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La voix : oralité, musique, poésie






« La poésie, c'est la voix... la voix qui est créatrice apparente et en réalité libératrice d'énergie. »

Paul Valéry.



« Au commencement était la voix » : dans le mythe fondateur de toute tradition poétique, l'antériorité de l'oral par rapport à l'écrit est un préjugé tenace. Le trompe-Foreille est universel, et il n'a pas fallu attendre les adeptes de la déconstruction pour en dénoncer la visée « logocentrique ». Si la voix n'est jamais que « le déguisement d'une écriture première » (DerridA), la poésie met bel et bien en scène un récitant dont la voix, réelle (en situation de performancE) ou feinte (lorsqu'elle est reproduite dans un texte écrit, soumis à la lecturE), module un chant dont la trame sonore constitue un trait essentiel. C'est donc moins à l'horizon de la métaphysique qu'à celui de la rhétorique qu'il convient de poser le problème de la « présence » et des mirages de l'oralité en poésie.

Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, le 4 décembre 1981, Yves Bonnefoy dénonçait «certains aspects illusoires de notre conscience de nous-mêmes », en particulier «l'expression univoquc et directe d'un sujet auquel il | suffirait] d'être fidèle à la vérité pour se sentir présent à d'autres présences ». Il rappelait combien les théories modernes nous ont appris à repousser cette abusive fiction d'autorité qui attache à la voix le maître sens du monde :



Là où parlaient ceux qu'on appelait des génies, parce qu'ils seraient allés droit à une vérité supérieure, ont commencé à briller ces galaxies qu'on nomme le texte espaces plus complexes et résonants que ce que naguère on y trouvait formulé...



Mais, en même temps. Bonnefoy mettait en garde contre le danger qui menace cet effacement de la voix d'un individu devant l'assaut des structures impératives du langage. Et de faire ce constat : sur les ruines encore fumantes du cogito, « il n'en reste pas moins que nous disons Je, quand nous parlons, dans l'urgence des jours, au sein d'une condition et d'un lieu qui, du coup, demeurent, quels qu'en soient les faux-semblants ou le manque d'être, une réalité et un absolu ». Constat si simple qu'on avait failli l'oublier.

La transmission des textes médiévaux montre qu'une culture de l'oralité réussit à se maintenir dans le travail des copistes avant que l'imprimerie ne vienne progressivement y mettre fin (Zumthor, 1983,1984,1987). Au sein de la civilisation du manuscrit, ies clercs tentent de capter les accents de la voix. Lorsque celle-ci s'étend sur la page, elle continue à vibrer de son timbre propre. L'autorité intellectuelle et morale qui s'attache à la chose écrite n'élimine pas entièrement les échos du chant oral qui traversent le poème. Mais il faut attendre le milieu du xur" siècle pour que Rufebeuf « invente » une voix personnelle en poésie. Jusque-là le jongleur ou le ménestrel n'avait cure de particulariser le sujet de ses chansons, heureux de se soumettre aux contraintes des formes en vigueur et de limiter son art à des variations mélodiques (ZinK).



À son tour, François Villon ose faire de sa propre vie le sujet de ses vers et donne des accents inoubliables à ses modulations. Chez l'auteur du Lais et du Testament, la voix lyrique porte un nom propre, un nom d'auteur qui sert à rassembler l'ouvre sous une appellation qui lui donne son unité. Clément Marot, qui se fait l'éditeur des ouvres de son prédécesseur en 1533, reprend cette singularité en s'en jouant. Il critique pourtant le recours à une expression trop anecdotique du moi. Selon lui, les noms d'inconnus qui peuplent les vers de Villon en obscurcissent le sens et leur enlèvent leur caractère universel. Parler de soi est souhaitable ; mais il faut le faire selon les règles de l'art. Au dire de Marot, Villon n'aurait pas « suffisamment observé les vraies règles de françoise* poésie » (OP, II, p. 777). L'écolier parisien n'était pas poète de cour; il lui manquait cette grâce naturelle, cette sprezzatura* que recommandera Castiglione dans son Côrtigiano, le « best-seller » du xvr siècle. C'est qu'il n'avait pas encore pu retrouver « la bouche ronde », Vos rotundum des Anciens (Horace, Art poétique, v. 323-324) ; il lui manquait cette « élégance et vénusté de paroles » qui, comme le dira Joachim du Bellay, peut seule donner l'immortalité aux poètes (Défense et illustration de la langue française, 1549, p. 49).

