Essais littéraire |
Lamartine (1790-1869) Le premier des romantiques « Je suis le premier, écrit-il, qui ai fait descendre la poésie du Parnasse et qui ai donné à ce qu'on nommait la Muse, au lieu d'une lyre à sept cordes de convention, les fibres mêmes du cour de l'homme, touchées et émues par les innombrables frissons de l'âme de la nature. » Mais injustement peut-être, de cet homme qui fut aussi historien, politicien, c'est presque cette seule initiation au lyrisme pur que retiendra notre critique littéraire. Nous voudrions montrer ici conx ment chez Lamartine le lyrisme personnel est in concevable seul, comment il débouche en perma' nence sur une double réflexion mystique et sociale. Certes Les Méditations de 1820, comme les Nou telles Méditations publiées trois ans plus tard, sont l'épanouissement poétique de ce lyrisme intime que Gcethe et Byron à l'étranger, Mme de Staël et Chateaubriand en France avaient déjà suggéré. On y découvre pleinement cette douloureuse inquiétude du « cour » dont le seul apaisement est dans ses confidences. La douleur pour Lamartine, elle est venue de cette liaison amoureuse, brisée par la maladie et la mort, avec Mme Julie Charles, atteinte de phtisie et décédée à Paris en 1817. Cruellement blessé dans son âme, le poète retrouve les accents d'un Ronsard pour évoquer la fuite inexorable du temps qui lui arrache Elvire, son amante encore à l'agonie : Ilâtons-nous, jouissons ! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive. Il coule et nous passons ! (Le Lac.) Et quand tout est achevé, c'est à la nature qu'il confie le témoignage, la mémoire, ou l'oubli de ses passions. Aux rives du lac : Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire. Que les parfums légers de ton air embaumé. Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire. Tout dise : « Ils ont aimé ». comme au creux du vallon : J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ; Je viens chercher vivant le calme du Léthé. Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie ; L'oubli seul désormais est ma félicité. Avec Lamartine la nature réinvestit pleinement l'espace poétique. Elle seule, dans sa pérennité, garantit au MOI l'épanouissement et la durée de son intimité meurtrie par les incertitudes du temps : Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime ; Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours : Quand tout change pour toi, la nature est la même. Et le même soleil se lève aur tes jours. (Le Vallon.) Mais si la nature est chez Lamartine, dès le recueil des Méditations, la grande « consolatrice », c'est qu'il y distingue déjà la présence d'une puissance supérieure qui s'y révèle aussi sensiblement que dans le silence du cour : Dieu, pour le concevoir, a fait l'intelligence : Sous la nature enfin découvre son auteur Une voix à l'esprit parle dans son silence : Qui n'a pas entendu cette voix dans son cour ? (Le Vallon.) Pour le moi blessé, la nature montre la voie d'un salut hors du monde et par-delà le temps ; mais le sens de cette quête spirituelle reste encore confus dans Les Méditations ; c'est plus une cristallisation de toutes les inquiétudes, de toutes les amertumes et de tous les désespoirs humains qu'une véritable aspiration vers la divinité qui nous y est donnée à lire : Je te salue, ô Mort, libérateur céleste (...) Quand mon oil fatigué se ferme à la lumière. Tu viens d'un jour plus pur inonder ma paupière ; Et l'Espoir, près de toi, rêvant sur un tombeau. Appuyé sur la Foi, m'ouvre un monde plus beau (...) Que tardes-tu ? Parais ; que je m'élance enfin Vers cet Etre inconnu, mon principe et ma fin ! (L'Immortalité.) Les Harmonies poétiques et religieuses, rédigées pour la plupart lors du séjour du poète-diplomate à Florence de 1826 à 1828, et publiées en France en 1830, approfondissent sensiblement cette recherche spirituelle et mystique. Pour Lamartine ces quarante-huit nouveaux poèmes sont autant de « degrés pour monter vers Dieu », pour élever le MOI à la connaissance du Divin. On a beaucoup discuté du sens religieux de Lamartine, de la réalité même de sa foi. Nombre de ses textes révèlent incontestablement une sorte de « foi philosophique » qui fait de lui l'un