caractère à la fois paradoxal et précieux de ce dernier titre ne doit pas nous tromper. Si Giraudoux a voulu « caresser » la guerre, comme il le dit lui-même avec un clin d'ceil, c'est pour apprivoiser le monstre, c'est pour l'humaniser. Dans ces récils où toutes les réalités cruelles de la guerre apparaissent, mais en filigrane, il s'attache à montrer sa tendresse pour ses camarades, dont il conte la mort avec une émotion cachée sous la désinvolture. Car pour lui le mérite de la guerre, si elle en a un, c'est de l'avoir rapproché des autres hommes.

Cocteau, qui était réformé mais avait pu se rendre clandestinement sur le front belge dans un camp de fusilliers marins, transpose son aventure dans Thomas l'imposteur (1923). 11 y rejette la description « réaliste » de la guerre à laquelle tant de témoignages avaient habitué le public. Il la présente dans une atmosphère de fantaisie et de jeu, de beauté et de féerie parfois, qui peut sembler frivole. Ses héros, pourtant, découvrent eux aussi les horreurs de la guerre, comme en témoigne la scène où l'on voit les blessés français et allemands confondus dans une même souffrance. En prêtant à son héros une innocente « imposture », puisque celui-ci a revêtu un uniforme auquel il n'a pas droit. Cocteau dénonce en fait l'imposture de la guerre elle-même : ses trucages et ses mensonges.

C'est encore se déprendre des poncifs héroïques que de décrire l'étonnant spectacle proposé par la guerre avec ses fusées multicolores ou ses explosions gigantesques. Beaucoup y ont été sensibles : Apollinaire {Calligrammes. 1918), mais aussi Dorgelès et même Barbusse dans Clarté. L'accusation violente que Cendrars porte contre la guerre ne l'empêche pas d'être sensible à l'opéra fabuleux qu'elle constitue (J'ai tué, 1918 : dans Aujourd'huI). Proust évoquera dans Le Temps retrouvé une étonnante scène nocturne, lors d'une attaque de zeppelins dans le ciel parisien, semblable à une fantastique chevauchée de Walkyries. Lui aussi d'ailleurs veut se débarrasser de certains préjugés : c'est pourquoi il fait dialoguer la germanophilie du narrateur avec la germanophobie de M. de Charlus.

La guerre a pu constituer aussi une aventure personnelle. D'après de nombreux témoignages, elle favorisait la vie intérieure. Elle pouvait donc être vécue comme une expérience à la fois tragique et enrichissante qui met l'homme sur le chemin de la vérité. Henri Ghéon y découvre la foi (L'Homme né de la guerre. Témoignage d'un converti, 1919). D'autres y font un apprentissage sévère de la vie. La guerre devient ainsi une école, non pas de vertu, comme le prêchaient certains, mais de lucidité. Le héros de Barbusse dans Clarté (1919) doit à l'expérience de la guerre de ne plus se laisser abuser par les mensonges de la vie sociale. Dans une tout autre optique, Montherlant nous présente dans Le Songe (1922) un héros qui part pour le front èrr«~îouriste », sans se soucier des devoirs imposés par la collectivité. La guerre lui révélera où sont les vraies valeurs, les valeurs « viriles » de la force, au détriment de celles du sentiment.



C'est dans cette perspective que la guerre peut retrouver, en partie au moins, une dimension héroïque : elle est pour certains l'occasion d'exalter leur goût de l'action et d'affirmer une éthique individualiste indifférente à la morale commune. On en a un autre exemple avec L'Équipage (1924) de Joseph Kessel. L'aviation, en effet, pouvait encore nourrir dans une certaine mesure un rêve d'aventure chevaleresque, en contraste avec les tristesses et les laideurs de la guerre des tranchées. Et pourtant, même dans ce livre, le héros entre comme tant d'autres dans « les coulisses de l'épopée" ». Il voit l'envers de la légende. Mais l'essentiel du roman est dans le drame intérieur du personnage, lorsqu'il découvre que son camarade d'équipage est le mari de sa maîtresse.

