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La renaissance du théâtre






Pour un retour aux sources



Si au lendemain de la guerre le roman est en « crise ». le théâtre, lui, peut paraître en pleine décadence. En effet, la Belle Époque voit le triomphe de la pièce « bien faite ». c'est-à-dire d'un théâtre académique, commercial, cantonné souvent dans les formules faciles du « boulevard ». et destiné au divertissement d'un public bourgeois, pour qui la soirée au théâtre est surtout un plaisir futile et un cérémonial mondain.



Contre cet abâtardissement de l'art dramatique coupé de ses sources, populaires et religieuses, ont cherché à réagir Antoine et son Théâtre libre (1887-1894), Lugné-Poe et son Théâtre de l'Ouvre (fondé en 1893) et enfin Jacques Copeau qui ouvre en 1913 le Théâtre du Vieux-Colombier. Ce dernier aura une influence considérable sur l'évolution du théâtre au cours de l'cntre-deux-guerres, bien que le Vieux-Colombier, rouvert en 1920, ait refermé ses portes dès 1924. Copeau veut revenir aux sources ; il prône le « tréteau nu ». celui des spectacles populaires. Il simplifie les décors. Il privilégie la qualité du texte et le travail de l'acteur. Copeau cherche à retrouver le sens premier du théâtre, qui est d'être une cérémonie collective, avec laquelle communie le public. D'où son désir de séparer le moins possible la scène et la salle et son rêve d'un théâtre populaire (Le Théâtre populaire, 1941). Il le réalise en partie lorsqu'il s'installe en Bourgogne en 1924 avec ses « Copiaux », comédiens itinérants. Mais il met fin à l'expérience en 192913.

Ce théâtre de communion populaire, qui s'épanouira plus tard avec Vilar, se cherche pendant ces années d'entre-deux-guerres. Henri Ghéon'4, revenu à la foi, tente de retrouver, avec sa troupe des Compagnons de Notre-Dame, l'esprit du théâtre médiéval en faisant jouer des « mystères » ou des farces. Soucieux de faire renouer la littérature et le peuple, Jean-Richard Bloch réfléchit sur l'art dramatique (Destin du théâtre, 1930) et insiste sur son caractère social. Dix Filles dans un pré (1922) est une sorte de féerie inspirée d'une chanson populaire, tandis que Naissance d'une cité (1937), représenté au Vel* d'Hiv', se fait l'expression des espoirs du Front populaire, en accordant une grande place à la danse, à la musique, à l'expression corporelle. Dans une perspective voisine, il faut aussi signaler les expériences de théâtre militant du groupe Octobre, fondé en 1933 et pour lequel Prévert écrit des sketches et des chansons.



Mais ceux qui dominent la rénovation théâtrale durant l'entre-deux-guerres. ce sont les membres du « Cartel ». qui prend la relève de Copeau. Il est constitué de quatre metteurs en scène"' : Louis Jouvet et Charles Dul-lin - disciples de Copeau" -, Georges Pitoëff et Gaston Baty. Malgré la différence de leurs tempéraments, ils veulent tous, comme Copeau, « rethéâtraliser » le théâtre. Baty, qui ironise contre « Sire le Mot », insiste tout particulièrement sur l'importance du spectacle (décors, éclairages, musiquE). Lugné-Poe reste en marge, mais jusqu'en 1929. il contribue lui aussi à la rénovation dramatique, notamment en découvrant de nouveaux talents (Salacrou, Crommelynck, AnouilH).

Les hommes du Cartel aiment se référer aux grandes époques du théâtre : antiquité grecque, « siècle d'or » espagnol, époque élisabéthaine. XVIIe siècle français, ainsi qu'aux traditions populaires. Jouvet et Dullin, après Copeau, rénovent la mise en scène des grands classiques. Ainsi la représentation de L'École des femmes en 1936 par Jouvet fit sensation, avec les décors de Christian Bérard et notamment les lustres de style Louis XIV suspendus au-dessus du jardin. Dullin monte L'Avare. Mais le Cartel accorde aussi une grande place au théâtre étranger : Dullin fait connaître Pirandello en 1922 avec La Volupté de l'honneur. Quant à Pitoëff, il joue les Russes, les Scandinaves, G.B. Shaw (Sainte Jeanne, 1925). et monte Six Personnages en quête d'auteur (1923), avec un effet scé-nique impressionnant : c'est un ascenseur qui amène les personnages sur le plateau. Enfin les membres du Cartel ont encouragé de nouveaux auteurs. C'est Jouvet qui incite Giraudoux à écrire pour le théâtre. La représentation de Siegfried en 1928 est un événement. D'autres écrivains, romanciers ou poètes, se mettent aussi à l'art dramatique ou y reviennent : Cocteau, Mauriac, Supcrvielle, Gide (et un peu plus tard ce sera MontherlanT), car le théâtre a retrouvé son prestige et s'est réconcilié avec la littérature. Ce faisant, le Cartel a permis une véritable renaissance de l'art dramatique.



