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Le procès de la condition humaine






Le tourment de l'absolu



Lors du procès que lui intente la société, Julien Sorel la met elle-même en accusation. Anicet, le personnage et double d'Aragon, jugé pour meurtre, fait, lui, « le procès de la vie » (Anicet, 1921). De sociale, la révolte devient métaphysique. Telle est la forme que prend alors le nouveau romantisme : au nom d'une exigence d'absolu que la vie ne peut satisfaire, l'on accuse ou l'on ridiculise l'existence.

Dada puis les surréalistes portent à son paroxysme cette protestation contre la condition humaine. Anicet se présente comme un roman d'apprentissage, où le héros, poursuivant un idéal sous le nom de Mirabelle, incarnation de la « Beauté moderne », ne retire de son aventure qu'amertume et désillusion. Quant à Breton, dans « La Confession dédaigneuse » (1924), il s'insurge contre « les conditions dérisoires ici-bas. de toute existence25 ». C'est pourquoi l'on se demande dans La Révolution surréaliste (n° 2, janvier 1925) si le suicide est une « solution ».

Dada, avec son sens de l'ambiguïté et son attitude de doute systématique, se moque de l'absolu, dont il est avide pourtant. L'ouvre de Ribe-mont-Dessaignes témoigne de cet état d'esprit. Lorsque dans une pièce de 1931, Faust, il identifie le mouvement Dada à Faust lui-même, il veut montrer que la furieuse négation dadaïste est l'autre face d'une exigence d'absolu :



Nous avons tapé sur la gueule de Dieu, Et nous avons cherché Dieu.



Comme tous les dadaïstes, il affecte de parler de l'amour avec cynisme et grossièreté, en le réduisant à quelques contorsions burlesques. Le sarcasme cache cependant une attente. Le héros de Monsieur Jean ou l'Amour absolu (1934), traversant la vie comme un grand couloir sombre qui le remplit de dégoût, espère, en vain, une sorte d'illumination, de délivrance, grâce à une femme.



Les surréalistes rêvent de surmonter cette misère de la condition humaine, de rétablir l'homme dans sa splendeur originelle. La recherche de i'« amour fou » répond à cette nostalgie de la plénitude et de l'unité. D'où de nombreux récits, plus ou moins proches de l'« orthodoxie » surréaliste, fondés à la fois sur le schéma de la quête et sur celui de l'initiation. En témoignent la délirante fantaisie avec laquelle Desnos, dans La Liberté ou l'Amour ! (1927). conte les aventures de Corsaire Sanglot, le lyrisme tumultueux et frénétique de Leiris dans Aurora (écrit en 1927-28). Dans ces récits où le romantisme le plus flamboyant s'allie au goût moderne, c'est bien d'un refus de la condition humaine qu'il s'agit.

Au château d'Argol (1938) de Julien Gracq, que lui-même définit dans un « avis au lecteur » comme une « version démoniaque » de Parsifal, s'inscrit dans la tradition du roman « noir ». C'est en effet à travers la violence et le mal que le héros, seul avec deux amis dans son château entre mer et forêt, tente d'atteindre, nouveau Faust autant que nouveau Parsifal, l'absolu de la connaissance et de l'amour, au prix d'une catastrophe purificatrice : Albert finira par tuer son ami Herminien. qui est aussi son double criminel.

L'érotisme des surréalistes est toujours une manière de forcer les limites de la condition humaine. Le culte qu'ils rendent à Sade signifie que pour eux le mal a valeur de révolte. Avec Georges Bataille, qui fut lié aux surréalistes jusqu'en 1929. c'est par l'obsession de la souillure que s'expriment le dégoût de la condition humaine et la recherche de l'absolu. Il cultive l'obscénité et le paroxysme (Histoire de l'oil, 1928 ; Madame Edwarda, écrit en 1937). Le titre du Bleu du ciel (écrit en 1935) dit bien quelle nostalgie « céleste » se cache derrière cette frénésie du mal.

Même dans Le Chiendent (1933) - le premier roman rédigé par Queneau après sa rupture avec les surréalistes -, les péripéties rocambo-lesques, le sens du dérisoire et du grotesque ne masquent pas ce regret de l'absolu, symbolisé par l'énigmatique porte bleue, qui ne s'ouvre sur rien sans doute mais qui fait rêver les héros ou plutôt les anti-héros, d'ailleurs velléitaires et faibles comme tant de personnages de l'époque.

Le « procès de la vie » n'est pas le fait des seuls surréalistes. Il est une des manifestations les plus fréquentes du romantisme contemporain. On se plaît à opposer une certaine pureté, l'intransigeance de la jeunesse, à la déchéance du monde adulte. Nous avons déjà vu que. pour Montherlant par-exemple, les enfants ou les adolescents sont au zénith de leur vie : c'est en eux que se fait jour la noblesse de l'homme (La Relève du matin. 1920).

Les lendemains de la guerre voient paraître de nombreux romans consacrés à l'adolescence, où fugues, suicides, ruptures, traduisent la désillusion et la révolte devant les insuffisances de la vie (Ribemonl-Des-saignes. Adolescence, 1930 ; Marc Chadourne. Cécile de La Folie, prix Fémina 1930). Les adolescents des Faux-Monnayeurs sont représentatifs à leur manière de ce « nouveau mal du siècle » que Gide observe chez ses cadets avec sympathie mais aussi quelque ironie.

