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Le roman français contemporain - (1960-1992)






1961 : quelques années après l'Espace littéraire ', Maurice Blanchot publie le Livre à venir2 : au-delà de la radicale et salutaire exigence de cet essai qui, dans sa conclusion « Où va la littérature ? », aborde comme éventualités « la disparition de la littérature » et la « mort du dernier écrivain », il apparaît que ces deux titres restent aujourd'hui parfaitement emblématiques. A partir d'exernples décisifs - Kafka, Proust, Artaud, Borges, Musil, Mallarmé, Beckett, etc. -, ces ouvrages s'attachent en effet à prendre la mesure du risque couru par ceux qui se sont engagés dans cette expérience singulière et exclusive,du fait même de leur incapacité à rejoindre le centre de ce qui, au-devant d'eux, et livre après livre, de toute façon se dérobe. On voit .donc que Maurice Blanchot, sans la moindre concession, tentait de resituer la littérature par rapport à ce qu'elle a d'essentiel. L'espace littéraire et le Livre à venir traduisent en somme la difficulté à définir un espace où la littérature puisse s'inscrire en propre - ce qui, à l'heure actuelle, fait plus que jamais problème - et, en même temps, l'attente distraite et angoissée du livre où l'on pourrait s'abolir enfin, qui engloberait tous les autres, et le monde avec, et qui, pour cette raison en effet, tarde à venir.



Or, ces années soixante, ainsi que celles qui ont suivi, sont loin d'avoir été anodines. Et pour apprécier ce qu'il en est du roman français contemporain, il n'est pas sans intérêt de se replacer dans l'atmosphère de cette période. Car, en parallèle à la position de Maurice Blanchot, à cette exigence à la fois salubre et mortifère d'une ouvre qui serait à ce point absolue qu'elle signerait l'achèvement de toute littérature, se développait, dans un contexte politique soudain bouleversé par les événements de mai 1968, un important travail de déconstruction critique qui a balayé tout le champ littéraire de l'époque. Et si crise il y a depuis dans le roman français, celle-ci ne peut s'évaluer qu'à l'aune des problèmes soulevés alors et du formidable défi qu'il lui a fallu relever depuis.



I. La mise à l'épreuve



Dès 1953, Le Degré zéro de l'écriture avait eu pour conséquence de rompre avec une conception traditionnelle de la littérature, en marquant, par genres, ce qui dans cet acte d'écrire n'allait pas de soi. i960 marque aussi la fondation du groupe Tel Quelqui va avoir un effet à la fois fédérateur et synthétique à l'égard de disciplines (linguistique, psychanalyse, sociologiE), déjà travaillées depuis les années cinquante par des courants contradictoires tels que marxisme et structuralisme. A partir de ce foyer, la littérature va être assaillie d'un feu roulant de questions et de remises en cause qui aura un double effet : d'une part, tenter d'en finir avec la critique universitaire, de type biographique ou critique des sources, qui ne rendait plus compte de rien {Cf. le duel Picard-Barthes, à propos de RacinE) ; de l'autre, affirmer que le texte est un objet autonome, ayant une cohérence interne, directement identifiable par sa structure signifiante, par conséquent que l'écriture est première, centrale et déterminante ; bref, que la légitimité de la littérature n'est à chercher nulle part ailleurs qu'en elle-même.

Ce mouvement a ainsi permis de poser un certain nombre de questions de fond, de procéder à quelques réhabilitations capitales et à la mise en valeur de grandes figures qui passaient jusqu'ici pour maudites (Artaud, Joyce, Bataille, etc.). Mais ce primat accordé au texte seul et à l'écriture dans ce qu'elle a d'autonome a également eu pour résultat de provoquer un affaiblissement, sinon la dévalorisation de la fonction de l'écrivain (autre que critiquE), et en particulier du romancier, qui n'était plus que second, en retrait par rapport à l'ouvre, presque en trop. Attitude en soi salutaire, aussi bien à l'égard de quelques notables des lettres, qui avaient profité du monde figé où ils vivaient pour conserver une audience à laquelle leur ouvre ne contribuait plus en rien, que par rapport à une certaine vérité de la littérature. Mais cet évidement de la figure de l'écrivain a aussi eu des effets pervers : d'abord parce qu'il laissera le champ libre aux usurpations futures et à l'inévitable retournement des avant-gardes, auxquelles il ne restera plus qu'à occuper l'espace vacant ; ensuite parce qu'il a encouragé les tendances iconoclastes de la jeune génération qui, en révolte contre son époque et aussi contre elle-même, s'en est pris à la littérature comme institution, à la représentation dans le roman, à l'art en général, donnant ainsi libre cours à sa propre fureur auto-destructrice. En même temps que s'affichait soit un dédain à l'égard du roman, soit une relative complaisance à ne pouvoir y accéder - ce qui a donné lieu à quelques ouvrages importants, justement situés à la frontière entre les genres 3 -, les ouvres de fiction, contaminés par l'effervescence critique environnante, au lieu d'en profiter pour s'affirmer comme souveraines et autonomes, n'ont travaillé qu'à apporter la preuve qu'elles se conformaient bien à ce qu'on attendait d'elles. Elaborées comme des sortes de machines de guerre destinées à intégrer à la fois la théorie qui les avait conçues et dont elles étaient l'illustration et, par avance, toutes les réponses aux critiques qui pouvaient leur être opposées, elles ont fait impression un moment. Qu'en reste-t-il à présent ? Leurs calendes et leurs chromes rutilent toujours et leur mécanique bien huilée tourne à vide, n'embrayant plus sur rien qui nous parle aujourd'hui, accusant cruellement leur principal déficit, qui est de l'ordre de la vision intérieure, et donc imaginaire.



