Essais littéraire |
L'extrême gauche - les hommes des clubs, les adhérents aux cercles socialistes - est vaincue par les urnes, mais elle garde en mémoire les journées de la Révolution, quand les sans-culottes imposaient l'empire de la rue à la Convention. Dans un pays aussi centralisé que la France, l'opinion parisienne, fût-elle minoritaire, a forcément plus de poids que l'opinion diluée des provinces. Quand bien même telle ou telle grande ville est animée de l'esprit de contestation, elle n'a pas de prise sur les organes du pouvoir. A Paris, manifestants, émeutiers, barricadiers, peuvent envahir le Palais-Bourbon, décréter « au nom du peuple » la mise au ban de tel ou tel député ou le renversement du gouvernement. La journée du 15 mai 1848 ressemble, de ce point de vue, à celle du 2 juin 1793, qui avait abouti à l'arrestation des chefs girondins sous la pression de la rue : l'imitation du passé est un des traits remarqués (par Flaubert et Tocqueville notammenT) de la révolution de 1848. Ce jour-là, c'est sur un thème de politique étrangère que l'extrême gauche, toujours active, partout présente dans les rues et sur les places, mobilise : la Pologne, une fois encore. Les Polonais dont le territoire a été partagé, au Congrès de Vienne, entre Russes, Autrichiens et Prussiens, se sont soulevés. Leur cause, très populaire en France, a l'avantage de sensibiliser bien des Parisiens au-delà des rangs sectateurs des clubs. On a, parmi eux, entretenu l'espoir qu'à la politique inerte de la monarchie de Juillet allait succéder une politique extérieure hardie, favorable aux peuples opprimés, une fois la République installée. Cet espoir est déçu ; Lamartine, on l'a vu, veut maintenir la paix, ne pas effrayer l'Europe, ne pas perdre la République dans une guerre étrangère, tout en exprimant sa sympathie aux mouvements des nationalités. La manifestation du 15 mai, organisée par un Comité centralisateur (état-major des clubs et des sociétés populaireS), doit se dérouler de la Bastille au Palais-Bourbon. Entre 100 000 et 200 000 personnes y participent, derrière Auguste Blanqui, François Raspail, et quelques autres. Arrivés au pont de la Concorde, les manifestants sont autorisés par le président de l'Assemblée, Philippe Bûchez, à envoyer 25 délégués déposer une pétition. Entre-temps, la foule s'est engagée sur le pont, mal défendu, et se presse aux cris de « Vive la Pologne ! » mais aussi de « A bas Lamartine ! » contre les grilles de l'Assemblée, qui cèdent sous le poids des assaillants. Les cours et la salle des séances sont envahies par la foule sans la moindre résistance de la garde nationale, dont le chef, Courtais, a donné l'ordre de remettre les baïonnettes au fourreau. Lamartine, seul membre de la Commission executive présent, reconnaissant son ancien collègue Albert parmi les manifestants, tente une harangue : «Citoyens, vous ne passerez pas, ou vous ne passerez que sur mon corps ! » A quoi Albert répond : « Citoyen Lamartine, vous pouvez être un grand poète, mais vous n'avez pas notre confiance comme homme d'État. Il y a assez longtemps que vous nous faites de la poésie et de belles phrases : il faut autre chose au peuple maintenant19. » Lamartine assiste, impuissant, à la ruée des manifestants dans la salle des séances. Dans ses Mémoires politiques, il évoque une « véritable et atroce image d'une invasion de barbares dans une société civilisée ». Sous le déluge populaire, les députés restent assis à leur place, passifs, muets, mais imperturbables, sauf quelques membres de la Montagne (extrême gauchE) qui sympathisent avec les envahisseurs, tandis qu'à la présidence Bûchez agite frénétiquement sa cloche. Raspail monte à la tribune, pour lire la pétition des clubs. Mais, celui-ci ayant été apostrophé par un député, les clameurs reprennent de plus belle, menaçantes. « C'est alors, écrit Tocqueville dans ses Souvenirs, que je vis paraître, à son tour, à la tribune un homme que je n'ai vu que ce jour-là, mais dont le souvenir m'a toujours rempli de dégoût et d'horreur ; il avait des joues hâves et flétries, des lèvres blanches, l'air malade, méchant et immonde, une pâleur sale, l'aspect d'un corps moisi, point de linge visible, une vieille redingote noire collée sur des membres grêles et décharnés ; il semblait avoir vécu dans un égout et en sortir ; on me dit que c'était Blanqui. » Si le portrait n'est pas flatteur, il est expressif. Auguste Blanqui, frère de l'économiste Adolphe Blanqui déjà rencontré, peut se prévaloir, à quarante-trois ans, d'un lourd actif (passif pour d'autreS) révolutionnaire. Ancien membre de la Charbonnerie, expert en sociétés secrètes, ancien militant de la Société des Amis du Peuple après les Trois Glorieuses, pendant lesquelles il avait fait le coup de feu, il avait été sur le banc des