Essais littéraire |
1. Élans et affrontements Richelieu, Descartes, Corneille, Saint-Cyran, Surin, les grands hommes de cette époque sont des militants engagés dans une lutte pour la maîtrise politique, scientifique, psychique, exaltés par l'idéal qu'ils construisent. Outre les conflits qui peuvent les opposer (Richelieu finit par emprisonner Saint-CyraN), chacun, dans son domaine, suscite des résistances qui conduisent à de violents affrontements, surtout sur le plan de la politique, la forme la plus visible du pouvoir. Richelieu s'est donné pour but « le bien public et le salut de l'État » par le centralisme (1626). Il se heurte aux révoltes des protestants (1626-1629) et des Grands, soutenus par la mère et le frère du Roi : Chalais (1626), Montmorency (1632), Soissons (1636 et 1641), Cinq-Mars (1642). Il doit affronter l'impérialisme des Habsbourgs et du coup le parti dévot, qui veut un front commun des puissances catholiques, et les paysans écrasés par les impôts nécessaires à la guerre : les tailles passent de 17 millions en 1610 à 43 en 1649 (révolte des Croquants de Gascogne, 1636-1637, des Va-nu-pieds de Normandie, 1639). Loin de réduire l'ardeur, ces affrontements la galvanisent chez les constructeurs et même chez les opposants, encore pleins d'espoir. Telle est la raison de l'énergie, de l'optimisme, de la discipline d'une époque militante dont la pensée et la littérature sont dominées par un humanisme « généreux » et une dramaturgie héroïque. 2. Énergie : la volonté ; les passions La politique militante de Richelieu « requiert une vertu mâle et une fermeté inébranlable » (1642), tout comme la pensée conquérante de Descartes ou l'engagement religieux de Saint-Cyran, qui était « plein de feu et de vigueur » (ArnaulD). Toutes les grandes figures de ce temps pensent qu'« il faut avoir une vertu mâle et faire toutes choses par raison » (Richelieu, 1642). La vertu n'est plus celle du sage ni du mystique, tous deux retirés du monde, mais celle du militant. « Il faut qu'elle travaille à l'acquisition des vertus actives et nécessaires au monde. Il faut qu'elle opère la félicité de l'État, et non pas le simple contentement de l'esprit. » « Dieu [...] ne nous sauve pas sans nous [...]. Il veut [...] que nous soyions les artisans de la besogne dont il est l'entrepreneur » (Balzac, 1631). « Le commencement de tout péché [...] c'est la paresse et la lâcheté » (Renty, 1640). « Il est [...] nécessaire d'avoir en soi le principe de sa grandeur » (BalzaC). Nous le trouverons dans notre énergie. Celle de la volonté, « tellement libre que Dieu même ne la voudrait contraindre » (Hay-neufve, 1639), « libre arbitre > qui « nous rend en quelque façon pareils à Dieu et semble nous exempter de lui être sujets » (Descartes, 20 novembre 1647), puisqu'il nous fait maîtres de nous-mêmes et de l'univers d'ici-bas. Mais aussi l'énergie des passions : « l'inclination naturelle que nous avons au souverain bien est le principe de nos passions », dont « l'amour-propre ne saurait être l'origine ». A condition de maintenir « la souveraineté de la raison sur les passions », leur « puissance motrice » fait « les grandes vertus et les hommes extraordinaires » (Le Moyne, 1640) caractérisés par « cette vertu héroïque qui se sert des excès et de la grandeur des passions » (Balzac, 25 février 1624). La vertu n'est pas « autre chose qu'[...] une passion modérée par la raison » (Cureau de La Chambre, 1645). Senault commence son traité De /'usage des passions (seize éditions de 1641 à 1669) par une « apologie des passions contre les Stoïques ». Cènes, « les passions sont les semences des vices » chez ceux qui s'y abandonnent, mais « il n'y en a point de si méprisable qu'on ne puisse changer en une glorieuse vertu ». Elles « sont toutes bonnes de leur nature et nous n'avons rien à éviter que leurs mauvais usages ou leur excès» (Descartes, 1649, 211). Or tout homme peut «acquérir un pouvoir absolu sur ses passions » (ib., 50), qui font alors « toute la douceur et la félicité de cette vie » (mars 1648). Il y en a même quelques-unes « que j'estime d'autant meilleures qu'elles sont plus excessives » (1" avril 1648). L'héroïsme cornélien n'a pas pour principe un devoir imposé, mais l'élan passionnel de la générosité. Il respecte même les passions qu'il refuse : la vertu les « dompte » sans les « affaiblir » et leur « laisse toute leur force pour en triompher plus glorieusement » (Corneille, Examen du CiD). 