Essais littéraire |
Hugo contre Napoléon-le-Petit. Les Châtiments À Bruxelles où il s'est d'abord réfugié, Hugo commence à écrire le récit du coup d'État qu'il publiera en 1877 sous le titre : Histoire d'un crime. Le 5 août 1852 paraît son pamphlet Napoléon le Petit («Machiavel a fait des petits. Louis-Bonaparte en est un») qui dresse un réquisitoire violent contre le nouveau régime et s'achève en un acte de foi en l'«avenir», c'est-à-dire «la République pour tous ». Pour assurer sa sécurité, Hugo va s'installer dans l'île de Jersey, à « Marine-Terrace », puis achète en 1856 une maison à Guernesey. Il ne rentrera en France que le 5 septembre 1870, au lendemain de la proclamation de la République. En novembre 1853 paraissent à Bruxelles Les Châtiments sous deux formes, l'une intégrale, l'autre tronquée. Toutes deux sont interdites en France. C'est le premier recueil de vers publié par Hugo depuis Les Rayons et les Ombres (1840). «Rien ne dompte la conscience de l'homme, car la conscience de l'homme, c'est la pensée de Dieu », écrit Hugo dans la préface des Châtiments, « épopée noire, où le sang et le vin teintent la boue de reflets rouges et dont le héros est un nain qui trône, accroupi, ivre de vin et de sang » (Pierre AlbouY). «Nox», où est évoquée la nuit dans laquelle le prince a plongé le pays, ouvre le recueil, qui s'achève sur «Lux», «vision sublime» entrevue après la traversée du désert. Ainsi que l'illustrent les trompettes de Josué, qui fit tomber le septième jour les murailles de Jéricho, la pensée finira par l'emporter sur le despotisme. La plus célèbre pièce des Châtiments, « L'Expiation », retrace l'épopée de l'oncle. Napoléon Ier, sa fin à Sainte-Hélène, le glorieux tombeau des Invalides, jusqu'à ce jour sinistre « où Mandrin mal lavé se déguise en César», châtiment suprême pour celui qui inaugura aussi son règne par un crime, le coup d'État du 18 brumaire. Ce recueil polémique, dont les accents rappellent ceux des Satires de Juvénal, atteint à la grandeur épique et s'illumine d'un poème, « Stella », étoile du matin, qui annonce l'« ange de liberté », mais aussi les grands recueils visionnaires de Hugo. Les Contemplations Si Hugo est demeuré treize ans sans publier de poésie, U n'a guère cessé d'en écrire puisque les premières pièces des Contemplations ont été composées avant même la publication des Rayons et les Ombres. Au plus le chagrin suspend-il pendant quelques mois son inspiration après la mort de sa fille Léopoldine et de son gendre, Charles Vacquerie, qui se noient à Villequier le 3 septembre 1843. A partir de 1845, Léopoldine est célébrée dans les plus beaux poèmes de «Pauca meae », quatrième livre du recueil. Les Contemplations, publiées à Bruxelles en avril 1856, sont présentées par Hugo comme les «Mémoires d'une âme», mais au-delà de l'autobiographie, c'est le destin de la condition humaine tout entière qui est évoqué (« Ah ! insensé qui crois que je ne suis pas toi ! », Préface du recueiL). Cette « âme » se raconte en deux volumes : « Autrefois », «Aujourd'hui». «Un abîme les sépare, le tombeau», celui de Léopoldine. À l'inspiration plutôt intimiste du premier «volume» s'opposent les visions du second, en particulier dans le Livre sixième, «Au bord de l'infini». Les expériences de spiritisme auxquelles Hugo s'est livré à Jersey, à partir de 1853, influencent ces visions. L'esprit de Léopoldine se manifeste au cours de ces séances auxquelles Mme Hugo et leur fils aîné Charles participent avec ferveur, mais qui laissent sceptique Juliette Drouet. « Les Mages » précisent la fonction du poète, qui fera disparaître les univers lugubres pour nous acheminer vers l'infini. «Ce que dit la bouche d'ombre», dernière pièce du recueil avant le sombre épilogue « À celle qui est restée en France », résume la religion de Hugo, vision peuplée de figures étranges, peut-être tributaires de la Cabbale ou de croyances occultistes alors en vogue, mais le poème s'achève sur la promesse que le « gouffre inclément » se taira un jour pour laisser entendre le « commencement » promis par l'ange. Un poème du recueil, «Réponse à un acte d'accusation» (1854), révèle un Hugo soucieux de souligner l'unité de sa pensée et de son ouvre : au temps d'Hernani, où l'on aurait pu le croire seulement préoccupé de questions d'art, son ouvre témoignait déjà en faveur du progrès de l'humanité. Lui qui a mis « un bonnet rouge au vieux dictionnaire », déclaré « Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe ! » et dit aux mots « Soyez République ! » est bien le même qui symbolise, dans son exil, le combat pour la liberté. La Légende des siècles. La Fin de Satan. Dieu Après avoir écrit en 1853 des poèmes