Le Pour un nouveau roman d'Alain Robbe-Grillet a contribué en partie à vendre la mèche et a paradoxalement signifié le déclin d'un genre qui n'était que la stricte application de principes préétablis (ce qui est l'antithèse même de toute littératurE) - d'où le régal des universitaires à son sujet. A tort ou à raison, on accusera ce « nouveau roman », ou ce qui a été défini comme tel, d'avoir occulté le reste de la production romanesque ; sans doute celui-ci fut-il en effet le pur produit idéologique d'une société en lutte contre ses propres archaïsmes, soudain fascinée par la télévision, la technologie des matières plastiques, une abondance marchande apte à favoriser systématiquement tout ce qui pouvait avoir l'apparence de la modernité. Aussi est-il à craindre qu'il n'ait jamais soulevé que des questions purement formelles et n'ait constitué qu'un jalon certes important mais transitoire. Seule l'ouvre de Claude Simon, de La Route des Flandres"* à L'Acacia6, s'est détachée de ce faux ensemble et a continué de développer ses configurations, enracinée dans une écriture qui, faisant sans cesse retour sur elle-même, cherche à la fois l'origine de sa propre nécessité et son improbable point d'aboutissement.



Le coup d'arrêt porté au roman par ces « filles matricides qu'on a convenu d'appeler sciences humaines 7 », indispensable à la destruction des formidables conformismes de l'époque et à une réévaluation des façons de « penser » la littérature, s'est en même temps doublé d'une période politique confuse. On s'est empressé depuis d'oublier les modèles auxquels on se référait alors, à savoir cette « révolution anti-culturelle» de type maoïste qui, sous couvert d'une mise en question du statut des intellectuels dits « bourgeois » et d'une régénération de la société, ne dissimulait, dans sa version chinoise, que de vulgaires luttes de pouvoir au sommet de l'appareil bureaucratique8. De plus, sous le tranchant des dièses situationnistes qui dénonçaient l'art comme activité séparée, réifiée, et donc comme une aliénation, la pratique littéraire elle-même s'est trouvée discréditée 9. Ainsi ne fut-elle plus considérée que comme le véhicule de l'idéologie dominante, au service d'une classe privilégiée, simple superstructure qu'un renversement des conditions existantes permettrait d'abroger. L'écrivain du même coup était soupçonné de faire le jeu, consciemment ou non, du pouvoir en place et donc d'être partie prenante dans cette domination. Il ne semble donc pas inutile de rappeler le climat de ces années-là, fertile en vérités et en aberrations de toutes sortes, qui, et quoi qu'on en dise, a laissé des traces. Il explique peut-être en partie - et ce serait alors à mettre à leur crédit - le peu d'assurance et la circonspection avec lesquels les romanciers d'aujourd'hui considèrent leur état, l'autocritique permanente dont ils font preuve, leur manque de combativité à défendre une position qui, à leurs yeux, reste précaire et suspecte - et cela n'est sans doute pas non plus sans influences sur les ouvres elles-mêmes. Tout ce qu'une telle attitude comportait de réserves à l'égard de la littérature ne s'est donc pas évanoui du jour au lendemain. Et Sartre, en abandonnant le roman avec Les Mots 10, et sans crainte de "désespérer" la littérature au nom de l'impuissance de celle-ci à changer le monde, n'y avait déjà pas peu contribué.

En outre, et en plein cour de la confusion qui a suivi, il a fallu compter avec le retrait progressif de certaines voix (Maurice Blanchot, Julien Gracq, Louis-René des Forêts, Cioran n, BecketT) qui avaient une grande force symbolique. Leur silence obstiné a seul servi de point de repère au cour du battage télévisuel qui commençait à faire ses premiers ravages. Sans doute cette absence sur le moment a-t-elle pesé, mais peut-être aussi a-t-elle fait figure, par l'exemple et donc plus efficacement que par tout autre moyen, d'avertissement, d'incitation à se tenir sur ses gardes. Face aux tentations de la gloire immédiate par le biais d'une médiatisation forcenée, ce silence suggérait que la fragilité de l'ouvre exige plutôt qu'on se mette à l'écoute et tout entier à son service ; car, selon le mot de Mallarmé, « qui l'accomplit intégralement se retranche ».