Chez Alexandre Vialatte, ce romantisme se moque de lui-même : c'est avec un humour tendre et narquois, imprégné de poésie, que le narrateur conte les amours parfois tragiques de ses adolescents (Battling le Ténébreux, 1928). Tragique, poésie et désinvolture s'associent chez Cocteau dans Le Grand Écart (1923), histoire d'une décevante éducation sentimentaie ou dans Les Enfants terribles (1929). Dans ce récit, le goût de l'absolu, l'intransigeance conduisent Elisabeth, enfermée avec son frère dans le monde secret de la « chambre », à fuir la réalité dans une sorte de rêve éveillé d'abord, puis dans la mort. Quant au personnage de Dargelos, le lanceur de boules de neige, il reste le symbole de la Beauté inaccessible et funeste. Quoique lié aux fantasmes les plus personnels de l'auteur, ce livre a pu être reconnu par la jeunesse de l'époque comme l'une des expressions les plus fortes de son mal de vivre.

Au théâtre, ce romantisme de la jeunesse et de l'absolu se fait cinglant, outrancicr et cynique avec Steve Passeur et ses drames où des personnages violents sacrifient le bonheur accessible à un rêve d'impossible (Les Tricheurs. 1932 ; Je vivrai un grand amour. 1935). Dans une atmosphère au contraire feutrée et mélancolique, les héros désenchantés de Jean Sarment souffrent de leur impuissance à réaliser leurs rêves (La Couronne de carton. 1920 ; Je suis trop grand pour moi, 1924).

L'ouvre de Jean Anouilh repose sur ce conflit entre l'exigence de pureté et la médiocrité du réel, mais en lui donnant les couleurs de la révolte. Dès ses premiers drames, comme L'Hermine (1932) ou La Sauvage (1938), des jeunes filles intransigeantes refusent le bonheur humain parce qu'elles ne consentent pas à pactiser avec la vie. De même, le héros du Voyageur sans bagage (1937) rejette son passé d'être médiocre et cruel lorsqu'il retrouve la mémoire. Seule la fantaisie du dénouement lui permet d'échapper à la condition humaine en choisissant une autre identité. Tout en faisant la satire du monde bourgeois. Anouilh jette un regard désolé sur la misère de l'homme.



On pourrait en dire autant d'Armand Salacrou. Le personnage-type de ses premières pièces (Le Casseur d'assiettes, 1923 ; Patchouli, 1930) est le Jeune Homme, à la recherche d'un absolu qui pourrait s'appeler Dieu29. Dans L'Inconnue d'Arras (1935) le héros, qui vient de se tuer, revoit toute sa vie avant de mourir. Parmi ce bric-à-brac de souvenirs qui refont surface, l'un prend une importance particulière : celui de sa brève rencontre dans Arras en ruine avec une « inconnue » qu'il n'a jamais retrouvée. C'est le symbole même de son insatisfaction. Le lot de tous les héros de Salacrou est de ressentir « l'humiliation de n'être qu'un homme'0 ».

La terre est ronde (1938) évoque la Florence de la fin du xvc siècle sous la tyrannie de Savonarole. Les spectateurs de l'époque, préoccupés par les problèmes de l'actualité, y ont vu une allusion satirique au fascisme italien. Pourtant le drame est essentiellement métaphysique : c'est celui de l'échec de Savonarole. c'est-à-dire de l'échec de la pureté.

Lorsque Daniel-Rops analyse le « nouveau mal du siècle » dans Notre Inquiétude (1926), il met en relief la dimension spirituelle de cette crise qui affecte les générations nouvelles. Il parle d'une « inquiétude » qui n'est plus exactement celle prônée antérieurement par Gide". Il ne s'agit plus de désir, de disponibilité, mais d'une angoisse métaphysique. L'« inquiet » est souvent un homme tourmenté par le besoin de Dieu, ou du moins par le vide que laisse la « mort de Dieu ».

Pour définir ce qu'il nomme le « nouveau mal du siècle ». Marcel Arland évoque le désarroi dû à l'absence de Dieu. « éternel tourment des hommes32 ». Ce tourment est celui de l'absolu, symbolisé aussi par l'étoile Antarès dans le récit qui porte ce titre en 1932. Dans un des textes de La Route obscure (1924). l'auteur, comme Camus avec Caligula, fait de l'empereur Héliogabale un homme révolté contre la condition humaine, entraîné à la folie de la destruction par dépit de n'être qu'un homme3'. Beaucoup de héros d'Arland. tels ceux de Terres étrangères (1923), vont jusqu'à détruire le bonheur que leur offre la vie. au nom d'une exigence sans borne. Mais le couple de La Vigie (1935) surmontera cette tentation.

Le désarroi laissé par l'absence de Dieu est aussi au cour de l'ouvre de Duhamel :

Les hommes se sont imaginé qu'ils pourraient vivre sans dieux, mais les plus sages commencent à comprendre que c'est impossible34.