qui prendront place dans La Légende des siècles, Hugo avance dans la composition de La Fin de Satan, et surtout de Dieu, dont une première facture est achevée en 1855. Son éditeur lui conseille toutefois de publier d'abord «Les Petites Épopées», premier titre de La Légende des siècles, pour laquelle il rédige une préface en août 1859, et dont il publie une «première série» le mois suivant. La «deuxième série» paraîtra en 1877, l'édition définitive en 1883. La Fin de Satan et Dieu seront publiés à titre posthume, en 1886 et 1891. «Exprimer l'humanité dans une ouvre cyclique; la peindre successivement et simultanément sous tous ses aspects, histoire, fable, philosophie, religion, science, lesquels se résument en un seul et immense mouvement d'ascension vers la lumière; faire apparaître, dans une sorte de miroir sombre et clair - que l'interruption naturelle des travaux terrestres brisera probablement avant qu'il ait la dimension rêvée par l'auteur - cette grande figure une et multiple, lugubre et rayonnante, fatale et sacrée, l'Homme; voilà de quelle pensée, de quelle ambition, si l'on veut, est sortie La Légende des siècles», écrit Hugo dans la préface de 1859. On connaît le vers initial du premier poème, «La vision d'où est sortie ce livre» : «J'eus un rêve : le mur des siècles m'apparut. » Après un «Hymne à la Terre», le poète retrace l'histoire de l'humanité depuis l'aurore des temps. Aux dieux ont succédé les rois. Mais l'homme est en marche vers la lumière : un avertissement solennel est lancé aux rois pour qu'au progrès ils n'opposent ni leurs « néants », ni leurs « grandeurs ». Cette histoire, « écoutée aux portes de la légende » et nourrie d'une étonnante érudition, est pleine d'épisodes tumultueux, héroïques, mais parfois aussi apaisés comme « Booz endormi », poème conclu sur une image où s'accomplit la fusion de l'ordre céleste et de l'humble travail des hommes. « Vingtième siècle » dessine, dans le poème « Plein ciel », la « nef magique et suprême » qui fera planer « la liberté dans la lumière ». Dans cette fresque manichéenne, où s'exerce à merveille l'art hugolien de l'antithèse, le poète use le plus souvent de l'alexandrin, mais en le soumettant à des effets de rejet ou d'enjambement. «Le vers brisé, c'est un besoin du drame», écrivait Hugo en 1834; il se révèle, ici, un des ressorts de l'épopée. La première pièce de La Fin de Satan (« Et nox facta est ») évoque la chute dans l'abîme de Satan, prélude àux.pires noirceurs de l'humanité, personnifiées par Caïn, Judas, Barabbas. « La première page » énonce ensuite trois grandes divisions du poème : « Le Glaive » (arme de Nemrod le révolté, symbole de la guerrE), «Le Gibet» (épisode où est évoquée la crucifixion du Christ sur le GolgothA), «La Prison» (qui n'est autre que la BastillE). Dans ce dernier épisode, inachevé, Camille Desmoulins et sa femme Lucile devaient jouer un rôle de premier plan. La dernière partie, « Satan pardonné », est restée à l'état d'ébauche; parce que « l'essence de Dieu, c'est d'aimer», sa voix se serait fait entendre dans l'infini pour clamer : « Satan est mort; renais, ô Lucifer céleste ! / Viens, monte hors de l'ombre avec l'aurore au front. » Dieu, également inachevé, comporte trois parties : « Ascension dans les ténèbres », « Dieu » et « Le jour », cette dernière à peine ébauchée. D'une inspiration voisine de « Ce que dit la bouche d'ombre » (Les ContemplationS), Dieu présente un dialogue du poète avec l'Esprit humain (« Mon nom est Légion. /Je suis l'essaim des bruits et la contagion / Des mots vivants allant et venant d'âme en âme »), puis avec des voix venues du ciel, avec des animaux pourvus d'une valeur symbolique (la chauve-souris est l'«athéisme», le hibou, le «scepticisme»...), avec la lumière enfin («Ce qui n'a pas encore de nom»). Seule la mort du Poète, touché du doigt par l'ange, lui apportera la solution du mystère du monde. En 1865 paraissent Chansons des rues et des bois, qui tranchent par leur légèreté avec les autres recueils de l'exil et s'apparentent plutôt par leur inspiration à ceux des Parnassiens. Les Parnassiens Nous savons qu'en mettant en cause la théorie de l'Art pour l'Art, Baudelaire visait moins Théophile Gautier, dont Émaux et camées a paru eh 1862, que de jeunes poètes dont le plus représentatif est Théodore de Banville (1823-1891), auquel il rend d'ailleurs hommage : Banville est «essentiellement, décidément et volontairement lyrique ». Si Les Stalactites ( 1846) préfiguraient plus ou moins Émaux et camées, les Odelettes et les Odes funambulesques (1856-1857) témoignent de plus de liberté et d'humour. Les Exilés (1867) sont le recueil auquel lui-même tiendra le plus. En se