Essais littéraire |
« Pour la vue, je perds la vie. » Maurice Scève. Si la présence de la voix est une condition essentielle de la réussite poétique, c'esl par l'emploi approprié d'images visuelles qu'on parviendra à emporter finalement l'adhésion du lecteur. Celte contamination paradoxale entre l'oral et le visuel se situe au cceur même du problème de la représentation, celui de la mimèsis (Platon, AristotE). Une ambiguïté apparaît entre les exigences de la voix et celles de la vue. L'efficacité de l'art est liée aux pouvoirs de la vue, sens noble par excellence. C'est pourquoi la créativité de l'écrivain s'exprime souvent en termes visuels, iconiques. Mais elle doit aussi, pour se légitimer, faire entendre la singularité d'une voix authentique, afin d'ancrer le discours dans une expérience vécue qui échappe aux apparences trompeuses de l'« art » qui, à la Renaissance, est synonyme d'artifice. Le XVIe siècle n'a pas sous-estimé la dimension picturale des textes poétiques. Nombreux soni les tableaux vivants où le discours veut rivaliser avec des représentations plastiques. Depuis V Art poétique d'Horace, on ne fait qu'enjoindre aux poètes d'imiter les peintres : ut pictura poesis (v. 361) est la condition sine qua non de la réussite. Mais les architectes ne sont pas de reste. Dans Les Douze Dames de rhétorique (1464). Jean Robertet donne à ses poèmes la forme de portes et de fenêtres par lesquelles le lecteur pourra entrevoir les « faits » mémorables de ses aïeux (v. 127-128). Cette métaphore architecturale sera reprise de nombreuses fois au cours du XVIe siècle. Dans la dernière préface de son poème épique, La Franciade, Ronsard montrera toute son admiration pour les poètes qui bâtissent leur ouvre non comme « une petite cassine » mais comme « un magnifique Palais » : Ils [l'] enrichissent, dorent et embellissent par le dehors de marbre, jaspe et prophyre, de guillochis, ovales, frontispices et piédestals, frises et chapiteaux, et par le dedans de tableaux, tapisseries élevées et bossées d'or et d'argent... ( 1587, OC. I. p. 1168). La représentation picturale exerce une fonction d'envoûtement sur les esprits les plus cultivés. L'artiste possède le pouvoir de conférer à ses ouvres un puissant sentiment de présence. Parfois même, de l'objet décrit ou de la scène représentée se dégage un sens si aigu du vécu qu'on croirait volontiers à une intervention surnaturelle. Le mythe de Pygmalion sert le plus souvent d'emblème à la puissance « illusionniste » de l'art. Tout se passe comme si le sculpteur de la fable antique ne se limitait pas à représenter la beauté mais réussissait à donner vie à celle-ci. Dans la version ovi-dienne du mythe, Pygmalion tombe amoureux de la statue qu'il a sculptée. En proie à la passion, il demande alors à Vénus de lui trouver une épouse qui ressemble à cette envoûtante figure. La déesse exauce sa requête et transforme le marbre froid en un être palpitant de vie. À la Renaissance, ce mythe captive l'imagination des artistes et des écrivains. Idéalisé par Donatello ou allégorisé par Montaigne, il servira à attester la puissante charge affective qui s'attache à la création artistique. Pourtant, le triomphe de l'art, représenté par l'exploit de Pygmalion, n'est pas innocent : il démontre de façon spectaculaire le dangereux pouvoir qu'exercent les images sur les émotions humaines. Pygmalion est tombé follement amoureux d'une idole, et la force de sa passion l'entraîne à faire une requête déraisonnable à laquelle seule la fiction d'une dea ex machina pourra donner un pseudodénouement. Dans son Trattato délia pittura. Léonard de Vinci écrivait : Le peintre a un tel pouvoir sur l'esprit des hommes qu'il peut les rendre amoureux d'un tableau qui ne représente même pas une femme réelle. Cela m'est arrivé à moi-même : un tableau à sujet religieux que j'avais peint fut acheté par quelqu'un qui en fut tellement entiché qu'il voulait que j'en enlevasse les symboles religieux pour pouvoir le baiser sans soupçon. Finalement sa conscience prévalut sur ses soupirs concupiscents; mais il lui fallut retirer le tableau de sa maison (p. 94). L'attrait irrésistible qu'exerce