Essais littéraire |
Ecrivant, il y a quelques années, un essai sur la poésie lamartinienne, l'auteur de cet ouvrage s'efforçait de décrire de la façon suivante l'état d'esprit du poète au moment où il commençait à chanter : Non pas une tension de l'esprit, non pas une attente, non pas une concentration de la pensée vigilante, mais simplement l'inertie initiale d'une âme que rien n'absorbe, où rien ne demeure, d'où tout, semble-t-il, se retire, afin de la laisser à sa vacuité. Cette phrase qui prétend décrire un état initial de l'esprit ne satisfait plus aujourd'hui celui qui l'a écrite. Il est vrai que la poésie de Lamartine trahit souvent une certaine inertie. Mais cette inertie, est-elle vraiment originelle ? Le poète commence-t-il vraiment chaque fois par la manifester ? Il n'y a pas de doute qu'à la suite d'une période plus ou moins longue de contemplation, de rêverie et d'élans, le poète généralement aboutisse à une sorte de vacuité, après laquelle d'ailleurs, n'ayant plus rien à exprimer, il s'arrête de chanter. Mais cette période est terminale, et non pas initiale. Sinon, tout simplement, il n'y aurait pas de place pour que le poème se développe. Il faut bien qu'entre son point de départ et son point d'arrivée, quelque chose comme un courant le traverse et le transporte, autrement, d'un bout à l'autre, il risquerait d'être stagnant. C'est donc ce mouvement, ce mouvement proprement intermédiaire, qui importe. Le point de départ et le corps du poème ne peuvent représenter un état purement négatif. Si le poème aboutit, comme c'est souvent le cas avec Lamartine, à un état de vacuité totale, l'on est obligé d'en inférer que l'ensemble du poème décrit un mouvement, mais un mouvement qui va diminuant, pour arriver en fin de course à cette vacuité. D'ailleurs, il serait peu vraisemblable qu'un poète du type de Lamartine procédât à l'inverse par un mouvement exclusivement ascendant. Ou bien, comme il arrive parfois, si l'on distingue dans le poème lamartinien quelque chose de semblable à un essor, à un élan, c'est un essor réduit au minimum et contraint bientôt à un considérable ralentissement. Le poème lamartinien ne donne que rarement l'impression d'une énergie qui se débande. On ne le voit pas, d'un coup d'aile, prendre du champ et se déployer dans les espaces. Ce n'est pas qu'il traîne ou piétine, mais comme un appareil aérien qui doit soulever une certaine charge, il ne s'élève pas d'un coup et met un certain temps à prendre de la hauteur. Mais un autre phénomène aussi se présente au moment de l'appareillage. Le poème, chose assez surprenante, ne se meut pas d'une seule pièce et dans une seule direction. D'un côté, c'est vrai, il prend de l'altitude. Après un certain temps, il atteint son zénith. Mais, de l'autre, si on considère la face inverse du poème, constituée par la pensée de l'auteur, contemplant de loin la montée de son rêve dans le ciel, cette partie-là, à tout le moins pour un temps, reste attachée au sol dans une sorte d'immobilité contemplative. Le poète regarde. Son rêve s'élève, mais lui ne bouge pas. C'est donc de son point de vue de contemplateur infiniment séparé de ce qu'il regarde, qu'il voit s'éloigner dans la distance les formes qu'il observe. Ce qu'il perçoit ne lui apparaît que pour mieux lui faire mesurer, non le chemin qui lui permettrait de rejoindre ce dont il rêve, mais au contraire l'écart grandissant qui s'établit entre cet objet contemplé et lui. D'où le surgissement dans la pensée de celui qui regarde, de multiples signes attestant l'aggravation de cette séparation et de toute séparation : le pâlissement des lumières, l'amortissement des sons, l'assombrissement des formes, enfin les indices de toutes sortes qui ont pour office de rappeler que l'écart se creuse, que les liens noués avec ceux qu'on aime perdent de leur netteté, de leur acuité, de leur proximité. Formes et images deviennent de moins en moins perceptibles. Par un processus négatif qui leur retire insensiblement la plus ou moins grande précision dont ils faisaient montre avant qu'ils ne s'éloignent, les objets, il y a peu de temps encore familiers, perdent ce qu'ils pouvaient avoir de distinct. Ils deviennent plus vagues, de moins en moins visibles. Us deviennent étrangers. Ils se retirent. Ils se mettent hors de portée et bientôt hors de vue. Ce phénomène de retrait n'affecte pas seulement tel être particulier pour lequel on pouvait avoir une préférence