faisant le défenseur acharné de la rime (« La rime est l'unique harmonie des vers, et elle est tout le vers». Petit Traité de la poésie française, 1872), Banville donnera surtout à la postérité l'image d'un virtuose. On n'oubliera pas sa comédie Gringoire (1866) où Pierre Gringoire (en réalité : Gringore, né vers 1475) figure, comme déjà dans Notre-Dame de Paris, de Hugo, le poète populaire, frondeur et miséreux, Banville tournant à la fantaisie le sombre thème jadis traité par Vigny. Leconte de Lisle (1818-1894) publie en 1852 Poèmes antiques, où il entend renouer, contre le romantisme de Musset ou de Lamartine, avec la tradition antique où la poésie témoignait de l'harmonie du poète avec le monde: d'une inspiration tendre, gracile, un peu artificielle, les «Chansons écossaises» contrastent, en fin de recueil, avec les vers fortement charpentés, résonnant de noms étranges, des poèmes précédents. Dans les Poèmes barbares (1862) et les Poèmes tragiques (1884), où s'accumulent les sonorités exotiques et les images fortement visuelles, certaines pièces, comme « La Fin de l'homme », sont d'une inspiration proche de celle de La Légende des siècles. Tout en décelant en lui « un Musset plus rigide mais aussi déclamatoire », Proust trouve en Leconte de Lisle « une source délicieuse et nouvelle de poésie, un sentiment de la fraîcheur, apporté sans doute des pays tropicaux où il avait vécu» (l'île Bourbon, aujourd'hui île de la RéunioN). Banville et Leconte de Lisle appartiennent à un groupe dont les ouvres furent publiées en 1861 dans La Revue fantaisiste, fondée par Catulle Mendès. Ce groupe s'exprime à partir de 1866 dans Le Parnasse contemporain. Catulle Mendès (1841-1909) fut dès l'âge de 20 ans l'animateur du premier groupe du «Parnasse»; plus que ses qualités de poète, on lui reconnaît aujourd'hui le mérite d'avoir défendu en France, dans les années 1880, la musique de Wagner. Sully Prudhomme (1839-1907) fait aussi partie du groupe. Il écrit sous le Second Empire des pièces intimistes {Stances et poèmes, 1865) avant de donner à sa poésie, après 1870, une ambition philosophique. José-Maria de Hérédia (1842-1905) était comme Leconte de Lisle, par son enfance à Cuba, prédisposé à l'exotisme; il fera paraître, sous le titre : Les Trophées (1893), un recueil de sonnets qui retracent l'histoire de l'humanité. François Coppée (1842-1908), autre initiateur du mouvement, changea lui aussi d'inspiration après 1870. Tes poètes du Parnasse, ou Parnassiens, empruntent leur nom au lieu où la mythologie antique situait le séjour d'Apollon et des Muses. Unis par un amour commun de la Beauté éternelle, héritiers de la théorie de l'Art pour l'Art, ils communient dans l'admiration de Théophile Gautier. Leur goût pour une forme impeccable semble un lien ténu entre ces poètes qui célèbrent, les uns des sentiments intimesjd'autres de grandes pages de la Bible ou de l'Antiquité. iLe Parnasse, à l'égal de nombreux mouvements littéraires, apparaît comme un creuset, voire un simple carrefour, où se retrouvent pour un temps Baudelaire, Mallarmé et même Rimbaud. Mais leur mouvement correspond aussi à une sensibilité de l'époque : réaction contre les épanchements romantiques qui donnaient trop facilement l'illusion qu'une sentimentalité à fleur de peau suffit pour devenir écrivain jsouci de la réalité, fût-elle antique et théâtrale, que la littérature a pour mission d'évoquer avec rigueur; exigence du mot juste et musical à la fois, où va se reconnaître toute une école poétique. Baudelaire : Les Fleurs du mal Le recueil publié par Baudelaire en 1857 sous le titre Les Fleurs du mal se compose de pièces écrites à partir de 1841, date de composition de «À une dame créole » (publié dans L AMiste en 1845). Les poèmes du cycle de Jeanne Duval, jeune mulâtresse que Baudelaire a rencontrée au retour de son voyage dans l'océan Indien, datent de la même période. C'est en 1845 qu'il a pour la première fois, semble-t-il, l'idée de réunir ses poèmes en recueil, avec un « titre pétard » : « Les Lesbiennes ». Quelques pièces des Fleurs du mal suffiraient à justifier ce titre; plus généralement, la sexualité féminine devient pour le poète un mystère d'autant plus insondable que des femmes s'adonnent entre elles à l'amour charnel qui, à ses yeux, figure le Mal. En 1848, le recueil est annoncé sous le titre Les Limbes. Onze poèrrfes (dont les quatre « Spleen » et « La Mort des amants») paraissent en 1851, destinés aux Limbes, «à paraître prochainement ». Dans la théologie catholique, les limbes sont le séjour des enfants morts sans baptême qui, n'ayant pas été rachetés du péché originel, ne peuvent entrer au paradis. Ce territoire situé à l'écart