Essais littéraire |
« Poétrie n'est autre chose à dire ne* mais science qui apprend à feindre. » Jacques Legrand La période de transition qui s'étend entre Moyen Age et Renaissance, de la fin du Xivc siècle au premier tiers du XVIe, connaît une abondante production littéraire à caractère didactique qui choisit de plus en plus la langue vulgaire pour s'écrire en vers, en prose ou dans des compositions mixtes (prosimètre*) où se mêlent la prose et les vers. C'est la grande période du « miroir », avatar du spéculum encyclopédique du XIIIe siècle. Dans celte sorte de doctrinal composite, dont l'allégorisme s'inspire du Roman de la Rose, se mirent, souvent à la lumière du De casibus de Boccace, les mours dépravées d'un monde décadent. Le « miroir » est polyglotte et universel : miroir de l'art de bien mourir du cardinal Capranica (1452), de la vie humaine de Rodericus Zamorensis (1470), de la vraie pénitence de Jacopo Passavanti (1495), Miroir de Mort de Georges Chastellain, Miroir de Vie de Jean Molinet... L'Angleterre aura même son Mirrorfor Magistrales qui, au dire de C. S. Lewis, est le pire monument qu'ait produit dans le genre composite la rhétorique moralisante. La rhétorique est, en effet, le principe directeur de l'art, la « science exquise » (soavissima, disait DantE) qui permet de persuader ou de dissuader « par bel et notable blason ». Qu'on pense à la « définition » qu'en donne l'un des recueils les plus consultés à l'époque, le Jardin de Plaisance que publie Antoine Vérard, l'un des plus notables imprimeurs parisiens : Primum Capitulant [Premier chapitre] Rhétorique est science exquise Enseignant à bien procéder En beaux termes, qui est requise Prudemment pour persuader Ou aussi pour dissuader. Qui pour bien parler est acquise Dont grand honneur peut succéder* Quand notablement est permise. Rhétorique est une raison Qui enseigne à bien dire en droit Par bel et notable blason*. Doctrinant* à proposer droit Aux gens résolus bien à droit. Qui par la décoration Nécessaire est en maint endroit Pour noble collocution*. (Fol. a2 v° et a3 r°.) En marge du renouveau de la rhétorique latine du Quattrocento, la « rhétorique en langue vulgaire » se taille une place de plus en plus conséquente. Celle-ci se prodigue selon deux principaux types de discours qui régissent la prose (« rhétorique prosaïque ») et les vers (« rhétorique métrifiée »). La première rhétorique, qui gouverne la prose, n'est pas exposée dans les « arts de rhétorique vulgaire » ; elle ne fait pas l'objet d'abondantes théories mais transpose en langue vemaculaire les principes des rhétoriques anciennes, soit directement, soit à partir des textes théoriques transmis par la tradition scolastique. La lente assimilation de cette rhétorique dans la poésie s'explique en partie par le « retour des belles lettres » dès le xtvc siècle. La traduction du De oratore de Cicéron révèle aux humanistes que l'orateur est bien le type humain le plus élevé. Parallèlement, avec la redécouverte du texte complet de l'Institution oratoire de Quintilien par Poggio Bracciolini à l'abbaye de Saint-Gall (1416), la poésie adopte les règles d'une éloquence qui a retrouvé ses lettres de noblesse. Pour montrer l'influence de cette première rhétorique sur la poésie de la Renaissance, il suffira de prendre un exemple célèbre entre tous : l'ode « A sa Maistresse » que fait paraître Ronsard à la suite de la seconde édition des Amours (1553). Mignonne, allons voir si la rose Qui ce matin avait déclose* Sa robe de pourpre au Soleil, A point perdu cette vêprée* Les plis de sa robe pourprée. Et son teint au vôtre pareil. Las ! voyez comme en peu d'espace. Mignonne, elle a dessus la place Las ! las ! ses beautés laissé choir ! Ô vraiment marâtre Nature, Puisqu'une telle fleur ne dure Que du matin jusques au soir ! Donc, si vous me croyez, mignonne. Tandis que votre âge fleuronne* En sa plus verte nouveuté. Cueillez, cueillez votre jeunesse : Comme à cette fleur la vieillesse Fera ternir votre beauté. (OC, 1, p. 667.) La science de la persuasion déploie ici tous ses charmes. L'ode se structure en trois strophes correspondant à trois moments de la « leçon » qu'administre le poète