2. Une période de latence et d'usurpations



Cette sorte de table rase, au nom de considérations à la fois éthiques, critiques, esthétiques et politiques a eu un ensemble de conséquences dont les effets se font encore sentir jusqu'ici et contribuent à l'analyse qui peut être faite de la situation d'aujourd'hui :

- D'abord il apparaît que c'est sur l'écriture qu'ont fait retour et que se sont focalisées des énergies qui, vers le milieu des années soixante-dix, ne trouvèrent plus à s'employer dans le projet de transformation radicale de la société. De la sorte la littérature a-t-elle été investie d'une mission plus ample peut-être, mais aussi plus équivoque. Car s'il lui a fallu prendre en charge cette déception du politique et proposer des enjeux qui soient à la hauteur de l'espérance qui venait de s'éteindre, il n'est pas sûr non plus que la totalité des forces qui ont convergé sur elle à ce moment la concernait directement. Il a donc été nécessaire, avec difficulté et comme .par décantation, que s'esquisse une ligne de partage entre ce qui relevait de la littérature proprement dite et ce qui s'y était greffé par simple désarroi, faute de mieux, et donc parfois à tort.

- Ensuite, le bouleversement avait été tel, et plus rien ne pouvant être comme avant, que la problématique, les enjeux et les objectifs de la littérature se devaient d'être considérés en profondeur. Ce qui a conduit les écrivains à marquer le pas : dans un premier temps, il leur a fallu prendre l'exacte mesure de ce qui avait eu lieu, faire le tri entre ce qui était en effet novateur et ce qui relevait de la simple imposture, mettre à l'épreuve de l'imaginaire et au service de la fiction un certain nombre de techniques relati-vement inédites, assimiler des concepts parfois formulés à la hâte et dont il était important de connaître les limites, évaluer au plus juste l'apport et la fécondité de ces nouvelles perspectives ; puis retraduire tout cela dans des formes romanesques qui ne soient pas de simples décalques, mais qui leur appartiennent vraiment, qui soient l'expression de leur personnalité. Une telle remise en question du statut et de la pratique de la littérature, en vertu d'une exigence accrue, a forcément pris du temps, et d'autant plus de temps que cette nouvelle génération d'écrivains était devenue radicalement hostile aux injonctions et aux mots d'ordre, à tout ce qui pouvait ressembler à un regroupement ou à une école. Chacun dans son coin, c'est dans cette mise à l'écart et dans la « dispersion » qu'elle a travaillé et joué la carte de sa propre originalité. A cet égard le propos de Maurice Blanchot restait plus pertinent que jamais : « Il faut (...) répondre que l'éclatement de la littérature est essentiel et que la dispersion dans laquelle elle entre marque aussi le moment où elle s'approche d'elle-même. »



- Mais ce délai de carence, ou cette phase de latence, propice à un redéploiement des données, n'a pas été perdu pour tout le monde. Profitant de ce retrait et de ce que le concept de littérature était pour l'instant vidé de sa substance, une production d'un type nouveau s'est mise à proliférer, soutenue par la montée en puissance de ce qu'on a appelé le « quatrième pouvoir », celui de la presse et principalement de la télévision. A la recherche d'un statut social qui ne soit plus marqué du sceau de l'éphémère, tous les journalistes (bientôt talonnés par les vedettes de la chanson et les acteurs de cinémA) se sont mis à rêver d'écrire un roman et d'accéder à cette reconnaissance que les réseaux en place, et à condition que ce fut donnant donnant, ne pouvaient leur refuser. Cette sorte de gangrène, qui a fait croître artificiellement à-valoirs et tirages, a eu ceci de pernicieux qu'elfe a contribué, par le biais de quelques émissions spécifiques tout à leur dévotion, à effacer les frontières entre ce qui est littéraire et ce qui ne l'est pas, par conséquent à mélanger les genres et à tout mettre sur le même plan. Cette production frelatée et sans lendemain a parasité jusqu'au roman traditionnel (qui, lui, bon gré mal gré avait poursuivi sa route sans trop se poser de questionS) et a fini par saturer le marché, faussant le goût du public, le décevant plus que de raison, l'induisant souvent en erreur, le détournant par amalgame de la littéraru-re proprement dite, marginalisant toujours plus les véritables écrivains. Aujourd'hui, avec la crise économique et la réduction des suppléments consacrés aux livres, ces réseaux, eux-mêmes menacés, auraient tendance à se solidifier et à faire masse, refusant de céder la place, entraînant le système à sa perte, affichant ouvertement leur manque de curiosité, leur cynisme et leur mépris pour toute production qui empiéterait sur leur territoire, contredirait leurs options ou ne serviraient pas d'abord leurs intérêts.