du bien et du mal, où n'est pourtant pas ignorée la malédiction qui marque l'homme dès sa naissance, et singulièrement le poète, aurait bien symbolisé l'inspiration profonde du recueil. Mais le mot «limbes» figure aussi dans le système des disciples de Fourier. Faut-il en conclure que le recueil traduisait chez Baudelaire, au lendemain de la révolution de 1848, ces préoccupations sociales perceptibles dans son essai « Du vin et du haschich » ( 1851 ) (« Le travail fait les jours prospères, le vin fait les dimanches heureux »), et surtout dans son compte rendu, la même année, de Chants et Chansons de Pierre Dupont? Dans cet article, Baudelaire dénonce plus violemment que d'ordinaire «la puérile école de l'Art pour l'Art» et glorifie Dupont d'avoir frayé la voie à la «poésie populaire». C'est pourtant peu après, peut-être déjà « dépolitiqué » selon son expression, qu'il compose quelques pièces du cycle de Mme Sabatier, dite « La Présidente », mondaine de mours légères qu'il chante comme le type de la femme froide et inaccessible. Le cycle de Mme Sabatier s'oppose à celui de Jeanne Duval où, par son parfum, la femme, chaude et sensuelle, ouvre l'accès à un ailleurs. S'ajoutera à partir de 1855 le cycle des poèmes inspirés par une actrice, Marie Daubrun, la « femme aux yeux verts ». . Le titre des Fleurs du mal aurait été soufflé à Baudelaire par un journaliste, Hippolyte Babou, en 1855; on le trouve en tête de dix-huit poèmes publiés cette année-là dans la Revue des Deux Mondes, parmi lesquels figurent, outre l'avertissement «Au lecteur», «Réversibilité», «La Confession», «L'Aube spirituelle » (cycle SabatieR), « L'Invitation au voyage » (cycle DaubruN), « La Vie antérieure », « Moesta et errahunda », « Voyage à Cythère ». «Réversibilité» s'inspire d'une idée maîtresse de Joseph de Maistre : le péché d'Adam et Eve retombe sur les innocents, mais en retour le sacrifice du Christ et les mérites des saints diminuent la peine des coupables dont ils rachètent les péchés; ainsi est fondée la force expiatrice du sang; en MT Sabatier, Baudelaire chante l'ange intercesseur, dont les vertus rachètent le mal auquel est voué le poète. Encore que «L'Invitation au voyage» évoque les paysages de la Hollande, où Baudelaire n'est jamais allé, le pays où le poète invite sa bien-aimée (« Mon enfant, ma sour ») à l'accompagner doit peu à la vogue de l'exo-tismev'tout comme le décor grandiose et d'abord serein de « La Vie antérieure », peut-être rêvé sous l'influence du haschich, et dont la fonction se découvre au dernier vers du sonnet: permettre au poète d'approfondir «le secret douloureux » qui le fait languir. Il ne s'agit pas ici d'un dolorisme romantique, grâce auquel le poète prendrait l'univers à témoin de ses souffrances, mais d'une plongée dans l'abîme où il cherche son mystère. La nostalgie n'est pas celle d'un temps de la jeunesse enfui ou d'un quelconque pays tropical, mais celle de l'infini. . L'essentiel de l'inspiration de Baudelaire est donc connu quand paraît le volume des Fleurs du mal. Reste au public à découvrir son «architecture secrète » (Barbey d'AurevillY), remise en cause par le procès qui oblige l'éditeur à retirer les pièces condamnées. Mais peut-être Baudelaire aurait-il de toute façon modifié l'ordre du recueil pour y inclure de nouvelles pièces et placer en fin de parcours «Le Voyage», composé en 1859. Aussi la plupart des éditeurs procurent-ils aujourd'hui l'édition de 1861 augmentée des « Épaves », plaquette publiée en 1866, contenant des pièces inédites et les pièces condamnées. La première section du recueil, « Spleen et Idéal », célèbre la Beauté (sculpturale ou frémissante selon les poèmes, elle est la seule consolatricE); elle contient l'essentiel des trois cycles amoureux et s'achève sur le Spleen - l'ennui, allié de Satan -, mal métaphysique. Les «Tableaux parisiens» célèbrent le «paysage des grandes villes», expression d'une modernité que Baudelaire admire chez Constantin Guys, décor de l'ennui. « Le Vin » figure à lui seul, dans le recueil, ces «paradis artificiels» dont Baudelaire étudie les effets dans un texte de 1860 et qui témoignent du « goût de l'infini ». La section intitulée « Les Fleurs du mal » exprime la plongée dans le vice : ces « vierges en fleurs » (les lesbienneS) se trouvent au fond de l'abîme exploré par le poète. L'évasion a échoué; reste «La Révolte», puis «La Mort», qui se conclut dans le poème « Le Voyage » par l'embarquement joyeux sur la « mer des Ténèbres ». Le vers impair donne à « L'Invitation au voyage » une « impression de rapide fluidité » (A. ThibaudeT)jjdans le premier des poèmes intitulés « Le Chat », les décasyllabes coupés 4 + 6 alternent