amoureux à celle qu'il veut séduire : 1) invitation à aller revoir au jardin la rose entrevue le matin : 2) constatation du désastre survenu (la fleur s'est fanéE) suivie d'une imprécation à la Nature ; 3) invitation à profiter de la vie et à jouir de sa jeunesse pendant qu'elle dure. On ne saurait songer à un développement rhétorique à la fois plus simple et plus convaincant ; c'est un parfait exercice dans le genre délibératif (Alex L. GordoN). En outre, à chacun de ces « moments » correspond une tonalité particulière qui en souligne les intentions : allegro de la première strophe (« Mignonne, allons voir... ») ; andante de la deuxième, avec ses sonorités graves (« Las, las... espace ») et dures (« marâtre Nature... dure ») ; prestissimo de la troisième (« Cueillez, cueillez... »). Tous les poêles du xvie siècle chercheront, en effet, à faire croire, à persuader. Le lecteur de la Renaissance, influencé par les genres oratoires et sensible aux procédés d'exposition de la première rhétorique, recherche surtout dans un texte poétique sa capacité de persuasion (Gordon, p. 36-38). La sélection (inventiO) et l'enchaînement (dispositiF)) des arguments sont particulièrement importants dans les poèmes d'amour puisqu'il s'agit d'exhorter un interlocuteur, souvent mal disposé, à accepter une proposition, à se rendre à une invitation. Cependant, il ne faudrait pas voir dans l'ode de Ronsard un simple exercice dans le genre délibératif. Car l'examen du style (elocutiO) nous révèle, au niveau des métaphores, un étrange parti pris pour la métamorphose réversible, qui dépasse la pure intention persuasive et dénote la transposition symbolique d'un désir de conquête (GendrE). Tout lecteur attentif aura, en effet, noté que Ronsard habille alternativement sa dame en rose et sa rose en dame, selon le rythme de la première et de la dernière strophe. Dans une chassé-croisé ingénieux, il lui applique les termes qu'on associe habituellement à la fleur, et vice versa. Ces « images renversées » et en même temps « correspondantes » adoucissent la rigueur du syllogisme sur lequel le --poème est construit (Glauser, p. 54). Un échange métaphorique se produit entre les deux pôles de la comparaison centrale du texte. Dans la première strophe, le poète invite à aller revoir la rose entrevue le matin dont il compare le teint à celui de la belle (« Et son teint au vôtre pareil », v. 6). Mais cette comparaison n'est que l'explicitation des métaphores constituées par les mots « robe » (v. 3,5), « plis » (v. 5) et « teint » (v. 6), appliqués à la fleur. À l'opposé, dans la dernière strophe, la comparaison finale (« Comme à cette fleur la vieillesse/Fera ternir votre beauté ») résume et précise le sens des métaphores « fleuronne* » (v. 14), « verte » (v. 15) et « cueillez » (v. 16). Les deux comparai sons, montées en parallèle, servent donc à éclairer, à « mieux déclarer» l'échange métaphorique entre la rose et la femme. Parce que la rose devient femme, parce que la femme devient rose, la femme en est plus femme, la rose en est plus rose. En révélant les deux aspects de la réversibilité, le chiasme de la métamorphose permet de « restituer une puissance de signifier» (Merleau-Ponty, p. 203). L'idée banale et abstraite du tempus fugit [le temps s'enfuit] et du carpe diem |profitez donc de l'instant] s'incarne dans une réalité naturelle qui devient, grâce à la manouvre rhétorique, une « vérité » profonde et croyable. Ce que nous appelons la « poétique » aujourd'hui est rarement désigné sous ce nom aux XVe et XVIe siècles. Les textes normatifs qui traitent des formes extérieures de la poésie sont généralemenlregroupés dans des « arts » ou des « instructifs » qui légifèrent sur la métrique et la versification en français. Cet aspect de l'art d'écrire en vers se nomme le plus souvent rhétorique vulgaire (Jean Molinet, 1493). rhétorique rythmique (Pierre Fabri, 1521) ou encore rhétorique métrifiée (Gratien du Pont, 1539). Ainsi, à la première rhétorique qui gouverne la prose, on oppose une seconde rhétorique qui propose un art de rimer en langue vulgaire. Les nouveaux doctes proposent une science du vers, prodiguent des recettes, élaborent des prescriptions