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La poésie dite « engagée »






Le 10 juillet 1559, le roi de France Henri II mourait des blessures qu'il avait reçues pendant un tournoi au cours des fêtes organisées pour célébrer le double mariage de sa fille et de sa sour ainsi que le traité de paix, signé quelques mois plus tôt, entre les Habsbourg et les Valois. La fille d'Henri II, Elisabeth, épousait Philippe II, roi d'Espagne, et sa sour Marguerite se mariait à Emmanuel-Philibert, duc de Savoie. La paix de Cateau-Cambrésis (avril 1559) marquait la fin des guerres entre les Habsbourg et les Valois. Henri II renonçait à ses prétentions aux territoires du Saint Empire et reconnaissait à Philippe II ses droits légitimes en Italie et aux Pays-Bas. Ce trépas passait pour un présage des plus inquiétants : si le royaume était en apparence paisible et prospère, on voyait aussi se profiler 1 "ombre menaçante de la guerre civile.

Les hostilités entre catholiques et protestants devaient commencer peu après la mort accidentelle du roi et durer jusqu'à la signature de l'édit de Nantes en 1598. Les guerres de Religion allaient ensanglanter la France sous le règne des trois fils de Catherine de Médicis : François II. Charles IX et Henri III. Pendant près de quarante ans, le royaume de France allait être déchiré par des conflits politiques, militaires et religieux, avec pour point culminant les massacres tristement célèbres, commencés à Paris le jour de la Saint-Barthélémy (24 août 1572) et continués en province pendant plusieurs jours - l'une des pages les plus noires de l'histoire de France (Crouzet. Pemot, MiqueL).



Les poètes ne restèrent pas indifférents à l'horreur de ce qu'on appelait alors, non sans euphémisme, les « troubles » ou les « misères » de l'époque : pour les condamner et, parfois, pour les justifier ou même les célébrer. Les jugements que l'on porte sur les acteurs du drame divergent évidemment : comment s'accorder sur des personnages aussi complexes et aussi protéens que la reine mère, Catherine de Médicis, ou le chef du parli calviniste, l'amiral Gaspard de Coligny ? On se prononce souvent avec véhémence, et donc imprudemment, sur ce qui a pu motiver les intrigues menées par les factions catholiques et protestantes, par la puissante famille des Guise et les partisans du huguenot Henri de Navarre qui montera sur le trône sous le nom d'Henri IV après sa conversion au catholicisme.

Nombreux sont les commentaires du xvr* siècle qui nous sont parvenus sur ces événements tragiques. Les progrès de l'imprimerie et des circuits de distribution devaient en faciliter la diffusion. Qu'on pense, par exemple, au recueil de documents rassemblés par Simon Goulart, pasteur calviniste de Genève, publié anonymement en 1576-1577 sous le titre peu compromettant de Mémoires de l'estât de France sous Charles IX. Les imprimeurs ont joué un rôle important pour façonner l'opinion publique et disséminer la propagande des partis au-delà même des frontières de France, comme en témoigne la pièce de Christopher Marlowe, The Massacre at Paris. Cependant, les poètes ont aussi fait vibrer les cours et renforcé la cause des partisans, pour le meilleur et souvent pour le pire. La musique des vers peut être redoutable lorsqu'elle s'allie au fanatisme.

Les deux plus grands poètes du temps ont vécu la plupart de ces événements et les ont transposés, chacun à sa manière, dans ce qu'on considère généralement comme la partie la plus vibrante de leur ouvre : Ronsard, le catholique, et d'Aubigné. le huguenot, ont pris clairement parti pour des camps opposés. D'autres écrivains, comme Montaigne, tout en restant loyal au roi de France, ont refusé de se laisser embrigader dans les querelles d'idées, rejoignant le camp des politiques*, c'est-à-dire de ceux qui pensaient trouver la solution au conflit dans la négociation mais durent finalement se rendre à l'évidence de leur échec. Montaigne n'était pas poète, même s'il était très sensible à la poésie (I, 37, p. 231-232). Mais, pour ceux qui se disent enfants d'Apollon, il est tentant d'emboucher la trompette de Mars pour se rallier à une cause et inviter au combat. Ronsard el d'Aubigné n'assisteront pas, impuissants et impassibles, à la rage des fanatiques de l'autre bord et au massacre de leurs coreligionnaires innocents : le silence ne leur sera pas permis. De plus, pour tout humaniste qui a lu Horace et Juvénal, le discours de Y engagement n'a plus de secrets. L'exemple des classiques est trop tentant : il faut entrer dans l'arène et mettre son savoir et sa verve au service du parti de son choix. Mettre en scène l'actualité contemporaine n'est jamais un acte neutre, innocent, lorsqu'on est poète. Dans la première préface de La Franciade (1572), Ronsard rappellera la distinction essentielle qu'avait faite Quintilien, à la suite de la Poétique d'Aristote, entre l'Histoire et la Poésie :



Encore que l'Histoire en beaucoup de sorte se conforme à la Poésie [...J, quant à leur sujet ils [l'historien et le poète] sont aussi éloignés l'un de l'autre que le vraisemblable est éloigné de la vérité. L'Histoire reçoit seulement la chose comme elle est ou fut, sans déguisure* ni fard, et le Poète s'arrête au vraisemblable, à ce qui peut être et à ce qui est déjà reçu en la commune opinion (OC,l,p. 1181-1182).



