Essais littéraire |
Un des plus anciens lieux communs littéraires, celui du « monde comme théâtre », de Démocrite (o kbsmos skènè) et Sénèque (quomodo fabula sic virA) à Shakespeare (All the world's a stagE), a été diffusé par l'humanisme, en particulier par Érasme et Calvin, avant de devenir le grand thème baroque illustré par El Gran Teairo de! Mundo de Calderôn. Le succès de la formule, qu'attestent les nombreuses éditions - entre 1558 et 1619 - dans plusieurs langues, du Théâtre du Monde de Pierre Boaistuau, suggère que la société baroque s'y est elle-même reconnue : comme un drame dont la beauté est faite de contrastes et de tensions, un jeu soumis à la fortune qui élève et précipite, une inégalité de conditions qui s'oublie ou s'exalte dans le spectacle, une prédilection pour l'apparence, la représentation, l'illusion. I. L'UNION DES CONTRAIRES L'art baroque, selon V-L. Tapie, est essentiellement aristocratique terrien : il apparaît là où l'élément rural et foncier domine, et où la bourgeoisie est plus réduite ; l'économie seigneuriale serait liée à l'art baroque, fantaisiste et ostentatoire, comme l'économie urbaine à l'art classique sobre et mesuré, limitant les dépenses. Mais, au-delà du contexte socio-économique, cette association de termes peut caractériser le baroque par un autre sens : la rencontre des extrêmes (coincidentia oppositoruM), de la profonde misère et du luxe insolent. 1. L'envers du décor En littérature comme ailleurs, l'« aristocratique », monde de l'oisiveté et de l'aisance, l'emporte évidemment sur le « terrien ». Les sociétés rurales connaissent surtout le labeur forcé, ponctué de disettes et famines, des crises de la production céréalière, des horreurs de la guerre, des rigueurs hivernales qui se multiplient: le «petit âge glaciaire» couvrant le XVIIe siècle est annoncé par des signes avant-coureurs dans les dernières décennies du siccle précédent et marque un pic autour de 1610. Dans ces conditions de précarité et d'insécurité générales, si le peuple des campagnes participe à l'esprit baroque, c'est par le biais de la religion : un fond tenace de paganisme et de sorcellerie, une sensibilité portée à la fois au naturel et au surnaturel, aux grandes forces cosmiques et au merveilleux, constituent un substrat de croyances et de superstitions ancestrales que l'Église tridentine canalise vers le culte des saints, l'attachement aux rites et reliques, la piété consolatrice, l'ouverture sur un autre monde, et l'illusion de richesse, enfin, dans l'éclat des édifices et des cérémonies. Dans le domaine de l'écrit, un aspect de la culture baroque se manifeste dans la littérature de colportage, lue et relue aux veillées : notamment dans cette énorme production d'opuscules brochés, imprimés sur du mauvais papier que représente la « Bibliothèque bleue », ainsi nommée en raison de la couleur des couvertures. Issue principalement de Troyes, au début du XVIIe siècle, il s'agit de compilations, par des auteurs anonymes, de traditions livresques les plus diverses : mythes historiques ou légendaires notamment médiévaux, récits religieux et féeriques, vie des saints et geste des .héros. Née avec la Contre-Réforme, cette littérature d'évasion (loin des misères réelleS) et de libération (dans l'imaginairE) offre l'image d'un monde harmonieux où le méchant est toujours puni et où le bien divin triomphe pour ceux qui respectent l'ordre social et préparent convenablement leur salut ; elle est, à sa manière, l'expression du monde baroque théâtral et'« duel », où la piété côtoie le jeu, et le miracle s'inscrit dans le quotidien. Cette littérature de « l'envers du Grand Siècle » reste marginale, méprisée sinon refoulée. Du côté des élites, si l'on excepte les idylles de pastorales ou le burlesque du « patois des paysans, refuge des mauvais plaisants » selon Scarron, le monde rural reste discret : le contact entre I'« aristocratique » et le « terrien » y est rare, sauf exception étincelante, comme celle de l'acte II de Dom Juan, avec son choc des gestes, des modes, des langages. La réalité est sans doute trop noire : en règle générale, les écrivains du siècle (avant La Bruyère, Bossuet et FéneloN) ont semblé ignorer cette face cachée de l'âge et de l'art baroques. La misère terrienne apparaît surtout lorsqu'elle n'est plus terrienne, mais qu'en raison du considérable exode rural, elle devient urbaine ; le contraste entre riches et pauvres dans les villes, et leur mélange, font alors l'objet d'un nouveau « lieu commun » littéraire. 2. La veine picaresque L'Espagne est ici pays de référence : l'enchantement (enganO) de l'arrivée de l'or américain à Séville notamment, ce débordement de métal précieux venu d'ailleurs qui illumina retables et palais a fait place au désenchantement (desen-ganO) d'une inflation dramatique, des banqueroutes en chaîne, de la prolifération des pauvres dans les villes. C'est sans doute pour une bonne part la violence de ces contrastes et de ces revers qui a orienté la sensibilité du Siècle d'Or vers la conscience aiguë du caractère trompeur du monde des apparences, vu comme une scène où l'inégalité des conditions est soumise aux jeux de la Fortune. Or le théâtre, comme l'église (c'est un autre aspect théâtral de la liturgie baroquE), efface dans l'imaginaire la hiérarchie sociale, cherchant tout à la fois « les délices du peuple et le plaisir des grands ». La comedia fait dérouler devant le spectateur la vie du temps, de la guerre et de la paix, des villes et des champs, des humbles et des puissants : elle s'adresse à tous. Lope de Vega connaît à la fois le succès de parterre des corroies de village, l'estime des cercles intellectuels, l'honneur des cérémonies aux côtés des plus grands d'Espagne, et jusqu'aux pâmoisons des dames de la Cour de France qui s'écrient, selon Mme de Sévigné, « es de Lope, es de Lope », équivalent espagnol du nec plus ultra. Il semble que le « mélange des genres » corresponde à ce brassage de l'auditoire, « et même n'y a-t-il pas », remarque Fernand Braudel, « à travers l'Europe baroque, un besoin de s'encanailler, très net souvent chez les hautes classes ? En Espagne, c'est vérité criante. Philippe II lui-même avait la réputation de prendre un masque et, la nuit venue, de se mêler à la vie de la rue. » Le noble et le coquin, le roi et le bouffon, le prince et le mendiant se retrouvent au théâtre, sur scène et dans la salle comme dans la rue, pour Shakespeare et Molière comme dans l'ouvre de Vélasquez, et comme dans tout le « caravagisme » en peinture mêlant mystique et trivialité, refusant toute hiérarchie entre le haut et le bas, la rue et le palais ou l'église. Ces alliances et antithèses marquent l'image de l'Espagnol dans l'esprit des Français et dans la littérature du temps. Son port noble est apprécié des dames, mais sa pâleur donne son nom à une couleur à la mode : « Espagnol malade » ou « Espagnol mourant ». Son portrait moral est tout en contrastes, entre gravité compassée et folle ardeur (« j'aime assez cet emportement, dit La Fontaine, il est bien d'une âme espagnole »), entre lascivité et solennité (qu'expriment les deux danses « à la mode espagnole », sarabande et pavanE), entre austérité et outrecuidance : pour les théoriciens de la littérature, un Espagnol modeste sérail une faute aussi grave qu'« un Allemand spirituel ou un Français malappris ». Sur les scènes françaises où sont représentés des Espagnols, la vanité et la passion nobiliaire sont jointes à l'indigence et la misère. Le soldat espagnol, qu'a connu une bonne partie de l'Europe et qui menace encore la France de l'époque, est brave et poltron : le « Capitan espagnol » renouvelle, avec ses airs de foudre de guerre, le type du miles gloriosus de Plaute dans le personnage de Matamore (« tueur de Maures ») ; devenu un rôle fixe au théâtre du Marais, Corneille lui offrira son éblouissante création de L'Illusion comique. Dans le même genre, le personnage d'origine italienne Rodomont (« Roule-montagne »), passant par l'Espagne, est à l'origine d'un véritable genre littéraire, les « rodomontades » (fanfaronnadeS) considérées comme typiquement castillanes. Dans le roman, la société espagnole du temps introduit une nouveauté : l'entrée du gueux (picarO) en littérature. Sans doute, avant d'être un personnage de fiction, est-il d'abord représentatif d'une réalité quotidienne. Mais, dans cette invention de lettré et de moraliste, il cesse d'appartenir au folklore, et devient l'incarnation désabusée d'une grave sagacité : la marginalité lui donne une lucidité sur toutes les classes sociales, révélant les aspects négatifs de la condition humaine, démasquant les impostures sociales et les faussetés rassurantes. Or cette marginalité est liée à la misère, elle-même facteur de désagrégation sociale et de confusion : non seulement parce que le personnage du picaro s'érige en exemple du « sans aveu », en antithèse d'honneur et de vertu, mais encore parce qu'il s'incarne en toutes sortes de types louches et ambigus, escrocs, imposteurs, faux mendiants, il fait figure de Protée, l'homme baroque par excellence. C'est très exactement ce que dit Chapelain, dans l'Avertissement au lecteur de sa traduction du Guzman d'Alfarache de Mateo Alemân, en 1620 : « Le gueux n'est plus gueux. C'est un protée à cent visages et cent formes diverses. » 3. Le creuset des conditions Le picaro et la littérature picaresque sont exclusivement espagnols. Mais les pauvres sont de partout, traînant leurs loques dans l'Europe entière, comme dans les gravures de Jacques Callot, ou La Vie généreuse des Mercelots. Gueux et Bohesmiens (Lyon, 1596), en une bohème truculente et tragique sur le théâtre des guerres, comme le héros du Simplicius Simplicissimus de Grimmelshausen : paupérisme, errance et mendicité caractérisent cet âge. En France, les guerres de religion ont multiplié la foule composite de paysans privés de terres, de soldats licenciés ou déserteurs, de maraudeurs et de vagabonds, de petits nobles ruinés : pendant son siège de 1593, Paris compte 30 000 mendiants sur moins de 100 000 habitants ; en 1606, Henri IV doit mettre sur pied une Chambre de la Charité chrétienne, chargée de venir en aide aux « gentilshommes estropiez, vieux et caduez » qui n'ont plus bien ni famille. Le goût baroque de la métamorphose et du « monde inversé » trouve une inspiration dans ces mutations sociales et « si estranges transubstantiations » que décrit Agrippa d'Aubigné dans sa Confession de Sancy : La sueur d'un misérable laboureur se transsubstantie en la graisse d'un prospérant thresorier [...] Les imposts de la France ont transubstantié aujourd'huy les champs de labour en pasturages, les vignes en friches, les laboureurs en mendians. les soldats en voleurs, les vilains en Gentilhommes. les maistres en valets, les Sieurs en Haubereaux et les Princes en Carrabins. C'est de ce mélange des classes sur fond de misère, nobiliaire autant que populaire, terrienne autant qu'urbaine, que se nourrit le genre de l'« histoire comique ». « Comique » est ce qui appartient à la vie ordinaire, à la réalité triviale : ainsi le Francion de Sorel, composé en 1622 (année où la police parisienne arrêta une bande de deux cent seize malfaiteurS). Francion est un gentilhomme en rupture de ban, qui a choisi délibérément le monde des gens de bas étage ; autour de lui grouillent magistrats et filous, pédants et truands, reîtres et hobereaux, commères et charlatans, tire-laine et sergents, au long d'anecdotes pittoresques et scabreuses. Quant au Roman comique de Scarron, ~le choix du nom de Destin pour le héros, et d'une troupe de comédiens ambulants pour fil conducteur dit assez son propos : l'objet romanesque est le théâtre du monde, où se côtoient riches bourgeois et valets, grands seigneurs et croquants, gentilhommes singeant la cour et bohémiens pillant les campagnes ; et le burlesque, en soi, est aussi un mixte de genres, par sa langue d'apparence négligée et en réalité très savante, par ses contrastes entre le romanesque et le sordide, le pathétique et le bouffon. On est alors tenté d'établir, dans cette première moitié du xvnc siècle, un parallèle entre la mise en ordre social et l'instauration progressive de l'ordre classique. La répression de toutes les formes de désordre culmine dans « cette date qui peut servir de repère : 1656, décret de fondation, à Paris, de l'Hôpital général », où Michel Foucault voit le « symbole du grand renfermement de l'âge classique ». L'âge baroque s'achèverait ainsi avec le classicisme au sens de distinction des classes, aussi séparées désormais que les genres littéraires d'où sont exclus les marginaux, les « monstres » tragi-comiques, les mélanges des mondes, des tons et des registres. II. Le lustre aristocratique La grande restauration des hiérarchies passe paradoxalement par le fameux programme que s'est donné Richelieu : « rabaisser l'orgueil des grands ». Avant que l'absolutisme ne la réduise à la « domestication » de la cour, avant qu'elle ne s'abîme dans des problèmes de préséance et d'étiquette, l'aristocratie brille de tous ses feux dans la grande parade du baroque, art foncièrement « réactionnaire » : on l'a vu dans l'Église, on le voit dans la société. 