accusés au procès des Quinze (en janvier 1832)21, condamné à un an de prison, adhérent ensuite de la Société des Familles créée par Barbes, de nouveau arrêté avec Armand Barbes en 1836 pour « fabrication de poudre », passant encore un an en prison, en ressortant pour figurer à la Société des Saisons, s'avisant avec Barbes et Martin Bernard de tenter une prise d'armes en 1839, occupant un moment l'Hôtel de Ville, arrêté de nouveau, condamné à la réclusion à vie, expédié en compagnie de Barbes et de Bernard au Mont-Saint-Michel, gracié en 1844 pour cause de maladie incurable, traduit de nouveau en 1846 devant un tribunal, cette fois à Tours, pour avoir inspiré des troubles, acquitté, hospitalisé à l'hôpital de Tours, remis sur jambes par la révolution de Février. On l'a vu tenter de persuader le Gouvernement provisoire de repousser les élections ; vouant un culte à Robespierre, il pérore chaque soir dans les clubs. Celui qu'on appellera « l'Enfermé » passe ainsi sa vie de la conspiration à la prison et de la prison au complot ourdi en vue d'établir une dictature parisienne qui imposera le socialisme à la France. Un moment déstabilisé par une opération policière visant à le faire passer pour un mouchard22, Blanqui avait repris de son ascendant, participé à la grande manifestation d'extrême gauche du 16 avril. A la tribune de l'Assemblée, cette fois, le 15 mai, il parle un peu de la Pologne, s'attarde sur les victimes des massacres de Rouen, dénonce la misère du peuple. Peu après, lui succède Armand Barbes. A trente-neuf ans, cet éternel conspirateur comme Blanqui, éternel prisonnier politique, vient d'être libéré de la prison de Car-cassonne, sa dernière geôle, par la révolution de 1848. A Paris, dédaignant les conseils de Lamartine qui le prie de modérer ses amis, il refonde la Société des droits de l'homme, et crée un club rival de celui de Blanqui, le Club de la Révolution. Agitateur au grand cour, cet ardent républicain d'extrême gauche, admiré par George Sand, ne plaît pas davantage à Tocqueville, qui note à son propos : « C'était un de ces hommes chez lesquels le démagogue, le fou et le chevalier s'entremêlent si bien qu'on ne saurait dire où finit l'un et où l'autre commence, et qui ne peuvent se faire jour que dans une société aussi malade et aussi troublée que la nôtre. Je crois pourtant qu'en lui le fou prédominait, et sa folie devenait furieuse quand il entendait la voix du peuple. Son âme bouillonnait naturellement au milieu des passions populaires comme l'eau sur le feu. Depuis que la foule nous avait envahis, je n'avais cessé d'avoir l'oeil sur lui, je le considérais comme l'homme le plus à redouter qu'il y eût parmi nos adversaires, parce qu'il était le plus insensé, le plus désintéressé et le plus résolu de tous23. » Ce 15 mai 1848, Barbes, qui est membre de la Constituante, contrairement à Blanqui, veut préciser le but de l'agitation : « Je demande qu'immédiatement et séance tenante, s'exclame-t-il, l'Assemblée vote le départ d'une armée pour la Pologne, un impôt d'un milliard sur les riches, la sortie des troupes de Paris, la défense de battre le rappel ; sinon les représentants seront déclarés traîtres à la patrie. » Mais lesdits représentants restent impassibles, tandis que le vacarme incessant interdit toute procédure de mise aux voix. Au milieu de la confusion générale, les manifestants saisissent Louis Blanc qui n'en peut mais pour le porter en triomphe, bien inutilement du reste, car celui-ci se débat et finit par être déposé sur un banc. Puis, au milieu du brouhaha assourdissant, on commence à entendre à l'extérieur les tambours de la garde nationale battre le rappel, au grand dam de Barbes : « Qui bat le rappel ? Que ceux qui font battre le rappel soient mis hors la loi ! » Un agitateur, du nom d'Huber, probablement un provocateur, s'élance à la tribune pour déclarer la dissolution de l'Assemblée nationale. Celle-ci se disperse alors, sans s'estimer pour autant dissoute. Tocqueville reste à sa place, trop curieux de l'événement, et assiste à la tentative des insurgés pour composer un nouveau gouvernement. Mais dehors un tambour bat la charge, et une colonne de gardes mobiles suivie par une colonne de gardes nationaux fait irruption dans la salle aux cris de « Vive l'Assemblée nationale ! ». En quelques minutes, ils chassent les insurgés et permettent aux députés de reprendre leur place. Lamartine revient alors. Pendant plus de deux heures, il a disparu. A-t-il été victime d'une défaillance comme le suggère Tocqueville ? De retour dans la salle à la tête d'un bataillon de la garde mobile, il est salué par des acclamations. « Il est vrai, écrit Tocqueville, que ce n'était pas lui seulement qu'on applaudissait, mais la victoire. » Aussitôt Lamartine désigne l'Hôtel de Ville comme lieu