Les héros de Montherlant ou de Kessel sont des êtres qui vivent leur expérience du front comme une aventure personnelle et qui aiment les valeurs propres à la guerre : l'action, la force. Ils ont des âmes d'aventuriers, tout comme le héros de Roger Verccl dans Capitaine Conan (1934), personnage de boutiquier, qui a découvert, grâce à la guerre, ses qualités de chef et d'homme d'action, dans l'indifférence à toute morale. Au contraire dans Petit-Louis (1930), où Eugène Dabit transpose sa propre expérience de la guerre, celle-ci n'a rien d'une aventure exaltante, c'est une étape dans l'apprentissage que le protagoniste, un enfant du peuple, fait des misères de l'existence.



Élargissement des perspectives : histoire, épopée, tragédie



À l'ère des témoignages individuels succède celle des vastes synthèses, où le point de vue unique est remplacé par une multitude d'aperçus qui se complètent ou par un regard global qui fixe le sens des événements, dans la perspective de l'histoire de toute une société, voire du destin de l'humanité. Ces livres écrits au cours des années trente sont en général dominés par les inquiétudes que suscite la menace de plus en plus pressante d'un nouveau conflit.

Ainsi, bien qu'ils soient centrés sur l'histoire d'un individu, les romans d'Henry Poulaille, Pain de soldat (1937) et Les Rescapés (1938), nous offrent l'évocation complète de toute la durée de la guerre. Ils constituent à la fois un document « naturaliste » et une ouvre militante, un manifeste pacifiste.

C'est aussi toute la guerre, telle qu'elle a été vécue dans une ville du Nord occupée par les Allemands, que raconte Invasion 14 (1935) de Maxence Van der Meersch. dans une perspective à la fois « naturaliste » (par son aspect de documenT), « unanimiste » (par sa peinture de la vie collectivE) et surtout chrétienne, puisque le mystère de la souffrance et du mal y donne leur vraie portée aux événements.

L'angoisse et l'horreur de la guerre apparaissent souvent dans l'ouvre de Louis Guilloux et notamment dans Le Sang noir (1935). À l'inverse de ceux de Poulaille, ce livre ne raconte qu'une journée de la tragique année 1917. telle qu'elle a été vécue dans une petite ville de province. Mais à travers ce prisme, où se mêlent en contrepoint les histoires de multiples personnages, c'est toute l'atmosphère empoisonnée créée par la guerre qui est évoquée. Guilloux, en effet, ne cherche pas à peindre les causes sociales ou politiques du conflit, il en décrit les effets psychologiques et moraux : le jeu des comédies et des hypocrisies, le délire patriotique dégénérant en folie sanguinaire, la révolte instinctive et désespérée des jeunes gens envoyés à la boucherie ou l'impuissance des individus lucides comme Cripure.

Avec les trois premiers volumes du Monde réel d'Aragon, c'est-à-dire Les Cloches de Bâle (1934), Les Beaux Quartiers (prix Théophraste-Renaudot 1936) et Les Voyageurs de l'impériale (paru en 1942 mais écrit en 1939), la guerre elle-même est presque totalement absente (sauf dans la dernière page des VoyageurS); pourtant elle est à l'horizon de tous ces romans. Elle y plane comme une menace. Et elle leur donne aussi leur pleine dimension historique. En effet, en décrivant la société de la Belle Époque, Aragon analyse les causes de la guerre. Adoptant un point de vue marxiste, il explique la guerre comme le produit de la société capitaliste, avec ses conflits d'intérêts et sa course au profit. Mais il en fait aussi la conséquence de l'individualisme irresponsable dont un bourgeois comme le protagoniste des Voyageurs de l'impériale a toujours été l'exemple.