avec des octosyllabes. On relèverait bien d'autres hardiesses de détail : elles ne suffiraient pas à convaincre que Baudelaire annonce la grande révolution poétique de la génération suivante. Jusque dans ses harmonies, on le trouve souvent « racinien ». L'usage fréquent du sonnet atteste aussi son attachement à la tradition, même si la forme classique des « Chats » a autorisé les gloses les plus délirantes sur la structure cachée du poème. Ce métricien exigeant, admirateur sincère de Gautier, fait figure de «classique», à plus forte raison si l'on admet avec Paul Valéry que «classique est l'écrivain qui porte un critique en soi-même, et qui l'associe intimement à ses travaux ». . L'auteur des Fleurs du mal appartient au mouvement du Parnasse en ce qu'il réagit par la forme de ses poèmes contre les facilités du romantisme antérieur, et il rejoint les tenants de* l'Art pour l'Art quand il proclame en 1857 (Notes nouvelles sur Edgar PoE) que « la poésie n'a pas d'autre but qu'elle-même ». Mais la rigueur formelle ne nuit pas, dans Les Fleurs du mal, au pouvoir d'émotion ni à une sensualité olfactive dont la poésie n'avait jamais donné pareil exemple. Loin de se livrer à un pur exercice de style, Baudelaire met dans son recueil ses pulsions et ses contradictions, qui l'entraînent à la fois vers le Ciel et vers Satan. Dans une lettre à son ami maître Ancelle, écrite en février 1866 alors qu'il est déjà menacé d'aphasie, il confie: «Faut-il vous dire, à vous qui ne l'avez pas plus deviné que les autres, que dans ce livre atroce j'ai mis tout mon cour, toute ma tendresse, toute ma religion (travestiE), toute ma haine? Il est vrai que j'écrirai le contraire, que je jurerai mes grands dieux que c'est un livre d'art pur, de singerie, de jonglerie, et je mentirai comme un arracheur de dents. » Une forme neuve : les Petits Poèmes en prose L'année même où paraissent Les Fleurs du mal, Baudelaire évoque son projet d'un recueil de poèmes en prose; six au moins sont déjà composés. Dans La Fanfarlo, nouvelle de 1843-1844, il écrivait: «Au lieu d'admirer les fleurs, Samuel Cramer, à qui la phrase et la période étaient venues, commença à mettre en prose et à déclamer quelques mauvaises stances composées dans sa première manière ». Baudelaire, à l'image de celui en qui on reconnaît facilement son double, se détournera des fleurs (fleurs poétiques, voire de la rhétorique, propices aux florilègeS) pour aller vers le pavé, usant d'une prose qui exprime plus exactement l'ennui de la ville (il songea à intituler son recueil Le Spleen de PariS), quitte, comme le suggère un des poèmes, à perdre son « auréole ». Critique dramatique, Samuel Cramer s'est intéressé à une actrice, la Fanfarlo, et est parvenu à piquer sa curiosité en l'éreintant avec persévérance. Le jour où elle se présente nue devant lui, il exige qu'elle remette son fard et reprenne son déguisement de Colombine. Le poète abhorre la nature (or, la femme est naturellE) et cultive l'artifice. Illustré par Les Fleurs du mal, ce thème sera plus présent encore dans les Petits Poèmes en prose. Dans « Le Peintre de la vie moderne » (éloge de Constantin GuyS), Baudelaire esquisse quelques-uns des principaux motifs des poèmes en prose : la modernité, l'éloge du maquillage, le dandy qui étonne sans s'étonner de rien et dont le type révèle le caractère autobiographique de plusieurs pièces du recueil : Baudelaire, jusque dans ses pires périodes de misère, sut affecter une élégance hautaine; au cour de la ville, la foule sert au poète à affirmer son dédain. . S'il serait inexact de dire que Baudelaire a abandonné les vers pour la prose, il est vrai que la plupart des poèmes en prose ont été composés après 1857. A partir de cette date, l'inspiration spécifiquement parisienne prédomine. Parfois, Baudelaire écrit deux versions, vers et prose, à partir d'un même motif («La Chevelure » / « Un hémisphère dans une chevelure », « L'Invitation au voyage » / « Any where out of the world »). Inaugurée par Aloysius Bertrand, la technique du poème en prose suppose que l'écrivain fasse de la prose un véritable outil poétique. Ainsi, chez Bertrand, des couplets sont-ils symétriquement distribués, encadrés par un prologue et un épilogue; des procédés cycliques permettent de composer le poème au lieu de le dérouler linéairement; un refrain est parfois intercalé entre les couplets; à ^intérieur des couplets, un tiret peut souligner la symétrie des éléments, ou assurer au contraire une progression par groupements inégaux. Des « blancs » entre les couplets assurent la respiration du poème et lui donnent, comme les intervalles qui séparent les quatrains et les tercets d'un sonnet, un aspect