stratégique à occuper : selon le scénario habituel, n'est-ce pas là que les émeutiers voudront former leur contre-pouvoir ? Accompagné de Ledru-Rollin, escorté par une colonne de gardes nationaux et le régiment des dragons de la caserne d'Orsay, il arrive sur la place de l'Hôtel de Ville. Mais les chefs de l'insurrection - Barbes, Blanqui, Raspail... - sont déjà arrêtés. Lamartine et Ledru-Rollin sont portés en triomphe. La journée du 15 mai est l'occasion de l'élimination de l'extrême gauche, suivie par une politique de réaction. Certains en ont conclu qu'elle avait été un formidable piège tendu par la majorité modérée aux révolutionnaires24. Pas de preuves formelles, mais un faisceau de présomptions, à commencer par le rôle joué par Huber, dont on découvrira les accointances avec la police. Cette hypothèse d'une provocation savamment organisée reste cependant à démontrer. Quoi qu'il en soit, la réaction est en marche. Louis Blanc, héros malgré lui d'une journée qu'il n'a en rien préparée, est molesté par des gardes nationaux. Les honnêtes gens - comme l'écrit alors Ernest Renan - « ne demandent que mitraille et fusillade ». La répression est si rigoureuse que Lacordaire, représentant du peuple siégeant à gauche en habit de dominicain, démissionne le 18 mai, trop malheureux de devoir en assumer la violence : « J'arriverais mal à concilier dans ma personne les devoirs pacifiques de la vie religieuse avec les devoirs difficiles et sévères de représentant du peuple26. » Il quitte aussi la rédaction de L'Ère nouvelle, journal des catholiques libéraux, qu'il avait fondé au lendemain des journées de Février, aux fins de rallier les catholiques à la République ; il s'en explique dans une lettre « Aux lecteurs », publiée le 28 mai, par un aveu d'impuissance. Aux élections complémentaires des 4 et 5 juin, la droite - royalistes et « républicains du lendemain » (dont ThierS) - se renforce. Signe inquiétant pour les modérés : Louis Napoléon Bonaparte est élu en même temps que Pierre Leroux et Pierre-Joseph Proudhon. Lamartine, qui s'est toujours défié du bonapartisme, propose à l'Assemblée un décret d'expulsion du neveu de l'empereur. Mais divers incidents l'empêchent de convaincre ses collègues. Validé le 13 juin, Louis Napoléon Bonaparte démissionnera de lui-même quelques jours plus tard, avant de revenir en force. Dans cette affaire, Lamartine a pu mesurer le déclin de son crédit à l'Assemblée. Les journées de Juin le lui feront perdre définitivement. Après l'émotion du 15 mai, l'Assemblée - comme le ministre Marie et son successeur Trélat - est décidée à en finir avec la menace que représente la masse des chômeurs de plus en plus nombreux, auxquels les ateliers nationaux, ouverts à la hâte, à la suite de la proclamation du droit au travail décrété le 25 février par le gouvernement27, sont bien incapables de fournir un emploi. Désouvrés, montés par la propagande bonapartiste et socialiste, les ouvriers tiennent des réunions en plein air, sur les boulevards, où ils profèrent des cris inquiétants : « Nous l'aurons, la République démocratique et sociale », ou bien : « Nous l'aurons, Poléon ». Coûteux et dangereux, dans l'esprit de la majorité des députés, les ateliers nationaux doivent disparaître. Un projet est d'imposer aux ouvriers célibataires de 18 à 25 ans l'engagement dans l'armée. Lamartine préconise une autre idée : l'étatisation des compagnies de chemins de fer, auxquelles il a toujours été hostile, qui permettrait de leur offrir un emploi. Montalembert, soutenu par une majorité qui lui fait un triomphe, s'y oppose au nom du « droit de propriété [qui] est la base de toute société ». Les Comités des finances et du travail de l'Assemblée, sous l'influence des conservateurs, mettent en cause les projets gouvernementaux et veulent la fin des ateliers. Le comte de Falloux, royaliste, qui les anime, donne lecture de son rapport, dont le premier décret proposé est : « Les ateliers nationaux seront dissous dans les trois jours. » Lamartine se résigne alors à l'insurrection qu'il sent inévitable, qu'une partie de ses collègues appellent même de leurs voux pour éradiquer le danger révolutionnaire une bonne fois pour toutes à coups de canon. Si l'émeute est inéluctable, il est de son devoir, pensc-t-il, de protéger l'Assemblée et la République. Le 21 juin, la Commission executive arrête sans plus attendre l'enrôlement dans l'armée de tous les ouvriers des ateliers nationaux, de 17 à 25 ans ; les autres seront envoyés à des travaux de terrassement des Ponts et Chaussées dans les départements. Le 22, une délégation d'ouvriers auprès de Marie s'entend répondre : « Si les ouvriers ne veulent pas partir pour la province, nous les y contraindrons par la force... par la force, entendez-vous ? » Le 23, l'insurrection éclate dans les