Dans La Pêche miraculeuse (1937) de Guy de Pourtalès, la Première Guerre mondiale est symbolisée par le « cheval roux » de l'Apocalypse, car elle est elle-même l'apocalypse de tout un univers et de ses valeurs. Le récit de la guerre, qui occupe deux parties sur six, est fait selon plusieurs points de vue, notamment celui du héros, engagé volontaire comme Pourtalès lui-même, celui des chefs, celui de l'arrière, ou bien selon la perspective globalisante du narrateur. Ce qui nous donne l'impression d'une fresque historique de grande ampleur sans pour autant qu'on perde l'avantage d'une perception directe des événements, vécus dans le cadre d'une aventure individuelle.



Ce sont des effets analogues que produit à sa manière en 1938 Jules Romains avec deux tomes des Hommes de bonne volonté : Prélude à Verdun et Verdun. Ces deux volumes constituent le volet central d'une fresque couvrant un quart de siècle, d'octobre 1908 (lorsque la Bulgarie proclame son indépendancE) à octobre 1933 (lorsque Hitler accède au pouvoiR), deux dates où les menaces de guerre se font sentir. Dans Prélude à Verdun, une longue introduction panoramique explique au lecteur ce qu'aucun cerveau, même parmi les chefs suprêmes, ne pouvait voir et comprendre. Puis la guerre nous sera présentée sous des angles divers : ceux du front, du GQG, des états-majors, de l'arrière (dans les salons, chez les hommes d'affaires ou les ouvrierS). Une conscience privilégiée, celle de Jerphanion, commente à plusieurs reprises ce qui se passe au front et explique notamment, dans la variété infinie des cas individuels, la psychologie du soldat et ce qui lui permet de « tenir ». Ici Jules Romains applique sa perspective unanimiste à un roman de grande ampleur : la guerre est perçue en tant que phénomène collectif. Et, alors que les « témoignages » tendaient à donner l'impression que l'individu perdu dans la guerre ne peut y comprendre grand-chose, Romains tente de faire comprendre l'incompréhensible.

Cette perspective essentiellement explicative s'accompagne souvent cependant d'un ton satirique à l'égard du haut commandement. Il en est ainsi pour le général Duroure, un arriviste, soucieux de ses aises même au front. Mais d'autres chefs, comme Pétain. qui figure dans le roman, sont présentés sous un jour favorable. Malgré la résonance pacifiste de son ouvrage, Jules Romains veut garder un ton d'objectivité propre à l'historien. Son livre n'a pas l'âpreté dénonciatrice qu'avaient certains « témoignages », tout proches de l'événement.

Le propos de Roger Martin du Gard, profondément pacifiste lui aussi, est également de faire comprendre le phénomène de la guerre et de le faire détester. Après avoir consacré les premiers volumes des Thibault aux aventures personnelles de ses héros, il introduit avec L'Été 1914 (1936) et Épilogue (1940) une perspective historique, en relation sans doute avec l'angoisse du nouveau conflit qu'il sent approcher. Sa révolte instinctive contre la guerre se traduit dans le pacifisme de Jacques. Mais on n'apercevra la guerre elle-même que par bribes, dans l'aventure finale de Jacques lançant des tracts pacifistes au-dessus des tranchées, et dans le journal intime d'Antoine. En fait L'Été 1914 est consacré aux événements qui, en quelques semaines, ont amené le déclenchement du conflit.

À la différence de Romains, Martin du Gard n'intervient jamais en tant que narrateur omniscient. Les informations sur la situation politique sont toujours liées à des points de vue variés et limités, mais qui se complètent mutuellement. Ce que nous voyons, ce sont les incertitudes et l'angoisse des personnages qui, sans toujours comprendre ce qui se passe réellement, se trouvent entraînés inéluctablement vers la catastrophe. Car le récit de Martin du Gard met en relief la marche implacable des événements.