Et, dans la préface posthume de 1587, Ronsard renchérira :

Plusieurs croient que le Poète et l'Historien soient d'un même métier, mais ils se trompent beaucoup : car ce sont divers artisans qui n'ont rien de commun l'un avec l'autre (OC, I, p. 1165).

Le poète se sert du « possible » et non de la « vérité ». Mais ce «possible», il l'expose et le défend, «au rebours de l'Histoire, porté de fureur* et d'art* » (OC, I [1572], p. 1182) '. Cet aveu qui donne à l'inspiration et à l'artifice une place centrale ne doit pas étonner. Ronsard et d'Aubigné sont conscients d'échafauder une lecture tronquée du vécu comme arme de combat pour faire triompher leur cause et en transmettre une version enthousiaste aux futures générations. Montaigne décrit l'extraordinaire pouvoir de la poésie en ces termes :



La bonne, l'excessive, la divine [poésie] est au-dessus des règles et de la raison. Quiconque en discerne la beauté d'une vue ferme et rassise*, il ne la voit pas, non plus que la splendeur d'un éclair. Elle ne pratique* point notre jugement; elle le ravit et ravage. [...] Dès ma première enfance, la poésie a eu cela de me transpercer et transporter (1, 37, p. 231-232).



L'essayiste se défie de cet instrument qui déstabilise le jugement. Pour lui, il est important de savoir comment lire les faits historiques et les événements qui se déroulent sous ses yeux « d'une vue ferme et rassise* ». Or peut-on écrire l'Histoire sans la mettre en fiction, sans projeter sur elle des préventions implicites? Tel est bien le problème qu'il se pose et qu'il ne réussit pas à résoudre dans une ouvre qui veut se définir comme une marche à tâtons, une infinie série d'essais, tournant toujours le dos à une démarche poétique.

Face aux « troubles » politiques et religieux de leur temps, Ronsard et d'Aubigné devaient donc se prononcer ouvertement : l'un, en réaffirmant son loyalisme envers le Prince; l'autre, en mettant en cause la légitimité d'une monarchie héréditaire en dégénérescence. Tous deux étaient cependant d'accord pour condamner la violence et les désordres consécutifs à des croyances divergentes à l'intérieur d'une tradition religieuse qui reposait sur l'invitation à « aimer son prochain comme soi-même ». Ils souscrivaient sans aucun doute au fameux vers de Lucrèce, cité par Montaigne dans l'« Apologie de Raymond de Sebonde » : Tanium religio potuit suadere malorum - tant de crimes perpétués [hélas] au nom de la religion !

Pour les écrivains de la Renaissance, l'ordre politique était indissolublement lié à l'ordre monarchique, lui-même cautionné par des valeurs ancestrales inébranlables. Il était impensable qu'il en fût autrement - à moins de vouloir condamner la société française à l'anarchie et son patrimoine culturel à un inéluctable désastre. La pluplart constataient pourtant l'existence d'une crise profonde dans la société de leur temps. Les signes de désagrégation sociale étaient trop évidents pour que des écrivains pétris d'humanisme ne mettent pas en garde leurs lecteurs contre un malaise croissant qui risquait de conduire à la « ruine universelle de la chose publique ». Il devient alors très difficile de parler de Y engagement de Ronsard et de d'Aubigné sans le juger par rapport à l'horizon d'attente de leurs ouvres. Les « remontrances » éloquentes de Ronsard et la veine épique de d'Aubigné prennent pour sujet les «troubles» politico-religieux du moment. Mais la diversité des sensibilités se reflète dans les modes rhétoriques qu'elles exhibent. À une époque où tout poète humaniste est aussi un orateur public rompu aux techniques de Vais rhetorica, l'éloquence doit être mise au service de la cité. A cette fin, il lui faut choisir un modèle stylistique approprié, en harmonie avec sa propre persona*, c'est-à-dire avec le rôle qu'il a décidé de jouer pour transmettre son message (RigoloT).