Le Boulevard et ses avatars



Le Boulevard, sous sa forme traditionnelle, reste néanmoins prospère, oscillant entre le mélodrame et le vaudeville. Bernstein, dont le succès continue après la guerre, représente la première tendance, avec ses drames violents (Mélo, 1930). À l'autre extrémité se situent les comédies légères et spirituelles écrites, jouées et mises en scène par Sacha Guitry, avec leurs monologues brillants, truffés de « mots d'auteur » cyniques et désabusés (Je t'aime, 1920 ; Désiré, 1927).

Domaine privilégié des traditions et même des routines, le Boulevard va cependant connaître un certain renouvellement. Avec Bourdet18 il sort de sa thématique habituelle : relations amoureuses, drames de l'adultère. Il prend pour sujet les anomalies sexuelles ou vise à la satire sociale. La veine satirique est aussi celle qu'exploite Pagnol avec Topaze (1928). pièce d'un naturalisme vigoureux. Puis il s'engage dans la voie du mélodrame à la fois sentimental et comique avec sa série marseillaise « populiste », inaugurée par Marius en 1929.

En fait, le domaine du Boulevard est assez difficile à délimiter. Des auteurs comme Achard. Sarment, Savoir, Passeur, voire Salacrou ou Anouilh, y tiennent par quelque côté et en même temps sont en marge. D'ailleurs ils sont joués par les ennemis du Boulevard. Lugné-Poe ou les membres du Cartel. Chacun à sa manière, ils créent un monde poétique et s'éloignent du réalisme.

Achard, dont les pièces sont souvent mises en scène par Jouvet. imagine un type de personnage de rêveur, sorte de Pierrot lunaire tombé dans le monde bourgeois (Jean de la Lune, 1929 : Domino, 1932). Les héros d'Achard tiennent à la fois du personnel bourgeois du Boulevard et des figures de la commedia deU'arte. Cette référence aux traditions populaires, au cirque par exemple (Voulez-vous jouer avec moâ ?, 1924. chez DulliN). est bien dans le goût des hommes du Cartel. Alfred Savoir rompt avec l'idéal de la pièce « bien faite », il prend plaisir à déconcerter par la fantaisie et la gratuité (Le Figurant de la Gaîté, 1926). Quant à Passeur, la brutalité et la rapidité de ses dialogues, une certaine outrance le portent au-delà du réalisme.

Chez Salacrou. Anouilh et parfois même Cocteau, certaines formes sont empruntées au Boulevard mais complètement détournées de leur sens. Le cadre bourgeois n'est plus qu'un décor, un prétexte. Les intrigues sentimentales sous-tendent une réflexion sur la condition humaine19. Les personnages ne sont pas des individus dotés d'une psychologie réaliste mais plutôt des représentations presque mythiques, des personnages-symboles, incarnant l'aspiration à l'absolu ou la misère de l'homme. Avec Le Voyageur sans bagage ou La Sauvage. Anouilh ne quitte pas les platitudes et les mesquineries de l'univers bourgeois, mais la pureté de ses héros en fait des êtres presque légendaires, ce qui était souligné par le jeu stylisé des Pitoëff.

Chez Salacrou, cette résonance métaphysique s'accompagne de certaines libertés à l'égard de la dramaturgie traditionnelle. Toute l'action de L'Inconnue d'Arras se passe en fait dans la tête du héros et procède d'un effet de « flash-back » - comme dans un film - sur son passé. Toute sa vie défile dans les quelques secondes de son agonie. Salacrou ne s'en tient pas à l'illusionnisme réaliste : on peut voir dialoguer deux personnages qui sont deux états du même homme à des âges différents.