Tous les poètes apprennent à versifier la langue vulgaire; selon les règles exposées avec minutie dans les arts de rhé- torique. Ces manuels offrent une compilation de la science des poètes aussi bien que des orateurs. Ils donnent des prescriptions normatives sur la manière de rimer dans un français qui doit soutenir la concurrence latine et toscane. De l'Art de dictier* d'Eustache Deschamps (1392) à l'Art poétique fran-çois* de Thomas Sébillet (1548), nombreux sont les traités qui recensent les diverses catégories de rimes et de formes fixes auxquelles doit se conformer tout apprenti poète. La parole s'oblige donc à respecter les règles de l'écriture.



On a cru parfois qu'avant la Défense et illustration et la préface aux Odes de Ronsard (1550) la voix du lyrisme avait été étouffée par les jeux dérisoires de scribes à gages. La rhétorique métrifiée cherche pourtant à se faire musicale afin de reproduire et de célébrer dans le microcosme du poème le mouvement harmonieux qui anime l'univers. Si Guillaume de Machaut est le dernier poète lyrique chez qui musique et poésie ont encore partie liée, son disciple, Eustache Deschamps, qui ne sait plus chanter, distingue entre « musique artificielle » (celle des instrumentS) et «musique naturelle» (la voix non accompagnée, qu'une mélodie instrumentale pourra embellir de surcroîT) (Art de dictier*). Bientôt, les grands rhétoriqueurs rechercheront une musique du langage autonome, qui soit totalement affranchie des instruments. Lorsque Jean Molinet écrit dans son Art de rhétorique vulgaire (1493) que « Rhétorique est une espèce de musique appelée richmique » [rimée et rythmée] (p. 216). il tente d'accréditer 1*indépendance d'une poésie qui fait désormais concurrence à la musique sur son propre terrain.

/'Les poètes de Lyon et de la Pléiade mettront un frein à cè'ffé tentative d'autonomie en replaçant la poésie dans la perspective néo-platonicienne. Il s'agira de retrouver les rapports harmoniques qui unissent le monde à l'âme humaine. « Harmonie » est le mot-clé dans la conception qui sous-tend l'édifice métaphysique de la Renaissance. Épistémologie et ontologie, éthique et esthétique participent du même cadre conceptuel, de ce que Scèvc appelle les « célestes accords » de l'être, même si certains « troubles » viennent parfois parasiter cette philosophie rassurante (Dobbins, HelgesoN). La musique, fondée sur les nombres et les proportions, est le moyen privilégié qui permet de retrouver l'esprit cosmique qui anime les corps célestes. Pontus de Tyard se fera le théoricien français de cette conception dans le Solitaire second, ou Prose de la musique (1555), affermissant les prétentions de Ronsard qui, dès 1550, s'était déclaré - non sans arrogance - « le premier auteur lyrique François* » (OC, I, p. 994).



La Renaissance est une époque où poètes et musiciens entretiennent une collaboration active. Les poètes écrivent des vers qui sont mis ensuite en musique par des musiciens professionnels. La chanson est évidemment la forme privilégiée de ce partage des compétences. Elle fleurit au XVe et au début du xvt' siècle dans des centres variés avec de nombreux échanges culturels entre la France, la Flandre et l'Italie. Les noms de Dufay, Binchois, Busnois. Obrecht, Ockeghem et Josquin Des Prés brillent d'un éclat incomparable. L'alliance du poème et de la mélodie bénéficie de l'appui de mécènes éclairés, en particulier en Bourgogne, qui favorisent l'essor de la polyphonie. Clément Marot composera une quarantaine de chansons qui. une fois mises en musique, connaîtront un succès considérable en France et à l'étranger1.