- Parfois confondue avec la littérature de type journalistique, et à la faveur de la prospérité éditoriale des années soixante-dix et quatre-vingt, s'est de plus développée une littérature de type industriel, ou dite « commerciale », qui avait certes toujours existé, mais dont l'explosion des tirages a contribué à perverrir un peu plus les mentalités. Plus encore, et la confusion aidant, l'illusion a commencé de s'installer dans les esprits comme quoi la littérature pouvait bien être un objet de divertissement, une marchandise comme les autres. Mais la crise économique de ces dernières années n'a pas tardé à rappeler les éditeurs à l'ordre : sur le terrain du loisir, le roman se révélait une marchandise décevante, nettement moins performante que les jeux vidéo. Et s'il est probable que le livre en tant que tel, et avec les progrès de la scolarisation, a accru son audience, il est aussi fort possible - tout le reste n'étant qu'imposture ou illusion - que le nombre de lecteurs qui ont un rapport singulier à la littérature et aux questions qu'elle pose soit demeuré constant, depuis le début du siècle par exemple.



3. « Esthétique du malaise » ou malaise de l'esthétique?



Dans le domaine littéraire proprement dit - ou du moins ce qu'il en reste -, la sophistication des techniques de déchiffrement qui a accompagné la vague critique des années soixante et soixante-dix a conduit chacun, non seulement à ne plus vouloir être la dupe de ce qu'il écrit, mais à ne pas non plus prêter le flanc à des interprétations qui risqueraient d'être sommaires ou réductrices. La peur d'avoir à laisser paraître des choses naïves ou inavouables (ce qui est pourtant l'épreuve même de la littératurE) a dans un premier temps arraché les écrivains à cette sorte d'insouciance - et même d'inconscience -, d'affirmation de soi par l'ouvre sans laquelle il n'y a pas d'entreprise littéraire d'envergure. J'ai déjà abordé la question de cet empêchement, en citant à l'appui l'essai de Marcel Benabou, Pourquoi je n'ai écrit aucun de mes livres. Passée cette première tendance à l'aphasie par intimidation, et sans que cela rende compte du foisonnement de la production littéraire actuelle, quelques orientations peuvent être repérées :

- Un certain nombre d'écrivains, a posteriori marqués par le travail réalisé par des avant-gardes aujourd'hui disparues, et pour affirmer plus brutalement encore leur opposition à une littérature de masse et devenue globalement « mondaine », dans le sillage de Joyce ou de Pound ont privilégié le labourage en profondeur de la langue. Puisque « nous ne sommes pas au monde », autant traduire en effet par cette opacité, et jusqu'à céder à la tentation de l'illisibilité, toute distance qui sépare l'« être parlant » d'un réel auquel il ne peut adhérer.



- D'autres au contraire, et à l'inverse des précédents, ont pris le parti de coller à ce réel avec comme ambition de forcer la littérature à rendre compte de ce monde dans ce qu'il peut avoir de plus contingent, banal et quotidien, pour en donner une description pour ainsi dire « phénoménologique » et en dénoncer de l'intérieur l'inanité. Cette littérature, censée s'imposer de par le rendu exact des faits de conscience les plus infimes, pourrait passer pour l'une des versions « minimalistes » du roman moderne, la transparence de son écriture n'ayant comme équivalent que la platitude de son objet (Cf. La Vie fantôme de Danièle SallenavE).

- Enfin, à la suite d'une opération publicitaire concertée et sous le sigle « nouveau nouveau roman », se dessineraient les contours d'une littérature dite « impassible » qui, excellant dans la parodie des romans policiers, d'aventures ou même de science-fiction, et en cela fidèle à ses origines, prendrait cette fois le parti non seulement de ne rien dire mais aussi de ne rien sentir. Exacts reflets de la futilité de notre époque, ces romans chics, tour à tour glacés (Cf. La salle de bain de J.-P. ToussainT) ou extravagants (Nous trois de Jean EchenoZ) privilégient en général la brillance vide et désabusée. Art du jeu de mots, habileté de la construction, gratuité de l'intrigue, insouciance affichée du narrateur traduisent une façon de se tenir à distance du réel, comme si celui-ci ne comptait pour rien, avec le risque, à force de n'en rien dire, ou de ne considérer la réalité que dans son apparence, de n'être plus qu'un jeu formel, un pur produit de divertissement, certes un peu décalé, mais lui-même sans conséquences.