l'ouvre d'art peut entraîner à la divagationrà la folie, voire à la mort. La curieuse histoire de cet envoûtement est tributaire du perfectionnement qu'a connu la peinture au cours des siècles. Au chapitre xxxv de son Histoire naturelle. Pline l'Ancien avait retracé l'évolution de l'art qui, commençant modestement par de simples dessins monochromes d'ombres portées (V), s'était peu à peu enhardi à représenter le contraste des couleurs (xI) et avait abouti aux chefs-d'ouvre d'Apelle, le plus illustre des peintres grecs, qui « lançaient un défi à la Nature même » ( xxxvT). Selon Pline, c'est avec le progrès technique de la peinture, depuis les esquisses en noir et blanc jusqu'aux fresques polychromes, que commence l'histoire du pouvoir trompeur de l'art. Son corollaire obligé sera dans le trompe-l'oil, procédé qui connaîtra un succès prodigieux à l'époque baroque. Dans sa Theologia platonica, Marsile Ficin, le théoricien du néoplatonisme, rappellera avec ferveur les exemples de « trompe-l'oil » cités par Pline : des oiseaux picorent les raisins peints par Zeuxis, des chiens aboient devant les chevreuils brossés par Apelle, des vieillards échangent des propos lascifs devant la Vénus de Praxitèle (XIII, 3) : preuve tangible pour Ficin et ses disciples de l'étonnant pouvoir qu'ont les beaux-arts sur les passions. La découverte de la perspective exacerbera cet envoûtement, donnant à l'oil de nouveaux moyens de nourrir cette dangereuse illusion (PanofskY). Dans le cadre des morales platonicienne, stoïcienne et chrétienne dont est imprégnée la culture de la Renaissance, on peut comprendre la gravité des soupçons qui pèsent sur une fiction illusionniste qui excite si dangereusement les passions humaines. Les sectateurs de Platon continueront à dénoncer le rôle néfaste du peintre et du poète, assimilés aux sophistes sur le plan éthique, parce qu'ils ne se soucient que des apparences ei que leur art miroitant ne fait que refléter la surface des phénomènes. L'infériorité de l'art mimétique tient au fait qu'il produit des phantasmata, c'est-à-dire des impressions superficielles, des images mentales illusoires. Le recours à la fiction artistique en matière de pédagogie devient suspect, pour ne pas dire criminel et donc franchement banni. Pour garder sa réputation, l'artiste se doit cependant de conserver à son art une haute mission didactique : mission dont la visée n'est pas seulement d'instruire (docere*) mais d'émouvoir et de plaire mavere* et delectare*). La question se pose alors de savoir comment employer une technique trompeuse pour mieux enseigner la vérité. C'est là tout le problème de l'articulation rhétorique à ménager entre le docere* et le movere*. , Le Moyen Âge avait cru pouvoir tourner la difficulté par le biais de l'allégorie. L'étymologie du mot est révélatrice : alla agoreuein, c'est dire la même chose autrement. En introduisant des interprétations allégoriques dans leurs ouvres, les peintres et les poètes pouvaient échapper aux objections morales de la censure. Tel était l'objet de la poé-trie* '. Tout art est fiction fabulatoire et donc dangereux ; mais à bon entendeur, salut : le « suffisant lecteur » saura trouver derrière la fable un sens moral plus élevé, un altior sensus* qui devrait le détourner - même si ce n'est pas évident - des sentiers de l'erreur et l'acheminer vers la vérité. Dans sa Rhétorique, Aristote avait remarqué que par le biais de ses métaphores Homère parlait souvent de choses inanimées « comme si elles étaient animées » et il ajoutait : C'est parce qu'il sait créer la réalité [energéian poiein] par son art qu'il jouit d'une si grande popularité (III, XI, 3). Le mot energeia. chez Aristote, capte bien le pouvoir paradoxal de susciter par des mots le sentiment du vécu. À l'époque romaine, une étrange confusion étymologique se produira chez les rhéteurs entre les energeia (que Quintilien traduit par actiO) et enargeia (qu'il rend par illustratio ou evidentiA). Les deux sens se joindront pour connoter l'idée fondamentale que l'art tient son énergie du fait qu'il sollicite le sens de la vue, sens noble par excellence depuis Platon, associé à la lumière