normatives sur la manière de rimer dans la langue du peuple, instrument privilégié d'une modernité culturelle qui doit soutenir la concurrence latine et toscane pour se faire action politique (débat sur la terza rima et sur l'ottava rima en ItaliE). L'exploitation des ressources de la rhétorique première et seconde doit, en effet, permettre de « régir les peuples » et de préparer dans les royaumes l'avènement de l'absolutisme dont le triomphe coïncidera justement avec la parfaite domestication du langage roman. Nombreux sont les manuels et les traités qui, de l'Art de dictier d'Eustache Deschamps (1392) au premier Art poétique françois de Thomas Sébillet (1548), recenseront les catégories de rimes et de formes fixes auxquelles doit se conformer le futur poète rhétoricien et rhétoriqueur (LangloiS). Il serait faux cependant de limiter la théorie poétique de la fin du XVe et des débuts du xvf siècle à cet aspect descriptif et normatif de la versification. L'opposition entre rimeurs et poètes, reprise à Quintilien par les théoriciens de tous bords (elle le sera encore par Joachim du Bellay en 1549) est un trompe-l'oil soigneusement entretenu pour déconsidérer de gênants devanciers. Elle trouve sans doute sa première formulation moderne dans la Vita nuova de Dante, le poeta écrivant en latin alors que le rimatore (ou dicitore per rimA) s'exprime en volgare. Pétrarque accordera un rôle sacré au poète et lui promettra les lauriers de la gloire même s'il chante dans sa langue natale ; et son influence est sensible hors d'Italie dès le xvc siècle. En France, on trouve déjà au XVe siècle, chez des rimeurs aussi déclarés que Jean Robertet, une croyance très vive à l'immortalité du poète guidé par l'inspiration divine. Cela montre bien l'injustice des invectives lancées par les mages de la Pléiade contre leurs prédécesseurs. Le versificateur est unanimement déclaré mauvais poète - ou pire : infâme charlatan. Ronsard l'affirmera dans la préface posthume à La Franciade : Il y a autant de différence entre un Poète et un versificateur qu 'entre un bidet et un généreux coursier de Naples, et pour mieux les accomparer*, entre un vénérable Prophète et un Charlatan vendeur de triades* (OC, I, p. 1164). À côté de la première et de la seconde rhétorique, prosaïque (celle de l'orateuR) et rythmique (celle du rimeuR), les écrivains de la Renaissance accordent une place importante à la notion de poetria ou poétrie*. On en trouve la définition dans le Sophilogium de Jacques Legrand. texte largement diffusé au cours des XVe et XVIe siècles (la Bibliothèque nationale de France en possède une quinzaine d'incunableS) et qui est traduit et popularisé sous deux titres différents : l'Archiloge Sophie (première partie, 1407) et le Livre des bonnes mours (deuxième et troisième parties, 1410) : Poétrie ne apprend point à arguer, laquelle chose fait logique ; poétrie aussi ne montre point la science de versifier, car telle science appartient en partie à grammaire et en partie à rhétorique. Et pour tant*, à mon avis, la fin et intention de poétrie si* est de feindre* histoires ou autres choses selon le propos duquel on veut parler, et de fait son nom se démontre, car poétrie n'est autre chose à dire ne mais /= sinon] science qui apprend à feindre* (Legrand fol. 394vO). « Feindre » n'a pas encore le sens péjoratif que nous lui connaissons aujourd'hui : c'est simplement créer des « fictions », de « subtiles inventions » qui rendent l'écriture « plus fabulatoire que véridique » (BoucheT). La poétrie* se nourrit de fables mythologiques souvent empruntées à la Généalogie des dieux, vaste répertoire dont Boccace avait puisé la documentation dans la tradition antique en affublant ses mythes de significations allégoriques et morales. Elle n'est pas seulement un inventaire, doublé de gloses, sur la cosmogonie païenne. Comme chez Boccace, elle affirme ses origines théologiques et tente de révéler à travers ses mythes des vérités cachées, profondes et universelles. Par ses « obscures fictions », elle invite le lecteur à reconnaître des «valeurs morales» qui l'aideront à s'élever vers Dieu, conférant ainsi au poète un rôle véritablement prophétique (poeta theologuS). Ronsard le dira à plusieurs reprises dans son ouvre. Jupiter s'exprime à ce sujet comme le Platon du Phèdre (245A) dans l'«Ode à Michel de L'Hospital». D ne suffit pas que l'âme du poète soit inspirée par la « fureur divine » ; il faut encore que son cceur se débarrasse de tout vice pour se disposer à la vertu : Le trait*, qui fuit de ma main, Sitôt par l'air ne chemine Comme la fureur divine Vole dans le cour humain. Pourvu qu'il soit préparé, Pur de vice, et réparé De la vertu précieuse. Jamais les dieux qui sont bons Ne répandent leurs saints dons En une âme vicieuse. (OC, I, épode 13, p. 639.) Inutile de préciser que le mot vertu* s'entend au sens étymologique (du latin virtus : « force, courage » ; lui-même dérivé de vir : « homme »). C'est donc d'une vigoureuse disposition morale qu'il s'agit, d'une grandeur d'âme et d'une force psychique analogues à ce que retient, par exemple chez Machiavel, l'italien virtù. Plus loin, l'Olympien prescrira une véritable purge aux poètes de la nouvelle génération : Mais par-sur* tout prenez bien garde. Gardez-vous bien de n'employer Mes présents dans un cour qui garde Son péché sans le nettoyer. Ains*. devant* que de lui répandre. Purgez-le de votre douce eau. Afin que bien net puisse prendre Un beau don dans un beau vaisseau. Et lui, purgé, à l'heure à l'heure*. Tout ravi d'esprit chantera Un vers en fureur* qui fera Au cour des hommes sa demeure. (lbid.. antistrophe 14, p. 640.) Cette leçon d'éthique consacre la supériorité des poètes tout en justifiant l'activité poétique aux yeux des gardiens de l'ordre moral. Dans son Abrégé d'art poétique, Ronsard reprendra ce thème en le reliant, à la manière de Boccace, aux origines « théologiques » de la poésie : La Poésie n'était au premier âge qu'une Théologie allégorique pour faire entrer au cerveau des hommes grossiers, par fables plaisantes et colorées, les secrets qu'ils ne pouvaient comprendre quand, trop ouvertement, on découvrait la vérité (OC, II, p. 1175). Telle était la situation à l'aube de la civilisation. Mais le poète des temps nouveaux nous fait entendre que la situation n'a guère changé, que la dimension éthique et même thérapeutique de la poésie reste primordiale. Le poète partage avec le musicien le pouvoir de remédier à la maladie qui consume tant de leurs contemporains : la mélancolie (« a sovereign remedy against Despair and Melancholy ■ and will drive away the Devil himself», Burton, p. 208). En recourant au mythe, au songe ou à la vision, et en peuplant leurs écrits de fables surprenantes, les poètes sont à la recherche d'un langage supérieur qui ne soit ni celui du logicien, ni celui du mythographe, ni celui du rhétoricien, mais celui du mage (vateS) inspiré directement par la source divine, L'Histoire et la légende servent à informer un langage qui veut étonner pour convaincre. On l'avait dit en latin (Nam miranda canunt, sed non credendapoetaE), mais on le redit en français : « Les poètes chantent choses [dignes] d'admiration mais non pas à croire » (Jean BoucheT). On se souvient que Guillaume de Lorris commençait Le Roman de la Rose en faisant rimer « songe » et « mensonge » : Aucunes* gens disent qu'en songes [il] n'fy] a se |=sinon] fables non et mensonges. (Tome 1. v. 1-2.) La fiction qui s'annonçait - et qui allait faire l'objet de quelque vingt et.un mille vers - se présentait à la fois comme poésie et prophétie. De même, dans la poésie renaissante, il n'est pas question de mettre en doute la vérité du message, même s'il peut s'y glisser une part d'ironie. Est-ce à dire que toute poésie soit mensonge et que la poétrie soit une école où l'on apprend à cacher la vérité ? La fable ne se réduit pas à un simple ornement « délictable* », plaisant mais trompeur; elle est une « étrange guise* » qui permet d'accéder à la connaissance de vérités profondes. Déjà pour Christine de Pisan, quelles que fussent les couleurs de sa parure, la poésie avait un but historique et profondément moral. Il en sera de même pour sa lointaine descendante, Louise Labé, qui justifiera son ouvre en termes essentiellement éthiques : Je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses Dames