A prendre ces trois tendances pour exemples - et parmi beaucoup d'autres -, il apparaît que le roman français contemporain a un problème avec le réel : soit il le dénie dans son existence, soit il y colle jusqu'à la nausée, soit il le tourne en dérision. Dans les cas qui viennent d'être cités, il se dégage néammoins quelque chose de symptomatique : ce qui est rompu, et qui expliquerait alors une certaine désaffection à l'égard de la littérature, c'est le processus traditionnel d'identification du lecteur au personnage. Il ne s'agit même plus ici d'antihéros, comme il y en eut tant dans les années soixante, pour lesquels il était possible d'éprouver un peu de compassion. Au moins dans un roman comme Le Voyeur de Robbe-Grillet, et à travers le « manque » du personnage principal, la place du lecteur était-elle laissée en creux. Aujourd'hui, il faut tenir compte de l'impossibilité foncière que ressent celui-ci à adhérer à ce qu'il lit. A cause de l'artificialité du personnage, soutenue par une trame narrative relativement gratuite, c'est tout le processus de la représentation dans le roman qui continue ici de faire problème, qui mine le genre de l'intérieur, l'empêche de croire en ses moyens et donc d'exploiter pour son compte cet incroyable gisement de matériaux et de techniques nouvelles que la vague critique des années soixante a mis au jour, et jusqu'ici pour rien. Finalement délaissée, en rivalité avec le cinéma qui, d'un certain nombre d'ouvres littéraires ( Un amour de Swann, Madame Bovary, La Peste, etc.) parvient à extirper juste ce qu'il faut d'« histoire » pour faire un film et réduit le roman à n'être qu'un simple pourvoyeur d'intrigues, en butte à la crise éditoriale et économique des années quatre-vingt-dix, en concurrence avec toutes les autres marchandises, ne croyant plus à ce qu'elle représente et à ses pouvoirs, la littérature, faute.de produire du sens, a elle-même cessé d'avoir un sens et par conséquent d'être considérée comme essentielle.



4. Une crise exemplaire



Il est donc vain d'entrer dans l'interminable et stérile logique de la dénégation : la littérature française dans son ensemble, et le roman en particulier, traversent une crise dont il ne sert à rien de se masquer la gravité. Crise qui, sous tous les rapports, menace à la fois son existence et sa nature. Et ce n'est pas médire ou se déconsidérer aux yeux de l'étranger que de reconnaître froidement cela. Au contraire, par sa spécificité, ses enjeux et les questions qu'elle pose, cette crise est exemplaire, sinon bénéfique. Compte-tenu de son histoire au cours de ces trente dernières années, aucune autre littérature en Europe ou dans le monde n'a eu à affronter un semblable faisceau de problèmes de fond aussi cruciaux qu'apparemment insolubles, n'a eu à faire face à une succession de défis de cette sorte. L'importance des contradictions où se débat le roman français aujourd'hui mérite qu'on s'y arrête, car elle donne justement la mesure des ressources qu'il lui faut mettre en ouvre pour se tirer d'affaire. Il n'y a donc pas à avoir honte de cette apparente baisse de régime, ou de ces tâtonnements qui sont la condition même d'un renouvellement en profondeur. Ainsi la littérature est-elle mise à l'épreuve de son inventivité et de sa'volonté d'affirmation, sans que soient non plus sous-estimés les risques encourus, qui peuvent être mortels. L'erreur serait plutôt de s'en rapporter, comme dans beaucoup d'autres pays, à un fonctionnement industriel de la littérature qui laisserait croire que celle-ci n'est vivante que parce que la machine édito-riale continue de déverser son flot de livres inutiles et vains ; ou que la qualité d'une production romanesque se mesure aux listes des meilleures ventes ou au battage provoqué par l'attribution de prix littéraires truqués d'avance, encourageant par là des éditeurs étrangers, eux-mêmes inattentifs ou indifférents, à ne traduire que ce qui s'inscrit dans leur propre logique commerciale ou dans des schémas littéraires a priori, justement hérités du « nouveau roman », et donc aujourd'hui dépassés. Or on sait bien que l'histoire, celle des arts en général, et celle de la France en particulier, est coutumière de ce genre de ruptures, précédées d'évolutions lentes et de périodes de creux.



5. Des ressources à mettre « en ouvre »



A la faveur de cette décomposition du paysage éditorial, de la corruption de la critique, de cette confusion des tentatives et des données, quelques traits peuvent être aperçus qui indiqueraient qu'en profondeur quelque chose a commencé de bouger.

- La crise que subit la littérature contribue à radicaliser ses positions. Confronté à sa propre déchéance, le roman a bien été obligé, dans sa tentative pour « penser » ce qui n'allait pas, de ressaisir des outils critiques, abandonnés depuis les années soixante-dix, et de les utiliser, de l'intérieur, pour l'analyse de ses propres insuffisances ou démissions et, à l'extérieur, contre ceux qui menacent son existence en faisant silence sur ses avancées ou en continuant d'affirmer qu'il n'existe plus.

- Ces acquis des années passées, parfois obsolètes mais parfois aussi redoutablement pertinents, obligent la littérature non seulement à se repenser en tant que telle mais aussi à reconsidérer la place qu'elle occupe dans une société qui soit l'ignore soit voudrait l'éliminer. Dans la conscience qu'elle retrouve et développe, qui lui permet de regagner son ascendant en prenant position sur son temps, elle est amenée à s'interroger sur son imaginaire, à se nourrir tout à la fois des questions qu'elle pose et des menaces qui pèsent sur elle. Ainsi se voit-elle, et de par la situation qui lui est faite, contrainte de produire, et non sans répercussions sur ses propres fictions, un savoir sur elle-même, une pensée qui en forme l'armature, une structure apte à lui donner l'autonomie qui jusqu'ici lui avait manquée. Dès lors elle ne se sent plus obligée de s'inquiéter sans cesse d'une hypothétique autorisation d'exister que la société lui accorderait, pour des raisons de rentabilité économique et dans certaines limites. La réflexion qu'elle s'apprête à engager constitue la meilleure preuve de son indépendance et la garantie de son renouvellement.