Cocteau use parfois de thèmes ou de procédés qui sont ceux du Boulevard. Dans La Voix humaine (1930). dont le sujet est très mélodramatique (une femme quittée par son amanT), il montre le seul personnage de la pièce, parlant au téléphone. Le procédé avait déjà été utilisé au Boulevard2", mais Cocteau, comme le souligne le titre, veut aller au-delà de l'anecdote. Dans Les Parents terribles (1938). sorte de vaudeville aux accents de mélodrame, c'est toute une lutte de l'Ordre contre le Désordre qui se joue.

Alors que le Boulevard se caractérise par l'importance accordée à l'intrigue (action mouvementée, coups de théâtre, quiproquoS) et par une psychologie simplifiée, on assiste à plusieurs tentatives pour renouveler le théâtre psychologique. On voit ainsi apparaître un théâtre « intimiste »21 plus axé sur la vie intérieure que sur l'action. Tel est le cas de la pièce de Vildrac Le Paquebot Tenacity. montée par Copeau en 1920. Ayant pour décor un bistrot dans un grand port où les héros doivent s'embarquer, cette ouvre de tonalité tchékovienne illustre un « réalisme poétique »22 où l'essentiel est dans l'art de la suggestion et de la nuance. Dans le même sens va le « théâtre du silence » ou plutôt de « l'inexprimé ». dont le chef de file, Jean-Jacques Bernard, considère qu'au-delà des mots existe un « dialogue sous-jacent ». bien plus riche que les paroles (Martine, 1922). Il est mis en scène par Baty qui crée aussi des pièces où l'on sent l'influence de Pirandello : Têtes de rechange (1926) de Jean-Victor Pellerin, où l'on voit les pensées des personnages se matérialiser sur la scène ; ou bien Maya (1924)-' de Gantillon, où le rêve se projette dans la réalité.

Pitoëff, lui, s'attache à l'ouvre de Lenormand, qui, influencé par Strindberg et par Freud, explore l'inconscient de ses héros. Cela amène un changement du tempo dramatique. Le dramaturge joue sur la durée comme le romancier : ses pièces se divisent non plus en « actes » mais en « tableaux », permettant le glissement progressif des états de conscience des personnages.

Dans toutes ces pièces, l'atmosphère, que savent si bien rendre les mises en scènes de Baty et de Pitoëff, a une grande importance, comme elle peut en avoir dans un roman. De même, c'est une pièce d'atmosphère que l'Asmodée de Mauriac, où se découvrent, comme sous le regard du démon curieux « Asmodée », les pensées et les désirs secrets de chacun.

Mettant le mal au centre de leur action, les pièce de Lenormand ou de Mauriac ont des sujets tragiques sans être pour autant des « tragédies ». Elles sont plutôt, dans le cas de Lenormand. des sortes de mélodrames, ou une variante de drame bourgeois pour Mauriac. Le genre de la tragédie a disparu depuis le XVIIe siècle. Pourtant, avec le renouveau de la conscience tragique qui marque l'entre-deux-guerres, on perçoit plusieurs tentatives de restauration de la tragédie.



Tragédie, farce, féerie



Plusieurs auteurs modernes vont reprendre les mythes traités par les tragiques grecs. C'est Cocteau qui donne le signal en 1922 lorsqu'il adapte l'Antigone de Sophocle. Il « contracte » le texte en lui donnant une tonalité plus familière. La mise en scène de Dullin est très moderniste, avec des costumes colorés de Chanel, un décor de Picasso et une musique d'Honeg-ger. Artaud, qui joue le rôle de Tirésias. approuve Cocteau d'avoir su rapprocher le vieux drame du spectateur moderne. Cocteau reprendra ensuite le mythe d*Odipe avec La Machine infernale, mise en scène par Jouvet avec des décors de Bérard. Il réussit à humaniser la tragédie tout en lui conservant son caractère mythique. La Voix qui au début de chaque acte annonce l'action concrétise la présence surnaturelle d'un destin tout-puissant.