De ce vide souffrent aussi bien Salavin que Laurent Pasquier. Mais alors que ce dernier est « sauvé » par son métier de savant, Salavin, lui, est totalement démuni, « abandonné » (Les Hommes abandonnéS). Il sent les limites de sa condition d'homme, d'autant plus fortement qu'il est hanté par le désir de la perfection. Ainsi dans Journal de Salavin, il exprime son ambition, vile démentie, de devenir un « saint » (comme plus tard Tarrou dans La PestE), un saint laïque bien entendu. Salavin rêve d'avoir une âme immortelle, il est tenté par une sorte d'angelisme, mais les exigences triviales de son corps, les réalités médiocres de sa vie. lui rappellent sans cesse sa véritable condition. Pour Duhamel cependant, toute la noblesse de Salavin tient dans cette exigence. Alors qu'au contraire, lorsque Sartre insiste avec complaisance sur les détails répugnants ou grotesques de la vie du corps, c'est pour mieux refuser tout « idéalisme »", pour mieux discréditer la prétention humaine à l'absolu (car Roquentin lui-même rêve de quelque chose de parfait et de nécessaire comme la musique : Anny a eu le culte des « moments parfaits »).



Tout autre est l'atmosphère du livre d'Albert Cohen, Solal (1930). Solal, héros solaire, aventurier et Don Juan à qui tout réussit, semble n'avoir rien de commun avec des « ratés » comme Salavin ou Roquentin. Pourtant, ce Juif de Céphalonie installé en France se sent l'objet d'une double malédiction, en tant que « sale juif » et en tant qu'homme. Capable de l'exaltation la plus folle, amoureux lyrique de la beauté féminine, il a aussi le sens aigu du dérisoire et du grotesque des corps, de la vanité des sentiments humains, de la mort omniprésente au cour de la vie. C'est au sommet de la réussite qu'il finit par renoncer à tout, pour retrouver sa condition d'« errant ». Chez Solal. comme chez bien des héros de Malraux, de Montherlant ou de Camus, se conjuguent la passion de l'inutile, le goût de l'absolu et la conscience du néant.

Il y a en Solal une fougue romantique, une avidité conquérante, qui n'est pas sans rappeler un autre aventurier au destin de conquérant, le Rodrigue du Soulier de satin (terminé en 1924). Dans ce drame - où la psychologie humaine est toujours à la merci des interventions de la Grâce divine -, la passion de l'absolu est bien une des forces qui. sur le plan humain, régissent l'action : passion de la totalité pour le Rassembleur de la Terre de Dieu, passion exclusive pour une femme, Prouhèze. Cet amour trop exigeant pour être satisfait ne peut être que l'image approximative d'un amour d'un autre ordre, inaccessible sur terre. Cependant le dramaturge ne souscrit pas à l'idée romantique d'une union des deux amants après la mort. Chez Claudel, le sacrifice doit être total. L'union de Rodrigue et de Prouhèze ne sera jamais, dans ce monde ou dans l'autre, que celle, illusoire, de leurs deux ombres (scène de « l'Ombre double »). L'idée chrétienne d'un monde déchu commande l'ouvre de Claudel.

Pour Ramuz aussi notre monde est celui de la « chute ». Dans son roman Adam et Eve (1932). il montre un couple incapable de retrouver l'amour. Situant la réalité familière dans la perspective du mythe biblique, l'auteur fait de ses héros les représentants d'une humanité sur qui pèse irrémédiablement la malédiction originelle. Ramuz en effet n'est pas un écrivain « régionaliste ». Ses ouvres ont une résonance métaphysique : elles s'interrogent sur la condition de l'homme. Dans Farinet ou la Fausse Monnaie (1932). le « faux-monnayeur » est celui qui fabrique une monnaie d'or pur. symbole d'authenticité : il est rejeté par une société qui se contente de fausses valeurs. Quant au Garçon savoyard (1936), Ramuz y expose le drame d'un jeune homme fasciné par la Beauté idéale et inaccessible, à laquelle il sacrifie tout, même sa vie.

De même que Ramuz n'est pas un écrivain « régionaliste ». Giraudoux n'est pas un écrivain « précieux ». Sa « préciosité » n'est qu'un moyen d'apprivoiser ou de masquer le tragique. Car l'ensemble de son ouvre se fonde sur un conflit tragique : celui où s'opposent la tentation du surhumain, le désir de perfection, incarnés souvent par des jeunes filles, et d'autre part l'acceptation de l'humain avec ses imperfections. Avec Juliette ou pays des hommes (1924), Aventures de Jérôme Bardini (1930) ou Intermezzo (1933), le personnage principal, après avoir fui la vie quotidienne ou avoir noué des relations avec « l'autre monde », finit par se réconcilier avec la condition humaine. Mais à mesure que le tragique s'appesantit dans son ouvre, avec une pièce comme Electre (1937) ou un roman comme Choix des élues (1939). la quête de la perfection originelle se fait plus destructrice et la reconciliation, s'il y en a une. plus amère.

Les « personnages fugueurs » de Giraudoux ressemblent aux « Enfants de septembre » dont parle Patrice de La Tour du Pin dans un poème de La Quête de joie (1933) : ces oiseaux migrateurs sont les symboles d'une âme insatisfaite par la vie d'ici-bas. Ils ressemblent aussi à ces « chercheurs ». ces « trouveurs de raisons pour s'en aller ailleurs36 ». qu'invoque le conquérant nomade d'Anabase (1924) au début du poème. Saint-John Perse, à travers cette image de lui-même, manifeste une inquiétude spirituelle, en dehors de toute croyance religieuse, caractéristique de l'esprit moderne.



La misère humaine ou le malheur d'exister



Ce tragique que l'entre-deux-guerres découvre tant dans les manifestations de l'histoire que dans les ambiguïtés du psychisme, elle le perçoit aussi lorsqu'elle considère la condition humaine. Bien des ouvres de l'époque disent, de diverses façons, la misère de l'homme en proie à la solitude, à la douleur et à la mort, c'est-à-dire au malheur d'exister.