3. Humanisme Ces militants ont une vigoureuse confiance dans les capacités de l'homme. Science, politique et religion affirment que valeur et bonheur sont au bout de l'action. Descartes pose comme « premier principe de la philosophie » (1637, IV), notre capacité fondatrice : la pensée. « Cogito, ergo sum, « je pense, donc je suis ». Il a le « projet d'une science universelle qui puisse élever notre nature à son plus haut degré de perfection » (mars 1636) et nous rendre maîtres de l'univers et de nous-mêmes. « Laissons donc ces lâches, pensées de la misère de l'homme ; faisons voir les excellences de sa nature » (Yves de Paris, 1635). Malgré le péché, elle « aime toujours le bien et haïra le mal éternellement » (Senault, 1641). « La raison naturelle [...] est voisine et sour germaine de la Foi surnaturelle » (Léon de Saint-Jean 1643) et il n'y a « aucun doute que nous ne puissions véritablement aimer Dieu par la seule force de notre nature » (Descartes, 1 février 1647), quoique cela ne suffise point. Notre salut est donc certain. Le Traite' de la perfection du chrétien, rédigé d'après les notes de Richelieu, comporte un chapitre « de la facilité qu'il y a à se sauver et de la difficulté qu'il y a à se damner ». Pour lui, pas de contradiction entre la vie spirituelle et l'action en ce monde. Au contraire : « un désir [...] d'honneur et de gloire [...] produit les mêmes effets que le zèle causé par le pur amour de Dieu » (TestamenT). Son adversaire Saint-Cyran, dont les disciples seront antihumanistes, condamne le monde et insiste sur nos mauvais penchants. Mais son rationalisme et son volontarisme témoignent d'une grande confiance pratique dans les capacités humaines. L'humanisme chrétien triomphe ; le mysticisme recule et devient suspect ; quand il se maintient, il se fait lui aussi énergie militante, par exemple chez le P. Surin, chantre des « âmes généreuses qui vainquent leur amour propre ». Camus avertit les lecteurs de sa Théologie mystique (1640) que contrairement à la plupart de ses prédécesseurs il ne parlera pas « de la contemplation passive », mais « de l'active », * généreuse entreprise [...] en laquelle les facultés de l'âme s'exercent et coopèrent à la grâce ». De Richelieu à Vincent de Paul et à la Compagnie du Saint-Sacrement, les chrétiens s'engagent dans l'action. « Il n'y a rien de plus généreux, qui contente davantage les inclinations altières de notre nature et les grands desseins de la charité que de sacrifier nos forces et nos industries pour un bien public » (le P. Yves de Paris, 1641). 4. La générosité ; l'admiration ; l'amour Ce n'est plus le moment d'avoir « un sot mépris de soi-même » (BalzaC). Pour Richelieu, Corneille, Descartes, pour le mystique Surin, pour Le Maître, futur solitaire de Port-Royal, pour Saint-Cyran et Sin-glin, « généreux athlètes de Jésus » (JanséniuS), notre principe psychique est ou doit être la générosité, vigueur physique et morale. Au théâtre, la fréquence de « généreux », faible et inférieure à celle de « constant » jusqu'en 1634, s'élève soudain : 12 fois en moyenne chez Du Ryer de 1634 à 1653, 16 chez Scudéry de 1636 à 1643, 15 chez Corneille, du Cid à Pompée. Corneille réserve aux seuls gentilhommes Cette haute vertu dont le ciel et le sang Enflent toujours les cours de ceux de notre rang Leur géne'rosite' soumet tout à leur gloire. (Pompee, 275-276 et 373) Au contraire, Descartes, qui y voit « la clef de toutes les autres vertus », pense qu'elle « peut être acquise » (1649, art. 151). Cette époque héroïque voudrait réaliser l'extraordinaire et susciter l'étonnement - qu'on appelle alors l'admiration. Descartes, qui dès 1619 croit avoir trouvé « les fondements d'une science admirable », dira en 1649 « que l'admiration est la première de toutes les passions » (53). C'est elle que suscite Richelieu jusque chez ses ennemis tandis que Corneille veut en faire, au-delà du bien et du mal, le ressort d'une nouvelle dramaturgie. « La fermeté des grands cours, qui n'excite que de l'admiration dans l'âme du spectateur, est quelquefois aussi agréable que la compassion que notre art nous ordonne d'y produire par la représentation de leurs malheurs » (Examen de NicomèdE). Les comédies de Corneille ont encore quelques touches d'éro-tisme, de même que la Sylvie de Mairet dont Les galanteries du duc d'Ossone sont assez gaillardes. Mais, de façon générale, la censure morale triomphe dès le milieu des années trente. L'amour aussi recule, malgré la bienveillance des moralistes pour les passions : les rapports essentiels ne sont plus d'adhésion affective ou spirituelle mais d'analyse rationnelle et de domination volontaire. Les dramaturges d'opposition lui accordent souvent la première place car il manifeste la libre spontanéité contre les centralismes. Dans Sylvie, Sophonisbe, Lucrèce, Antigone, etc., il incarne la résistance à la tyrannie. Au contraire, Corneille le subordonne à la raison, à la volonté, au devoir d'état. « L'amour [...] doit être toujours volontaire », « l'effet de notre choix » et du « mérite » de l'autre et non « d'une affection aveugle » (déd. de La Place Royale, 1634 ; cf. v. 206-224). S'il s'affirme, l'amour devient pulsion contraire à la raison, égoïsme opposé au nécessaire dévouement, concupiscence ennemie de Dieu. Il doit au besoin être détruit, comme Camille dans Horace. La femme, figure idéale chez d'Urfé devient criminelle ou tentatrice : Médée, Camille, Emilie, Pauline. Les dramaturges d'opposition y voient au contraire la victime de la tyrannie : Lucrèce, Esther, Marianne, Antigone... On passe du temps d'Astrée, de l'utopie pastorale et de l'amour, au temps de Rodrigue, de la tragédie héroïque et de la politique. Au demeurant, l'amour triomphe dans la littérature mondaine, mais affadi en galanterie. |
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