- Cette exigence retrouvée, qui l'a conduite à s'examiner sans fard, l'incite aussi à explorer des thèmes ou des territoires fictionnels dont le roman traditionnel, dit « d'analyse psychologique », n'avait jusqu'ici pas même soupçonné l'existence. Les perspectives imaginaires ouvertes par Jorge Luis Borges par exemple, et compte-tenu de l'atmosphère de l'époque, restent à ce titre irremplaçables. Rappelons pour mémoire que la traduction de Fictions date de 1957 et celle de L'Aleph de 1967 ; chez cet écrivain, la réflexion sur la littérature se développe comme une véritable fiction et, en retour, toutes ses fictions posent à la littérarure la question de son sens et de son destin 18. Pour la première fois, un écrivain se servait de la fiction pour affirmer que l'auteur est un être hypothétique et précaire, qui tire sa force et sa réalité de quelque chose qu'il ne contrôle pas, à savoir cette expérience infinie de la littérature qui traverse les siècles et transperce les êtres sans les connaître. En même temps qu'elle privilégiait l'ouvre par rapport à l'auteur, cette position impliquait une réévaluation critique et paradoxale des mythes qui sont au fondement même de l'activité littéraire (L'Odyssée, Don Quichotte, Moby Dick, etc.). Avec Borges, la littérature avait retrouvé la force et la liberté, par le versant désaffecté de la fiction, de faire face à ses propres énigmes .

- Au carrefour de toutes ces influences, et même si la prolifération de la description et la tendance à la nomenclature tendent sans cesse à assécher les potentialités visionnaires qui auraient pu s'y développer, La Vie mode d'emploi de Georges Perec est l'un des exemples de cette liberté et de la façon de conjuguer ces nouvelles données en une architecture qui ne doit plus rien à ce qui se faisait auparavant. Le puzzle, conçu à la fois comme métaphore et comme structure de l'ouvrage, permet l'emboîtement des parties les unes dans les autres, à l'image de l'immeuble du 11, rue Simon-Crubellier : « de ce qui se passe derrière les lourdes portes des appartements, on ne perçoit le plus souvent que ces échos éclatés, ces bribes, ces débris, ces esquisses, ces amorces, ces incidents ou accidents... », autant de traces d'existences à reconstituer, élément par élément, pour tenter de résoudre « l'énigme » qui forme le fil conducteur du roman, puisque tel est bien en anglais le sens du mot puzzle.



- Enfin, et là est peut-être le point capital de cette mutation, aucune de ces nouvelles structures imaginaires ou formelles n'est généralement conceptualisée avant qu'intervienne l'acte d'écrire. C'est l'écriture elle-même, dans son mouvement, et dans le cours de son développement, qui conçoit et agence ces dispositifs, comme on se dirige à tâtons vers la lumière ; ainsi lui arrive-t-il de mettre au jour des formes dont elle ignorait tout et qui n'existaient pas auparavant. Ce qui implique aussi un brassage important de tentatives, d'approximations, de ratages ou d'impasses, d'où surgira de temps à autre une ouvre pour le coup et à la lettre véritablement inédite, de la même façon que l'écriture, dans le cours d'un roman, progresse et se fraie un chemin à travers ses propres scories, ratures et brouillons. Sans doute notre époque, le système éditorial actuel et bon nombre d'écrivains ont-ils perdu confiance dans les ressources d'une écriture qu'on ne peut en rien contraindre et à laquelle il faut donner le temps de déterminer ses propres orientations. Aussi est-il nécessaire de rester à l'écoute, de lui laisser cet espace de liberté nécessaire à ce qu'elle puisse, dans la dispersion justement, se régénérer pour nous surprendre, alors que c'est un tel espace que la crise est en train de réduire et menacer ; car « l'expérience de la littérature est l'épreuve même de la dispersion, elle est l'approche de ce qui échappe à l'unité, expérience de ce qui est sans entente, sans accord, sans droit - l'erreur et le dehors, l'insaisissable et l'irrégulier . »



Pas plus que la flamme n'est libre du charbon, le roman ne l'est de son temps. Il reflète, ou si l'on veut détecte les mentalités d'une époque. Et les années 80 auront vu, en même temps que s'effondraient les utopies, fleurir sur ces décombres ce que l'on pourrait appeler, avec la brutalité caractéristique des généralisations, une littérature du relativisme.