des derniers descendants des philosophes déistes du XVIIIe siècle. Pour lui, si la présence de Dieu est signifiée et magnifiée par l'existence même de la Création tout entière, elle reste fondamentalement l'insaisissable et l'inconnaissable où l'homme se perd et se reconnaît tout à la fois : A toi, grand Tout, dont l'astre est la pâle étincelle. En qui la nuit, le jour, l'esprit vont aboutir ! Flux et reflux divin de vie universelle. Vaste océan de l'Etre où tout va s'engloutir ! (Les Harmonies. ) Chaque chose, chaque être, révèle Dieu, mais ne le fait pas connaître. L'infini échappe toujours à la fini-tude de la connaissance et de la méditation humaines : La vie ! A ce seul mot tout oil, tonte pensée. S'inclinent confondus et n'osent pénétrer ; An seuil de l'infini c'est la borne placée. Où la sage ignorance et l'audace insensée Se rencontrent pour adorer. (Le Chine.) Et pourtant la religion de Lamartine n'est pas si abstraite, si utopique qu'elle le paraît parfois. S'il y a chez lui du Chateaubriand, il y a aussi du Lamennais. Si Lamartine s'épuise à « concevoir » la divinité (« Je meurs de ne pouvoir nommer ce que j'adore », écrit-il dans Novissima VerbA), cette impuissance ne retire rien à sa'conviction que l'existence de Dieu est seule garante d'un monde phis libre et plus juste. Dieu est aussi Providence, et le poète des Harmonies, comme le vicaire savoyard de Rousseau, croit en l'empreinte bénéfique de la divinité sur le monde des hommes. A lui de la montrer. C'est peut-être le sens qu'il faut donner à cette vaste entreprise épique constituée par l'impressionnant ensemble poétique de Jocelyn (1836) et de La Chute à"un ange (1838). Racontant dans les huit mille vers de Jocelyn l'histoire de deux êtres dont l'itinéraire sentimental est aussi un itinéraire spirituel, Lamartine a voulu décrire symbolique- ment l'épopée de la race humaine dans sa marche vers la divinité. Certains ont même parlé de ce texte en termes d' « épopée du christianisme social ». L'expression est peut-être trop forte, mais incontestablement Lamartine a voulu montrer là comment exaltation physique, jouissances et troubles passionnels, contemplation esthétique n'avaient de sens que dans la reconnaissance finale d'une divinité qui est source de tout : du plaisir, de l'intelligence, mais aussi et surtout de la poésie elle-même, qui, dans les limites de son langage, essaie de dévoiler cette omniprésence créatrice dont déborde le coeur de l'homme : Enfin, comme épuisés d'émotions intimes, L'un à côté de l'autre, en paix nous nous assîmes (...) Nos cours étaient muets à force d'être pleins (...) Oh ! Je sens, me dit-il, mon cour prêt à se fendre. Mon âme cherche en vain des mots pour se répandre ; Elle voudrait créer une langue de feu, Pour crier de bonheur vers la nature et Dieu. (Jocelyn.) Ainsi, pour accéder à Dieu, l'itinéraire lamarti-nien passe par les sacrifices de la vertu et les expiations de la souffrance ; mais plus concrètement il | passe aussi par la redécouverte du sens plein de l'activité humaine : le Travail, et surtout le Travail dans ce qu'il a de plus « naturel », l'agriculture. Chacun se souvient des beaux vers consacrés par le poète aux Laboureurs dont l'activité est culte et hommage immédiat à la divinité : O travail, sainte loi du monde. Ton mystère va s'accomplir ! Pour rendre la glèbe féconde. De sueur il faut l'amollir. L'homme, enfant et fruit de la terre, Ouvre les flancs de cette mère Où germent les fruits et les fleurs. Un pareil texte nous laisse entrevoir aussi la troisième face de l'ouvre de Lamartine : sociale et politique. Peu avant d'écrire Jocelyn, dans un article de 1834 intitulé Des destinées de la poésie, il affirmait avec force le sens définitif qu'il entendait donner à sa pratique poétique : « La poésie ne sera plus lyrique dans le sens où nous prenons ce mot (...). Elle sera philosophique, religieuse, politique, sociale (...). Elle va se faire peuple, et devenir populaire comme la religion, la raison et la philosophie. » Ainsi pour lui les élans du cour et les certitudes de la foi doivent-ils s'épanouir dans une vraie mission vécue : parler pour ceux qui ne le peuvent pas, parler pour la liberté, crier