La triade canonique de la rhétorique quintilienne - movere*, docere*. delectare* [émouvoir, enseigner, plaire | - prend, certes, un sens différent selon les contextes. Le ton amusé ou satirique des Discours en vers de Ronsard nous force à prendre une distance par rapport aux événements et à adopter une attitude le plus souvent ironique qui valorise l'art du récit plutôt que la leçon morale. En revanche, dans les « tableaux vivants » élaborés par d'Aubigné dans Les Tragiques, le pouvoir de suggestion sert, au contraire, à ébranler les émotions d'un auditoire qui en oubliera son esprit critique et reconnaîtra l'évidence du plan divin qui guide le peuple choisi vers son ultime destinée. Ni philosophes ni théologiens, nos poètes refusent de spéculer sur des concepts abstraits pour s'adresser aux circonstances dans l'urgence du présent ; ils entendent échapper aux serres chaudes de la dialectique scolaire et, fidèles à l'humanisme des origines, concentrer leurs efforts à la vie active et à ce qu'Us estiment être le bien commun de la cité.

Le 1er mars 1562, le massacre d'une soixantaine de huguenots, rassemblés pour le culte dans la petite ville de Wassy en Haute-Marne, met fin aux illusions des. politiques* : une solution pacifique à la crise n'est plus possible. La première guerre de Religion va commencer. Sous la conduite de Condé. les troupes protestantes saisissent plusieurs villes importantes : Orléans, Angers, Tours et Lyon. Dans les discours qu'écrit Ronsard à la suite de ce massacre dans les années 1560, le principal objectif reste littéraire. Il s'agit d'emprunter à l'Antiquité classique les modes d'expression canoniques qui pourront le mieux convenir aux circonstances. Pour dénoncer les ambitions dévastatrices des chefs huguenots, Ronsard se tourne vers Horace, son modèle favori. Il sait que les procédés mordants du satirique latin peuvent lui assurer le succès et donc maintenir son renom de poète officiel. La sincérité des convictions de l'homme n'entre pas en jeu. Ronsard n'a qu'une visée : celle de mimer l'indignation romaine et de la transposer en vers français qui resteront gravés dans les mémoires. Comment la reine mère ne se laisserait-elle pas gagner par les alexandrins du puissant exorde sur lequel s'ouvre le Discours sur les misères de ce temps ?



Las ! Madame, en ce temps que le cruel orage

Menace les François* d'un si piteux naufrage.

Que la grêle et la pluie, et la fureur des cicux

Ont irrité la mer de vents séditieux.

Et que l'astre jumeau ne daigne plus reluire,

Prenez le gouvernail de ce pauvre navire.

Et malgré la tempête et le cruel effort

De la mer et des vents, conduisez-1'à bon port.

(...)

Ah, que diront là-bas sous les tombes poudreuses

De tant de vaillants Rois les âmes généreuses* ?

[.-]

Que diront tant de ducs* et tant d'hommes guerriers

Qui sont mortfs] d'une plaie au combat les premiers.

Et pour France ont souffert tant de labeurs extrêmes,

La voyant aujourd'hui détruire par nous-mêmes ?

{OC. II, p. 991. v. 43-50, 55-56, 61-64.)



Les « troubles » de la société ont fourni au poète l'occasion rêvée de faire entendre la Grande Voix de la Réprobation et de remettre brillamment en service les ressources immémoriales de l'éloquence la plus élevée. Tel était l'objectif qu'avait établi Joachim du Bellay, porte-parole de la Pléiade, à la fin de la Défense et illustration de la langue française, publiée une douzaine d'années auparavant :



Pour conclure ce propos, sache. Lecteur, que celui sera véritablement le poète que je cherche en notre langue, qui me fera indigner, apaiser, éjouir, douloir* aimer, haïr, admirer, étonner*, bref, qui tiendra la bride de mes affections*, me tournant çà et là à son plaisir. Voilà la vraie pierre de touche, où il faut que tu éprouves* tous poèmes et en toutes langues (II, xi, p. 179-180).

Une telle définition, elle-même calquée sur le modèle cicé-ronien, faisait doublement référence à l'imitation des Anciens : car l'effet produit par le discours poétique idéal devait se transposer « en notre langue » comme « en toutes langues ». C'est bien ce que faisait Ronsard en mettant ses talents de poète au service de la polémique politico-religieuse de son temps.



Etienne Pasquicr ne s'y était pas trompé, lui qui. louant « la mémoire du grand Ronsard », voyait surtout dans la poésie militante des Discours « un moyen de diversifier son style ». Dans la vaste fresque des Recherches de la France, il écrivait :



Les troubles étant survenus [...] par l'introduction de la nouvelle religion, il écrivait contre ceux qui étaient d'avis de la soutenir par les armes. [...] Les vers que l'on écrivit contre lui aiguisèrent et sa colère et son esprit de telle façon [...] qu'il n'y a rien de si beau en tous ses ouvres que les réponses qu'il leur fit. soit à repousser leurs injures, soit à haut* louer l'honneur de Dieu et de son Église (livre VII, chapitre vi. tome II, p. 1424-1425).