quartiers est de la capitale. Pendant trois jours, les ouvriers, armés, tiennent tête aux forces de l'ordre, com-nandées par le nouveau ministre de la Guerre, le général Cavaignac, 'errière une multitude de barricades. L'archevêque de Paris, Mgr Affre, entant de s'interposer entre les deux camps, est mortellement blessé dans a rue. Insurrection sans but politique (les chefs sont en prison ou en exil 'epuis le 15 maI), émeute de la faim, « guerre servile » comme on l'a répété, c'est-à-dire guerre d'esclaves. Lamartine ne quitte pas son poste, mais tous ses espoirs mis dans une République fraternelle sont définitivement anéantis. Il écrira dans ses Mémoires politiques qu'au cours de ces jours-là il a voulu mourir, « pour se décharger de l'odieuse responsabilité du sang qui allait peser si injustement, mais inévitablement sur lui ». Descendant de cheval, bravant tous les dangers pour se diriger vers une barricade, mais retenu par les gardes de l'Assemblée, il survit, effrayé, au massacre final d'une population ouvrière dont le désespoir l'a profondément ému (1 500 insurgés sont fusillés sans jugement, 25 000 arrêtéS). Mais il est désigné par les modérés, les conservateurs, ceux qui hier l'applaudissaient, comme responsable de ces journées sanglantes, faute de les avoir prévues, faute d'avoir disposé des troupes nécessaires pour les contenir. Injurié, calomnié, il est démis de ses fonctions, comme toute la Commission executive : l'Assemblée, le 24 juin, donne le pouvoir à Cavaignac. Lamartine disparaît alors des feux de la rampe. Il ne démissionne pas de son mandat de représentant du peuple, mais il ne jouera plus les premiers rôles. Avec son retrait (et celui de Ledru-RolliN), c'est tout l'esprit de 1848 qui s'évanouit - ces semaines d'illusion et d'espérance dans une réconciliation des classes, dans une République modérée mais soucieuse des plus humbles. La France paysanne, propriétaire, conservatrice, un moment troublée par les journées révolutionnaires, un moment conquise par les effusions fraternelles, les arbres de la liberté et les discours humanitaires, s'est ressaisie face au danger révolutionnaire. Devant les paysans, on a agité l'épouvantail des « partageux » ; devant les ouvriers de Paris insurgés, on a fait donner le canon. Bien des républicains sincères, « républicains de la veille » comme on les appelle, ont, dans cette affaire, à l'instar de Cavaignac, voulu défendre la République. Dans L'Éducation sentimentale, Flaubert a admirablement peint cette attitude à travers Dus-sardier, le commis, naïvement engagé du côté de la répression, par amour de la République28. Mais la majorité de l'Assemblée, au diapason sans doute de la majorité des Français (dès le 24 juin affluent sur Paris plUs de 100 000 gardes nationaux de tous les départementS), est prête à mener purement et simplement une politique de réaction - celle que Lamartine a voulu éviter, et dont il devient une des victimes les plus illustres. La France bourgeoise et paysanne, dont la force avait été révélée par le suffrage universel, avait destitué les rêveurs de 48. Lamennais, lui, décide de saborder son journal. Le Peuple constituant, dont le dernier numéro sort le 11 juillet, encadré de noir : « Le Peuple constituant a commencé avec la République, il finit avec la république ; car ce que nous voyons, ce n'est pas, certes, la république ; ce n'est même rien qui ait un nom. Paris en état de siège, livré au pouvoir militaire, livré lui-même à une faction qui en fait son instrument ; les cachots et les forts de Louis-Philippe encombrés de quatorze mille prisonniers, à la suite d'une affreuse boucherie organisée par des conspirateurs dynastiques, devenus, le lendemain tout-puissants [...] ; le peuple, décimé et refoulé dans sa misère, plus profonde qu'elle ne le fut jamais : non, encore une fois, non ! ce n'est pas la république, mais, autour de sa tombe sanglante, les saturnales de la réaction. » Contre le cautionnement de nouveau imposé aux journaux, il a cette formule restée célèbre : « Il faut aujourd'hui de l'or, beaucoup d'or pour avoir le droit de parler. Nous ne sommes pas assez riches. Silence aux pauvres ! » Ce dernier numéro est saisi ; le gérant, Veyron-Lacroix, poursuivi. Lamennais demande d'être jugé à sa place, mais en vain : la cour d'assises condamnera Veyron-Lacroix, le 26 octobre, à un mois de prison et à 500 francs d'amende. Hugo raconte dans Choses vues que Lamennais rencontrant, après les journées de Juin, son neveu Biaise, officier de la garde nationale, lui a crié : « Va-t'en ! tu me fais horreur, toi qui viens de tirer sur des pauvres ! » Sainte-Beuve, lui, qui depuis les journées de Février a conservé une prudence exemplaire, a préféré renoncer à l'impression du troisième tome de son Port-Royal le 26 juin : « de peur