Ce recul par rapport aux faits, qui au cours des années trente conduit aux reconstitutions d'histoire, peut aussi faire retrouver une forme de vision épique, alors qu'au contraire le « témoignage », par sa nature même, tendait' à la supprimer. Vision épique, c'est-à-dire stylisée, symbolique, où l'action, même celle des individus, s'inscrit dans des mouvements collectifs, comme c'est le cas chez Jules Romains par exemple. Mais cette dimension épique ne sert pas à célébrer la guerre. Car la véritable épopée et le ton héroïque qui généralement l'accompagne, semblent incompatibles avec le conflit bureaucratique et industriel de 1914, qui écrase l'homme au lieu de l'exalter.

C'est bien une sorte d'épopée que Le Grand Troupeau où Giono, dès 1931, dénonce violemment la guerre avant de lancer son appel à la désertion en 1937. Bien que certaines scènes doivent beaucoup à son expérience personnelle, il ne cherche pas à apporter un témoignage. Il s'intéresse moins aux faits vécus qu'à leur signification secrète. Dans son livre, la guerre est moins un événement historique qu'un drame cosmique. Elle est une figuration concrète de l'Apocalypse. En ce sens le récit est épique : la nature elle-même prend sa part du malheur général. Les champs et les bêtes souffrent comme les hommes de cet état de guerre qui introduit partout le désordre et le deuil. Et c'est un même mouvement de désolation qui entraîne le troupeau de moutons descendant de la montagne et le « troupeau » de soldats conduits à la guerre/abattoir.

Chez Céline, dans Voyage au bout de la nuit (1932), la représentation de la guerre procède encore d'une vision épique, bien qu'il ne nous raconte que l'expérience de Bardamu. En effet, l'odyssée du héros traversant les épreuves du front prend une valeur symbolique : celle d'une initiation terrible au malheur et à l'absurde. Mais si le génie visionnaire de Céline le conduit à l'épique, son génie de la dérision fait du livre une contre-épopée. À sa manière paroxystique, Céline dénonce la guerre mais aussi les fictions qui la justifient car. pour lui. elle n'est que le produit des instincts malfaisants qui sont en l'homme. En ce sens, elle est subie comme une fatalité. Et elle est le signe révélateur à la fois d'une civilisation en folie et d'une existence absurde où règne la mort toute-puissante.

Dans beaucoup de ces ouvres qui reconstituent l'histoire ou lui donnent une ampleur épique, la haine de la guerre n'est pas moins forte que chez les « témoins ». Elle est même avivée par les craintes que provoque la « montée des périls ». Le désir d'y voir clair est lié à une question angoissante : peut-on lutter contre la guerre ? La prochaine guerre, que l'on redoute, est-elle fatale ?

Même parmi les pacifistes des années vingt, certains, comme Romain Rolland, finissent, devant la menace de l'hitlérisme, par accepter l'idée de la guerre. Toute une partie de la gauche, celle qui est le plus influencée par Moscou, évolue du pacifisme au bellicisme, afin d'abattre les forces impérialistes et capitalistes. Aragon, par exemple, évoque avec ironie le Congrès pacifiste de Bâle en 1912, dont les principaux participants devaient deux ans plus tard accepter un conflit qu'ils n'avaient pas su empêcher. Les sonneries des cloches dans cette ville en fête sont déjà comme le tocsin qui annonce la guerre. À l'épilogue des Cloches de Bâle s'oppose, dans Les Beaux Quartiers, le rassemblement populaire du Pré-Saint-Gcrvais en 1913. Dans ces manifestants, pacifistes pourtant, le narrateur veut voir une « armée » : « l'armée du peuple, faite pour abattre l'armée des puissants7 ».

D'autres continuent à mettre leurs espoirs dans la paix. L'un des plus optimistes - ou des moins pessimistes - est sans doute Jules Romains qui, en tant que président du Pen Club International, lance en 1939 un « Appel aux écrivains du monde entier » en faveur de la paix. Chez lui, la notion de « bonne volonté » implique qu'il y a une possibilité, si ténue soit-elle, de lutter contre les mécanismes guerriers. Ceux-ci en effet ne sont pas sans faille. Ils ne sont donc pas inéluctables. Le hasard aveugle peut jouer son rôle, tout comme la « bonne volonté ».