d'élever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenouilles et fuseaux, et s'employer à faire entendre au monde que, si nous ne sommes faites pour commander, si* ne devons-nous être dédaignées pour compagnes, tant aux affaires domestiques* que publiques, de ceux qui gouvernent et se font obéir (OC, Épître dédicatoirc. p. 42). Puisque la plupart des hommes sont si peu raffinés, que les femmes prennent l'initiative, qu'elles se mettent à écrire pour enseigner à leurs partenaires masculins un « art de vivre et d'aimer » qu'ils ignorent encore : Et, outre la réputation que notre sexe en recevra, nous aurons valu au public que les hommes mettront plus de peine et d'étude aux sciences vertueuses*, de peur qu'ils n'aient honte de voir précéder celles desquelles ils ont prétendu être toujours supérieurs quasi en tout (ibid., p. 42). Sous le voile de la fable, les poètes de la Renaissance vont multiplier les réflexions sur les problèmes éthiques, politiques et philosophiques de leur temps. Dans son traité intitulé le Grand et Vrai Art de pleine rhétorique, qui date de 1521, Pierre Fabri aura cette formule décisive qui éclaire bien le caractère allégorique de la poésie : « Sous les couvertures des poètes sont muscées* [cachées] les grandes substances. » On trouvera ce désir forcené d'accéder aux cimes de la « sagesse » et de la « vertu » par la poésie chez Lemaire de Belges. Dans la Concorde des deux langages, chef-d'ouvre de la Grande Rhétorique, le Temple de Minerve déplace celui de Vénus : Dedans ce palais est de Minerve le Temple, Auquel maint noble esprit en haut savoir contemple Les beaux faits vertueux* en chronique et histoire. En science morale et en art oratoire. Amour y règne, et grâce et concorde y fleurit ; Plaisant plaisir y dure et joie se y nourrit. Là se trouvent conjoints, vivant en paix sans noise, Le langage toscan et la langue françoise*. (p. 41.) La génération des marotiques préférera emprunter un sentier plus facile, plus « pédestre », mais sans renier la haute aspiration au bien moral. Les poètes de la Pléiade n'oublieront pas non plus la leçon. Cela n'empêchera pas Ronsard d'écrire des Folâtries quand Dionysos deviendra le nouveau maître de l'inspiration. Paradoxe que la licence autorise. Nous verrons quelle place occupent les jeux parodiques dans la production de tous ces poètes. Miracle : il n'en est aucun qui se soit entièrement pris au sérieux. Ils insisteront, au contraire, sur la spécificité de leur entreprise, en particulier en montrant toute la différence qui sépare la poésie de l'Histoire. Dans la préface posthume de La Franciade, Ronsard nous dira, en se souvenant de la Poétique d'Aristote, qu'il a bâti son poème épique sans se soucier de la vérité des faits, s'assurant simplement de leur vraisemblance ' : Les Poètes ne cherchent que le possible; puis, d'une petite scintille* font naître un grand brasier et d'une petite cassine* font un magnifique Palais, qu'ils enrichissent, dorent et embellissent (OC, I. p. 1167-1168). Depuis Platon, la charge de tout avocat de la poésie est d'atténuer la « présomption de mensonge » qui grève tout effort d'atteindre la connaissance de la vérité par les artifices du langage. Les poètes du XVIe siècle ne sont pas si différents, à cet égard, de leurs prédécesseurs. Mais ils cherchent à prouver par de nouvelles voies que leur langage permet de dépasser les apparences pour saisir le sens profond et caché, « l'or fin » des choses (Foucault, p. 49). Une telle assurance ne les empêchera pas de s'adonner au travail, de pratiquer l'étude (studiuM) car, si l'on « naît » poète, on ne le devient vraiment qu'en s'enfermant dans sa chambre. Joachim du Bellay nous le rappellera dans un passage célèbre de la Défense et illustration de la langue française (1549) : Qu'on ne m'allègue point que les poètes naissent [...]. Qui veut voler par les mains et bouches des hommes doit longuement demeurer dans sa chambre ; et qui désire vivre en la mémoire de la postérité doit, comme mort en soi-même, suer et trembler maintes fois [...]. Ce sont les ailes dont les écrits des hommes volent au ciel (IL iv, p. 105-106). |
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