et à la créativité, et donc moins susceptible que les autres de conduire à l'erreur. Les artistes du Cinquecento le rediront: l'oil est un « istrumento meno errabile » (un instrument moins sujet à l'erreuR) que les autres, et c'est ce qui fonde la supériorité de la peinture sur la poésie. On trouvait aussi dans L'Orateur de Cicéron cette insistance sur la' prépondérance du visuel pour décrire la magie incantatoire paT laquelle l'écrivain réussit à animer l'objet de son discours et lui donner pour ainsi dire une âme (p. 23). Quant à Quintilien, dans l'Institution oratoire, il demande à l'orateur de joindre Yèthos au pathos pour créer une «vision verbale» grâce à laquelle l'auditeur pourra devenir « spectateur » (VI, 2). La doctrine horatienne de Y ut pictura poesis allait dans le même sens, renvoyant les poètes au modèle plastique pour y trouver l'«énergie» indispensable à tout écrit digne de gloire. Chez Léon Battista Alberti, on trouve l'idée que pour être efficace un récit doit faire appel aux émotions du lecteur. Dans son traité Délia pittura (vers 1435), Alberti définit la notion à'istoria* dans les termes suivants : historia qui mérite louange et admiration sera si agréablement attirante qu'elle captivera l'oil de toute personne, savante ou non, qui la regarde et mettra son âme en mouvement (p. 75). Dans son Art poétique françois (1548), Thomas Sébillet écrira que « la dignité de l'auteur » vient de l'« énergie de son oraison* tant curieusement exprimée » (p. 190). L'année suivante, dans la Défense et illustration de la langue française (1549), Joachim du Bellay se moquera des mauvais traducteurs à qui il manque « cette énergie [au sens à'energeia et d'enargeia] comme un peintre peut représenter l'âme avec le corps de celui qu'il entreprend [de] tirer* après le naturel» (p. 213). Dans son traité latin qui résume deux siècles de poétique humaniste. Jules-César Scaliger consacrera plusieurs chapitres à des termes plus ou moins synonymes (claritas, demonstratio, descriptio, effictio, perspi-cuitas, etc.). Mais c'est le mot enargeia qui est le plus souvent employé pour décrire cet effort déployé sans ménagement par les poètes de la Renaissance pour représenter efficacement le monde par le biais du langage. La métaphore du peintre, que reprendra d'ailleurs Monlaignc dans ses Essais, apparaît infiniment désirable pour tout poète qui vise à Yhypotypose, c'est-à-dire, pour parler comme Peacham, à donner « une description si vive qu'elle semble plutôt peinte sur un tableau qu'exprimée en mots ». Joachim du Bellay fera le modeste en comparant les vers élégiaqucs de ses Regrets aux délicats dessins de François Clouet plutôt qu'aux robustes statues de Michel-Ange (sonnet 21), alors que, dans la même veine, Edmund Spenser affirmera que les images de son Shepheardes Calender (1579) sont disposées devant vous « en portrait » et que, si Michel-Ange était là, il ne pourrait faire mieux. Nombre d'écrivains de la Renaissance trouveront leur bonheur dans les ressources les plus étranges de Yecphra-5/5*, cette science suprême de la description imagée : dans des tableaux hallucinants, les prophéties s'actualisent, les statues se mettent en marche, les morts reviennent hanter les vivants. Pour citer deux vers de George Chapman dans son Ovid's Banquet of Sensé (1595) : To thèse deadforms, came living heauties essence Able to make them startle with her présence. Ces formes évanouies, de la beauté la vive essence Est venue les réveil 1er en sursaut par sa présence (p. 54) '. Et si l'« art de poésie », parce qu'il possède un pouvoir envoûtant, avait partie liée avec les manifestations suspectes du surnaturel? Et s'il alimentait la superstition? Cela ne manque pas d'inquiéter les réformateurs et de susciter la colère des plus zélés. Car les pouvoirs effrayants de Yener-geia pousseront certains d'entre eux à en détruire la source. Si la fureur iconoclaste se veut un remède radical contre l'idolâtrie, elle est en même temps la manifestation éclatante du pouvoir de l'art et de la poésie sur les êtres humains. Ainsi, l'histoire de l'esthétique illusionniste peut nous aider à brosser un large horizon