Les poètes de la Pléiade, qui veulent se tailler une place au soleil, réagiront vertement (et, disons-le, malhonnêtemenT) devant cette prédominance marotique de la chanson. Dans le manifeste des jeunes Turcs, du Bellay toume en ridicule une forme artistique qu'il juge « vulgaire » mais qui a fait ses preuves. Il demande qu'on leur substitue un poème, en fait très semblable mais qui a le privilège douteux de sentir l'« antiquaille » :



Chante-moi ces odes, inconnues encore de la Muse Françoise*, d'un luth bien accordé au son de la lyre grecque et romaine ; et qu'il n'y ait vers où n'apparaisse quelque vestige de rare et antique érudition (II, rv, p. 112-113).



La mauvaise foi du plaidoyer n'échappera pas à Barthélémy Aneau qui aura beau jeu de rappeler, dans sa réponse à la Défense, que l'ode n'est nullement « inconnue de la Muse Françoise* » puisqu'elle a été depuis longtemps pratiquée sous le nom de « chant » et de « chanson » par une multitude de poètes (ibid., p. 112, note 4) '.

L'art du contrepoint que les musiciens adapteront à l'ode, aux cantiques et aux psaumes aura pourtant un défaut, celui d'obscurcir le sens des paroles au profit d'effets musicaux d'une complexité souvent vertigineuse. De graves Réformateurs fronceront le sourcil devant ce privilège octroyé à une esthétique qui soumet le message de l'Évangile à un traitement qui le dénature et délègue à des choristes professionnels le soin d'interpréter ce qui devrait être le chant commun du peuple de Dieu. À cet égard, le Psautier de David, traduit par Clément Marot et Théodore de Bèze ( 1539,1562) sera la grande entreprise poético-musicale du siècle. Dans la seule année 1562. on en imprimera plus de vingt-sept mille exemplaires à Genève. Une quarantaine de musiciens composeront des mélodies nouvelles ou harmoniseront le chant grégorien traditionnel des psaumes français pour en faire un instrument puissant au service de la diffusion du protestantisme. Entre les mains du sublime Claude Goudimel. l'une des victimes du massacre de la Saint-Barthélémy, les psaumes deviendront à la fois le « cri de guerre » et le « cri de ralliement » du parti huguenot. Au cours du siècle, la simplicité initiale de leur chant fera place à plus d'exubérance alors que les versions catholiques, comme celle de Desportes, tendront à aller plutôt vers un certain dépouillement (HigmaN).



La fondation de l'Académie de poésie et de musique par un décret de Charles IX permettra à Jean Antoine de Baïf et à Joachim Thibault de Courville de réaliser le rêve de toute une génération : purifier les esprits et calmer les âmes grâce à l'union retrouvée des deux arts (YateS). À l'imitation des Anciens, on essaiera de composer en français une poésie mesurée, c'est-à-dire fondée sur des unités rythmiques propres à produire des effets harmonieux. Ronsard donnera son accord à un projet en réalité peu conforme au génie de la langue française. Le résultat sera décevant : car, au lieu des brillantes créations souhaitées, on ne produira que des formes hybrides dénuées d'émotion. Tâtonnements éphémères qui montrent en tout cas que le rêve de ces poètes était de renouer avec l'Antiquité et, si possible, avec le premier poète musicien de la légende, Orphée.