d'accident ». Le lendemain, il écrit en Angleterre, à Abraham Hayward - un ami universitaire auquel il n'a pas fait signe depuis 1844 -, pour tâter le terrain, voir s'il n'y aurait pas de l'autre côté de la Manche, à l'université de Londres ou à Oxford, ou à Edimbourg, « des ressources pour y vivre et y subsister honorablement en y professant en français sur la littérature anglaise. La situation de notre pauvre pays m'a dès longtemps suggéré cette pensée. J'ai songé à la Suisse française, mais elle est bien agitée elle-même ». La victoire des « honnêtes gens » ne l'a pas complètement rassuré. Le 28 juin, il se plaint dans une missive à Octave Lacroix des « purs brigands » de Juin, qui lui ont ôté toute « foi en l'humanité » : « Enfin nous voilà provisoirement sauvés : mais si un gouvernement ferme et capable ne sort pas de là et ne prend pas vigoureusement en main la cause de la France et des honnêtes gens, il n'y a plus qu'à quitter la ville maudite et à chercher ailleurs un abri. » La Constitution votée, la Seconde République procède à l'élection du président de la République, au suffrage universel, les 10 et 11 décembre 1848. Lamartine ne se berce pas d'illusions en présentant sa candidature ; du moins espère-t-il finir « en beauté ». Quand le verdict tombe, cruel, injuste (son nom rejeté à l'avant-dernière place obtient moins de 18 000 voiX), il est accueilli à l'Assemblée par des éclats de rire. Aux élections législatives des 13 et 14 mai 1849, il sera de nouveau battu. La défaite des républicains modérés est consommée ; ils ne se retrouvent plus qu'à 80 dans une Assemblée où la droite conservatrice est forte de 500 élus et la gauche montagnarde (les « démocs-socs »), de 180 sièges : « Les hommes de 1830, les ministres de la monarchie tombée, les hommes de 1815, les hommes même du Moyen Age, les partisans surannés, quoique jeunes, du gouvernement sacerdotal, les inventeurs de l'intervention antirépublicaine, antifrançaise, anti-italienne à Rome, vont se trouver en face des hommes surannés aussi de la Convention, du comité de salut public et de la postérité de Babeuf30 ! » La république du Centre, espérée par Lamartine, a vécu. Proudhon seul contre tous Un socialiste reste encore debout au lendemain des journées de Juin, Pierre-Joseph Proudhon La révolution de Février n'a provoqué chez lui aucun enthousiasme. Ce n'était pas la république qui répugnait à ce républicain de naissance, c'était l'idée, simpliste à ses yeux, qu'on puisse faire les réformes économiques nécessaires à partir d'une révolution politique. De là les flèches narquoises dans ses Carnets : « C'est une cohue d'avocats et d'écrivains, tous plus ignorants les uns que les autres, et qui vont se disputer le pouvoir. Je n'ai rien à faire là-dedans... » - « Les Lamartine, les Quinet, Michelet, Considérant, les Montagnards, etc., etc., tout le mysticisme, le robespierrisme, et le chauvinisme sont au pouvoir : on a fait une révolution sans idée ! !... » - « La nation française est une nation de comédiens... La blagologie commence... » Mais, dans les jours qui suivent, Proudhon se laisse gagner par le mouvement général, déclarant ne pas vouloir se séparer de ses « frères ». Dès le 24 février, il se rend aux bureaux de La Réforme pour se mettre à la disposition de Flocon ; c'est lui, en tant qu'ancien typographe, qui est chargé d'imprimer une première affiche révolutionnaire : « Citoyens, Louis-Philippe vous fait assassiner comme Charles X ; qu 'il aille rejoindre Charles X ! » Prêtant la main à la construction d'une barricade, il apprend bientôt la fuite du roi : « Dès lors, on n'avait que faire de moi ; je rentrai dans ma mansarde, et me mis à réfléchir sur la Révolution. » Une des premières mesures du Gouvernement provisoire, l'instauration du suffrage universel, le laisse de marbre. Révolution sociale d'abord ! Il travaille donc à la définir dans son nouvel ouvrage, la Solution du problème social. La réflexion de Proudhon tombe dans le vide : on n'a pas le temps de lire. Mais il est sollicité, entraîné à faire acte de candidature aux élections. Le voici membre du club central révolutionnaire, aux côtés de Barbes. Affligeant ! Il emploie le mot : affligeant, risible, effrayant, en écoutant les clubistes, « le conseil émis par Barbes de créer la Dictature ». Dans cette révolution, il déteste l'incapacité des dirigeants à formuler une pensée économique claire, à être portés par « la lecture des historiens romanciers de la Révolution ». Il confie à ses Carnets sa réprobation : « La république, je vous le répète, c'est le travail, l'atelier, le comptoir, le débouché, le ménage, les choses du monde les plus prosaïques, et qui prêtent le moins à l'énergie révolutionnaire et aux grandes paroles. Les représentants de la république ne sont pas, pour la