De même, dans l'Oraison funèbre (1586) qu'il prononcera à la mort de Ronsard (1585), Jacques Davy Du Perron insistera surtout sur « toute l'élégance et toute la douceur des lettres » cultivées par le Vendômois dans sa poésie engagée. C'est moins le caractère militant des Discours qui intéresse le futur cardinal (peut-être parce qu'il était lui-même ancien huguenoT) que leurs ressources rhétoriques : cette « science profane » que le poète a su déployer pour « la défense et pour la propugnation* de l'Eglise » (Du Perron, p. 89).

En fait, même Agrippa d'Aubigné. héraut des réformés et donc tout naturellement situé dans le camp adverse, aura pour Ronsard, son prédécesseur, une déférence qui peut étonner. Paradoxalement, on le voit convier ses lecteurs à « lire et relire » son adversaire :



Je vous convie, et ceux qui me croiront, à lire et relire ce Poète sur tous. C'est lui qui a coupe le filet que la France avait sous la langue, peut-être d'un style moins délicat que celui d'aujourd'hui, mais avec des avantages auxquels je vois céder tout ce qui écrit de ce temps (Ouvres, p. 860).



C'est qu'au-delà de son engagement politique dans la tourmente de son temps Ronsard passait pour divinement inspiré, même par ses ennemis. Dans la perspective néoplatonicienne qui prévalait alors, son génie était habité par les dieux qui lui prodiguaient la fureur sacrée qui allait rendre son éloquence mémorable. D'Aubigné avait la décence de louer lui-même cette inspiration divine, cette « fureur* poétique sans laquelle nous ne lisons que des proses bien rimées » (ibid., p. 860).

Dans une optique qu'on pourrait appeler « maniériste », Ronsard ménage d'ailleurs une certaine distance esthétic/ue entre lui-même et son lecteur, ce qui empêche ce dernier d'adhérer pleinement à la thèse politique soutenue au même moment '. Contrairement à d'Aubigné. qui entraîne son lecteur à la conversion par la force de son verbe, Ronsard se contente souvent de présenter un tableau en laissant le spectateur juger du résultat, selon ses propres goûts. Il suffit, par exemple, de contraster tel passage des « Princes », au second livre des Tragiques, à tel autre de l'« Éloge à des Masures » pour observer un style de rapports différents avec le public. Écoutons d'Aubigné :



Vous qui avez donné ce sujet à ma plume.

Vous-mêmes qui ave/ porté sur mon enclume

Ce foudre rougissant acéré de fureur.

Lisez-le : vous aurez horreur de votre horreur.

(Ouvres, v. SM2, p. 54.)



En revanche, Ronsard, si engagé qu'il soit, se permet de choisir l'image du banquet pour traiter ses lecteurs en convives dont il flattera les goûts. Rien n'est plus éloigné de son propos que de vouloir forcer l'adversaire à se convertir. C'est, du moins, ce qu'il dit à Louis des Masures (Langer, p. 81-82) :



Je ne contrains personne à mon vers poétique.

Le lise qui voudra, l'achète qui voudra. (OC, II, v. 30-31, p. 1017.)



À la limite, on pourrait dire que les malheurs des guerres civiles n'entrent dans la poésie de Ronsard que s'ils peuvent se prêter à une mise en scène esthétique. Pasquier avait bien compris ce parti pris dans ses remarques sur le « style » des Discours. Totalement remotivées par l'ouvre d'art où elles s'insèrent, les « misères de ce temps » n'ont pas véritablement d'existence propre : elles ne peuvent se justifier qu'en s'intégrant au projet de rénovation poétique de la Pléiade (Pasquier, livre VII, chapitre vi, tome II, p. 1411-1425).

En somme, il semble que Ronsard conçoive sa poésie militante moins par esprit de combat que pour suivre l'exemple des grands modèles de l'Antiquité. Ainsi, le « ton sauvage » de certaines pièces comme le Chant triomphal pour jouer sur la lyre ou L'Hydre défait tient moins aux convictions de Pierre de Ronsard, quelles qu'elles aient pu être, qu'aux obligations qui asservissent le poeta vates, transporté par la fureur poétique. On a beaucoup ergoté sur les diverses raisons qui ont poussé Ronsard à s'engager si ardemment dans la polémique en produisant des cataractes de vers : loyalisme du «poète royal»? convictions religieuses? opportunisme et intérêt personnel ? Marcel Raymond remarquait que « la nécessité, nouant ensemble mille raisons, l'obligeait à parler », mais il ajoutait que la sérénité de sa voix n'était pas « celle du partisan aveuglé par la passion et la crainte » (I, p. 362).