visuellement poétique. « Cet ouvrage, plus singulier, plus volontaire du moins que Les Fleurs » : ainsi Baudelaire parle-t-il à sa mère de son futur recueil. En renonçant au vers, il ne cède pas à la facilité, mais se soumet à des contraintes nouvelles. Il cite le mot de Delacroix : « La nature n'est qu'un dictionnaire. » Au poète revient de l'organiser; vers ou prose, il applique une technique. Celle du poème en prose doit éviter le vers blanc, naturel sous la plume d'un écrivain formé à écrire de la poésie, au profit d'effets rythmiques plus spécifiques. Elle suppose la recherche du mot capable d'étonner, voire de choquer, jusque par son prosaïsme ou son apparente vulgarité; ayant pour mission de faire découvrir le monde d'un oil neuf, la poésie doit prendre le contre-pied des habitudes poétiques. Le poète peut aller jusqu'au «mauvais goût», du moins à ce qui apparaîtra tel aux bourgeois; par ce désir de provoquer, la poésie de Baudelaire préfigure les scandales du surréalisme. Plusieurs poèmes en prose prennent l'allure d'un court récif, il semble alors que Baudelaire préfigure plutôt une conception moderne de la nouvelle qui, loin de se réduire à une forme narrative brève, mise sur des exigences formelles plus strictes que celles du roman pour livrer des moments, des portraits, de fugitifs états d'âme. . Dans sa dédicace à Arsène Houssaye, Baudelaire expose son rêve du « miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ». Au reste, si Les Fleurs du mal sont composées suivant une « architecture secrète », dans les Petits Poèmes en prose, au contraire, tout est « à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement ». Ces morceaux mis ensemble comme au hasard se contredisent, comme se contredisent les états de conscience ou les mouvements d'humeur de la vie quotidienne; ainsi croirait-on le poète encore imprégné de ses idées socialisantes de 1848 dans « Le Joujou du pauvre », tandis que « Le Mauvais vitrier » ou « Assommons les pauvres ! » le révèlent sardoniquement hostile à la philanthropie, par laquelle on abaisse la dignité des déshérités de la société. Mais Les Fleurs du mal ne le montraient-elles pas déjà en perpétuelle contradiction avec lui-même, célébrant la beauté tantôt comme perpétuellement changeante, tantôt comme immobile (« Je hais le mouvement qui déplace les lignes »), tour à tour vénérant et exécrant la femme, puisant son inspiration dans l'ennui de la ville tout en rêvant d'autres cieux? . Le recueil des Petits Poèmes en prose est inachevé quand meurt Baudelaire. Il sera publié sous ce titre en 1869. Ensuite, les éditeurs retiendront parfois le titre Le Spleen de Paris, sous lequel Baudelaire le désigne généralement dans sa correspondance. Plus encore que Les Fleurs du mal, les Petits Poèmes en prose influencèrent une génération de poètes : Mallarmé, qui dès 1864 dédie à Baudelaire deux poèmes en prose, Rimbaud, Laforgue. Il fallait cette révolution formelle, qui dissocie versification et poésie, pour frayer la voie à la grande poésie moderne. . Les Journaux intimes de Baudelaire, « Fusées » et « Mon cour mis à nu » se présentent comme une suite d'impressions esthétiques, d'ébauches, d'apho-rismes. On y trouve une définition parmi d'autres de « son » Beau (« quelque chose d'ardent et de triste ») aussi bien que ses règles d'« hygiène » esthétique et morale. Cette série de fulgurations, qui expriment l'horreur de la femme, le « plaisir naturel de la démolition » ou les vertus du sacrifice apprises chez Joseph de Maistre, donne sa formulation la plus crue au pessimisme qui imprègne toute son ouvre poétique. Gérard de Nerval : Les Filles du feu, Les Chimères, Aurélia Gérard de Nerval était, en février 1848, plus préoccupé de théâtre que de révolution. Gérard Labrunie (1808-1855) signe ses ouvres du nom de Nerval en souvenir d'un lieu-dit du Valois où il avait passé une grande partie de son enfance. Le rêve d'une ascendance nobiliaire parcourt son ouvre, parfois lié au désir de se rattacher à la déesse Isis. Poète précoce, traducteur à 18 ans du Faust de Goethe, soldat du romantisme lors de la bataille d'Hernani, il a collaboré à plusieurs journaux sous la monarchie de Juillet. En 1841, atteint d'une première crise de folie, il s'est fait soigner chez le docteur Blanche. L'année suivante mourait Jenny Colon, l'actrice qui, avec Marie Pleyel, la baronne de Feuchères (principale source d'Adrienne dans SylviE), d'autres encore, allait contribuer aux images troubles et troublantes des femmes (ou plutôt de la FemmE), rémanentes d'une ouvre à l'autre. En 1843, il voyage en Orient. Quand, en 1849, sa santé s'altère à nouveau, son pèlerinage dans le Valois apparaît comme un