plupart, de ce monde : on les prendrait pour une seconde incarnation de la race de 93.» Que veut-il ? D'abord une réforme du crédit, par la création d'une banque d'échange assurant la gratuité du crédit. Il en explique le détail dans son ouvrage qui a laissé tout le monde indifférent, mais Proudhon a de la constance, il avancera dans la Révolution avec son idée bien ancrée dans la tête - une idée qui lui fait une place très originale, très isolée. Jusqu'au bout il restera l'inclassable, mais sans jamais perdre de vue la solidarité avec ses « frères », les prolétaires. Le 27 février, il lance un nouveau journal, Le Représentant du peuple, dont le titre est encadré par deux devises dignes de l'abbé Sieyès : Qu'est-ce que le producteur ? Rien. Que doit-il être ? Tout. Qu'est-ce que le capitaliste ? Tout. Que doit-il être ? Rien. Immédiatement, il prévoit l'échec de la révolution sociale et juge que le suffrage universel est la contre-révolution. Pourquoi ? Parce que les électeurs voteront pour les gens « instruits », pour les « maîtres », pour les « bourgeois ». Lui-même candidat sur des listes de plusieurs départements, notamment à Paris et à Besançon, il fait une profession de foi qui risque d'inquiéter: «Il est dans ma nature de toujours contredire à l'autorité. J'ai pour les ecclésiastiques, comme pour les fonctionnaires publics, en général beaucoup d'estime ; mais j'ai toujours été rebelle à l'Église comme au gouvernement. » Malgré son échec aux élections d'avril, peu à peu, ses articles souvent retentissants du Représentant du peuple cimentent sa notoriété. En particulier ses brûlots contre la « mystification du suffrage universel ». Et de revenir à son dada : qu'on organise l'échange, le crédit, la circulation entre les travailleurs ! Le 10 mai, son journal imprime in extenso un Projet de constitution de banque d'échange. Malgré quelques formules appelées à la célébrité, c'est un texte interminable, en 80 articles, bien peu fait pour être lu. Mais, se payant d'audace, Proudhon soutient quelques jours plus tard qu'une série de personnalités, dont il cite les noms, ont adhéré à son projet et accepté de faire partie d'un Comité d'études... Ce bluff provoque un tollé général ! Mais Proudhon commence à attirer l'attention, ses polémiques redoublent, on ne sait trop de quel bois il se chauffe. L'extrême gauche l'adopte malgré tout. Lors de la journée du 15 mai, au moment où les insurgés fabriquent des listes du gouvernement à instaurer, son nom figure systématiquement à côté des noms de Louis Blanc, Armand Barbes, Pierre Leroux... Pour la droite, il reste le « communiste », l'ennemi de la propriété, un homme dangereux. Cette notoriété fraîchement acquise lui vaut d'être élu à Paris aux élections complémentaires de juin. Ce succès lui procure un avantage inattendu : le propriétaire de l'hôtel de la Côle-d'Or, où il loge rue Mazarine, apprenant son élection, le prie d'échanger sa mansarde, indigne d'un représentant du peuple, contre une grande chambre au premier étage. Le 13 juin, il fait son entrée à l'Assemblée, sous les murmures et les regards de ses collègues : « On s'étonne presque que je n'aie ni cornes, ni griffes. La terreur que je cause dans certains départements est vraiment ridicule. » Son premier vote ne surprend personne : il s'oppose à la validation de l'élection de Louis Napoléon Bonaparte, élu en même temps que lui. Inscrit à la Commission des finances, il se demande : « Qu'est-ce que je vais devenir au milieu de tous ces crétins ? » Les journées de Juin vont le marginaliser encore. Proudhon ne peut approuver l'insurrection ouvrière, mais il en rend responsable « le mauvais vouloir de l'Assemblée ». Découvrant le champ de bataille, il admire « le courage indomptable des insurgés ». Consignant ses observations dans ses Carnets, il note, le 25 juin : « Ce qui consterne, c'est de voir les bourgeois de l'Assemblée nationale ne s'occuper que d'une chose, d'EN finir ! Comme si on pouvait en finir !... » L'insurrection écrasée, Proudhon est plus suspect que jamais dans les colonnes de la presse déchaînée et aux yeux de ses collègues. Le 28 juin, l'Assemblée nationale adopte une proclamation, où se trouvent flétries « les doctrines sauvages de ceux pour qui la famille n 'est qu'un mot, et la propriété un vol... ». Les députés se lèvent pour voter la proclamation ; seul Proudhon reste assis. Le 6 juillet, dans un contexte de réaction hystérique, il prend la défense des insurges dans son journal « contre les calomnies de la réaction ». Cette révolte, écrit-il en substance, a été un « accident de la misère », « un éclat du désespoir », et demande que le décret de déportation soit révoqué. Mais Le Représentant du peuple est suspendu quelques jours plus tard pour un article intitulé « Le 15 juillet » : « Le