Gide reprend lui aussi le thème d'Odipe et Giraudoux celui d'Electre. Tous mêlent le ton familier, l'humour, la fantaisie au ton tragique et tous cultivent les anachronismes, qui sont autant de clins d'oil au spectateur, tout en soulignant la valeur éternelle du drame. Giraudoux, qui emprunte aussi à la Bible le sujet de Judith, seule pièce à être appelée « tragédie », veut donner la sensation de la fatalité tragique (les petites Euménidcs qui grandissent à toute vitesse dans ElectrE) mais en même temps son besoin d'harmonie le pousse à annuler la tragédie ; dans son Lamento, le Jardinier, équivalent du chour antique, déclare : « C'est cela que c'est, la Tragédie, avec ses incestes, ses parricides : de la pureté, c'est-à-dire en somme de l'innocence. »



Si l'époque a la nostalgie de la tragédie, elle a aussi celle de la farce, autre genre « pur », et qui, avec ses outrances caricaturales, sa déhumanisation des personnages, s'éloigne également du réalisme. Dullin joue Antigo-ne mais aussi Volpone, adapté de Ben Jonson par Jules Romains et Stefan Zweig (1937). Copeau joue Les Fourberies de Scapin de Molière, ou La Gonfle, farce paysanne de Martin du Gard. Jules Romains cherche un « comique pur » avec Monsieur Le Trouhadec saisi par la débauche (1923) joué par Jouvet ainsi que Knock, qui remporte un succès triomphal. Avec Crommelynck, dont Le Cocu magnifique est représenté en 1920 chez Lugné-Poe et Tripes d'or en 1925 chez Jouvet, la jalousie ou l'avarice sont poussées à l'absurde et sécrètent un comique proche du tragique, exprimé dans un langage lyrique et truculent.

Une bouffonnerie à mi-chemin du farcesque et du tragique caractérise aussi les pièces de Ghelderode. qui ne sera compris et joué en France qu'après 1947. S'inspirant des spectacles de marionnettes, des procédés du cirque et du music-hall, des mystères médiévaux, Ghelderode libère totalement le théâtre des conventions réalistes et psychologiques. Chez lui le langage éclate, se délivre du rationnel, libère l'onirisme- Il rejoint par là certaines tendances qui sont celles de l'avant-garde.



Pour Dullin la scène est un lieu de « féerie ». Au sens propre du terme, la féerie et son merveilleux (enchanteurs, prodigeS) envahissent le théâtre de l'entre-deux-guerres, avec Giraudoux (Ondine. 1939), Arnoux (Huon de Bordeaux, 1922). Supcrvielle (La Belle au bois, 1932), Cocteau (Les Chevaliers de la Table Ronde, 1937). Quant à Juliette ou la Clé des songes (1930), de Georges Neveux, proche des surréalistes, elle nous entraîne dans le merveilleux du rêve. Avec L'Ours et la Lune (1919), Claudel avait publié une « farce pour un théâtre de marionnettes ». qui par son irréalisme et sa poésie plut à Aragon : il la qualifie d'« ouvre dada » (Littérature, sept. 1919).

Claudel, que ses fonctions diplomatiques retiennent la plupart du temps à l'étranger, reste donc à l'écart de la vie littéraire parisienne. Pourtant ce qu'il écrit alors pour le théâtre va bien dans le sens de la rénovation dramaturgique qui s'élabore. Comme Ghelderode, il sera « découvert » tardivement, lorsque Barrault en 1943 mettra en scène, dans une version abrégée. Le Soulier de satin, écrit entre 1919 et 1924. Avec cette somptueuse pièce baroque, Claudel rompt avec toutes les règles traditionnelles. Divisée en « journées », comme le théâtre du siècle d'or, la pièce ne respecte ni l'unité de lieu (la scène est le mondE), ni l'unité de temps (scènes simultanées ou ruptures temporelleS), ni l'unité d'action (les actions secondaires foisonnenT). Claudel n'a aucun souci de réalisme. La scène de l'Ombre double est inspirée par le théâtre nô : les personnages sont absents, on entend l'Ombre dont l'image est projetée sur un écran. Claudel mêle tous les tons - tragique, burlesque, épique, lyrique, satirique - et propose un spectacle total : dialogue, mime, chant, musique et danse. Son esthétique, proclamée dès l'ouverture, est celle de l'improvisation, du désordre, de l'imagination triomphante.