1. Héroïsme Malgré les apparences, la France d'alors reste une « société d'ordres », presque de castes : une frontière sépare la roture, si riche soit-elle, de la noblesse, surtout la noblesse « d'épée » terrienne et guerrière. Cette frontière n'est pas une affaire d'argent, mais d'honneur : d'abord privilège ancestral. héritage de famille, il se personnalise, en ce premier XVIIe siècle, dans un souci d'image de soi et d'admiration d'autrui, le souci de la gloire. Idéal hautement individualiste qui contraint souvent à se battre, et parfois à s'entre-tuer, dans la « furie des duels », pour un rien, « une parole de néant dite au jeu, une contenance un peu brusque, une démarche trop avancée », il trouve son achèvement et sa consécration dans l'héroïsme. Car la France de Richelieu et de la Fronde est aussi un pays en guerre : celle-ci développe dans la jeune noblesse un sens extrême des « lois du devoir », avec leur cortège de déchirement pour les « tendresses du sang », de révolte contre des exigences inhumaines ou de rappel des lois de la clémence, mais aussi l'ambition de la renommée. Ainsi s'explique la place importante, à cette époque, de la littérature héroïque : poésie épique (relation des hauts faitS), encomiastique (éloge des grandS), théâtre (l'idéal cornélieN), roman chevaleresque ou burlesque, le burlesque étant l'envers de l'héroïque. Il n'y a pas de héros sans public, et donc d'abord sans poète : « La gloire sans la plume en oubli se dissout » écrivait Mme Deshoulières. Mais il n'y a pas de poète sans riche protecteur. Comme les Odes de Malherbe aux souverains et aux grands du royaume, ou celles de Théophile de Viau aux princes et aux ducs d'Orange, de Luynes ou de Montmorency (1621), Les Vers héroïques de Tristan (1648) sont des « statues magnifiques » pour l'édification du « Temple » de la « Gloire » des princes de ce monde : ils répondent à la fois, suivant le point de vue, à des besoins alimentaires par la recherche d'un mécène, à la propagande de l'éthique aristocratique, et au prestige de ces seigneurs que rehausse l'éclat des faits d'armes. Tls constituent aussi de brillants échantillons de l'esthétique baroque. La « Muse publicitaire » se manifeste dans les lieux communs du genre encomiastique (d'élogE), creuset de merveilleux païen (la généalogie du « demi-dieu »), de convention littéraire (le feu du regard foudroyant l'ennemI), de spectaculaire antique (le triomphe et l'apothéosE), d'aura chrétienne et de romanesque courtois ; elle s'exprime dans les effets de superlatif hyperbolique, de grandissement épique, d'allégorie monumentale - parfois risquée, comme celle de Cinq-Mars traînant la Fortune enchaînée derrière son char mené par la Vertu, quelques jours avant sa chute. Dans le dithyrambe, l'« imagerie » baroque prend son vrai sens de statuaire : par une succession d'éblouissements discontinus, l'être radieux se fige dans la pose majestueuse de la perfection de la force, de la beauté ou de la piété, en une « splendeur active » qui provoque « le saisissement devant le sacré et sa lumière » (J. StarobinskI). 2. Représentation Un autre « point d'honneur », comme expression d'une position sociale, prise de distance avec le commun des mortels, et image de soi aux yeux des autres et de soi-même, est celui qui impose au gentilhomme un devoir d'apparence. La dépense somptuaire, caractère propre du baroque que Norbert Elias a analysé dans La Société de cour, est une nécessité de la société aristocratique : « Le "luxe", par lequel il faut entendre ici le refus d'une orientation utilitariste de la consommation, n'était pas, dans la classe dirigeante féodale, du "superflu" mais un moyen d'auto-affirmation » (Max WebeR). La consommation ostentatoire, la prodigalité de prestige et de représentation sont imposées par le statut social, un peu à la manière des pratiques de potlatch. Il y a une éducation aristocratique de la dépense, manifeste dans ce geste du duc de Richelieu que rapporte Taine : le duc remet à son fils une bourse pleine pour que le jeune homme apprenne à dépenser l'argent en grand seigneur ; comme il rapporte la bourse pleine à son père, celui-ci s'en empare et la jette, devant son fils, par la fenêtre... L'aristocrate baroque, Francion ou Don Juan, affirme les valeurs de la dissipation, qui enlèvent aux choses leur prix et peuvent mener à la ruine : les déploiements de luxe ont un caractère inéluctable (« Noblesse oblige »), presque fatal, dans la décoration de la maison, le train de vie, l'habillement. Le vêtement, par exemple, n'est pas une bagatelle, mais l'expression de l'existence sociale, d'une place dans la hiérarchie. Il atteindra un paroxysme dans les toilettes de cour, dans ces excroissances (comme des « perles irrégulières ») des formes naturelles, théâtralisées par artifice jusqu'à la caricature : talons hauts et perruques bouclées, rubans, tuyaux, plumes et fentes multipliant l'effet de superflu en perpétuel mouvement, masques de maquillage, paniers des robes exagérant les hanches, exhibition du sein (l'« organe baroque » selon AlewyN), jupes en rideaux de scène (sous la modeste, la friponne et la secrètE), etc. Mais déjà à l'époque « héroïque », » malgré les « édits somptuaires », mus par la morale et l'économie, comme celui de 1633 : portant défense de porter aucunes découpures, broderies de fil. soie, capiton, or et argent, passements, dentelles, point-coupé, entretoiles et autres enrichissements manufacturés, tant dedans que dehors le royaume à peu près aussi inefficaces que ceux interdisant les duels, l'habit fait le gentilhomme. Le mot « brave » le dit bien : signifiant « fier, arrogant » mais surtout, à l'époque « bien vêtu, élégant, magnifique » ; avec ses dérivés « bravement » (« orgueilleusement, luxueusement, élégamment, à la mode »), « braver » (« faire belle figure par sa parure » et aussi : « humilier par son luxe » où l'on retrouve le potlatcH) et « braverie » (« parure, toilette »), il correspond à peu près ce que l'on appellera plus tard le « panache ». Une bonne illustration en est la relation, dans les Mémoires de Fontrailles, de l'exécution de Cinq-Mars (le 12 septembïe 1642 à LyoN), à 22 ans : après avoir fait « un beau compliment » à ses juges, arrivé au lieu du supplice, il monta sur l'écha-faud «avec une adresse et une gaîté majestueuse [...], fit un tour, sa tête couverte, ouvrant les bras et accommodant son collet avec un beau maintien, puis fit un autre tour et saluant de tous côtés le peuple fort profondément avec des souris et une douceur charmante » : il portait, précise-t-il, outre un beau manteau d'écarlate couvert de galons d'argent, « son habit couleur de mûre tout couvert de dentelles, des bas de soie verts et aux mains des gants coupés ». La « bravoure de M. de Cinq-Mars, résumera Vigny, était froide, noble et élégante » : parfait stoïcisme allant jusqu'à la provocation « dandy » dans le geste (lorsqu'il arrange son coL) et la tenue. Même en temps et en lieu de paix, en l'absence de luxe et de gloire, dans l'adversité ou les revers de fortune, un gentilhomme comme le Francion de Sorel pratique cette morale de l'honneur, composée de patience et d'orgueil, qui n'exclut ni délicatesse ni altruisme ; sa pauvreté le mettant au contact de la bassesse humaine, elle donne la clef du personnage : la « générosité ». Et si la question récurrente de l'habit le tourmente, comme tout héros baroque qui se respecte, elle montre aussi sa relation ambiguë, méprisante et fascinée, à l'apparence, même lorsqu'il affirme qu'estre Noble, ce n'est pas sçavoir bien picquer un Cheval ny manier une espée, ny se pannader avec de riches accoustremens, et que c'est d'avoir une ame qui résiste à tous les assauts que luy peut livrer la fortune, et qui ne mesle rien de bas parmy ses actions. Dans cette dénégation, un mot central est emblématique de l'époque : se pennader (ou pannadeR), selon l'Académie, c'est marcher avec faste « comme un paon qui étend ses plumes ». Or si Jean Rousset a fait du paon une des figures-titres de la littérature baroque, c'est qu'elle l'est aussi dans la vie sociale : dès la première partie du Baron de Foneste, Agrippa d'Aubigné caricature ainsi l'homme du « paroistre » : Quand le paon met au vent son pennache pompeux... Sans doute, à la cour encore mal dégrossie d'Henri IV et de Louis XIII, pleine de duels et de « grabuges », les manières attirent-elles aisément, chez Sorel et d'Aubigné, la satire burlesque de la vanité et de la sottise (voir encadré). Mais ce thème de l'apparence va changer de signe au cours de l'époque baroque, l'ère de la « montre » et du paon. 3. Ostentation/Dissimulation La théorie de l'homme de cour au XVIIe siècle tourne presque tout entière sur la question du paraître et des vertus d'apparence. Ici aussi s'impose un détour par l'Espagne. En 1646, Baltasar Graciân dans son manuel El Discreto (« l'homme consommé en tout, l'homme parfait, l'homme universel » traduit J. de Courbeville en 1723), au chapitre intitulé Hombre de Ostentacion (« La réalité et la montre [c'est-à-dire le « paraître » : apparence et ostentation] »), propose, dans un apologue animalier, la réhabilitation du Paon, qui se défend ainsi contre la République ailée : Pourquoi ne condamner en moi que la montre et non point la beauté ? Le ciel qui m'accorde l'une, me défend-il l'autre ? La sagesse est de savoir paraître à propos : un peu de dehors vaut quelquefois mieux que le plus solide fonds qui est caché. A quoi serviraient les merveilles de la nature si elles étaient condamnées à une étemelle obscurité '?... Si l'or demeurait toujours dans le sein de la terre ? Si les pierres précieuses restaient toujours au fond de la mer ? Les arguments ne suffisent pas à calmer les envieux, et il faut « toute la souplesse dont est capable le renard [porte-parole de Graciân lui-même, père jésuite] pour plaire à tous » et aboutir à la conclusion que « très souvent la montre importe plus que la réalité », avec cet argument très baroque qu'« elle est comme le supplément propre à remplir un vide, et comme l'ornement et le lustre du solide », ajoutant que le paraître est « absolument nécessaire et donne aux choses, en quelque sorte, un second être ». Le « parestre » à la Cour, par d'Aubigné Par les Avantures du Baron de Foneste (1619-1630), Agrippa d'Aubigné « s'est voulu recréer à la description de ce siècle, en ramassant quelques bourdes vrayes » ; il s'y livre à une charge contre la cour et la religion romaine par le truchement d'un fanfaron gascon, Foneste (« signifiant en Grec paroistre »), homme des apparences, exemple vivant pour son interlocuteur protestant Enay {« qui en mesme langue signifie estre ») de la vanité courtisane et de l'exhibitionnisme baroque, dans un langage lui-même baroque, ampoulé et brillant, burlesque et alambiqué. [Le parler de Foneste est un mélange caricatural de prononciation gasconne - les v sont remplacés par des b et inversement (bestu pour vêtu, votte pour botte, etc.), o par ou (moût pour moT), eu par u (dux pour deuX), je par ye (bilaye pour villagE)-, de mots gascons (puch pour puiS) et des modes de la cour. Le lecteur moderne doit s'habituer à ces particularités, qui contribuent à la saveur et à la valeur documentaire du texte.] «Enay. Voila bien des affaires, mais [...] je vous demande pourquoi vous vous donnez tant de peine. - Foneste. Pour parestre. - E. Comment paroist-on aujourd'hui à la Cour ? - F. Premièrement faut estre bien bestu à la mode de trois ou quatre Messurs qui ont l'autourité : il faut un perpunt [pourpoint] de quatre ou cinq tafetas l'un sur l'autre, des chausses comme celles que bous boyez, dans lesquelles, tant frise qu'escarlatte, je bous puis assurer de huict haulnes d'estoffe pour le mens [le moins]. Puch après il bous faut des souliers à cricq ou à pont levedis, si bous boulez, escoulez [à découpures laissant voir le bas] jusques à la semelle. - E. Et en Hyver ? - [...des] vottes, la chair en dehors, le talon fort haussé, abec certaines pantoufles fort haussées encore, le surpied de l'esperon fort large, et les soulettes qui enbeloppent le dessous de la pantoufle. Ces vottes ainsi tirées tout du long bous espargnent toutes sortes de vas de soye ; si bous allez à pied par la bille, on conjetture que le chebal n'est pas loin de bous : mais il faut que l'esperon soit douré [...] Et quand un galand homme n'est poent votté [point botté], faut aboir recours à la vonne fortune pour aller en carrosse, principalement en Hyver, de peur d'enfanyer [enfanger, crotter] ses roses. - E. Vous avez des roses en Hyver ? - F. Oy vien, nos autres, oy : sur les dux pieds, traînantes à terre, aux dux jarrets, pendantes à mi-jamves, au vusc du perpunt [pourpoint busqué comme un corset], une au pendant de l'espeio [épée], une sur l'estomach, au droit des vrasards, et aux coudes. - E. Et quels fruits de tant de fleurs ? - F. C'est pour parestre. [...] E. Et bien, voilà pour les habillements : estans ainsi vestus à la trotte qui mode [inversion de termes à la mode de Rabelais], que faictes-vous après pour paroistre? - F. Estans ainsi couverts [...] bous boilà dans la Cour du Loubre. - E. Tout à cheval ? - F. Non pas, non ; on descend entre les gardes, entendez : bous commencez à rire au premier que bous rencontrez : bous saluez l'un, bous dittes le mot à l'autre : "Fraire, que tu es vrave ["brave" signifie "bien habillé", "magnifique"], espanoiiy comme une rose, tu es vien traitté de ta mais-tresse. Cette cruelle, cette revelle, rent-elle point les armes à ce veau front, à ceste moustache vien troussée, et puis teste velle grève, c'est pour en mourir." Il faut dire cela en démenant les vras, vranlant la teste, changeant de pied, peignant d'une main la moustache, et d'aucu-nefois les chebus. Abez-vous gagné l'antichamvre ? bous accoustez quelque galant homme et discourez de la bertu [...] Bous boulez saboir de quoi sont nos discours : ils sont des duels, où il se faut vien garder d'admirer la balur d'aucun [...] Nous causons de l'abancement en Cour, de ceux qui ont ovtenu pensions, quand il y aura moyen de boir le Roy, comvien de pistoles a perdu Crequi et S. Luc : ou si bous ne boulez point discourir de choses si hautes, bous philosophez sur les vas de chausses de la Cour » [suit 1'inénarable énumération des teintes de bas. voir encadré p. 133]. Agrippa d'Aubigné, Les Avantures du Baron de Foneste. Livre 1, chapitre 2 (« Moyens de parestre, deffense des boues, et des roses, pennaches et perruques ») Comme le paraître suppose aussi de cacher son être, son cour, son jeu, l'ostentation implique la dissimulation, dont l'Italien Torquato Acetto fait l'éloge dans Délia dissimulazione onesta (1641) : vertu à la fois honorable, utile et plaisante. Il faut savoir s'avancer masqué, et user de techniques théâtrales pour ce que Jean Rousset appelle une « morale décorative ». En France, où la théorie de l'« honnête homme » semble faire l'éloge contraire du naturel et du raisonnable, on pourrait voir encore la victoire classique, celle de l'être véritable sur les apparences fausses, contre ceux qui tendent à paraître ce qu'ils ne sont pas : les Tartuffe, Bourgeois Gentilhomme ou Don Juan (« l'hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus »). Mais l'honnête homme tel que le prône le chevalier de Méré ne doit négliger ni la souplesse, c'est-à-dire une forme d'adaptation et de composition, ni la maîtrise de soi, forme de dissimulation. Ainsi écrit-il, dans son Discours VI, Suite du Commerce du Monde : Je suis persuadé qu'en beaucoup d'occasions, il n'est pas inutile de regarder ce qu'on fait comme une Comédie, et de s'imaginer qu'on joue un personnage de théâtre. Sans doute la cour de Louis XIV, loin des gasconnades du début du siècle, est-elle « classique » en ce sens que l'apparence y est contrôlée et codée, le comportement méticuleusement calculé, et que la reconnaissance s'y fait plus dans le «je ne sais quoi » que dans l'enflure. Mais si le courtisan apprend à « ne se point ouvrir ni déclarer », à toujours soumettre à la bienséance, à l'interlocuteur, aux circonstances, son visage, ses gestes et ses mots, il n'en reste pas moins dans le système de la représentation ; dans cette galerie des glaces généralisée qu'est l'espace clos de Versailles, chacun joue son rôle, son rang, sa vie, dans cette parade vaine et tragique que décrit La Bruyère : La vie de cour est un jeu sérieux, mélancolique, qui applique ; il faut arranger ses pièces et ses batteries, avoir un dessein, le suivre, parer celui de son adversaire, hasarder quelquefois, et jouer de caprice ; et après toutes ses rêveries et toutes ses mesures on est échec, quelquefois mat. En définitive, à la suite de l'idéal aristocratique, ou dans un même temps, la « machinerie » courtisane offre une assise sociale et vivante, une expérience quotidienne à la littérature de l'apparence, de la « montre », du duel par trait d'esprit (remplaçant celui par les armeS), du théâtre du monde et du masque (dont l'habitude devient une seconde naturE), des rapports entre la réalité et l'illusion. Mais d'autre part, à l'inverse, l'omniprésence des conventions et des contraintes peut susciter une réaction de fuite : une nostalgie de la vraie vie seigneuriale, c'est-à-dire rurale, de la campagne et de la nature comme opposition symbolique à l'aliénation courtisane, une espèce de romantisme avant la lettre ; ainsi Saint-Simon dénonce-t-il le « mauvais goût » du parc de Versailles, où le roi se plaît à tyranniser la nature et à la domestiquer à grand renfort d'art et d'argent [...}. On se sent repoussé par la contrainte qui est partout imposée à la nature. Cet état d'esprit explique en partie le succès du « bucolique baroque », qui contribua au succès du Théâtre d'agriculture d'Olivier de Serres (1600) et fit du roman pastoral L'Astrée d'Urfé un véritable livre culte. Tout autant que dans la poésie métaphysique, dans la satire ou la fantaisie burlesque, c'est aussi dans cet éloge du retour à la terre, au « mesnage des champs » et à la solitude rêveuse, d'un prérousseauisme latent contre la perversité de la cour, l'impureté de la politique et le caractère dérisoire et fallacieux de la vie civile, qu'il faut voir aussi un aspect du grand thème de la vanité du monde. III. LE SPECTACULAIRE ROYAL Si l'on a pu définir l'art baroque comme l'art de l'absolutisme, c'est sans doute parce qu'il est contemporain de sa mise en place, mais c'est surtout parce que son essence spectaculaire a servi l'instauration, la propagande, et la glorification du pouvoir monarchique. 1. Évolution de l'apparat L'épanouissement de fêtes triomphales caractérise l'âge baroque : issues d'un héritage médiéval et renaissant, les manifestations traditionnelles de la royauté vont au cours de cette période s'enrichir et s'affirmer à la fois dans leur forme (réunion des artS) et dans leur fonction (instrument de pouvoiR). Ainsi l'Entrée solennelle du souverain dans une ville, avatar moderne du Triomphe antique et dérive de la procession médiévale, est un acte politique qui tient à la fois du théâtre, par ses décors et ses harangues, et de la liturgie, le roi donnant à voir sa « présence réelle ». Sur le parcours habituel - cortèges, édifices ornés de figures et de devises, tableaux vivants et groupes de chanteurs - se greffe du vrai spectacle. Les « magnificences » du « Grand voyage de France » de Charles IX, assez mal commencées en 1564 (l'entrée à Lyon ne fut, selon un témoin, « ny sumptueuse en habits, ny ingénieuse en apparat de Théâtres et Perspectives ») trouvent leur aboutissement dans les fêtes de Bayonne, six jours de spectacles étourdissants s'achevant sur une attaque de baleine, avec tortue géante montée par six musiciens déguisés en tritons, char de Neptune tiré par des chevaux marins, sirènes, bergères et nymphes célébrant « le François et l'Ibère ». Dans un registre plus sobre, l'entrée du même Charles IX à Paris en 1571 est une ouvre d'art total, fruit d'une collaboration entre Dorât et Ronsard pour les inscriptions sur les décors, ouvres du sculpteur Germain Pilon et du peintre Niccolo dell'Abate. Progressivement la formule s'affine et préfère, à l'éblouissement de la variété maniériste, l'organisation par un érudit d'un spectacle cohérent autour d'un thème archéologique {V imperatoR) ou mythologique (le dieu, le héroS). Pour Henri IV à Lyon en 1595, c'est Pierre Matthieu qui est choisi pour « disposer, inventer et ordonner l'appareil de ceste Pompe » ; à Avignon en 1600, le Labyrinthe royal de l'Hercule Gaulois triomphant est conçu par le jésuite André Valladier ; à Salon c'est le poète baroque Nostredame, fils de l'astrologue qui ordonne l'accueil de Marie de Médicis. Pour Louis X11I et Anne d'Autriche, comme pour leurs prédécesseurs, notamment dans les villes du Sud au cours des années 1620, l'entrée « à programme » est un prétexte à des actions théâtrales et architectures éphémères, et une fête de la parole, de l'allégorie et de l'allusion cultivée dont un livret donne description et explications. La plus grande fête urbaine du siècle, l'Entrée à Paris de Louis XTV et Marie-Thérèse en 1660, inaugurant le règne personnel par un spectacle à l'italienne (cavalcade, obélisques et arcs de triomphe factices, emblèmes et scènes mythologiques, chours d'hymnes sur des paroles de Boisrobert, pleins d'emphase et d'ornementS) annonce les fastes de Versailles. Le carrousel, qui remplace le tournoi depuis l'accident mortel d'Henri II, marque aussi le changement d'époque : à un exercice militaire manifestant la puissance des féodaux succède une illustration somptueuse de la suzeraineté du monarque. Tantôt il devient un spectacle complet dans lequel la littérature mythologique, la machinerie et les déguisements extravagants se mêlent à l'art équestre : ainsi celui de 1612, donné place Royale pour le mariage de Louis XIII, trois jours de cavalcade d'une pompe incroyable, avec chars allégoriques et décor du palais de la Félicité. Tantôt il s'organise en allégorie politique : celui de 1662 donne l'occasion à Louis XIV de s'affirmer de la manière la plus prestigieuse, en costume d'imperator, au pivot de quadrilles en cercles concentriques menés par des nobles costumés (le duc de Guise, par exemple, en « Roy Ameriquain » monté sur une licorne hérissée de serpentS) dont