Essais littéraire |
Le roman-feuilleton joua-t-il un rôle quelconque dans le déclenchement de la Révolution de février 1848, comme l'affirmèrent alors nombre de ses détracteurs? Il est bien difficile de le dire. Les critiques (conservateurS) n'en doutèrent pas, en tout cas, et profitèrent de l'occasion pour se poser en Cassandre dédaignés et pour demander l'abolition du roman-feuilleton : « Voilà l'enseignement du roman moderne », écrira Charles Menche de Loisne, en 1852, « il apprend au peuple à mépriser et à haïr tout ce qui s'élève au-dessus de lui, et il conduit la France à la plus épouvantable de toutes les guerres, à la guerre sociale ». Malgré l'effervescence politique, les journaux continuent à publier de nombreux romans. Soulié est mort en 1847, Balzac mourra en 1850. Mais Dumas, qui avait commencé dans La Presse la publication de sa série révolutionnaire, Les mémoires d'un médecin, la continue : Le collier de la reine et Ange Pitou paraissent en 1849-1851, en alternance avec Les mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand et Les confidences de Lamartine. Sue, Féval continuent à publier. A côté des feuilletonistes connus apparaissent quelques noms nouveaux que nous retrouverons sous l'Empire : Henry Murger publie en décembre 1848 Les buveurs d'eau, dans L'Evénement; Champfleury y écrit également. Molé-Gentilhomme, Dumas fils, H. de Kock, A. Achard, P. Zaccone, C. Guéroult, Ch. Deslys, A. Robert, A. Ponroy et même Ponson du Terrail (qui signe alors Pierre du TerraiL), autant de nouveaux venus qui compteront dans les années qui suivent parmi les romanciers les plus prolifiques et les plus lus. Les luttes politiques inséparables de cette période de Révolution se font, bien entendu, sentir également dans le feuilleton, où abondent chroniques et romans historiques, parfois par les mêmes auteurs (ainsi le romancier Ch. Deslys conte en 30 épisodes, dans Le Courrier français. Les trois journées de FévrieR). Beaucoup de romans sur la Révolution (1789 ou 1793), ou sur des conspirations de la Restauration ou de la Monarchie de Juillet, refont l'histoire telle que 1848 la donne à repenser. Ils sont plus souvent conservateurs ou réactionnaires que libéraux ou républicains, il n'y a guère à s'en étonner. Néanmoins, Ange Pitou de Dumas, Le Mont-Saint-Michel de Blouet (publié, il est vrai, dans Le Peuple, le journal de Proudhon, en 1849) et Les quatre sergents de La Rochelle de Clémence Robert (La République, 1848-1849) sont d'un esprit plus libéral, voire franchement républicain. Dans l'ensemble donc, le feuilleton survit, et vit même bien, en cette période troublée, malgré un recul par rapport à la période 1844-1848. Même la réaction conservatrice, qui se solde pour le roman-feuilleton par l'imposition d'un timbre spécial de 5 centimes par numéro (dit timbre RianceY), à tout journal publiant une ouvre romanesque, à partir de juillet 1850, n'eut qu'un effet tout relatif et très provisoire sur le roman-feuilleton. Cela n'empêcha pas les grands journaux de publier des romans-feuilletons, et le timbre fut supprimé dès 1852. D'autre part, les années 1848-1851 virent le développement des éditions populaires illustrées à 20 centimes (les romans à 4 souS), chez des éditeurs comme Havard, Barba, Bry et Maresq. Ces collections publiaient les grands classiques aussi bien que les « grands auteurs » du xrx* siècle : Balzac, Chateaubriand, Hugo, Dumas, Sue, Féval, Scribe, G. Sand, Soulié... et bien d'autres. Dès décembre 1849, Bry et Maresq proposèrent la première édition des Ouvres complètes illustrées d'E. Sue, et en 1851-1852 étaient déjà lancées les Ouvres complètes de G. Sand, F. Soulié, Balzac, Scribe, Féval, Méry, Dumas... En 1852, le roman-feuilleton a pris son rythme de croisière : il s'est imposé comme principal mode de publication du roman et comme appui indispensable du journal, et il a servi à la vulgarisation du modèle romanesque romantique. Sous le Second Empire, le roman-feuilleton continuera sur cette lancée, sans grand renouvellement, se transformant peu à peu jusqu'au grand tournant des années 60. |
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