besoin de retrouver cette mystérieuse figure de son enfance qu'il idéalisera dans le personnage d'Adrienne aussi bien que les sources d'un moi dont la raison vacille. . De ce pèlerinage naîtra Sylvie (1853), principale pièce du recueil de nouvelles intitulé Les Filles du feu (1854) où la critique, peut-être victime du sous-titre (Souvenirs du ValoiS), verra longtemps un charmant récit touristique, fidèle à la tradition de la clarté française. « Cette histoire que vous appelez une peinture naïve, c'est le rêve d'un rêve, rappelez-vous. |...] La couleur de Sylvie, c'est une couleur pourpre, d'une rose pourpre en velours pourpre ou violacée, et nullement les tons aquarelles de leur France modérée. » Quand Proust écrit ces lignes, vers 1908, Gustave Lanson, dans une réédition de sa volumineuse Histoire de la littérature française, n'accorde que cinq lignes à ce « romantique d'imagination et de vie, qui sombra dans la folie, délicieux écrivain pourtant de la plus saine tradition du XVIIIe siècle, qui sut trouver la couleur sans renoncer à la finesse, à l'esprit, à l'élégance, dans la prose exquise de ses récits de voyages et de ses contes ». Théophile Gautier (ami de Nerval, il est vraI) montrait plus d'enthousiasme dans son Histoire du romantisme, même si sa conviction que la postérité placerait Sylvie à côté de Paul et Virginie et de La Chaumière indienne, de Bernardin de Saint-Pierre, paraît aujourd'hui un hommage un peu mince. Sylvie fut écrite «difficilement», confiera Nerval dans Aurélia. La clarté d'expression y répond à l'émouvante attention d'un esprit menacé de sombrer dans la folie, mais les plans chronologiques (présent du narrateur, époque où il s'est souvenu de son enfance, moments divers de son enfance ou de son adolescence...) se distinguent malaisément pour le lecteur, sans doute parce qu'ils ont tendance à se confondre dans l'esprit de l'écrivain. «Reprenons pied sur le réel », dit-il en un moment du récit où se mêlent les temps et les figures, comme si l'effort de Nerval pour garder la raison se reflétait dans l'ouvre. Au-delà de l'hésitation sentimentale entre l'affection bien réelle pour Sylvie, la compagne de jeux, et l'attrait pour une actrice identifiée à la mystérieuse Adrienne dont le narrateur effleura la joue lors d'une ronde enfantine avant qu'elle ne se retirât dans un couvent, Sylvie doit se lire comme une quête du moi et de ses origines. C'est un passé antérieur à sa naissance qui est parfois évoqué : ainsi de la charmante et cruelle apparition des enfants aux yeux de la vieille tante, qui voit ressurgir une image de sa propre jeunesse, ou de la visite aux monuments anciens du Valois, ou encore du pèlerinage sur la tombe de Rousseau. Histoire et légende se mêlent, comme se mêlent le souvenir et le rêve chez ce déraciné qui revendique, jusque par son pseudonyme, une improbable origine aristocratique. De cette quête témoigne aussi Angélique, première pièce des Filles du feu, moins intéressante par l'aventure romanesque de l'héroïne (fragment d'une «Histoire de l'abbé de Bucquoy», développée dans Les IlluminéS) que par les recherches qu'elles suscitent chez un narrateur où se reconnaît Gérard de Nerval, flâneur parisien, amateur de vieux livres d'histoire et de châteaux au hasard desquels se reconstituera peut-être ce temps que, tel Proust plus tard, il voudrait «retrouver». Le feu donne, comme l'indique le titre, son unité au recueil; présent au cour du monde souterrain évoqué dans la légende d'Adoniram et de la reine de Saba (nommée aussi Balkis, ou Reine du Matin, ou du MidI) auprès de laquelle Soliman a vu s'animer « l'idéale et mystique figure de la déesse Isis » (Voyage en OrienT), il symbolise ce secret de l'univers que le poète recherche grâce à d'incertaines figures de la Femme. Octavie, Isis et Corilla forment la partie italienne du recueil : le feu est ici celui du Vésuve, auquel Nerval associe le souvenir de Jenny Colon. Jenny et Emilie, qui figuraient également dans l'édition originale de 1854, ont été ensuite supprimées par certains éditeurs qui y voyaient des « corps étrangers » au recueil, mais sans doute Nerval avait-il à dessein porté à sept, nombre sacré dans la tradition occultiste, symbole de l'harmonie des mondes, le nombre des pièces de son recueil. . Nous avons rangé Les Filles du feu parmi les ouvres poétiques de la période parce qu'elles étaient suivies, dans l'édition originale, par les douze sonnets des Chimères («Le Christ aux Oliviers» en comprend cinq à lui seuL), l'ensemble formant un tout consciemment composé par Nerval. Ces sonnets « perdraient de leur charme à être expliqués, si la chose était possible », prévient Nerval dans une dédicace