Relativisme pour le moins étranger à la tradition française depuis Voltaire et Rousseau d'une littérature engagée dans le débat d'idées, l'action, les combats politiques et sociaux, bref à la recherche d'un sens. Sartre et Camus sont les porte-drapeaux pour hier de ce courant, chacun à sa façon, avec Malraux, Gide, Aragon, Bernanos, Mauriac, Drieu la Rochelle, Céline et bien d'autres. Mais avant-hier c'étaient Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Zola, Barrés, Anatole France, Martin du Gard, tant d'autres.



Cette inspiration socio-politique apparaît aujourd'hui singulièrement lointaine. On chercherait en vain de nos jours en France un écrivain engagé '. Les choses ont bien changé depuis la fin du gaullisme. Pierre Rosanvallon a pu parler de « la fin de l'exception française ». La société bloquée, très inégalitaire, fortement tenue par la classe dirigeante et les partis politiques de droite, combattus non moins fermement par la gauche politique et un syndicalisme ouvertement révolutionnaire, cette société française pleine de tensions, sans souplesse, ignorant l'alternance politique s'est enrichie, modernisée, ouverte, assagie. Le modèle marxiste s'y est dévalué tout seul avant d'être rejeté par la caste intellectuelle. Une gauche modérée a pris le pas sur le Parti Communiste, puis a rallié le consensus sur la démocratie, le marché et l'économie d'entreprise. Avec l'échec et l'effondrement international du socialisme autoritaire, c'est l'utopie qui a sombré. Tout projet de société est devenu suspect. Il n'y en a d'ailleurs plus.



Ces échecs et ces abandons ont dû être vécus comme autant de deuils car ils ont provoqué une réaction de scepticisme exagéré. Ce n'était pas fatal, c'est un fait : le discrédit des idéologies a engendré le doute sur les causes et le mépris des grandes idées - et des idées tout court. Et dans le roman comme ailleurs.

Un des succès du jeune roman français a été en 1985 La salle de bain de Jean-Philippe Toussaint. De quoi s'agit-il ? Un homme est dans une baignoire et ne voit pas pourquoi en bouger. Il manque un rendez-vous, se souvient d'anecdotes diverses, laisse partir la femme qui était avec lui. C'est brillant, drôle, intelligent et à des années-lumières de La condition humaine de Malraux, qui ne date jamais que de 1933, et bien que le thème en soit précisément la condition humaine.



Il n'y a plus en France de littérature de critique sociale.

Il n'y a plus d'écrivains de la colère. Il n'y a plus d'écrivains de la justice. Il n'y a plus d'écrivains de la solidarité. Il n'y a plus d'écrivains du désespoir. Il n'y a plus d'écrivains de la passion. Le romancier français des années 80 est un esprit froid.



C'est qu'il n'est plus possible aujourd'hui en France d'écrire « naïvement ». Toute littérature à présent est au deuxième degré. Tant de déconstruction, puis de déconstruction de la déconstruction a abouti à cette inhibition bien française des écrivains qu'est l'obsession de montrer qu'on n'est pas dupe. Et c'est à qui sera le plus brillant dans l'ironie, la dérision, la danse sur le vide.

Non, sur le fond, que la France soit vraiment apaisée. Elle vit une crise profonde, et laisse à la traîne des millions d'exclus. Mais le chômage, ou l'exclusion, la fin du rêve socialiste, l'impuissance des vieilles démocraties à être solidaires des pays encore dits « de l'Est », un questionnement religieux qui a retrouvé sa voix, le nouveau rapport à la nature né de l'écologie, rien de tout cela n'est aujourd'hui source d'inspiration littéraire. Tout se passe comme si les romanciers français étaient les premiers à penser que le roman n'a plus d'importance. Nadine Gordimer aurait le plus grand mal à se faire éditer aujourd'hui en France. De ses livres on dirait « c'est abominablement sérieux », « archi-vu »... Symptôme significatif, il n'y a plus de gros romans en France. Le grand roman est comme le grand homme, une excroissance un peu grotesque du passé, une faute de goût. Autre forme d'engagement, et non des moindres, à avoir été balayée avec l'utopie : la littérature de recherche. Les décennies qui ont suivi la guerre ont connu en France une extraordinaire ardeur des avant-gardes littéraires, dans un mouvement qui après coup apparaît comme un avatar pour cette génération de la traditionnelle visée critique des romanciers. Après la guerre, après la révélation des camps nazis, hébété, le roman s'est retrouvé bien peu sûr de la foi hégélienne en un progrès de l'Histoire jusqu'à son happy end. Décapé par l'idéologie 'et les sciences du soupçon, il a alors porté l'espérance utopique et le ferment réformateur en son sein même. Il n'était plus possible d'écrire comme on avait écrit jusque-là. On allait tirer un trait sur les formes du passé, en inventer de neuves. Et ainsi le progrès trouverait un nouveau canal.



