Essais littéraire |
Est-il possible de définir la poésie de Shelley ? Oui et non, semble-t-il. Dès le moment où le poème commence, la pensée, chez lui, se découvre projetée vers le futur. Elle est, sur-le-champ, saisie, possédée, emportée. Un courant l'entraîne. Elle se hâte vers un but. Mais quel est ce but ? Sans rapport avec le passé, ni même avec le présent, dont le poète ne se soucie que pour en faire tout juste le point de départ, le tremplin peut-être, de son activité, ce but ne peut être localisé que dans le futur. Entrevu, mais jamais défini, il est d'emblée reconnu comme le point indéfinissable vers lequel il faut que toute l'activité se concentre. Une impulsion d'une intensité tout de suite exceptionnelle porte le poète vers ce point. Cela donne au but entrevu une espèce de forme anticipée. Mais ce but quel est-il ? Où est-il ? Comment le reconnaître ? Comment arriver à s'en donner une définition ? Le propre de la poésie de Shelley, c'est qu'elle se montre à la fois extraordinairement soucieuse de l'incitation qui la pousse, et profondément vague relativement à l'objet de celle-ci. D'où, dans cette poésie, un mélange insolite de fougue et d'indécision, qui imprime à tous les poèmes de Shelley un élan incomparable, mais constamment troublé par la peur de manquer le but. Un courant emporte les images. Malheureusement, il ne procède pas en ligne droite. 11 est freiné par des obstacles. Il faut les contourner. De nouvelles images surgissent. Cependant, elles sont tout aussi susceptibles de disparaître que d'apparaître. L'unité de la vision est donc sans cesse remise en question. Il en résulte que, s'élançant pour ainsi dire d'image en image, traversant, tout au long de son cours, des zones contrastées d'obscurité et d'intense lumière, le poème de Shelley, quel qu'il soit, est immanquablement affecté par une trépidation, un tremblement de la vision, qui ne le quitte jamais. Une vie galvanique l'anime, mais c'est une vie essentiellement instable, qui rend impossible, inconcevable même, toute ferme détermination de ce qui est visé ou éprouvé. Il est vrai que le poème ne faiblit pas dans sa course vers le terme, mais ce terme, il ne donne jamais l'impression de pouvoir l'atteindre. S'il se termine, c'est souvent par une sorte d'évanouissement de la pensée, où se consomme la volatilisation de ce qu'elle cherchait à déterminer. Shelley parfois s'abandonne à ce qu'il appelle rêverie, mais la rêverie ne saurait être pour lui qu'une cogitation haletante,, poursuivie sans repos ni détente, et qui n'a pour aboutissement que ce qu'il appelle « une fuite éternelle de la pensée ». Cette fuite, à la fois, révèle et masque le vide ambiant. D'un côté, elle le dissimule en essayant de le combler à l'aide d'images nombreuses et saisissantes; de l'autre, elle l'accentue par l'énergie avec laquelle l'auteur cherche à s'en dégager. Bref, personne n'a mieux montré par son propre vertige que toute activité d'esprit côtoie de très près ce qu'elle craint le plus, c'est-à-dire la fuite de la pensée, le néant. SHELLEY : TEXTES Nous sommes semblables à des nuages poussés par le vent et qui reçoivent ainsi des teintes communiquées par le ciel et qui paraissent et disparaissent selon les caprices du vent... La lumière céleste brille éternellement. Les ombres de la terre bougent sans cesse. La vie comme un dôme fait de mille carreaux colorés tache la blancheur spleri-dide de l'éternité jusqu'à ce que la mort la brise en mille fragments. Le futur et le passé sont de vaines ombres montrant la fuite éternelle de la pensée, mais qui en elles-mêmes n'ont pas de substance. ... Les visions du rêve cachent dans un gouffre obscur le courant trouble de l'esprit. Le long de la rivière rapide du temps une image inquiète se révèle, qui tremble mais ne-passe jamais... L'esprit y crée un chaos toujours nouveau. A la surface du fleuve les ombres des vastes temples s'étendent sans jamais s'effacer mais en tremblant toujours. Qu'il est triste de penser que ces visites de l'esprit de vie flottent sans cesse et s'évanouissent. Ceux qui sont sujets à cet état d'esprit qu'on appelle rêveries ont le sentiment que leur nature se dissout dans l'univers environnant à moins qu'ils ne sentent inversement l'univers ambiant absorbé par leur être. Pour eux, il n'y a pas de distinction. Poésie pleine de chambres enchevêtrées et désordonnées... ou comme une rivière se hâtant vers quelque masse obscure... |
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