Comme le suggère son titre, La Douleur (1930) d'André de Richaud, qui bouleversa le jeune Camus, ne peut se laisser réduire à son contenu anecdotique. Le sujet fit scandale comme celui du Diable au corps (une veuve de guerre devient la maîtresse d'un prisonnier allemand qui l'abandonnE) mais il permet à l'auteur de peindre avec force la douleur d'âmes simples (la femme et son filS) et la tragédie incluse dans le quotidien.

Tel est aussi le propos d'Arland dont les nouvelles des Vivants (1934) ou des Plus beaux de nos jours (1937) peignent, à travers des existences banales, la condition tragique de l'homme. Ces deux titres sont pleins d'une ironie amère car ces « vivants » sont destinés à mourir, certains même à se suicider, et ces « beaux jours » (on peut songer à BecketT) sont ceux de personnages condamnés, voués à la vieillesse, aux déceptions ou au malheur.

De tels récits font songer par leur tonalité à certains textes de Camus (L'Envers et l'EndroiT) qui évoquent eux aussi la solitude, la détresse de gens simples. Chez Camus, la pauvreté matérielle des personnages prend une signification métaphysique : c'est la misère existentielle d'êtres dépouillés, démunis devant l'absurdité, et pour qui il n'est pas d'autre vérité que la solitude et la mort.



Ce fond tragique est celui du roman de Marguerite Yourcenar, Denier du rêve (1934). Elle y fait à la fois une évocation de la Rome fasciste des années trente et d'une Rome hors du temps où se déroule la tragédie éternelle de l'homme. Tout en dénonçant la creuse réalité du fascisme, l'auteur met en évidence la vanité de la vie humaine, comme le montre la conversation nocturne, au milieu des ruines du Forum, entre un jeune homme désespéré et un vieil homme désabusé.

Un « rêveur parmi les murailles" », voilà ce qu'est l'homme pour Reverdy. Sa poésie évoque la précarité de l'être humain, avec les images tragiques du mur, de la prison, de la marche épuisante. L'homme y apparaît comme un être torturé par le sentiment de l'exil, par la solitude et la hantise du temps implacable et rongeur (Plupart du temps, litre sous lequel Reverdy reprend en 1945 ses recueils antérieurS).



Lorsque Tzara rédige à partir de 1925 les dix-neuf chants de L'Homme approximatif (1931), il s'interroge sur lui-même mais surtout sur le sens de l'aventure humaine. Si Tzara qualifie l'homme d'« approximatif », c'est que celui-ci est condamné à vivre dans l'à-peu-près : homme approximatif te mouvant dans les à-peu-près du destin avec un cour comme une valise et une valve en guise de tête38.

On retrouve ici cette image de la « valise » pour signifier les incertitudes et la faiblesse de l'homme, voyageur précaire dont la vie reste injustifiée : « Les cloches sonnent sans raison et nous aussi39.»

Chez Éluard, les enchantements de l'amour ou la joie de la communion humaine n'excluent pas l'accent tragique : poète du bonheur, il l'est aussi de la douleur, sentie comme une patrie (Capitale de la douleur, 1926). Dans maints poèmes recueillis dans Haut Mal (1943). Leiris invective contre la condition de l'homme, pire que celle des « galériens ». Toute la poésie d'Artaud est un cri de douleur. Sa souffrance est à la fois celle du corps malade et celle de l'esprit, torturé par son impuissance à s'exprimer comme il le souhaite et par le sentiment d'être dépossédé de lui-même (L'Ombilic des limbes et Le Pèse-nerfs, 1925). Selon lui, le mal dont il souffre est celui dont est atteinte l'époque entière40, car l'homme moderne ressent plus que jamais la précarité de la condition humaine. Pour Artaud, la vie est une malédiction. D se sent cerné par « l'odeur du néant, un relent d'absurde, le fumier de la mort entière » (L'Art et la Mort, 1929).

Ce sont les hasards de la guerre qui ont fait de Joë Bousquet un infirme. Mais à partir de cette expérience singulière, il prend conscience d'une blessure plus essentielle, liée à la condition même de l'homme. Dans ses poèmes, il se veut l'explorateur de la « nuit », par haine d'une lumière trompeuse (Il ne fait pas assez, noir, 1932). Et ce qu'il y rencontre, c'est le malheur d'exister ou, comme il le dit dans cette espèce de journal métaphysique, intitulé Traduit du silence (1936, puis 1941), « la faute d'être [qui] a survécu en moi à l'existence41 ». Plus que tout autre, il peut avoir le sentiment de l'imperfection, de l'absurde et du néant.

__ Bousquet se trouve dans une de ces situations-limites par lesquelles

Sartre ou Malraux décrivent la « condition humaine » : celle des condamnés à mort par exemple. C'est par la notion de « Destin » que Malraux définit « tout ce qui impose à l'homme sa condition42 », c'est-à-dire l'indifférence du monde, la conscience de la solitude, le poids du temps et de la mort. Le décor de l'action (forêt tropicale, ciel nocturne, etc.) a souvent une signification métaphysique : il symbolise ce « Destin », par son étran-geté, son silence, son absence de commune mesure avec l'homme.