à Alexandre Dumas. Au moins Les Filles du feu jettent-elles sur eux quelques lumières. « Fleur » et « feu » se rejoignent dans Les Chimères, s'identifiant dans l'imaginaire nervalien à des figures de l'Histoire ou de l'expérience vécue par le poète. Saints et personnages de légende sont aussi confondus en vertu d'une sorte de syncrétisme religieux. Déshérité (« El Desdichado »), le poète fait de la recherche de la Femme une quête mystique (« Artémis »), douloureuse, le recueil s'achevant toutefois sur la note apaisée de « Vers dorés », pièce pythagoricienne inspirée par Virgile, figure qui avait déjà guidé Dante. «Telles sont les chimères qui charment et égarent au matin de la vie », pouvait-on lire au « Dernier feuillet » de Sylvie. Selon le poète allemand Henri Heine, la femme est la Chimère de l'homme. Animal mythique, souvent donné pour malfaisant, la Chimère apparaît, dans les sonnets de Nerval, comme le symbole de la Femme aux visages multiples hantant nos rêves, qui nous perd ou nous rend à nous-mêmes. . Au terme d'Aurélia ou Le Rêve et la Vie, Nerval se déclare «heureux» des convictions acquises après ce qui fut pour lui une «descente aux enfers ». Il a rédigé ce court récit pendant deux séjours à la clinique du docteur Blanche (1853 et 1854), séparés par un voyage en Allemagne. Aurélia répond comme Sylvie à un effort de guérison et de lucidité, mais témoigne du besoin d'aller cette fois jusqu'au bout de l'irrationnel. «Le Rêve est une seconde vie» : à la différence des écrivains inspirés par de simples « rêveries », Nerval raconte son existence du moment où commence pour lui « l'épanchement du songe dans la vie réelle ». « Vision » et « rêve », « penser » et « songer » se distinguent à peine au sein du récit (« L'imagination n'a rien inventé qui ne soit vrai »). À la suite d'un « rêve délicieux », où il se voit en compagnie d'un frère, Saturnin (double apaisé de lui-mêmE), recevant de la Vierge Sainte (autre image de la reine de Saba?) un sourire qui signifie sa guérison, Nerval ajoute une série d'autres rêves intitulés « Mémorables », dont il n'aura pas le temps de corriger les épreuves. La première partie d'Aurélia paraît dans La Revue de Paris le Ie'janvier 1855, la seconde le 15 février. Entre les deux, dans la nuit du 25 au 26 janvier, Nerval s'est pendu, rue de la Vieille-Lanterne, à deux pas de la colonne du Châtelet, près d'un bouge où il avait sans doute vainement demandé asile. Lautréamont : Les Chants de Maldoror Isidore Ducasse (1846-1870) s'est donné en 1869, à l'occasion de la première édition (non diffuséE) des Chants de Maldoror, le pseudonyme de « comte de Lautréamont ». Né à Montevideo deux ans avant la révolution de 1848. il passe une grande partie de sa jeunesse à Tarbes et à Pau, et meurt anonymement dans Paris assiégé. Cette vie qui coïncide presque exactement avec la durée du Second Empire est la plus mystérieuse de toutes celles de nos grands écrivains. Remy de Gourmont aidera à connaître, vers la fin du siècle, son ouvre bizarre. «Les Chants de Maldoror, écrit-il, sont un long poème en prose dont les six premiers chants seuls furent écrits. Il est probable que Lautréamont, même vivant, ne l'eût pas continué. On sent, à mesure que s'achève la lecture du volume, que la conscience s'eji va, s'en va, - et quand elle lui est revenue, quelques mois avant de mourir, il rédige les Poésies, où, parmi de très curieux passages, se révèle l'état d'esprit moribond qui répète, en les défigurant par la fièvre, ses plus lointains souvenirs, c'est-à-dire pour cet enfant les enseignements de ses professeurs ! » L'étrange bestiaire et les visions de cauchemar qui peuplent 1"imagination du poète situent Les Chants... dans la lignée du romantisme noir. Mais l'inspiration poétique, en se donnant chez lui pour « le produit de la rupture entre le bon sens et l'imagination, rupture consommée le plus souvent en faveur de cette dernière », en fera, aux yeux d'André Breton, un précurseur des surréalistes. Dans le contraste entre Les Chants... et les Poésies, Breton voit une des plus hautes manifestations de l'humour. Mais cet humour noir n'a rien de commun avec le goût du canular, qui suffît pour Faurisson à expliquer l'ouvre de Lautréamont, ni avec une pure recherche langagière qui, pour Julia Kristeva, fonderait sa modernité. En mal d'aurore, le poète des Chants et des Poésies, frappé comme celui des Fleurs du mal d'une malédiction originelle, traduit son obsession de la solitude et de la mort. La même année que Les Chants de Maldoror paraissent Les Fêtes galantes, de Verlaine, déjà auteur trois ans plus tôt des Poèmes saturniens. |
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