Nécessité qui se justifie par l'idée même que se fait Ronsard de son rôle de poète. Même dans les passages les plus « engages » de ses Discours, Ronsard n'oublie jamais tout à fait qu'il doit servir avant tout la poésie. Le poète met consciemment une distance entre sa Muse et les péripéties religieuses du temps (Ménager, p. 253). Cela apparaît surtout dans la Réponse aux injures et calomnies de je ne sais quels prédicantereaux* et ministreaux* de Genève (1563) où l'orateur ne manque aucune occasion de rappeler l'exemplarité attachée au nom de Ronsard. De superbes vers viennent réaffirmer la plénitude originelle du poète des poètes, sorte d'Homère de la nouvelle inspiration française et dont tous les autres écrivains sont désormais forcément tributaires. L'antique source Hippocrène* s'est ronsardisée, comme le montre la métaphore filée de la fontaine dont le « surgeon éternel » alimente tous les ruisseaux de la poésie :



[... J car de ma plénitude

Vous êtes tous remplis ; je suis seul votre étude.

Vous êtes tous issus de la grandeur de moi.

Vous êtes mes sujets, je suis seul votre loi.

Vous êtes mes ruisseaux, je suis votre fontaine

Et plus vous m'épuisez, plus ma fertile veine

Repoussant le sablon, jette une source d'eaux

D'un surgeon éternel pour vous autres, ruisseaux.

(OC, II, p. 1066, v. 967-974.)



On pourrait rapprocher ces vers de ceux de l'« ode à Michel de L'Hospital » pour noter un déplacement de la signification. Alors que dans l'ode la source de la poésie (« le vif surgeon per-ennel* » OC, I, p. 630, v. 130) était située dans les profondeurs liquides du palais de Jupiter, dans la Réponse, c'est Ronsard lui-même qui se déclare le « surgeon éternel » qui alimente toute la nouvelle poésie française. Entre 1550 et 1563, la « plénitude » divine de la source originelle s'est déplacée au point de coïncider avec la puissance générative de celui qui voulait passer pour le seul et unique poète des temps modernes.

C'est donc parce qu'il s'était formé cette haute image de lui-même que Ronsard se devait d'entrer dans l'arène de la polémique religieuse. N'était-ce pas lui, à l'en croire, qui avait fait de la langue et de la poésie françaises l'égale de celles des Romains et des Grecs ? Dans la même Réponse, il n'hésitait pas à l'affirmer :



Adonques* pour hausser ma langue maternelle.

Indompté du labeur, je travaillai pour elle.

Je fis des mots nouveaux, je rappelai les vieux

Si bien que son renom je poussai jusqu'aux cieux.

Je fis d'autre façon que n'avaient les antiques,

Vocables composés, et phrases poétiques.



Et mis la poésie en tel ordre qu'après.

Le Français fut égal aux Romains et aux Grecs.

(OC.II.p. 1066, v. 951-958.)

Usurpant à du Bellay - mort dès 1560 - le titre de « défenseur » et d'« illustrateur » de la langue française, Ronsard ne pouvait se taire. 11 lui fallait parler, et parler au nom de la France dont il voulait partager le destin jusqu'au bout. La scène politique était devenue la condition même de son existence et de sa poésie.

Agrippa d'Aubigné n'avait pas de désir plus cher que d'être le fils de Ronsard. Un lien familial avait été noué par la Providence puisque Diane, la femme qu'il avait aimée dans sa jeunesse, était la nièce de Cassandre Salviati, la belle Florentine que Ronsard avait célébrée dans ses propres Amours (Ouvres, p. 860). D'Aubigné croyait aussi qu'il était l'héritier présomptif de la mission dévolue à son grand prédécesseur. Avec la menace croissante des différends religieux pour la paix civile, la « frénésie divine » qui animait les deux poètes devait prendre pourtant un cours différent. Dans Les Tragiques, épopée monumentale qu'il compose à partir de 1577, la Muse païenne est troquée pour le Saint-Esprit, et la fureur* apollinienne cède au souffle divin de la Révélation. La « poétrie* » n'est pas entièrement éliminée mais elle est réduite à une fonction purement ornementale. Sous le masque de Prométhée, dont la présence domine l'appareil liminaire du livre, le nouveau prophète prétend avoir volé le feu céleste pour le remettre à ses semblables mortels :



AUX LECTEURS

Voici le larron Prométhée, qui au lieu de grâce, demande gré de son crime. [...] Ce feu que j'ai volé mourait sans air: c'étoit un flambeau sous le muid,* mon charitable péché l'a mis en évidence (Ouvres, p. 3).



L'allusion à l'Évangile de saint Matthieu est claire : « On n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau [le "muid"] mais sur le lampadaire, là où son feu brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Matthieu V. 15).



En outre, le mot évidence nous renvoie à la notion rhétorique â'evidentia, terme latin qui servait à traduire le grec enargeia au sens de « mise en lumière » de la réalité des choses (voir Aristote, Rhétorique, III, xi, 3). Pendant l'époque classique, la représentation artistique de la réalité avait été bée au sens de la vue, le « sens noble » par excellence, associé à la lumière et à la créativité '. Depuis Cicéron (voir De partitione oratoria, VI, 20), les traités de rhétorique continuaient à valoriser le discours qui représente son objet de façon si naturelle et si vivante que l'auditeur s'imagine assister aux événements dont il lit l'évocation. La réalité des choses se trouve éclairée d'une si vive lumière qu'elle lui donne l'éclat illusoire de la présence. Dans son Institutio oratoria, Quintilien écrivait :

Cette énergie, que Cicéron appelle évidence et illustration, semble moins raconter que montrer [des scènes réelles] ; et nous serons autant émus que si nous étions présents devant les faits eux-mêmes (VI, n, 32).