Des condamnés à mort, Sartre en présente aussi dans la première nouvelle du Mur, évoquant la guerre civile espagnole, mais dont le sens est plutôt métaphysique que politique. Elle constitue une sorte de réflexion sur la condition mortelle. Le héros principal se rend compte que la mort est impensable mais aussi qu'on ne peut pas jouer avec l'Existence. Il sera pris à son propre jeu et fera prendre son ami sans l'avoir voulu. La tragédie se termine en farce. Chez Sartre, le tragique se dégrade en bouffon alors que chez Malraux, avec Clappiquc par exemple, le bouffon lui-même est tragique. Pour l'auteur de La Condition humaine en effet, la misère de l'homme est noble, alors que Sartre insiste au contraire sur les aspects sordides ou bestiaux de l'humanité, lorsqu'il décrit par exemple les effets physiologiques de la peur chez ses condamnés.



Céline, dans Voyage au bout de la nuit, souffre et ricane en même temps devant le sort misérable de l'humanité, condamnée à la dégradation et à la mort sans jamais trouver de sens à son « voyage ». Le thème de la galère^d'abord employé par Bardamu pour représenter l'iniquité sociale, est repris dans l'épisode bouffon et délirant de la traversée entre l'Afrique et l'Amérique et il symbolise alors plutôt l'idée de malheur et de fatalité. Chez Céline, la misère sociale n'est qu'un aspect d'une misère plus fondamentale, qui ne reste pas abstraite mais se traduit par les aspects grotesques ou répugnants du corps. En outre, c'est par une sorte d'« instinct de mort », comme celui dont Freud commence à parler au lenderrranrde la guêtre, que Céline explique la vie : « C'est tuer et se tuer qu'ils voulaient » Prenant pour héros un être qui ressent partout la « déroute d'exister et de vivre », il petit définir ainsi la portée anti-humaniste de son livre : « L'homme est nu, dépouillé de tout, même de sa foi en lui. C'est ça mon livre. »

"Dans une lettre de 1932 à Léon Daudet, où il évoque un tableau de Bruegel, Céline avoue : « Je ne me réjouis que dans le grotesque aux confins de la mort46. » Cette truculence sinistre, c'est, avec d'autres moyens, le registre du théâtre du Flamand Ghelderode qui veut écrire « le drame de l'homme qui a froid, de l'homme qui a peur, de l'homme qui désespère de Dieu47 ». Dans son univers oscillant du carnaval au cauchemar, il évoque le mystère de la mort (La Ballade du Grand Macabre, 1934) et il met en scène une humanité caricaturale, grotesque et cruelle, qui semble porter le poids d'une malédiction insurmontable (Hop, signor, 1935 ; L'Ecole des bouffons, 1937).



Quant à Queneau, il nous propose avec le titre du Chiendent une image, prosaïque et burlesque, de la fatalité qui pèse sur l'homme, du malheur proliférant et indéracinable de l'existence. Dans ce livre, comme dans la deuxième partie de Voyage au bout de la nuit c'est la tristesse de la banlieue parisienne qui sert de cadre, réel et moral, à la décevante quête des héros. Tant dans ses romans que dans ses poèmes, dont certains seront repris dans Les Ziaux (c'est-à-dire les eaux des yeuX) en 1943 ou dans L'Instant fatal en 1948, Queneau nous parle d'une humanité cocasse et misérable, destinée au néant (« Les Chiens d'Asnières ») ou bien d'hommes marchant, solitaires, dans la nuit, égarés au milieu d'un monde d'illusion, dans un « décor /- D'ailleurs inexistant48 ».

Les chrétiens eux aussi, malgré leur espérance dans le salut, mettent l'accent sur la souffrance, l'angoisse, donc la misère de l'humanité. Il ne faut donc pas s'étonner si Mauriac tout comme Bernanos ont apprécié Voyage au bout de la nuit en tant qu'expression puissante et véridique du malheur d'exister. Si les écrivains chrétiens nous font sentir le plus souvent une lumière « au bout de la nuit », ils conçoivent cependant l'existence humaine comme une traversée pleine d'angoisse, sujette à la tentation du désespoir. Les deux Mouchette de Bernanos (Sous le soleil de Satan et Nouvelle Histoire de MouchettE) cèdent à cette tentation. Quant au héros anonyme du Journal d'un curé de campagne (1936 ), son auteur transpose sur lui sa propre expérience du doute de soi, de l'angoisse et du désespoir. Malgré la promesse finale de rédemption (« Tout est grâce »), le livre est essentiellement l'odyssée solitaire d'une âme désemparée et donne une image douloureuse de la condition humaine.

Chez Green, la nuit est encore plus sombre, la lumière reste invisible. Un roman comme Minuit (1936), qui conduit l'héroïne dans la mystérieuse demeure de M. Edme, où l'on ne vit que la nuit, peut être lu comme une allégorie du destin de l'âme, tentée par le spirituel mais perdue par l'attrait de la matière.

Et même dans l'univers foncièrement optimiste de Claudel, où le mal lui-même est utile, la douleur occupe une place centrale. L'amour de Rodrigue et de Prouhèze est « crucifié », comme le souligne un jeu de scène de la Troisième Journée. La douleur et le sacrifice, qui sont leur lot, prennent davantage de relief par le contraste avec le bonheur de Dona Musique, dont l'histoire est une sorte de rêve enchanté devenu réalité. Quant à la Quatrième Journée, elle nous montre un Rodrigue vieilli, mutilé, outragé, vendu comme esclave, c'est-à-dire un homme qui a atteint le fond de la misère humaine, certains détails d'un réalisme burlesque (celui du vieux pot que réclame la sour de charité pour accepter de se charger de RodriguE) ne faisant que renforcer le tragique, comme ce sera souvent le cas dans les pièces de Beckett.