sa conviction dans un avenir fraternel des peuples du monde. Lui le légitimiste devenu libéral, convaincu de démocratie et de justice sociale, désespère et se lasse des lamentations et des élégies d'antan. UEpî-tre à Félix Guillemardet, datée de 1837, témoigne de ce renoncement : Frère, le temps n'est plus où j'écoutais mon âme Se plaindre et soupirer comme une faible femme Qui de sa propre voix soi-même s'attendrit. Mais cette préoccupation sociale ne date pas seulement chez Lamartine du temps où son destin l'a conduit aux plus hautes fonctions politiques (en 1848 il sera à la tête du gouvernement provisoirE). C'est en effet dès le début de la monarchie de Juillet qu'il confiait, dans son Ode sur les révolutions de 1831, sa foi dans le progrès irréversible des peuples ; c'est le même thème qu'il reprendra dans plusieurs poèmes après 1840 dont l'un des plus célèbres reste La Marseillaise de la Paix (1841) : Ma patrie est partout où rayonne la France, Où son génie éclate aux regards éblouis ! Chacun est du climat de son intelligence : Je suis citoyen de toute âme qui pense ; La vérité, c'est mon pays ! Pas plus pourtant que l'inspiration religieuse, l'inspiration politique et sociale n'a tué chez Lamartine vieilbssant le souffle lyrique. Celui-ci est trop fondamental, trop « essentiel » chez lui, pour pouvoir s'effacer. Il est permis au contraire de se demander si ce n'est pas dans un de ses tout derniers poèmes, La Vigne et la Maison, rédigé en 1857, au mibeu des vicissitudes d'une existence désormais condamnée à la médiocrité, que réapparaît la plénitude de son génie lyrique. De retour à Milly, sa terre d'enfance, il retrouve l'authentique émotion de ses premières années de création poétique. Et dans son ultime chant s'épanouissent à la fois toutes les qualités de sa sensibibté et toutes les élégances de sa virtuosité technique. C'est là que nous pouvons admirer, dans un dramatique dialogue entre le poète et son âme (qui annonce Les Nuits de Musset, mais avec beaucoup plus de sérénité) toutes les facettes de son art poétique si « fluide ». Nous y retrouvons : - la légèreté et l'euphonie lexicale : Vois comme aux premiers vents de la précoce automne, Sur les bords de l'étang où le roseau frissonne. S'envole brin à brin le duvet du chardon, - la limpidité musicale du vers : De l'air plus transparent le cristal est limpide. Des monts vaporisés l'azur vague et liquide S'y fond avec l'azur des cieux, - la variété rythmique (dans les coupes et les enjambementS) : 0 douce Providence ! 6 mère de famille Dont l'immense foyer de tant d'enfants fourmille. Et qui le vois pleurer, souriante au milieu. Souviens-toi, cour du ciel, que la terre est ta fille Et que l'homme est parent de Dieu, - la précision du coup d'oeil : Regarde au pied du toit qui croule : Voilà près du figuier séché, Le cep vivace qui s'enroule A l'angle du mur ébréché, - et enfin cette permanente et déconcertante facilité du verbe poétique qui s'écoule, bavardage solitaire, sans jamais s'épuiser : Moi qui par des concerts saluai ta naissance, Moi qui te réveillai neuve à cette existence Avec des chants de fête et des chants d'espérance. Moi qui fis de ton cour chanter chaque soupir. Veux-tu que, remontant ma harpe qui sommeille, Comme un David assis près d'un Saul qui veille, Je chante encore pour t'assoupir ? » C'est cette aisance et cette spontanéité dans la création poétique que la tradition critique retiendra surtout de l'ouvre de Lamartine. Il est vrai que tout le génie du renouveau qu'il apportait était dans cette substitution à Pimpersonnalité des thèmes classiques de la facilité d'une parole authentique. Et préfaçant en 1849 une nouvelle édition de ses Méditations, Lamartine lui-même, lucide sur son art, mettait admirablement en lumière cette source vibrante de son inspiration où la postérité pour jamais allait le reconnaître : « Je n'imitais plus personne, je m'exprimais moi-même pour moi-même. Ce n'était plus un art, c'était un soulagement de mon propre cour qui se berçait de ses propres sanglots (...). Ces vers étaient un gémissement ou un cri de L'âme. Je cadençais ce cri ou ce gémissement. » |
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