d'attente pour situer la généalogie du discours poétique à la Renaissance. Les conséquences politiques et morales de la condamnation platonicienne de l'art se répercutent au cours des XVe et xvr siècles, non sans susciter de nombreux débats dans la république des lettres. Nous savons que toute peinture est une illusion ; mais lorsque celte peinture nous attire, hante nos rêves et nous obsède au point de ne plus pouvoir, comme Vinci, nous en détacher, alors nous risquons de passer sous l'empire néfaste de l'imagination, cette « maîtresse d'erreur et de fausseté ». Un tableau réussi, écrit Robert Burton, est une falsa Veritas (p. 233). Mais une « fausse vérité » n'est pas nécessairement un mensonge. En libérant l'imagination de ses astreintes séculaires, la poésie de la Renaissance devait reposer en des termes nouveaux le problème de sa propre légitimité en tant que disséminatrice de valeurs morales. Dans une culture dominée par une orthodoxie vouée à la correction des erreurs doctrinales, le rêve humaniste d'une varie-tas et d'une festivités infinies était sans doute impossible. Cet optimisme se heurtait aux impératifs idéologiques et politiques d'une société chrétienne et monarchique. Pouvait-il survivre aux « troubles » et aux autres événements tragiques qui devaient durcir les positions pendant la seconde moitié du xvtc siècle ? Une réflexion sur l'art aura pour mission de contrebalancer les mesures répressives que sollicitait par ailleurs le militantisme des factions extrémistes. Dès la fin du XVe siècle, on assiste à des expérimentations diverses visant à explorer la possibilité de nouvelles écritures. La matérialisation par l'image (calligrammes, pictogrammes, rébus, emblèmes...) est un phénomène étroitement associé à ce que l'on appelle aujourd'hui la poésie concrète. Or. à la Renaissance, cette poésie possède souvent un rôle pédagogique : il s'agit d'apprendre par l'image les règles des sept arts libéraux. Mathias Ringmann enseigne la grammaire à l'aide de jeux de cartes dans sa Grammatica figurata et Thomas Mumer, la logique, sous forme de gravures et de vignettes dans sa Logica memorativa. Si, à propos d'autres textes, on a pu parler d'un « retard de la vue » à cette époque-là (Febvre. p. 471 sq. ; Mandrou, p. 297 sq.), il semble bien que les écritures concrètes manifestent une prépondérance de la vue (Huizinga, p. 261 sq.) et même une hypertrophie du visuel (McLuhan ; Ong, p. 309 517.). Ces manifestations graphiques se rattachent aussi à ce qu'on a appelé la pensée figurée de la Renaissance (KleiN). Le renouveau du lullisme, l'influence de la Topique d'Aris-tote et la littérature des arts de mémoire (YateS) contribuent à former un nouveau public de lisants qui s'adonne de plus en plus à la lecture individuelle (Grafton. p. 209 sa.). Le texte se déchiffre lentement sur la page, laborieusement. L'oil, entraîné à l'appréciation des miniatures, apprécie les emblèmes et rébus diffusés par l'imprimerie comme il goûtait naguère les riches enluminures des manuscrits. Le plaisir, provoqué par les « illustrations » visuelles, n'est pas sépa-rable de celui que procure le sens des poèmes sur la page. Vers la fin du XVIe siècle, Etienne Tabourot des Accords se fera le compilateur des jeux de langage qui font appel à la vue pour leur déchiffrement. Dans ses Bigarrures (1572), ce procureur et échevin dijonnais s'extasie devant la fortune de ce passe-temps en France : « Qui voudrait prendre la peine de les ramasser, il y aurait assez de papier pour charger dix mulets. » Loin de condamner ces « frivoles recherches », il accueille dans son livre les poèmes-rébus qu'il définit proprement comme des « équivoques de la peinture à la parole » (L I, p. 6). Le rondeau qu'il attribue à Jean Molinet mais qu'on trouve en réalité dans les ouvres de Jean Marot (p. 291) mérite d'être cité à titre d'exemple. Le poème se présente comme une énigme. Les mots, curieusement épingles sur la page, n'ont pas de sens apparent et attendent la restitution d'un code perdu (illustration n" 1). Tabourot, qui estime « l'interprétation aisée », suit néanmoins Jean Marot en fournissant une explication « pour les débutants » (pro junioribus, p. 27) (illustration n° 2). Le déchiffrement, en fait, est simple dès qu'on en possède la clé : toute syllabe dont la sonorité est l'homonyme d'une préposition de lieu est automatiquement transcrite par un signe conventionnel sur la page. Ainsi, dans les deux premiers vers du poème, le lecteur est invité à remotiver les prépositions sous dans « souriant, » su[r] dans « subtile » et entre dans « entre mille » (Vc = cinq centS). Il doit ensuite trouver leur équivalent spatial qui justifie ce sens littéralisé. Le plaisir de la lecture vient de la restitution des maillons manquants par recours au sens original de la lettre (liminaire de Théodecte : « Le tout par mathématique/bien réduit selon l'optique » p. 5, v. 13-14). Cette analyse conduit Tabourot à fournir un « inventaire poétique » des prépositions de lieu de la langue française. L'exploration spatiale s'étend aussi à la taille des lettres (majuscules et minuscules : grand A. petit A) et à la position des mots sur la page. Un simple exemple donnera une idée du procédé : 1 ) disposition graphique : G a P pour mes aa d tenter 2) lecture phonétique : G grand/a pelit/dé sous pé/pour sus* tenter/mes a petits 3) lecture sémantique : J'ai grand appétit de souper pour sustenter mes appétits. Une telle boulimie constitue un document extraordinaire sur la compulsion visuelle à la Renaissance. Il est loin cependant d'être unique. Entre 1494 et 1520, l'Italien Giovan Giorgio Alione avait composé en français la plus longue série de poèmes qu'on ait jamais écrite sous forme de rébus. Le principe de la transposition était simple. Il se faisait en deux temps : 1 ) transcription du message en termes phonétiques ; 2) traduction de cette phonétisation en termes iconographiques (illustration n° 3). Le premier vers « Amour fait moult*/sargent*/dé/lys/ semelle » résulte du déchiffrement des cinq images (z folio viI) : Cupidon, représenté dans un pressoir, suggère qu'Amour fait du vin, donc « Amour fait moût », autrement dit « Amour fait moult* », « Amour fait beaucoup ». Puis un guerrier («sargent» = sergenT) donne « s'argent », autre forme de « si argent ». Un dé à coudre (dE) est alors suivi d'une fleur de lys (« de ly [s] » = de luI), et finalement une semelle de chaussure donne « se mêle ». D'où la solution, réaliste ou cynique selon le point de vue : « Amour fait beaucoup si argent de lui se mêle ! » La transposition picturale vise à remplacer entièrement la lettre par l'image dans le rondeau. Le but cherché est clair : prouver que l'on peut hisser l'écriture au niveau de la peinture. Cette tendance était fort prisée des érudits comme le prouve l'intérêt porté aux hiéroglyphes égyptiens et, de façon plus générale, aux écritures secrètes ou figuratives à la Renaissance. - La poésie concrète reflète aussi un engouement prononcé pour un ésotérisme issu du paganisme et son intégration dans la nouvelle culture humaniste. Érasme, Lefèvre d'Étaples et même Budé ont une attitude ambivalente à l'égard de la prisca theologia des païens. Dans quelle mesure les écrits préchrétiens sont-ils compatibles avec la vérité de la Révélation (WalkeR) ? La plupart des humanistes rejettent les Orphica, les Hermetica et autres oracles au nom de l'Evangile, ce n'est pas sans concéder aux erreurs antiques un rôle providentiel : la fable mythologique a préparé les âmes à recevoir le message du christianisme. Bientôt, le heurt entre les positions « libérales » et « antilibérales » ira en «'intensifiant au cours du concile de Trente. Une telle ambivalence peut s'expliquer par un désir puissant d'assurer un cominuum historique entre les cultures antique et judéo-chrétienne que la Révélation risquait de briser, tout en affirmant la primauté de l'Evangile et en mettant en garde contre les dangers de l'idolâtrie. Les poètes se feront un plaisir d'explorer et d'exploiter les « mystères » de l'ésotérisme à leur guise. Erreurs, certes, aux yeux de la pure orthodoxie, mais erreurs productrices d'un sens voilé qui possède bien des charmes : vêla faciunt honorent secreti (Pic de La Mirandole, I, p. 170). |
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