Les « credo » humanistes



En montrant la fragilité de la civilisation, l'incohérence ou la monstruosité qui sont au cour de l'homme, ou bien la misère de la condition humaine, la littérature de l'entre-deux-guerres porte des coups sévères à la confiance que l'homme peut mettre en lui-même. Inquiétude, révolte, nihilisme, sentiment du tragique ou de l'absurde, sont bien des forces anti-humanistes. À celles-ci cependant, beaucoup d'esprits entendent résister en prenant la « défense de l'homme». On n'en est pas encore à proclamer la « mort de l'homme », comme on le fera dans les années soixante. L'humanisme de l'entre-deux-guerres va donc se manifester sous deux aspects majeurs, celui de la sagesse ou celui du dépassement.



La sagesse implique, avec des nuances différentes, l'acceptation des limites humaines mais en contre-partie le respect des possibilités de l'homme. Ainsi Alain - qui ne veut pas croire par exemple à la fatalité de la guerre - affirme sa confiance dans l'aventure humaine. Il ne partage certes pas l'optimisme du « progrès » avec les positivistes du siècle dernier : pour lui le progrès n'est pas une loi de l'Histoire. Mais c'est une conquête - toujours précaire - de l'homme usant de sa raison. Alain se refuse à tous les fanatismes et accorde une importance primordiale à l'individu, à sa liberté de jugement contre les forces oppressives. C'est en ce sens qu'il se veut « radical » {Éléments d'une doctrine radicale, 1925 ; Le Citoyen contre les pouvoirs. 1926). Dans ses innombrables « propos », qui sont des articles brefs et denses écrits au jour le jour, il élabore un humanisme de la raison et de la liberté sans se faire d'illusion sur les faiblesses de l'humanité (Propos sur le bonheur, 1928 ; Minerve ou De la sagesse, 1939).



Les humanistes de l'entre-deux-guerres se rebellent contre les forces mauvaises de l'histoire, que celles-ci soient représentées par la guerre ou par la technique moderne. Ainsi, c'est au nom de l'homme et de sa vocation au bonheur que certains se tournent vers la nature comme guide sur les chemins de la sagesse. Giono fait l'apologie des joies terrestres et, avec un récit comme Regain, montre la renaissance d'un village abandonné, c'est-à-dire la victoire de l'amour, de la vie et finalement de l'homme. Ramuz veut définir un nouvel humanisme avec Taille de l'homme (1935) ou Besoin de grandeur (1938). Il s'agit de rendre à l'homme sa « taille » véritable, sa réelle dignité dans un monde que le modernisme a déshumanisé. Et il donne à Si le soleil ne revenait pas une conclusion optimiste, puisque le jour finit par reparaître, salué, symboliquement, par les jeunes gens parvenus sur la crête de la montagne.

Cette confiance dans la vie terrestre explique aussi l'humanisme de Giraudoux. Chez ce dernier, l'humanisme est à la fois effort pour repousser le démon de l'absolu et effort pour exorciser le tragique. Dans Intermezzo (1933), le Contrôleur, symbole de sagesse et de mesure, est vainqueur du Spectre. Isabelle revient à la vie et à la réalité. Elle réintègre la condition humaine qu'Alcmènc de son côté refuse absolument de « trahir » lorsque Jupiter lui propose l'immortalité (Amphitryon 38,1929). L'héroïne de Giraudoux ne se révolte pas contre la mort, ce qui est une manière de conjurer le tragique. Dans Electre, ce rôle revient au Jardinier dont le « lamento » est cependant un message d'amour cl d'espoir, malgré la catastrophe inéluctable. Les personnages les plus « humains » de Giraudoux ont appris à aimer la vie pour ses limites mêmes. Comme le dit le Contrôleur d'Intermezzo :



Ne touchez pas aux bornes de la vie humaine, à ses limites. Sa grandeur est d'être brève et pleine entre deux abîmes. Son miracle est d'être colorée, saine, ferme entre des infinis et des vides.



Ce tragique exorcisé, ce cosmos humanisé, ce sont aussi des traits de l'humanisme poétique de Supervielle. Définissant la condition de l'homme comme celle d'un « forçat innocent » (Le Forçat innocent, 1930), il frôle constamment le sentiment de l'absurde. Il sent au plus haut point la précarité de l'homme, mortel et seul (« Il faut vous en tirer tout seuls comme des orphelins dans la neige52 », dit Dieu à l'hommE). Dieu en effet a pitié de cet homme abandonné, mais pourtant il l'admire car il a le courage de s'arranger avec la vie ».

Malgré les raisons qu'il aurait d'être découragé. Martin du Gard refuse le pessimisme nihiliste. Sans céder aux illusions métaphysiques, Martin du Gard reconnaît pourtant à l'être humain une spécificité qui en fait un animal différent des autres : doté de conscience morale, celui-ci a au moins le désir du Bien, même s'il n'a pas la force de le réaliser. L'auteur des Thibault garde donc confiance en l'espèce humaine. Dans Épilogue, les derniers mots d'Antoine mourant sont pour l'enfant qui représente l'avenir.