exclusive. Il se découvre à l'égard des objets ou des êtres même les plus indifférents. A mesure qu'ils se trouvent enveloppés dans le cercle grandissant des réalités qui s'éloignent, tous les traits positifs dont ils bénéficiaient et qui donnaient à leur présence un prix exceptionnel semblent devenir négatifs et transformer cette présence en absence. Les formes, les couleurs, les sons, même les parfums, n'ont plus la même netteté. Forcés de renoncer aux mille détails exacts qui garantissaient leur existence, ces objets disparaissant semblent obéir à un mouvement général qui, en les séparant de celui qui les contemple, les rapproche d'autre part les uns des autres, pour les fondre finalement dans une image globale, de plus en plus vaste mais tie moins en moins déterminée. Tout se confond dans la distance. Tout conspire pour faire de ces formes, d'abord indépendantes, une seule masse uniforme, où il n'y a presque plus rien à distinguer. Sans doute, le phénomène de dissolution n'est-il pas particulier à Lamartine. Mais personne, semble-t-il, sauf Ossian - ou plutôt Macpherson, qui fut le maître de Lamartine -, ne le dépeint avec autant d'ampleur. Alors que d'autres poètes mettent tout leur talent à décrire avec une exactitude croissante les détails de l'objet sur lequel leur attention se porte - on songe ici, en premier heu, à Hugo,-, Lamartine, lui, s'applique à faire usage du pouvoir inverse, celui qui consiste à dépouiller les objets contemplés de toutes les qualités adventices qu'ils avaient d'abord présentées, et à uniformiser ainsi considérablement l'aspect qu'ils présentent en commun. Non qu'ils se trouvent ramenés ainsi à une netteté plus grande et à une ligne plus pure. C'est plutôt le contraire qui a heu. Tous les objets réduits de la sorte à une image sommaire par la distance se fondent les uns dans les autres, et tendent, à ne plus présenter d'eux-mêmes qu'une vue d'ensemble aussi vague que possible. Mais l'aspect collectif qu'ils montrent ainsi est moins celui d'un grossissement qu'un affaiblis sèment général de leurs formes. On les dirait victimes d'une détérioration universelle de la substance qui les compose. Le mouvement négatif qui agit sur eux tend à les annuler. Il fonctionne en deux temps. D'abord, il fait apparaître la fusion ou confusion-qui altère toutes les formes ramenées finalement à une uniformité générale; puis la mise au lointain, si l'on peut dire, de toutes ces formes, ayant pour conséquence l'isolement du contemplateur, se sentant de plus en plus abandonné par la masse confuse de ces objets, avec lesquels il avait en vain essayé de nouer des relations en les distinguant les uns des autres. L'amortissement des sons, le pâlissement des couleurs, l'effacement des contours, le flottement des formes, l'éloi-gnement des objets, à quoi s'ajoute parfois aussi la diminution graduelle de l'éclairage, tels sont les facteurs concurrents qui, dans la poésie lamartinienne, substituent au monde stable, précis, distinct, sans ombre, de la réalité matérielle, un monde différent, où tout se trouve adouci, atténué, ombreux, indistinct et non déterminable. On remarquera que cette substitution implique, non une croissance, un gain de force ou de vie, encore moins une affirmation ou une certitude, mais au contraire une décroissance, une diminution, un obscurcissement général, et même une négation. C'est que, pour Lamartine, le passage de la matérialité à la spiritualité, qui est le but unique, l'essence même de sa quête, entraîne nécessairement, du moins dans un premier temps, un dépouillement, un renoncement. Pour rendre le monde plus acceptable, un seul moyen possible : celui qui aurait pour effet d'atténuer la netteté agressive des choses, de tempérer la précision inhumaine des formes, d'adoucir la crudité des affirmations. Il faudrait, au contraire, étendre sur cet univers sans nuance un voile fait de modération, de discrétion, de distanciation aussi, car la distance ralentit l'assaut direct de l'immédiat sur l'oil du contemplateur. Il y a donc chez Lamartine un désir profond de ne pas accepter la réalité telle quelle. Il lui faut la modifier par des altérations qui vont dans le sens d'un affaiblissement calculé des contacts trop directs et des lumières trop crues. De ce point de vue, toute l'entreprise poétique de Lamartine se présente comme un effort délibéré pour réduire la réalité à une semi-idéalité et le formel à une apparence indécise, se