Agrippa d'Aubigné s'inscrit pleinement dans cette tradition où Vévidence s'affirme comme procédé rhétorique exemplaire. Ce n'est plus le prophète ou le visionnaire d'an-tan qui disait «je vois » ; c'est le témoin oculaire qui relate son expérience vécue en nous affirmant, comme Goethe à Valmy, «j'ai vu » :



Car mes yeux sont témoins du sujet de mes vers.

J'ai vu le reître noir foudroyer au travers

Les masures de France et, comme une tempête.

Emporter ce qu'il peut, ravager tout le reste.

(« Misères », Ouvres, v. 371-374, p. 29-30.)



Cet intérêt pour l'« énergie » suscitée par le discours visuel devait être renforcé par la doctrine horatienne de l'ut pic-turapoesis et par le discours exemplaire d"auteurs classiques comme Pline et Plutarque sur la représentation picturale. Léon Battista Alberti avait lui aussi insisté sur l'importance du récit peint (istoria*) pour susciter les émotions du spectateur. Dans son traité Délia pittura (vers 1435), il évoquait ce « mouvement agréable » que l'art réussit à susciter dans l'âme du spectateur, quel que soit le degré de culture de celui-ci : « terra con diletto e movimento d'animo qualunque dotto o indotto la miri » (libro seconda, p. 91).

Dans Les Tragiques, d'Aubigné devient le peintre idéal dont le seul objectif est de représenter des tableaux vivants capables de provoquer l'émotion des spectateurs. L'avis « Aux Lecteurs » rappelle avec force le premier devoir de l'orateur:

Nous sommes ennuyés de livres qui enseignent, donnez-nous-en pour émouvoir (Ouvres, p. 3).



La mise en scène affective est la clé du succès de l'ouvre d'art. Rabelais avait ironisé à plaisir sur la véridicité du discours de la fiction la plus invraisemblable. Dans le prologue de Pantagruel Maître Alcofribas lançait à ses lecteurs :



Ne m'advint oneques* de mentir, ou assurer chose qui ne fût véritable. J'en parle comme saint Jean de l'Apocalypse : quod vidimus testamur [ce que nous avons vu. nous en témoignons] (p. 215).



Nouveau saint Jean. d'Aubigné réitère, dans le registre élevé de la Révélation, l'entretien du Christ avec Nicodème : « Nous parlons de ce que nous savons et nous attestons ce que nous avons vu » (saint Jean 3 : 11).



Le titre que choisit le poète huguenot pour le chant central des Tragiques, « Les Feux », tire son inspiration des bûchers où ont brûlé les martyrs persécutés pour leur foi. Mais il est clair que. sous ses yeux, ces victimes innocentes sont animées du/i?H de l'Évangile, ce feu qui, le jour de la Pentecôte, avait donné aux apôtres cette énergie, au double sens à'enargeia (évidencE) et d'energeia (actioN), qui devait donner sa force à leur témoignage. Rappelons le texte des Actes des Apôtres :



Ils virent apparaître des langues qu'on eût dites de feu; elles se divisaient et il s'en posa une sur chacun d'eux. Tous furent alors remplis de l'Esprit Saint et commencèrent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer (Actes II, 3-4).



Dans la version albinéenne, le sens symbolique du brasier spirituel de la Pentecôte retrouve son énergie des origines par le biais d'un puissant discours prophétique. Le martyr des huguenots sera aussi éloquent que celui des apôtres de la primitive Eglise :



Nos regards parleront, nos langues sont bien peu

Pour l'esprit qui s'explique en des langues de feu.

(« Feux », Ouvres, v. 507-508, p. 129.)



En christianisant le geste de Prométhée dérobant le feu des cieux, le poète proclame la puissance à la fois de sa foi, de sa vision et de sa rhétorique. Il dévoile à nos yeux de profanes une istoria* tragique où se lit le signe tangible d'un ordre qui nous dépasse. Car Dieu est l'« auteur réel » des Tragiques. Directement inspiré par le feu divin, le livre porte témoignage de la nouvelle alliance entre Dieu et son peuple : il est devenu le supplément nécessaire qui seul peut donner une nouvelle illustratio à la Sainte Bible.



De même, pour le Ronsard satirique des Discours, il faut que le portrait-charge élimine le doute ou l'hésitation. Le tableau haut en couleur que brosse Ronsard des vandales huguenots est frappant à cet égard :



Et quoi ! brûler maisons, piller et brigander.