Car il n'y avait rien de moins formel que ces soucis de forme. Les avant-gardes littéraires, que ce soit autour de Sartre, du Nouveau Roman ou de Tel Quel, si elles avaient pour mot d'ordre d'en finir avec la littérature, entendaient par là, comme les écrivains classiquement engagés de la génération précédente, révolutionner l'ordre des choses bien au-delà de la littérature. Et si elles dynamitaient le roman-à-la-française-et-bourgeois, si elles récusaient les fondements de l'humanisme en même temps que le style, le récit, l'intrigue, les personnages et jusqu'au langage même, c'était toujours pour changer le monde.



Tout ceci, qui n'est pas bien vieux, est incroyablement passé de mode. Que signifie encore la notion de progrès en littérature, d'avancée littéraire ? Il n'y a plus de projet en la matière, plus d'avant et plus d'après. Plus personne ne hasarde de théorie du roman - à part Milan Kundera, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant : toujours les Français des marches. Les romanciers français qui depuis quelques années se défendaient déjà d'être des intellectuels ou des politiques, en aucun cas ne se poseraient aujourd'hui à l'avant-garde : cela ferait rire.



Et de même que le doute sur la pensée a pris des proportions démesurées, de même la littérature de recherche n'existe plus à présent que comme repoussoir, objet de sarcasmes et bouc émissaire donné pour responsable du désintérêt croissant pour la littérature. Quel éditeur se risquerait aujourd'hui à publier La route des Flandres''. Claude Simon lui-même, comme Robbe-Grillet ou Nathalie Sarrau te, a livré une (quasI) autobiographie dans un style (quasI) classique.



Annie EmauX), et même le bon vieux roman psychologique à la française (François-Olivier Rousseau, Christian CombaZ).

Mais la France est toujours la France, le risque d'y passer pour naïf y reste une hantise, et si ces vieilles formes du roman sont réinvesties par beaucoup (Florence Delay, Michel Chaillou, Jacques Roubaud, Pascal QuignarD) au second degré, qu'il soit bien clair que c'est en désespoir de cause.



Est-ce à dire, comme cela se dit souvent, que la littérature française a fait son temps ? En aucun cas. Le roman est peut-être en crise, il continue de se publier en France de merveilleux romans.

Car quelque chose tient bon dans la débâcle, qui est tout de même l'essentiel, et d'ailleurs une spécialité française : c'est le style. Chaque année voit paraître des livres éblouissants à cet égard, très divers au total, et qui peut-être à l'avenir feront considérer les années 80 comme de grandes années... Citons, là, citons pour que les fossoyeurs du roman français avant de jeter la dernière pelletée de terre s'arrêtent et lisent : Danièle Sallenave, Jean Echenoz, Pierre Michon, Raphaële Billetdoux, Bertrand Visage, Jean Rolin, Pierre Bergounioux, Sylvie Germain, Patrick Chamoiseau, Anne Garetta, Emmanuel Carrère...

Dans le flot, deux courants sont particulièrement brillants. Celui d'abord du lyrisme de l'esprit et de la sensation (Pierre Michon, Raphaële Billetdoux, Sylvie Germain, Bertrand Visage, Ariel Denis, Richard JoriF)- Et celui du réenchantement sans illusion du monde qui rassemble derrière Jean Echenoz des auteurs résolument modernes, nourris de tous les savoirs contemporains comme de cinéma et de BD, à partir de quoi ils réinventent une poésie romanesque (Patrick Deville, Eric Chevillard, Gilles Carpentier, Jean-Yves CendreY).

C'est le style qui mène, avec la puissance d'une conviction. Comme si c'était la seule conviction littéraire qui subsistait.

Il n'y a plus de normativité littéraire, plus d'autorité, plus de phare, plus de centre, plus d'école. L'auteur n'a plus aucun devoir. Ou plutôt - car on ne se débarrasse pas comme ça de l'impératif de légitimité - il n'est plus tenu que de donner du plaisir. Côté critique, symétriquement, le seul critère d'appréciation littéraire est aussi le plaisir.



Tout est permis, sauf le sérieux. Sur le fond, tout est possible, aussi bien l'ignoble, prisé de quelques jeunes gens qui savent qu'il y a prescription générale, que le mélo dont enfin les esprits forts peuvent se régaler, puisque c'est un mélo au second degré. Et dans la forme, l'invention et la fantaisie sont de rigueur. C'en est fini de la seule, obligatoire écriture blanche. Le lyrisme, la poésie, la préciosité ont retrouvé droit de cité.



Le message est une balourdise, l'idée un risque à ne pas courir. Mais on est en France, l'esprit reste roi. Un esprit très XVIIIe, amoral, volontiers cynique, frivole, pourquoi pas ironique en tout cas. Elégance et drôlerie avant tout.



Comment ne pas s'en réjouir ? Mais comment ne pas se demander si ces délices de l'esprit sont les ingrédients qui font les grands romans ? Le XVIIIe français n'a pas été le siècle du roman. Les années 80 auront assisté à la disparition du chef-d'ouvre - notion qui fait rigoler aujourd'hui - au profit de la petite merveille.

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