Cet espoir mis dans la « bonne volonté » peut faire songer à l'attitude d'Alain qui repousse le fatalisme et croit à la possibilité de l'action humaine contre les forces aveugles de l'histoire. L'homme peut vaincre la guerre à condition qu'il domine ses passions. Alain veut croire aux ressources de la raison. Chez Giono, lui aussi pacifiste intégral8, c'est la foi dans la vie qui repousse l'angoisse suscitée par la guerre. Son intransigeance, telle qu'elle se manifeste dans Refus d'obéissance (1937). procède d'une foi plus instinctive que rationnelle dans les forces de la paix, qui sont celles de la vie.

Dans La Pêche miraculeuse, Pourtalès ne semble pas se faire beaucoup d'illusions. Son Épilogue commence par évoquer les débuts de la SDN à Genève et l'immense espoir que cette entreprise fait naître chez certains. Mais d'autres restent sceptiques et il est vrai qu'à la lumière de la situation dramatique de 1937, cette espérance de paix universelle pouvait paraître bien illusoire. Il semblerait que Pourtalès exprime une philosophie de l'histoire assez désabusée - qui nous fait penser aux réflexions du D' O'Grady -, lorsqu'il écrit de la guerre qu' « on la sentait fatale comme elle l'a toujours été, comme elle le sera toujours9 ». Et lorsqu'il ajoute qu'elle est « l'un de ces grands drames dont il est vain de tenir les hommes pour responsables », ne suggère-t-il pas que l'homme reste impuissant devant le mouvement de l'Histoire ?

Cette amertume est assez proche de celle de Martin du Gard, qui nous montre ses héros pris au « piège » tragique de la guerre. Il est significatif que. contrairement à ce qui était initialement prévu. Les Thibault s'achèvent sur la guerre avec la mort des deux protagonistes. Au contraire, Jallez et Jerphanion continuent à vivre et à lutter après le conflit. Chez Martin du Gard, les espoirs qu'Antoine met dans la SDN sont amèrement démentis par les faits pour un lecteur de 1940, date de parution du livre. Quant à la « bonne volonté » de Jacques, elle reste isolée et chimérique. D'ailleurs, par une ironie tragique, ceux mêmes qui prétendaient empêcher la guerre, les socialistes, ont fini par l'accepter.

Une semblable ironie tragique commande un des chefs-d'ouvre dramatiques de l'entre-deux-guerres : La guerre de Troie n'aura pas lieu (1935) de Giraudoux. Les tentatives des hommes de « bonne volonté » comme Hector, qui semblaient pouvoir réussir et être comprises même par des réalistes comme Ulysse, sont mises en échec au dernier moment par la mauvaise volonté d'un « destin » obscur. N'est-ce pas précisément le geste du pacifiste Hector tuant le belliciste Démokos pour empêcher le conflit, qui permet à ce dernier d'accuser Oiax et d'entraîner les Troyens dans la guerre ? Comme le disait déjà Cassandre au premier acte, il faut tenir compte de « deux bêtises, celle des hommes et celle des éléments1" ». Cette phrase pourrait être l'écho des désillusions du diplomate Giraudoux qui suivait de près les efforts précaires tentés pour sauver la paix ".



Conçue à l'échelle de l'individu ou à celle de la collectivité, la guerre a largement contribué à faire renaître le sentiment tragique, c'est-à-dire l'idée que le destin de l'homme est mû par des forces obscures qui échappent à sa volonté. Ainsi, pour le chrétien Bernanos, la guerre a été par excellence l'expérience du mal. Elle n'a fait que le persuader davantage de l'existence d'une puissance démoniaque acharnée à la perte de l'humanité. Sous le soleil de Satan (1926) est pour cette raison un des « livres nés de la guerre'2 ». De même, les violences de la guerre d'Espagne lui inspirent Nouvelle Histoire de Mouchette (1937) où il transpose la tragédie de l'innocence martyrisée.

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