terme ! Voici le terme ! Comment allons-nous payer le terme ?... » Depuis cinq mois nous ne faisons rien : nous n'avons rien reçu, rien livré, rien vendu ! L'industrie est à bas ! Le crédit à bas ! Le travail à bas !... » Plus d'ouvrage, plus d'argent, plus de ressources ! Le terme est échu ; les tailles sont pleines ; les couverts d'argent, les bijoux des femmes, la montre du mari, le plus beau du linge, tout est au Mont-de-Piété ! Comment pourrions-nous encore payer le terme ! Comment ferons-nous pour vivre ?... » Proudhon engage ses lecteurs à présenter une pétition à l'Assemblée nationale, afin de décréter une remise pendant trois ans d'un tiers de toutes les dettes, loyers ou fermages... Proudhon n'a pas encore reçu le coup de grâce. On le lui prépare à l'Assemblée, pour le 31 juillet. Cavaignac ayant suspendu Le Représentant du peuple, Proudhon contre-attaque à l'Assemblée en déposant une proposition de loi relative à son projet de banque d'échange. Le projet est examiné avec soin au Comité des finances, Thiers se charge du rapport. C'est pour lui une belle occasion de se poser, face au symbole du « communisme », comme un chef du parti conservateur. Il s'efforce donc en séance plénière, le 26 juillet, de démonter le projet, de le réfuter ligne à ligne, en sommant son auteur de venir à la tribune défendre l'indéfendable. La mise à mort est soigneusement manigancée. Proudhon ne peut se dérober : il monte à la tribune le 31 juillet ; la salle est pleine. Victor Hugo le décrit dans ses Choses vues sans sympathie : « On voit paraître à la tribune un homme d'environ quarante-cinq ans, blond, avec peu de cheveux et beaucoup de favoris. Il était vêtu d'un gilet noir et d'une redingote noire. Il ne parla pas, il lut. Il tenait ses deux mains crispées sur le velours rouge de la tribune, son manuscrit entre elles. Il avait un son de voix vulgaire, une prononciation commune et enrouée, et des besicles. Le début fut écouté avec anxiété ; puis l'assemblée éclata en rires et en murmures ; enfin chacun se mit à causer. La salle se vida et l'orateur termina au milieu de l'inattention le discours commencé au milieu d'une sorte de terreur. Proudhon n'était ni sans talent ni sans puissance. Cependant, il plia visiblement sous l'insuccès et n'eut rien de l'effronterie sublime des grands novateurs32. » De fait, Proudhon, piètre comédien, est le pire des tribuns. Le début, Hugo le souligne, retient l'attention de son auditoire : « Citoyens représentants, vous êtes impatients, non pas de m'entendre, mais d'en finir. » Le socialisme, depuis vingt ans, agite le peuple. » Le socialisme a fait la Révolution de Février : vos querelles parlementaires n'auraient pas ébranlé les masses. » Pendant trois heures, Proudhon s'emploie à défendre son projet devant une assemblée de plus en plus impatiente, arrogante, ironique, hilare, feignant l'indignation, appelant à l'ordre... Proudhon s'explique sur sa fameuse formule, « la propriété, c'est le vol » : « Par abolition de la propriété, je n'entends et n'ai jamais entendu autre chose que l'abolition progressive, aussi ménagée qu'on voudra, et par voie de libre concurrence, des revenus des capitaux, mais sans expropriation et sans la moindre tendance communiste. » En vain : il fait peur, il est odieux, il est indigne. On lui demande comment il entend le nous et le vous qu'il emploie. La réponse, cette fois, est fulgurante : « Lorsque j'ai employé les deux pronoms vous et nous, il est évident que, dans ce moment-là, je m'identifiais, moi, avec le prolétariat, et que je vous identifiais, vous, avec la classe bourgeoise. » A la fin, le ministre de l'Intérieur, Sénard, voulant exprimer l'indignation générale, propose de voter un blâme solennel. Ce sera un ordre du jour motivé : « L'Assemblée nationale, » Considérant que la proposition du citoyen Proudhon est une atteinte odieuse aux principes de la morale publique, qu'elle viole la propriété, qu'elle encourage la délation ; qu'elle fait appel aux plus mauvaises passions ; » Considérant en outre que l'orateur a calomnié la révolution de février 1848, en prétendant la rendre complice des théories qu'il a développées, » Passe à l'ordre du jour33. » Cet ordre du jour est voté par 691 voix contre 2, celles de Proudhon et de Greppo, un ouvrier lyonnais. Une partie de la gauche s'est absentée, mais Louis Blanc vote l'ordre du jour. Proudhon écrira à ce sujet : « Les socialistes lui en ont fait reproche : ils ont eu tort. Son vote fut le plus consciencieux de l'Assemblée. Louis Blanc représente le socialisme gouvernemental, la révolution par le pouvoir, comme je représente le socialisme démocratique, la révolution par le peuple. Un abîme existe entre nous. » Proudhon est devenu définitivement « un monstre », un danger public, après cette séance du 31 