rapprochant autant qu'il est possible de l'informe. Cette dé-réalisation et cette dé-formation universelles de l'être sont même poussées parfois si loin chez le poète qu'il est difficile dans toute la poésie romantique d'en trouver l'équivalent. L'univers entier y semble soumis à la même action dissolvante. A tous les phénomènes déjà décrits : pâlissement, éloignement, amortissement, liquéfaction, et même vaporisation de la matière, s'ajoute un dernier processus destructeur du même type : la dispersion infinie des atomes constituants dans l'espace, comme s'ils se trouvaient dissociés et éparpillés dans un monde sans forme. Mais ce n'est pas tout. Jamais aucune représentation du monde physique ne s'est montrée plus complètement, mais aussi plus discrètement, dématérialisée, que celle offerte par le monde lamartinien. Cette soustraction de l'être à la matérialité qui l'appesantit se complète finalement par le détachement du poète lui-même, quittant en pensée le monde d'en bas pour rejoindre sur les ailes de sa poésie les fantômes qu'il a laissés se répandre dans l'espace supérieur. L'unification tardive de sa pensée avec les rêves qu'abondamment elle y diffuse consacre la spiritualisation générale de tout ce qui est. Ici, nous ne sommes plus dans un monde externe, rigoureusement séparé du monde intérieur où, de son côté, vit le poète. La pensée de celui-ci se répand enfin partout où il le désirait. L'espace externe et l'espace interne deviennent une seule et même étendue : indéfinissable, indéterminable, proche du vide, sans être exactement le vide, et, comme cet espace est merveilleusement ouvert, le poète qui y élit domicile s'y trouve en pleine liberté. LAMARTINE : TEXTES Le bruit lointain du monde expire en arrivant, Comme un son éloigné qu'affaiblit la distaûce... Comme un rayon du soir se fond dans les ténèbres... Et la moitié du ciel pâlissait, et la brise Défaillait dans la voile, immobile et sans voix. Ses blonds cheveux déjà sur le front détachés Sur le fer du balcon flottaient tout épanchés Et je sentais l'odeur du vent qui les caresse S'échapper en parfum de l'or de chaque tresse. Il me semblait nager moi-même dans le pur éther et m'abimer dans l'univers. Laissant errer mes sens dans le monde des corps, Au monde des esprits je monte sans effort. Le regard va se perdre enfin dans un lointain indécis... Tout fond dans le vide des cieux. Et l'on voyait ou l'on croyait voir au-delà un horizon vague et indéfini s'étendre encore. Dans l'abîme sans fond mon regard a plongé, De l'atome au soleil j'ai tout interrogé. Que ne puis-je, porté par le char de l'aurore, Vague objet de mes voux m'élancer jusqu'à toi ! Ou dans le vague azur, contemplant les nuages, Je laisse errer comme eux mes flottantes images. Elevez-vous, voix de mon âme, Avec l'aurore, avec la nuit ! Elancez-vous comme la flamme, Répandez-vous comme le bruit ! Flottez sur l'aile des nuages Tel que les esprits purs qui planent dans l'espace... Tous ces bruits, affaiblis déjà par l'heure avancée..., se fondaient par instant dans un seul bourdonnement sourd et indécis, ... se mêlaient, sans qu'on pût les distinguer, avec les bruits de la nature, le retentissement lointain des vagues et les bouffées de vent qui courbait les cimes aiguës des cyprès. Le bruit lointain du monde expire en arrivant Comme un son éloigné qu'affaiblit la distance A l'oreille incertaine apporté par le vent D'ici je vois la vie, à travers un nuage, S'évanouir pour moi dans l'ombre du passé. Comme un rayon du soir se fond dans les ténèbres. Jusqu'à l'heure où la lune, en glissant vers Misène, Se perd en pâlissant dans les feux du matin. Les montagnes nageaient dans une légère teinte violette qui les grandissait et les éloignait en les effaçant. Le regard va se perdre enfin dans un lointain indécis, entre le ciel^et les vagues. ... l'on croyait voir au-delà un horizon vague et indéfini s'étendre encore et nager dans les vapeurs ambiantes... C'est le livre non écrit de la rêverie, dont les pages sont couvertes de caractères énigmatiques et flottants avec lesquels l'imagination fait et défait ses propres poèmes... Et devant mes regards flottent à l'aventure, Avec des pans de ciel, des lambeaux de nature ! Si Dieu brisait ce globe en confus éléments, Devant sa face ainsi passeraient ses fragments. Des monts vaporisés l'azur vague et liquide S'y fond avec l'azur des cieux. |
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