À la fin de La Pêche miraculeuse de Pourtalès. on perçoit une même lueur d'espoir avec les fiançailles du héros. Dans ce roman de formation. Paul de Villars. à travers bien des épreuves, a appris à être un homme et, refusant de désespérer de la vie, il se veut lui-même un « pêcheur d'hommes », selon la parole du Christ à saint Pierre. C'est un retable médiéval de Conrad Witz, représentant cet épisode biblique, qui, par un effet de mise en abyme, donne son titre au livre, dont est résumé ainsi le message humaniste.

Le roman de Maxence Van der Meersch, Pêcheur d'hommes (1940), exprime bien l'humanisme chrétien de l'auteur. Peintre un peu mélodramatique de la misère sociale ainsi que des passions brutales et sensuelles, il prône les vertus de la solidarité et du renoncement et croit en la rédemption de l'âme (L'Empreinte du dieu, prix Goncourt 1936).

Jules Romains de son côté donne un titre de résonance évangélique à sa grande fresque, comme si la foi en l'homme remplaçait la foi en Dieu. Il comprend que l'on puisse perdre confiance, après avoir connu la guerre. Il fait écrire à Jerphanion : « J'en suis venu à mépriser profondément l'homme". » Pourtant il fera déclarer par Jallez, au lendemain du conflit :



La terre est une faveur du sort, un enclos préservé, une réussite. L'humanité en est une. en dépit de toutes ses misères.



Jules Romains parle de « réussite », Giraudoux de « miracle », pour exprimer une même reconnaissance envers la vie et une même volonté de garder confiance dans l'humanité. C'est un « credo » du même ordre qui se dégage de La Possession du monde (1919) de Duhamel comme du Bonheur de Barbezieux (1938) de Chardonne, malgré des positions idéologiques différentes. Leur humanisme est une réponse au désordre du monde et à l'absurde menaçant.

Pour Chardonne, l'humanisme va de pair avec l'éloge des traditions bourgeoises. Le « bonheur de Barbezieux », c'est, à travers l'évocation des souvenirs d'enfance et la poésie des choses surannées, l'affirmation d'un idéal d'équilibre et d'une fidélité à ce que l'auteur appelle sa « vocation terrestre55 », en refusant les certitudes ou les consolations de la foi.

De même, si Duhamel, dans le débat entre mysticisme et humanisme, fait la critique du rationalisme borné, s'il comprend la foi de Cécile, il n'en refuse pas moins, comme Laurent, toute transcendance. Sa seule foi est pour l'homme dont il affirme la vocation au bonheur, un bonheur fondé sur la « possession du monde », c'est-à-dire sur la communion avec le monde. Pour sa part, Duhamel prône l'équilibre que n'a pas su conquérir l'inquiet Salavin. D accepte et il aime la condition humaine, avec ses imperfections. Son humanisme est celui du cour, de la pitié pour les hommes. Il est teinté d'un sentimentalisme, d'un humanitarisme de « gauche », qu'on trouve aussi par exemple chez Vildrac ou chez Guéhenno.

Ce dernier a vraiment la religion de l'homme. Pour les pourfendeurs de l'humanisme comme Sartre, il incarne l'humaniste-type. C'est de lui en grande partie que s'inspire l'auteur de La Nausée pour tracer le portrait satirique de l'« Autodidacte » et il en parle avec condescendance (« Ce pauvre Guéhenno », écrit RoquentiN). Pourtant, dans Conversion à l'humain (1931), ce que dit Guéhenno de la solitude des hommes sur une terre où les dieux sont morts, et de leur liberté qui fait leur grandeur, préfigure tout à fait le message « humaniste » que Sartre délivrera un peu plus tard :

Nous sommes dans une terrible mais admirable solitude. Seuls. Les dieux sont morts. Tout se passe entre nous56.

Comme l'écrit Gide dans Dostoïevski : « C'est la négation de Dieu qui fatalement entraîne l'affirmation de l'homme57. » Bien qu'il remette en cause lùTaussîTfiùmànisme traditionnel. Gide est l'un des meilleurs représentants de l'humanisme de l'entre-deux-guerres. Sa foi dans le devenir de l'humanité explique, en partie au moins, son attirance momentanée pour le communisme dont il attend, comme plusieurs de ses contemporains, qu'il régénère l'être humain.

Dans sa pièce Odipe, le seul mot de passe est « l'homme ». C'est en ce ce sens que Gide utilise l'énigme proposée par le Sphinx. Pourtant dans cette ouvre, Odipe, devenu aveugle au monde, se tourne vers une sorte de mysticisme, alors que plus tard, le héros de Thésée (1946) - pièce considé- ! rée comme le testament spirituel de Gide - affirmera la vocation pure- j ment terrestre de l'être humain et la satisfaction d'avoir bien rempli une ' vie d'homme.

« Sagesse », « acceptation » des limites, cela ne signifie pas nécessairement résignation à la médiocrité. Giraudoux parle de « grandeur ». Le Thésée de Gide est un homme accompli mais c'est ausssi un héros. Ramuz déclare : « L'homme est quelque chose qui doit être surpassé et qui ne peut l'être, que par lui-même58. »

La confiance accordée à l'homme n'est pas loin de l'admiration et d une certaine exigence. Bien souvent donc, l'humanisme de l'entre-deuxguerres prend la forme du dépassement Les années trente vont en effet connaître un renouveau des valeurs héroïques, alors que les années vingt, par horreur de la guerre, les avaient vues décliner. De ce retour témoigne par exemple Plaisir à Corneille (1936) de Schlumbcrger. Aux anti-héros, faibles, veules et désemparés, par lesquels s'exprime le désarroi de l'époque, vont s'opposer, surtout au cours des années trente, des héros virils, courageux et déterminés.