Tuer, assassiner, par force commander,

N'obéir plus aux Rois, amasser des armées.

Appelez-vous cela Eglises réformées ?

(« Continuation », in OC, II, p. 998, v. 45-48.)



S'adressant à son ancien ami Théodore de Bèze, devenu lieutenant puis successeur de Calvin à Genève, le poète offre un portrait à la limite du grotesque pour ridiculiser l'ardeur du pasteur militant :

Ne prêche plus en France une Évangile année. Un Christ empistollé* tout noirci de fumée. Portant un morion* en tête et dans la main Un large coutelas rouge du sang humain. Ubid., p. 999-1000, v. 119-122.)

Parallèlement, la réduction qu'opère d'Aubigné des catholiques n'est pas moins douteuse. Mais elle nous est présentée en termes apocalyptiques, dans une grandiose perspective eschatologique. Car si l'exil des Hébreux a pu préfigurer les persécutions de l'Église primitive, celles-ci préfigurent à leur tour le destin des martyrs huguenots. L'écheveau des analogies historiques compose un schéma d'explication qui, par le biais de l'illustratio la plus énergique, surdétermine l'intenlionnalité'du poème :



Ainsi les visions qui seront ainsi peintes

Seront exemples vrais de nos histoires saintes.

Le rôle des tyrans de l'Ancien Testament,

Leur cruauté sans fin. leur infini tourment :

Nous verrons déchirer d'une couleur plus vive

Ceux qui ont déchiré l'Église primitive :

Nous donnerons à Dieu la gloire de nos ans

Où il n'a pas encor épargné les tyrans.

(« Vengeances », v. 89-96, Ouvres, p. 190.)



Comme on l'a fait justement remarquer, « le schéma ternaire [Ancien Testament, Église primitive. Église de "ce siècle"] qui organise l'histoire de l'Église suppose par lui-même la clôture, et fait de la période contemporaine "ces derniers ans" [...]. L'avènement apocalyptique et le texte sont concomitants » (Fanlo, p. 191).

Si Ronsard s'oppose aux « prédicants et ministres de Genève », c'est parce qu'il espère l'emporter dans un triomphalisme moqueur et conquérant. La Poésie, qu'il incarne et doit servir, est à ce prix ; sa fonction de « poète royal » le lui ordonne. Car il a pour mission de conduire les « troubles » à leur fin parce que le rôle du Poète, comme celui du Prince, est de calmer les révoltés, de rassurer les inquiets et de faire croire aux contemporains qu'ils vont vers un âge d'or de Justice et de Vérité dont l'histoire de France offre la garantie indubitable.

Dans sa Réponse aux injures et calomnies. Ronsard prend un malin plaisir à défendre le primat de son art, lieu de plaisir, sur la triste réalité des guerres civiles. Adoptant un ton badin, il s'adresse au « prédicant tout enflé d'arrogance » (v. 831, p. 1063) pour définir son credo poétique :



Ni tes vers ni les miens oracles ne sont pas.

Je prends tant seulement les Muses pour ébats.

En riant je compose, en riant je veux lire.



Et voilà tout le fruit que je reçois d'écrire.

Ceux qui font autrement, ils ne savent choisir

Les vers qui ne sont nés sinon pour le plaisir.

Et pour ce les grands Rois joignent à la Musique

(Non au Conseil privé) le bel art Poétique. (PC II, p. 1064, v. 853-860.)



Afficher un tel hédonisme dans le contexte des misères de son temps peut paraître irresponsable : mais il ne faut pas sous-estimer la part de provocation qui entre dans cette insensibilité simulée. Le chef de la Pléiade connaît son rôle par cour : c'est à lui qu'il incombe de nier la conscience malheureuse du siècle : splendide manouvre de diversion qui peut éblouir un instant mais n'arrivera jamais à convaincre entièrement.

Car les « troubles » issus des querelles politico-religieuses ne sont que le symptôme d'une crise beaucoup plus profonde qui affecte les fondements mêmes de la société européenne. Cette crise peut se dire sémiotique dans la mesure où elle atteint le système de représentation sur lequel repose l'idéologie dominante. Le savoir humaniste, qui semblait acquis par la Renaissance triomphante, se trouve mis en échec par le processus même de l'Histoire. Ronsard a beau emboucher la trompette dorée de l'Unité nationale ; il a beau proclamer que tous les conflits se résoudront grâce aux « ébats » (v. 854) de son « bel art poétique » (v. 860), il n'arrivera pas à faire taire la voix de l'opposition protestante dont l'existence pose des problèmes plus complexes que ceux d'une indiscipline passagère.