chaque devise fait référence à la puissance du Roi-Soleil, ordonnateur et moteur du grand « branle » social. Mais c'est surtout dans le divertissement de cour qu'il faut voir l'origine des spectacles baroques. Dans toute l'Europe au XVIe siècle (de l'intermezzo italien au Masque anglais de Ben Jonson et Inigo JoneS), c'est à l'origine un plaisir de la noblesse : elle y met en scène les événements du règne, tout en y cherchant l'équivalent des plaisirs populaires de la farce et du carnaval. L'élément de base est l'« entrée », digne ou drolatique, de nobles costumés, à pied ou montés sur un char, exécutant une danse imitative ou géométrique. « horizontale » (« espèce de Rhétorique muette » reproduisant au sol des figures codéeS) devant l'assemblée de courtisans, qui les rejoignent pour un grand bal. À la suite de la cour des Valois, dont tout le xvnc garde le brillant souvenir jusque dans La Princesse de Clèves, celle d'Henri IV continue à affectionner les petits divertissements (« mommeries », « mascarades », « boutades » et autre « bouffonneries »), représentés souvent à l'improviste. Le divertissement, en intégrant et en développant le répertoire allégorique et idéologique des deux autres types de spectacle royal, va se « littérariser », se professionnaliser, transformer les rites de la noblesse en art officiel, et produire en France au XVIIe siècle un véritable genre national, le ballet de cour qui influencera à son tour toutes les inventions théâtrales du temps : pastorale, comédie-ballet, pièce à machines, opéra et fête de cour. 2. Ballet de cour et politique Si les caractéristiques du baroque littéraire sont le polymorphe, la métamorphose, le spectaculaire, l'hybride et l'éphémère, il n'est rien de plus baroque que le ballet de cour. Or, ici encore, dans le fantasque et le féerique, cet art peut être consciemment inscrit dans un rapport de forces, mis au service d'un projet politique. En apparence, il s'agit d'un pur agrément innocent, comme en témoigne la définition donnée par Michel de Marolles, qui a assisté aux principaux ballets du règne de Louis XIII : une danse de plusieurs personnages masqués sous des habits éclatants, composée de diverses entrées ou parties qui se distribuent en plusieurs actes et se rapportent agréablement à un tout, avec des airs différents pour représenter un sujet inventé, où le plaisant, le rare et le merveilleux ne sont point oubliés. Mais le premier exemple encore tâtonnant d'un tel « sujet inventé », précisément à l'ouverture de cette période, révèle une réalité nettement moins « plaisante » : dans le Paradis d'amour (antiphrase provocatrice ?) présenté en août 1572 pour les noces d'Henri de Navarre et de la reine Margot, le combat simulé qui repoussait les huguenots en enfer fut suivi quelques nuits plus tard du massacre bien réel de la Saint-Barthélémy. Et si cette ambivalence, sur plusieurs milliers de ballets composés en quelques décennies, n'est pas une loi, on la retrouve néanmoins régulièrement sur toute la période : dans cette forme souple et insoucieuse des règles, aux sources d'inspiration traditionnelles - mythologie, héroïsme, exotisme, féerie ou burlesque - viennent se mêler l'histoire, la vie quotidienne, les institutions et les événements contemporains, associant ainsi le goût du public et de la cour à des problèmes de société et de pouvoir. Louis XIII, apparaissant sur scène à seize ans, utilise le Ballet de la délivrance de Renaud (1617), inspiré du Tasse, pour affirmer ses droits contre sa mère : il est effectivement suivi de l'assassinat de Concini. Même la cocasserie extravagante et grotesque du Ballet royal du grand bal de la douairière de Billebahaut [Bilbao] donné par Sa Majesté en février 1626, immortalisé par les lavis de Rabel, satire des mours royales étalée sous les yeux mêmes des seigneurs et des bourgeois, est peut-être une manière de se rapprocher du peuple : le roi lui-même le dansa à l'Hôtel de Ville. Et les « principaux ministres » (de Sully à ColberT) ont toujours vu dans le ballet un sérieux instrument politique : Richelieu dans le Ballet de la prospérité des armes de France par exemple, représenté en 1641 à la gloire de la monarchie française dans le nouveau théâtre du Palais-Cardinal équipé de machines ; et bien sûr Mazarin, amateur raffiné de spectacles et de musique, utilisant dès le début des années 1650, chez le jeune Louis XIV, la grâce du danseur pour affermir l'autorité du roi. Il ne faut pas négliger pour autant les spécificités esthétiques. Si l'on s'accorde à voir une éclosion du genre dans la grande première de Circé ou le Balet comique de la Royne.faict aux nopces de M. de Joyeuse, le 15 octobre 1581, son auteur, Balthasar de Beaujoyeulx, «le meilleur violon de la chrétienté » selon son ami Brantôme, n'hésite pas à se glorifier d'une création « sans exemple », sinon celui du théâtre antique, et d'avoir des cendres de la Grèce Fait retourner au jour le dessein et l'adresse Du Balet compassé [bien réglé] en son tour mesuré. Justifiant son audace par des antécédents prestigieux (« l'Antiquité ne réci-toit point ses vers sans musique, et Orphée ne sonnoit jamais sans vers »), il prétend à la fois « faire parler le ballet » et « faire chanter la comédie ». En fait, dès sa naissance, le ballet de cour est une ouvre collective, fruit d'une collaboration tendant à la fusion des arts et à l'équivalent dramatique de l'harmonie des cieux, puisque « l'Autheur de l'Univers est le grand maistre du Balet » (Marin Mersenne, L'Harmonie universelle, 1636). Le « dessein » peut être fourni par un courtisan qui charge un musicien, un chorégraphe et un poète d'exploiter sa trouvaille. Mais très vite ce dernier va imposer sa prééminence, en composant des chants, des petits récits intercalés, et surtout le livret explicatif, brochure imprimée où sont juxtaposés arguments, description sommaire et textes des divers rôles. On retrouve ainsi, dans les listes de librettistes de la première moitié du siècle, un grand nombre de littérateurs, poètes et dramaturges du temps : Boisrobert, Colletet (qui en fut aussi le théoricieN), Desmarets, Desportes, Durand, Gombauld, Lingendes, Nervèze, Porchères, Racan, Rapin, Régnier, Rosset, mais aussi d'Aubigné, Corneille, Malherbe, Saint-Amant, Tristan l'Hermite, Voiture et même Descartes. Progressivement, la subtilité du poète se manifeste dans ce qui fait l'originalité du ballet. D'abord, rappelons que le « ballet de cour », bien nommé, est à la fois « représenté à la cour » et « représentant la cour » : celle-ci participe, jusqu'au roi, à sa réalisation; les grands aristocrates y dansent, notamment ceux qui, d'après Tallemant des Réaux, « ont surtout de l'esprit aux pieds ». Il s'agit donc de tisser, par le livret, un lien allégorique entre le personnage du ballet et la personnalité de l'interprète. Et c'est par ce jeu sur l'ambiguïté que, sous Louis XIV, Benserade va régner sur le genre pendant trente ans, dans des vers pleins d'adresse, d'allusions spirituelles et mots à double entente : « Le coup portoit sur le personnage et le contre-coup sur la personne, ce qui donnoit un double plaisir » rapporte Charles Perrault. 