Ce théâtre nouveau de l'entre-deux-guerres se distingue par son caractère très « littéraire » : la qualité poétique du langage y est essentielle. D'ailleurs, pour Giraudoux le texte théâtral doit être beau, non par esthé-tisme mais parce que le théâtre a un rôle éducateur. Mais c'est aussi un théâtre qui veut marquer son caractère théâtral, en refusant toute forme d'illusion réaliste. Chez Claudel un personnage comme l'Annoncier, ou chez Giraudoux le Jardinier d'Electre, le Droguiste d'Intermezzo, l'Illusionniste d'Ondine, ont justement pour fonction de souligner la théàtralité de la pièce : ils sont dans la « réalité » de l'action mais en même temps ils en parlent comme d'un spectacle. Comme l'écrit Giraudoux dans L'Impromptu de Paris (sc. 1) : « Le théâtre, c'est d'être réel dans l'irréel. »



Du côté de l'avant-garde



Du côté de l'avant-garde aussi on vise à transformer le théâtre. Depuis Ubu Roi (1896) de Jarry, la farce énorme, à résonance poétique ou métaphysique, est une tentation de l'avant-garde. En 1917, Les Mamelles de Tirésias comme Parade l'ont montré. Les Mariés de la tour Eiffel de Cocteau, avec ses phonographes-récitants, les « drames comiques »" d'Albert-Birot (Le Bondieu, 1920 ; Les Femmes pliantes, 1921), les « surdrames » de l'expressionniste Yvan Goll (Mathusalem ou l'Éternel Bourgeois, 1919 ; Les Immortels. 1923) déshumanisent les « personnages ». désarticulent le langage et inaugurent un théâtre de l'insolite et de l'absurde, qui s'épanouira dans les années cinquante.

Dada, en récitant ou jouant publiquement des textes volontairement incohérents, se sert d'abord du « théâtre » dans un but de provocation ; l'agression est encore une manière de faire communiquer la scène et la salle (Tzara. Le Cour à gaz, 1921, avec ses personnages à nom d'organes ; ou Breton et Soupault, 57/ vous plaît. 1920). Dada et les surréalistes se moquent du théâtre comme des autres genres littéraires. Seul trouve grâce à leurs yeux le théâtre de Raymond Roussel (L'Étoile au front, 1925 ; La Poussière de soleils, 1926) parce qu'il libère totalement l'imaginaire, grâce à un procédé qui ne fut dévoilé qu'après sa mort dans Comment j'ai écrit certains de mes livres (1935) : il écrit à partir de deux phrases presque identiques phonétiquement, dont il fait le début et la fin de l'histoire, ou bien il utilise un mot avec ses différents sens, etc. Poussé par une obsession - pathologique - de la gloire, Roussel ne cherche pas à faire scandale. Il écrit sans aucune intention provocatrice, mais en poussant à la limite des procédés essentiellement poétiques.



Pourtant, d'autres pièces relèvent d'une dramaturgie plus traditionnelle que les premiers sketches dada, parce que centrées davantage sur une « action » : Mouchoir de nuages (1924), « tragédie ironique ou farce tragique en quinze actes », de Tzara, qui associe deux registres opposés et où illusion et réalité interfèrent; maintes pièces de Ribemont-Dessaignes (L'Empereur de Chine. 1919) qui. avec humour et poésie, expriment bien la révolte de Dada contre un ordre faux et l'aspiration passionnée à l'authenticité ou l'absolu ; ou encore de Vitrac. Les Mystères de l'amour (1924), premier vrai « drame surréaliste ». où les frontières entre rêve et réalité s'abolissent, et Victor ou les Enfants au pouvoir, où l'auteur reprend pour les subvenir les thèmes et les procédés du Boulevard.

Ces deux pièces furent représentées par le Théâtre Alfred-Jarry, fondé en 1926 par Artaud, avec Vitrac et Robert Aron. Ce théâtre ne fonctionna que deux saisons (1927 et 1928)26. Les essais personnels d'Artaud (Les CencI) subirent un échec. Mais ses idées, exprimées dans Le Théâtre et son double (1938), devaient connaître plus tard un énorme retentissement. Formé par Dullin. il veut réagir lui aussi contre la décadence du théâtre. Impressionné par les spectacles balinais, il refuse le psychologisme du théâtre occidental et il insiste sur les aspects matériels, corporels, du spectacle au détriment du texte littéraire. Il préconise un théâtre qui soit une sorte de « catharsis », mais forcenée, sauvage, hallucinatoire. Le théâtre doit agir comme la peste, bouleverser le spectateur, libérer ce qu'il refoule, le remplir d'angoisse métaphysique : c'est le « théâtre de la cruauté ».



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