Certes, bien des esprits éclairés partagent le dédain élitiste de Ronsard pour l'agitation insensée du « vulgaire » et des fauteurs de troubles. Montaigne lui-même met les nouvelle-tés* protestantes sur le compte du « cuider* », c'est-à-dire de l'orgueil et de la présomption. Érasme nous en avait prévenus : la prolifération des sectes est un danger réel pour l'ordre public. Montaigne renchérit au début du chapitre « De l'expérience » :



J'ai vu en Allemagne que Luther a laissé autant de divisions et d'altercations sur le doute de ses opinions, et plus qu'il n'en émut* sur les écritures saintes (III, 13, p. 1069).



Tout se passe comme si la multiplication des hérésies n'était qu'un cas particulier d'un problème beaucoup plus général : celui de la « chasse de connaissance » - véritable « maladie » de l'esprit humain puisqu'elle aboutit à l'engluement de toute recherche efficace de la vérité : Mus in pice, disait Érasme dans ses Adages (II, iii. 68) ; la souris empêtrée dans la poix, traduit Montaigne (III, 13, 1068).

Il semble difficile de porter un jugement sur l'attitude de Ronsard et de d'Aubigné à l'égard des guerres de religion sans prendre en considération la structure même du système de représentation à l'intérieur duquel ces écrivains se situent. Bien qu'appartenant à des camps opposés, Ronsard et d'Aubigné partagent la conviction que la véritable éloquence ne peut émaner que d'un sujet public. Le moi privé, avec ses doutes et ses retraits. n"a pas de place dans la grande poésie d'apparat. Il doit garder le silence, même si, selon une conception proto-cartésienne déjà vivante, il se sent capable de se penser du point de vue de sa propre subjectivité. Montaigne tentera de négocier un passage entre une mise en scène publique et une expérience privée de sa subjectivité. Comme Ronsard et d'Aubigné, il nous dira que, dans les affaires publiques, la véritable nature des signes importe peu et qu'on peut se contenter du vraisemblable. C'est le règne de la « fausse monnaie », mal nécessaire et que le sujet du Monarque ne saurait récuser :



Puisque les hommes, par leur insuffisance*, ne se peuvent assez payer d'une bonne monnaie, qu'on y emploie encore la fausse (II, 16, p. 629).



À ce compte, les Discours de Ronsard élèvent l'art du faux-monnayeur à la hauteur de l'exemplarité. Ce n'est pas la vérité qui le motive mais la gloire mythique d'une France qui doit retrouver son ordre social séculaire. Chez d'Aubigné, les vers passionnés des Tragiques affirment eux aussi un témoignage qui veut passer pour preuve historique irréfutable. Cependant les deux poètes n'hésitent pas à tronquer ou à éliminer des faits, à en habiller d'autres à leur guise pour les faire mieux entrer dans le projet visionnaire qui ouvrira les yeux des générations futures. Chez ces « engagés » et parfois « enragés », le faux-monnayage est rebaptisé transfiguration. Dans un pays déchiré par les divisions partisanes, la poésie trouve sa justification en légitimant (chez RonsarD) ou en subvertissant (chez d'Aubigné) le modèle de la suprématie politique. Ronsard laisse aux historiens le soin de raconter les choses telles qu'elles ont pu être, sans mentir :



O toi historien, qui d'encre non menteuse

Ecris de notre temps l'histoire monstrueuse.

Raconte à nos enfants tout ce malheur fatal,

Afin qu'en te lisant ils pleurent notre mal.

Et qu'ils prennent exemple aux péchés de leurs pères,

De peur de ne tomber en pareilles misères.

(« Discours », OC, II, p. 994, v. 115-120.)



La distinction traditionnelle depuis Aristote entre historien et poète fera l'objet de longs développements dans les préfaces de 1572 et de 1587 à La Franciade '. Contrairement à l'historien qui recherche la vérité « sans déguisure* ni fard » (OC, I, p. 1181), le poète « a pour maxime très nécessaire de son art de ne suivre jamais pas à pas la vérité, mais la vraisemblance et le possible » (OC, I, p. 1165), la « vraisemblance » étant définie comme « ce qui peut être » ou « ce qui est déjà reçu en la commune opinion » (OC, I, p. 1182). En revanche, hors du monde inflationniste et pervers des affaires publiques, le monde authentique du « sujet privé » cherchera à se constituer dans une poésie plus intime. Celle-ci tentera d'exposer en vers ce que Montaigne avait si bien énoncé en prose :

Je ne me soucie pas tant quel je sois chez autrui, comme je me soucie quel je sois en moi-même (11, 16, p. 625).

En cette fin du xvf siècle, la mise en scène poétique des conflits politiques el religieux qui divisent la France révèle des tendances antagonistes : l'une qui veut encore croire au pouvoir de la Voix poétique sur l'autorité du corps politique, quitte à effacer les contours de l'Histoire; et l'autre qui, désabusée des affaires publiques, cherche à élaborer dans l'intimité de la conscience une nouvelle mise en scène qui rejette les ornements fallacieux du beau discours ou les excès d'une parole brûlante pour tenter d'occuper le lieu de l'authenticilé (Fumaroli. StarobinskI).

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