Certes, l'héroïsme auquel songe Montherlant est un héroïsme « inutile ». que recherchent des êtres exceptionnels, par pur mépris de la bassesse humaine. Il est donc dans son principe foncièrement anti-humaniste. Mais il n'en est pas de même chez Malraux pour qui l'action a un sens et donne un sens à la condition humaine. Ses héros fuient l'absurde, d'abord dans l'action pure, puis, de plus en plus, en cherchant des valeurs humaines. La scène célèbre de La Condition humaine où l'on voit Katow donner son cyanure à ses compagnons résume bien la signification de cet héroïsme fondé sur le sacrifice de l'individu et le sens de la fraternité. La préface du Temps du mépris est une profession de foi anti-individualiste et humaniste. Malraux y définit ainsi le rôle qu'il attribue à l'art : « Tenter de donner conscience à des hommes de la grandeur qu'ils ignorent en eux. »

« Témoignage pour l'homme », écrit Saint-John Perse dans Vents (1946). Mais déjà dans les chants épiques à'Anabase, il évoque sur le ton de l'« éloge », qui lui est habituel, l'humanité, réduite à ses seules ressources, aux prises avec les forces élémentaires, menant ses luttes et son action. Le « Conquérant » est l'Homme créateur, bâtisseur, fondateur de villes et de civilisations. Le poème nous donne donc de l'aventure humaine une image héroïque et noble, une image de grandeur.



Dans une perspective voisine se situe l'ouvre de Saint-Exupéry. Dès 1931, dans sa préface à Vol de nuit (prix FeminA)61, Gide saluait ce livre comme un signe du retour des valeurs héroïques. Ce roman, nourri de l'expérience personnelle que l'auteur eut de l'Aéropostale, montrait le conflit de l'action et du bonheur individuel et le dépassement de soi dans le sacrifice. Avec Terre des hommes (1939), Saint-Exupéry abandonne le roman pour une suite de récits, de souvenirs et de méditations, plus proches de l'essai, comme il le fera ensuite avec Citadelle (1948). L'image qu'il donne de l'aviateur est celle d'un nouveau « chevalier », consacré à un idéal, et il l'oppose au « bureaucrate », à l'horizon borné. Mais l'aviateur n'est pas pour autant un « surhomme », il est surtout un homme de métier, conscient de sa responsabilité. C'est sa conscience professionnelle qui explique l'« exploit » de Guillaumct marchant cinq jours sans répit dans la neige des Andes (« Ce que j'ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l'aurait fait »)". Quant à la solidarité, autre notion clé de l'humanisme de Saint-Exupéry, elle est une dës lëçons du désert - symbole de dépouillement, et de recherche des vraies valeurs comme dans Le Petit Prince (1943) -, puisque c'est là que la rencontre du Bédouin (de l'« Homme »), sauve les deux aviateurs mourant de soif.

Chez Saint-Exupéry comme chez Gide ou chez Malraux, l'humanisme est un dépassement de l'individualisme. On retrouve cette même tendance, avec des arrière-plans idéologiques différents, chez des catholiques comme Mounier ou Maritain. Le « personnalismc » du premier est aussi un nouvel humanisme62, où la notion de « personne" » remplace celle, trop étriquée, d'« individu » (Manifeste au service du personnalismc, 1936). Quant au second, il publie en 1936 Humanisme intégral où, constatant l'échec de l'humanisme « bourgeois », marqué par l'anthropocentrisme, il définit un humanisme qui réintègre la transcendance et propose à l'homme un idéal de fraternité et de dépassement héroïque. Cet humanisme chrétien répond à une exigence ontologique, qui est aussi au centre des préoccupations de Gabriel Marcel (converti au catholicisme en 1929). Dans sa pièce. Le Monde cassé (1933). il proteste contre un monde falsifié, déshumanisé, « cassé » comme une montre dont le ressort ne fonctionne plus, dévitalisé comme un organisme dont le cour ne bat plus.

Au cours de ces mêmes années trente, Teilhard de Chardin rédige Le Phénomène humain61, où il cherche à concilier les théories évolutionnistes de Darwin avec les croyances chrétiennes. Teilhard reconnaît les origines animales de l'homme mais, en vertu d'une évolution allant vers le Bien absolu, vers l'Esprit (le « point Oméga »), il envisage un progressif perfectionnement de l'humanité. Il fait donc confiance à l'homme et il illustre lui aussi cet humanisme du dépassement, si fréquent à son époque.

D'une certaine façon, on peut songer ici à l'espoir démesuré des surréalistes. Ils rêvent en effet d'émanciper, de réinventer l'homme, car pour eux l'être humain n'est pas encore parvenu à sa plénitude, l'homme digne de ce nom est encore à réaliser. C'est pourquoi dans une conférence de 1936, intitulée L'Évidence poétique, Eluard par exemple peut parler de « construire un monde à la taille immense de l'homme65 ». Les surréalistes eux aussi, malgré leur refus violent de l'humanisme traditionnel, sont pourtant à leur manière des « humanistes ».



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