Figure mythique de tous les temps, le chantre de Thrace devait connaître une fortune particulièrement riche au xvic siècle. À une époque où les humanistes rêvent d'une union retrouvée entre musique et poésie, la légende du poète-musicien des origines fait l'objet d'innombrables représentations plastiques et évocations poétiques dont la fonction allégorique a été souvent soulignée (JoukovskY)1. Emblème du syncrétisme philosophique et politique d'un nouvel âge d'or, le musicien de Thrace est à la fois prêtre et prophète. Sa parole «jaillit comme une incantation individuelle » mais elle est en même temps pénétrée par une sainte fureur* « qui la dépossède de son autonomie » (Rouget, p. 41). Sa fonction participe de la mystique du poète et du prince, unis pour rétablir parmi les humains le principe d'un ordre universel dont la garantie se trouve dans les origines divines de son mythe.



L'exemple de Rabelais est éclairant à plusieurs titres. Vers la fin du Quart Livre, au cours de l'épisode des « paroles gelées », les compagnons de Pantagruel croient découvrir les restes du poète légendaire aux confins du pôle Nord. Le chant de sa'voix et le son de sa lyre, conservés depuis des siècles dans les glaces de la banquise, semblent se « dégeler » enfin pour le plus grand étonnement des navigateurs :



Nous serions bien ébahis si c'étaient les tête et lyre de Orpheus*. Car, après que les femmes Threisses* eurent Orpheus* mis en pièces, elles jetèrent sa tête et sa lyre dans le fleuve Hebrus*. Icelles* par ce fleuve descendirent en la mer Pontique jusques en l'île de Lesbos, toujours ensemble sur mer nageantes. Et de la tête continuellement sortait un chant lugubre, comme lamentant la mort de Orpheus* ; la lyre, à l'impulsion des vents mouvant les cordes, accordait* harmonieusement avec le chant (Quart Livre, ch. 55, p. 669).



Dans cette réécriture du fameux épisode de la mort d'Orphée, le texte français procède par double contamination des modèles ovidien et virgilien. L'allusion à la dérive de la tête et de la lyre du poète sur le cours de l'Hèbre renvoie au récit virgilien de Protce à la fin des Géorgiques (IV, v. 523-525). Mais elle rappelle aussi le début du onzième livre des Métamorphoses d'Ovide (XI, v. 50 -53). En revanche, la mention de « l'isle de Lesbos » ne se trouve que dans le texte ovidien. En rassemblant des détails empruntés aux deux sources majeures de la légende, Rabelais renouvelle le portrait composite du musicien des origines. Par la fiction d'un étonnant « dégel » du chant orphique, il accrédite sur le mode conditionnel («Nous serions bien ébahis si... ») le mythe d'un renouveau du lyrisme français auprès de ses contemporains.

Dans les années 1540, Lyon aura au moins deux Orphée, en la personne de Maurice Scève et de Louise Labé. Mais, contrairement au chantre de la légende, ceux-ci ne pourront amener celle ou celui qu'ils aiment à s'attendrir sur leur malheur1. Les désastres de l'expérience amoureuse se trouveront vite transposés sur le plan de la réussite poétique. Si la Délie de Scève ne veut pas accorder la moindre larme, qu'elle sorte néanmoins de l'oubli par le chant du poète ! Celui-ci ira donc la chercher jusque dans les profondeurs des enfers pour la ramener à la vie et, par ce geste, obtenir la gloire dans la mémoire humaine :



Que mon Orphée hautement anobli,

Malgré la Mort, tire son Eurydice

Hors des Enfers de l'éternel oubli. (Dizain 445.)



Parmi les conseils qu'il donne à son futur lecteur dans la première préface à La Franciade (1572)', Ronsard insistera sur la bonne façon de prononcer ses vers. Il veut que la voix résonne et restitue les marques de l'oralité à un texte qui, s'il était lu sans souci d'intonation, perdrait toute son énergie et toute sa saveur. Cela est bien conforme à la cinquième et dernière partie de la rhétorique qui s'appelle justement pronunciatio ou actio :



Je te supplierai seulement d'une chose, lecteur, de vouloir bien prononcer mes vers et accommoder ta voix à leur passion... (OC, I, p. 1185-1186)



Il précise même qu'il a ajouté des points d'exclamation à ses vers pour inviter le lecteur à hausser le ton :



Et te supplie encore derechef où tu verras cette marque ! vouloir un peu élever ta voix pour donner grâce à ce que tu liras (ibid., p. 1186).