3. Le merveilleux imaginaire Ce qui fait évoluer le spectacle vers sa perfection, c'est la cohérence thématique et dramatique. Au contraire du ballet traditionnel et maniériste, le ballet de cour recherche l'unité, la logique interne, l'équilibre entre le poétique et le bouffon, le merveilleux et le symbolique. Au cours du Ballet de la Nuit (1653) qui fait date dans l'histoire, puisqu'il finit sur la révélation du jeune Louis XIV dansant dans le magnifique costume de soleil naissant dessiné par Henri de Gissey, paraissent, d'après Jean Loret {La Muze historique, 1655), Les astres, le croissant, l'aurore. Maints assauts, maint rude combat Des sorciers allant au sabbat, Loups garous, dragons et chimères, Plusieurs galants, plusieurs commères. Des déesses, des forgerons. Des chrétiens, des Turcs, des larrons. Singes, chats, carrosses, incendies, Foires, bal, ballet, comédie... (encore ne rapporte-t-il là que la fin : il faudrait ajouter néréides, Égyptiennes, culs-de-jatte, satyres, etc.). Ce Ballet de la Nuit, dont le père Ménestrier se demande « si jamais notre théâtre représentera rien d'aussi accompli », tant la fantaisie s'accorde à l'élégance de l'allégorie chère aux jésuites, présente d'ailleurs un « ballet en ballet », caractéristique de l'esthétique baroque ; or le sujet choisi pour cet enchâssement, le Mariage de Thétis, en fait une annonce du programme de l'année suivante. En 1654, en effet, est monté le plus grandiose des spectacles imaginés par Mazarin pour consolider le pouvoir monarchique : Les Nopces de Pelée et de Thétis, fusion de l'opéra italien et du ballet de cour, où Louis XIV apparaît dans quatorze entrées, enthousiasmant le public trois fois par semaine pendant plus d'un mois ; à la fin le roi ordonna même de laisser entrer librement la foule de curieux, en un nouvel exemple du brassage des conditions au spectacle. Il faut dire que ce succès considérable est dû en partie aux machines du « magicien » Torelli. Car un des grands principes du ballet dès sa naissance, c'est qu'il doit susciter toujours la surprise, l'« admiration », et comporter des « choses extraordinaires qui tiennent du merveilleux ». Rien d'étonnant, donc, à ce qu'il soit né, en 1581, sous le signe de Circé, c'est-à-dire de la magie et de la métamorphose. Dès cette première Circé, la magie du théâtre déborde de la scène : ce soir-là la cour passe à Saint-Germain-des-Prés en traversant la Seine transformée en mer mythologique, sur une barque camouflée en carrosse, tirée par des chevaux marins, entourée de sirènes, de dauphins et de monstres aquatiques chargés de musiciens. Le spectacle lui-même est à l'avenant, inaugurant un demi-siècle de féeries et d'effets spéciaux - avant même l'arrivée décisive des Italiens -, sous le signe des magiciennes (Circé, Médée ; Alcine emprunte à l'Arioste et Armide au TassE), des enchantements (OrphéE) et du monde marin (Thétis, ProtéE)... Arguments et témoignages contemporains disent à l'envi le « charme » que peut exercer la succession de ces apparitions et les prodiges d'ingénierie qu'elles supposent : palais enchantés qui surgissent et disparaissent, nuées mouvantes, rochers dansants, îles flottantes, forêts embrasées, cédant soudain la place à des jardins aux fontaines rustiques ; vagues de la mer qui envahissent la scène ou la salle ; chars conduits par des singes et tirés par des dragons dont la gueule jette des flammes, montagnes dont sortent des lions, des cerfs, des loups, des oiseaux de toutes espèces, des chevaliers, des pages ; écueils qui se changent en matelots ou qui s'ouvrent sur des tables couvertes de fruits, de confitures et de liqueurs, emportées tout d'un coup par une bouffée de vent... Évanescence et folie, c'est au cour de cette universelle inconstance et de cette constante illusion que se révèlent parfois, de manière discrète ou éclatante, une réalité et une permanence : la figure du monarque, comme point fixe et arbitre absolu de l'élégance et du pouvoir. En février 1670, Louis XIV cesse brusquement de danser en public, peut-être, si l'on en croit Boileau, « ayant vu jouer Britannicus de Racine, où la fureur de Néron à monter sur le théâtre est si bien attaquée » : A se donner lui-même en spectacle aux Romains, A venir prodiguer sa voix sur un théâtre, A réciter les chants qu'il veut qu'on idolâtre [...] Ah ! ne voulez-vous pas les forcer à se taire ? Sans doute le Roi-soleil n'a-t-il plus rien à prouver de sa personne. Mais sa politique spectaculaire ne saurait s'arrêter là : le baroque de la fantaisie et du merveilleux fait seulement place à celui de la magnificence. 4. Fêtes de l'absolutisme La magnificence n'appartient qu'au roi : le premier acte personnel du règne est l'arrestation de Foucquet, au lendemain des sompteuses fêtes de Vaux. Mais elle lui est une obligation : non plus d'affirmation de soi comme dans l'éthique aristocratique, mais de dignité et de majesté, selon une exigence double imposée au monarque. La première de ces exigences reste politique, bien comprise d'ailleurs par Colbert : Louis XIV fournit dans ses Mémoires une justification gouvernementale des réjouissances publiques de la monarchie : les peuples, écrit-il, dans une sorte de machiavélisme serein : se plaisent au spectacle, où au fond on a toujours pour but de leur plaire ; et tous nos sujets, en général, sont ravis de voir que nous aimons ce qu'ils aiment ou à quoi ils réussissent le mieux. Par là nous tenons leur esprit et leur cour, quelquefois plus fortement peut-être que par les récompenses et les bienfaits. La seconde est « commandée par Dieu, comme un soutien nécessaire à la royauté », selon Bossuet {Politique tirée de l'Écriture SaintE) qui invoque pour la monarchie, non la grandeur antique, mais la splendeur orientale (« Dieu voulait que la Cour du Roi Salomon fût éclatante et magnifique, pour imprimer aux peuples un certain respect ») et qui rappelle la prière du sacre : Puisse la dignité glorieuse et la majesté du palais faire éclater, aux yeux de tous, la grande splendeur de la puissance royale, en sorte que la lumière, semblable à celle d'un éclair, en rayonne de tous côtés. On voit que cet appel à une ostentation éblouissante est moins proche de la sobre solennité classique que de l'esthétique baroque. Celle-ci trouve sa quintessence et son épanouissement (en 1664, 1668 et 1674, voir encadré) dans les fêtes royales de Versailles : ce château qui ne comporte pas de théâtre, tant il semble tout entier conçu pour la représentation, ce jardin où l'espace entier est allégorisé comme un texte à déchiffrer à la gloire du monarque, représentent « un monde où du grand univers se trouvent rassemblés les miracles divers » (Charles PerraulT). Spectacles à la cour de France Spectacles royaux (« magnificences », entrées, carrouselS) 1564-1565 Entrées de Charles IX durant le « Grand Voyage de France » à Lyon, Avignon, Tours ; « magnificences » de Bayonne 1572 Magnificences pour le mariage d'Henri de Navarre avec Marguerite de Valois (la Reine MargoT) comprenant mascarade, entrées