juillet. La presse n'a que sarcasmes à son endroit. Une estampe représente Thiers en saint Michel terrassant le dragon. Pourtant, le discours de Proudhon a ému au-delà des frontières. Le Russe Herzen le diffuse auprès de ses amis. Quant à Marx, désormais son adversaire, il se souviendra de cette séance en écrivant son article nécrologique de 1865 : « Opposé à Thiers, écrira-t-il, Proudhon prit les proportions d'un colosse antédiluvien. » Malgré toutes les avanies dont il est l'objet, Proudhon ne se décourage pas, proteste contre les mesures prises contre la liberté de la presse et la liberté de réunion. Le gouvernement de Cavaignac croit bon, on l'a vu, de rétablir le cautionnement pour les journaux. Dans Le Représentant du peuple, qui a reparu, il continue son combat par des articles parfois retentissants. Traité en bouc émissaire par la réaction, il reçoit successivement deux lettres d'un jeune poète, dénommé Charles Baudelaire, qui lui explique qu'on veut l'assassiner - « un complot réel ». Celui-ci, qui a fait le coup de feu en février et en juin, qui admire sincèrement Proudhon, lui conseille la vigilance35. Proudhon finit par rencontrer Baudelaire, qui se présente comme un « ami passionné et inconnu ». Le Représentant du peuple cependant est définitivement suspendu le 21 août 1848. N'importe ! Proudhon publie une nouvelle feuille, Le Peuple, qui vivra neuf mois. Le 28 mars 1849, il est condamné par les assises de la Seine à 3 ans de prison et à 3 000 francs d'amende. Arrêté et emprisonné en juin 1849, c'est à la prison Sainte-Pélagie qu'il épouse, à quarante et un ans, une ouvrière parisienne, Euphrasie Piégeard. Il écrira à son ami Tissot, le 28 octobre 1851 : « J'ai fait ce mariage avec préméditation, sans passion, pour être à mon tour père de famille, vivre ma vie tout entière, et conserver auprès de moi, dans le tourbillon où je me trouve lancé, une image de la simplicité et de la modestie maternelles. » La prison n'endort pas Proudhon. Dès le 1er octobre 1849, il lance un nouveau quotidien, La Voix du peuple, grâce à l'aide financière de Her-zen, aristocrate et révolutionnaire russe empli d'admiration pour lui. Jusqu'au dernier numéro (14 mai 1850), Proudhon écrit, polémique, vitupère, ironise, vaticine, analyse, provoque, insulte - à ses risques et périls : l'administration a beau être libérale, il y a des limites ! Proudhon en subira les conséquences : de Sainte-Pélagie, il est mis au secret à la Conciergerie, puis enfermé à la forteresse de Doullens, avant de revenir à Sainte-Pélagie après un acquittement. Entre-temps, au début de novembre 1849, il fait paraître ses Confessions d'un révolutionnaire. Dans ce plaidoyerpro dotno, l'auteur entend démontrer que lui seul a eu raison contre tous. Au scandale de ses lecteurs de la « Montagne » (l'extrême gauchE), il réserve ses coups les plus durs aux « jacobins », aux « démocs-socs » - ses bêtes noires. Pour lui, « le dernier mot du Socialisme » est liberté - une liberté confondue avec le « non-gouvernement », avec « l'anarchie ». « Le socialisme, tel que je le professe, est le contre-pied du socialisme de Louis Blanc. » Blanc, exilé à Londres, incarne à ses yeux le « socialisme gouvernemental », « la révolution par le pouvoir », tandis que lui, Proudhon, représente le « socialisme démocratique, la révolution par le peuple ». Ces attaques sont renouvelées dans La Voix du peuple contre Louis Blanc, « singe de Robespierre ». Louis Blanc réplique dans Le Nouveau Monde - son mensuel qui paraît à Paris depuis le 15 juillet 1849. Pierre Leroux s'en mêle, dans La République. Celui-ci, traité par Proudhon, en raison de ses positions religieuses, de « pauvre théoglosse, théomine, théopompe, théomane, théo-logastre », sait garder le sens du dialogue et élever le débat. Mais non Louis Blanc, qui traite Proudhon de « polichinelle » et en fait un jouet de la réaction. Parallèlement, de novembre 1849 à février 1850, Proudhon croise le fer avec l'économiste Frédéric Bastiat36, député, républicain modéré, sur la question de l'intérêt, à propos de son propre projet de banque du peuple. Dans ces articles alternés de La Voix du peuple, qui accueille la controverse, Bastiat tient la dragée haute au dialecticien matois : Proudhon révisera dans ses ouvrages postérieurs quelques-unes de ses idées au chapitre de la banque. En attendant, Proudhon, jamais en panne de formule, saisit l'occasion de cette triple polémique pour dénoncer la « trilogie » de la réaction : Bastiat, le Capital; Blanc, «l'idée gouvernementale», et Leroux, le symbole du « principe religieux » : Dieu, l'État, le Capital, infernale triade de l'absolutisme, auquel Proudhon oppose sa négation de l'Autorité, véritable fondement du Socialisme et de la Révolution. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.