Dans la fameuse ode qu'il adresse à Michel de L'Hospital. le poète cherchera aussi à faire entendre sa voix, comme jadis Orphée. Avec une assurance qui peut étonner, il nous apprend qu'après une longue dégénérescence au cours des siècles l'inspiration poétique est enfin revenue sur terre. Son poème en est lui-même la preuve. La poésie n'a plus besoin des « artifices » de la rhétorique ; elle peut s'abreuver à nouveau directement à la source musicale du divin. Et Jupiter le dit sans ambages :



Ceux que je veux faire

Poètes Par la grâce de ma bonté.

Seront nommés les interprètes

Des Dieux et de leur volonté.

(OC, I, p. 640, strophe 15, v. 1-4.)



Les Muses ont repris place dans l'Histoire avec un mécène dont la politique éclairée a fait renaître les lettres en France. La voix lyrique a retrouvé le sceau de l'origine, gage de sa légitimité.

Ronsard aura le souci constant d'allier musique et poésie. Dans l'Abrégé de l'art poétique (1565), il justifiera cette alliance au nom du l'agrément et du plaisir des sens :



La Poésie sans les instruments, ou sans la grâce d'une seule ou plusieurs voix, n'est nullement agréable, non plus que les instruments sans être animés de la mélodie d'une plaisante voix (OC, TJ, p. 1176).



Il se rendait pourtant compte qu'il n'était plus chanteur-musicien dans la tradition orphique. S'il jouait du luth, de la guitare et de la « lyre à archet », il chantait très mal et n'aurait jamais osé se produire en public (Musique..., p. 7). La musique instrumentale jouait donc surtout un rôle métaphorique dans son ouvre (Silver, p. 112). C'était d'ailleurs l'avis de tous les amis de la Pléiade. La référence musicale, constamment alléguée, suggérait l'importance du rythme, de la cadence et de l'harmonie pour la réussite de tout poème. Louise Labé, en revanche, fera de son luth le « compagnon » de ses plaintes et le « témoin » de ses soupirs (OC, sonnet 12. p. 127).

Orphée et les Muses servent de puissants relais pour affirmer la supériorité incontestable de la poésie sur tous les autres arts, celle-ci est le don des filles de Mémoire et, de ce fait, elle possède une origine qui l'apparente à la théologie. À Alphonse Delbene, futur poète, Ronsard donnera des conseils où se mêlent mythologie païenne et croyance judéo-chrétienne :



Sur* toutes choses tu auras les Muses en révérence, voire* en singulière* vénération, et ne les feras jamais servir à choses déshonnêtes, à risées, à libelles injurieux mais les tiendras chères et sacrées, comme les filles de Jupiter, c'est-à-dire de Dieu (OC, II, p. 1174).



Celui qui, en 1550, avait ressuscité Pindare n'oubliera jamais, en dépit de ses changements de goût, que le poète de Thèbes associait le chant à la plus haute inspiration. Conscient de la popularité qu'avait value à Clément Marot la mise en musique de ses chansons, il ajoutera un supplément musical dès la seconde édition (1553) de ses Amours. Quatre musiciens, Certon, Goudimel, Janequin et Muret, composeront des partitions qui conviennent aux divers sonnets du recueil. Les poèmes qui ne respectent pas la règle de l'« alternance des rimes » se prêteront mal à ces mélodies, et, dans les versions ultérieures, le poète les corrigera en conséquence. Cela se reflète dans les conseils de son Art poétique. Au futur poète il lance :



À mon imitation, tu feras tes vers masculins et féminins tant qu'il te sera possible, pour être plus propres à la Musique et accord des instruments, en faveur desquels il semble que la poésie soit née (OC, II, p. 1176).