sur chars marins, ballet Le Paradis d'Amour, course de bague le 21 août (veille de la Saint-BarthélémY) 1600 Entrées de Marie de Médicis à Lyon et Avignon 1612 Carrousel sur la place Royale pour les mariages franco-espagnols 1622 Entrées de Louis XIII à Avignon, Aix-en-Provence, Arles et Lyon 1660 Entrée de Louis XIV à Paris 1662 Grand Carrousel pour fêter la naissance du dauphin Ballets de cour (Paris et VersailleS) 1581 Ballet Comique de la Royne (naissance du genre, au mariage duc de JoyeusE) 1610 Le Ballet de Monseigneur le duc de Vendosme 1617 Le Ballet de la délivrance de Renaud (apparition triomphante de Louis XIII) 1626 Ballet royal du grand bal de la Douairière de Billebahaut (ballet burlesquE) 1641 Ballet de la Prospérité des armes de France (ballet politique de RichelieU) 1653 Ballet de la Nuit (Benserade et Torelli ; le roi en soleil interprète le ballet finaL) 1661 Ballet de l'Impatience et Ballet des Saisons (Benserade, Lully, VigaranI) 1665 Ballet de la naissance de Vénus (Benserade, Lully, VigaranI) 1672 Fêtes de l'Amour et de Bacchus (fin du ballet de couR) Pièces à machines et comédies-ballets 1645 La Finta Pazza (livret Strozzi, musique Sacrati et Balbi, décors TorellI) 1650 Andromède, tragédie de Corneille (machines de TorellI) 1654 Les Nopces de Pelée et de Thétis, Benserade et Torelli, avec danse du roi 1660 La Toison d'or, Corneille 1662 Hercule amoureux, opéra à machines (Cavalli, Lully, machines des VigaranI) 1664 Le Mariage forcé, comédie-ballet de Molière, musique de Lully 1665 L'Amour médecin (Molière, LullY) 1670 Le Bourgeois gentilhomme (Molière, LullY) 1671 Psyché (Corneille-Mol ière-Lully-VigaranI) Fêtes à la cour [1661 Fêtes de Vaux comprenant Les Fâcheux de Molière, décors de Torelli] 1664 Les Plaisirs de l'isle enchantée (VersailleS) comprenant « Course de Bagues, Collation ornée de machines. Comédie meslée de Danses et de Musique [La Princesse d'Élide de Molière et Lully], Ballet du Palais d'Alcine, Feu d'artifices et autres festes galantes et magnifiques [dont Tartuffe ou l'imposteur de Molière] » 1668 Feste de Versailles avec « Collation, Comédie en prose [Georges Dandin], Ballet d'Amour et de Bacchus par Lully, Souper, Jeux d'eau et Feux d'artifice » 1670 Divertissement royal de Saint-Germain-en-Laye comprenant entrées, ballets, machines et la Comédie des Amants magnifiques de Molière 1671 Ballet des ballets à Saint-Germain : extraits des Amants magnifiques, de Psyché, du Bourgeois gentilhomme et comédie de La Comtesse d'Escarba^nas 1674 Divertissements de Versailles avec la « tragédie d'Alceste par Quinault et Lully, concert au Trianon, Collation, Promenade en gondole. Comédie du Malade imaginaire par Molière, Opéra des Fêtes de l'Amour et de Bacchus, Tragédie d'Iphigénie par Racine, canonnades, feux et embrasement des machines » « Miracle » de l'éphémère (effimero baroccO), de la rapidité dans l'apparition. « Le baroque est une civilisation impatiente » (AlewyN) qui n'aime rien tant que tout ce qui rappelle la magie, la promptitude du changement, la réalisation enlevée (fa prestO), éblouissante : à Versailles, les constructions les plus baroques sont les plus éphémères. C'est vrai du Trianon de porcelaine qui sembla, selon Félibien, « sorti de terre avec les fleurs du printemps » et qui s'effrita aussi vite que les amours qui l'avaient inspiré, ou de la grotte de Thétis, féerique décor de « rocaille » qui laissera sa place au vestibule de la Chapelle. C'est plus vrai encore de l'architecture scénique, des théâtres improvisés et des somptueux décors de Vigarani pour la Psyché de Molière (« On y voit tantôt des palais / De marbre, en un tournemain faits / Puis en moins de rien à leur place / Sans qu'il en reste nulle trace / Des mers, des jardins, des déserts / Enfin les cieux et les enfers ») ou pour l'lphigénie de Racine. Et c'est aussi vrai de l'écriture théâtrale : L'Impromptu de Versailles, écrit en huit jours, se présente plaisamment comme une improvisation : MOLIÈRE : Mon Dieu, Mademoiselle, les Roys n'ayment rien tant qu'une prompte obeïssance. Les choses ne sont bonnes que dans le temps qu'ils les souhaitent ; et leur en vouloir reculer le divertissement est en oster pour eux toute la grâce. Ils veulent des plaisirs qui ne se fassent point attendre, et les moins préparez leur sont toujours les plus agréables [...] « Miracle » de l'abondance, de la surcharge, du superflu. Les collations décrites par Félibien (Relation de 1668 et Divertissements de 1674), sortes de goûters, d'en-cas, semblent sorties d'un conte de fées : cavernes pleines de viandes froides, palais de caramels, sièges de melons et vergers de fruits confits, pyramides de pâtes sucrées, cuvettes de crèmes glacées, fontaines de liqueurs, etc., le tout au son des violons et des hautbois... Mais au moment de remonter dans sa calèche suivie de plus de trente carrosses à six chevaux, le roi et sa suite s'attardent devant un spectacle autrement divertissant, celui du peuple affamé : « les tables furent abandonnées au pillage, ainsi qu'elles ont accoutumé de l'être en ces sortes de rencontre [...] Et la destruction d'un arrangement si beau servit encore d'un divertissement agréable à toute la cour par l'empressement et la confusion de ceux qui démolissaient ces châteaux de massepain et ces montagnes de confiture. » « Miracle », enfin, de la variété et de la fusion des arts, où le littéraire se dissout parfois dans le spectacle. Si ces fêtes consacrent le genre de la comédie-ballet, la Gazette et la cour applaudissent davantage, dans Monsieur de Pourceaugnac ou Le Bourgeois gentilhomme, les entrées, décors, symphonie et turquerie que la comédie elle-même ; pour Les Amants magnifiques, il n'est pas fait mention du nom de Molière. Le « poème » dramatique devient un accessoire du spectacle total, fait de musique, de chorégraphie, de pyrotechnie, d'hydraulique. On quitte Georges Dandin pour un ballet de Lully suivi du souper avec jeux d'eau el de lumière sur la table, ou Iphigénie pour l'illumination du grand canal avec les « symboles ornementaux » par Le Brun et « machine portée par sept vaisseaux, canonnades, feux tirés de la gueule d'un dragon et embrasement général » (FélibieN). L'esprit baroque est bien là, dans le mélange des genres et des arts, de la nature et de l'artifice, de l'eau et du feu - « ces éléments étaient tellement mêlés ensemble que, ne les pouvant reconnaître, il en paraissait un nouveau, d'une nature tout extraordinaire » (ibid.) -, des règnes mêmes : ainsi, au terme des six jours somptueux et des six nuits éblouissantes de 1674, Félibien nous montre l'eau du grand canal « comme s'enfler d'orgueil » sous les gondoles de Leurs Majestés, cependant que sur les bords, dans les intervalles entre les six cent cinquante figures illuminées, « on avait représenté avec la même industrie » les créatures de prédilection du bestiaire baroque : « toutes sortes de poissons qui semblaient s'être rangés au bord de l'eau pour voir passer sur leur élément, comme en triomphe, le plus grand roi du monde ». |
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