Sans doute, aux mirages exemplaires de la voix inspirée qui anime les vers des Amours de 1552-1553, des Hymnes, de La Franciade ou des Discours de Ronsard, faut-il opposer une autre voix, discrète et familière, qui se fait entendre, lestée des artifices du pindarisme et du pétrarquisme. Contrairement aux recueils de style élevé où le discours restait l'apanage du déclamateur (c'est le cas de la Délie de Scève, de L'Olive de Du Bellay ou des sonnets à CassandrE), Les Amours de Marie (1555-1556) veulent refonder le discours lyrique sur l'échange et la communication intimes. Pour la jeune paysanne de Bourgueil, le «je » olympien descend de son piédestal et abandonne le monologue. Il s'adresse sans façons à sa bien-aimée (« Marie, levez-vous, ma jeune paresseuse... » sonnet 19, OC, I, p. 188), simulant le « bouche à oreille » de la conversation naturelle. Le poète transpose ce désir d'oralité au niveau de la conception même de son écriture. Son livre est devenu son fils, témoin vivant de sa parole toujours vive : « ma parole, c'est toi... » (JeannereT).



Après avoir chanté son Olive. Joachim du Bellay s'était lui aussi moqué des conventions pétrarquistes. qu'il assimilait à des fallaces hypocrites, pour chanter l'authenticité de son amour: «J'ai oublié l'art de pétrarquiser'. » Dans Les Regrets, ce'sera le chant nostalgique de l'exilé que sa voix tentera de mimer. Le vou d'oralité deviendra alors garantie d'intériorité et d'authenticité : «J'écris naïvement tout ce qu'au cour me touche » (sonnet 21). Refus donc des faux-semblants de la gloire ; refus des extravagances de la fureur poétique ; refus de Rome, de ses ouvres et de ses pompes. Ce dédain pour les hauteurs du Parnasse se manifeste par une écriture qui veut se faire oublier. Ayant opté pour une poésie-confession qui est le « miroir de son âme », il entend écrire « une prose en rime ou une rime en prose » (sonnet 2). Cependant, ce désir de naïveté absolue est un trompe-l'oil soigneusement entretenu. Car l'art y conserve sa part, si bien dissimulé qu'il soit. Du Bellay le sait, lui qui avoue que « l'artifice caché, c'est le vrai artifice » (sonnet 142)2.

Ce désir d'oralité n'est peut-être qu'un cas particulier de cette recherche de la « présence » qui semble obséder les humanistes de la Renaissance (DefauX). Dieu est Parole (verbuM) ; et. dans le sillage de la philosophie évangélique d'Érasme, nombre d'écrivains du xvie siècle se veulent à l'écoute de la Parole de Dieu. Leur adhésion est celle du cour, dupectus, de l'intimité profonde de l'être qui se révèle dans la communication directe avec le Verbe. Il leur faut s'affranchir de la tyrannie intellectuelle que prisent les sages et les prudents. Comme l'affirme Lefèvre d'Étaples, « seule la Parole de Dieu suffit » (p. 435). Transposé sur le plan poétique, ce désir d'appréhension directe et immédiate trouve sa réalisation dans une rhétorique de l'énergie, si l'on désigne par ce terme le pouvoir évocateur de l'image ou. plus généralement, la puissance persuasive du discours (virtus oratio-niS), concept qui remonte sans doute à Homère mais dont Aristote, Cicéron et Quintilien ont donné la formulation théorique. Le terme d'«énergie», qui connaît une fortune considérable à la Renaissance, servira à caractériser non seulement la puissance de la parole (rhétoriquE), mais l'aspiration vers le Bien et le Beau (éthique.) qu"on cherchera à traduire par l'art de la « vive représentation » (Galand-HallyN).

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