Essais littéraire |
Un monde en représentation On juge souvent sévèrement la propension du Moyen Age finissant à s'étourdir dans son propre reflet. Dans les fastes chevaleresques et princiers un monde insoucieux ou ignorant de son propre déclin paraît se mirer avec complaisance. La misère physique et morale de la condition humaine elle-même s'étale avec les représentations de la danse Macabre et leurs équivalents littéraires. Il est vrai que peu d'époques ont aussi volontiers joué leur propre mise en scène. Chaque entrée royale, minutieusement relatée par les chroniques, offre la combinaison de plusieurs spectacles : celui du cortège princier, dans sa puissance et dans sa gloire ; celui des tableaux vivants, des bribes de représentation dramatique qui s'animent sur son passage et manifestent le sens de la circonstance par les correspondances de l'allégorie ; celui des manifestations emblématiques de l'abondance (banquets ouverts à tous, fontaines d'où coule le vin, etc.). Sacre, couronnement, reddition, réception ou conférence diplomatiques, procès, exécution capitale, tout est, autant que les représentations théâtrales elles-mêmes, occasion de mise en scène. Mais la société chevaleresque se plaît surtout à se contempler dans le miroir de la littérature et à se déguiser sur le modèle que lui offrent les romans. Elle multiplie les fêtes et les tournois à thème arthurien, elle reproduit dans ses jeux les aventures des héros de romans. Jean de Luxembourg s'inspire d'un épisode d'Alixandre l'Orphelin quand il défend le Pas de la Belle Pèlerine contre des adversaires portant les armes de Lancelot ou de Pala-mède. Le roi René d'Anjou, grand connaisseur en la matière et auteur d'un Livre des tournois, emprunte au Lancelot en prose le nom du château de la Joyeuse Garde donné à une emprise et pas qu'il organise près de Chinon (un pas d'armes est un tournoi édul-coré et ritualisé où le cérémonial, réglé de façon rigide, l'emporte sur les hasards et la brutalité de la joutE). Pendant un an, de l'automne 1449 à l'automne 1450, en Bourgogne, Jacques de Lalaing défend pour une Dame de Pleurs la Fontaine de Pleurs contre tout adversaire. On consacre aux exploits de ce personnage bien réel un livre écrit comme un roman (Livre des faits de Jacques de LalainG), comme il y aura aussi un Livre des faits du maréchal de Boucicaut. A Lille en 1454, le duc de Bourgogne Philippe le Bon fait précéder d'un Pas du Chevalier au Cygne, dont le nom même dit la source littéraire, le célèbre Banquet du Faisan où ligure parmi les « entremets » un chasteau a la façon de Lusignan avec au plus hault de la maistresse tour Melusine en forme de serpente. Les chroniqueurs du temps, surtout les Bourguignons, se font l'écho complaisant de ces jeux inspirés par les romanciers qui eux-mêmes décrivent avec toujours plus d'abondance et d'enthousiasme les manifestations ostentatoires de la gloire chevaleresque. Grand amateur de romans bretons, Jacques d'Armagnac, qui surnommait son sénéchal de Castres Palamèdc, est peut-être l'auteur de la Devise des Armes des Chevaliers de la Table Ronde suivie de minutieuses Lqys et ordonnances de l'Ordre des Chevaliers de la Table Ronde, où se fait jour, comme dans les tournois à thème arthurien, le désir d'actualiser dans le réel la fiction romanesque. C'est ce même désir que flatte la création des ordres de chevalerie, celui de la Toison d'Or à la cour de Bourgogne, celui du Croissant à la cour d'Anjou, à la cour de France celui de Saint-Michel, dont l'instauration répond d'autant plus clairement à une intention politique que Louis XI était lui-même fort étranger à ces jeux, bien d'autres encore. On cherche ainsi à donner vie au passé romanesque et à donner à la vie les couleurs du roman. Le miroir romanesque Le sentiment du passé littéraire, les mises en prose et leur esprit Car le monde des romans est plus que jamais un monde du passé. C'est dans le passé que sont projetés, en même temps que l'action des romans, les valeurs et l'imaginaire du temps. Il n'y a là, semble-t-il, rien de nouveau : les premiers romans et les chansons de geste faisaient de même. Mais à la fin du Moyen Age, le passé du récit est redoublé par celui de la littérature elle-même. Arthur, Charlcmagne, Alexandre n'ont pas seulement vécu il y a très longtemps. Il y a très longtemps aussi qu'on parle d'eux. Au début du roman d'Ysaïe le Triste, dont les protagonistes sont le fils, puis le petit-fils de Tristan et d'Iseut, l'auteur insiste sur la durée des aventures bretonnes : au moment où commence son histoire, nous dit-il, le roi Arthur est très âgé et certains chevaliers de la Table Ronde sont déjà morts. Non seulement tous ces personnages ont vécu à une époque reculée, mais encore leur vie littéraire est déjà longue, si longue qu'ils en sont devenus vieux. Et cette vie, ils l'ont menée, non pas dans un autre monde littéraire, celui de l'Antiquité ou celui de quelque tradition folklorique ou pseudo-historique incertaine, comme lorsqu'ils ont été accueillis dans les premiers romans français, mais dans ces romans mêmes, c'est-à-dire, sans aucune solution de continuité linguistique, culturelle ou chronologique, chez les prédécesseurs et les modèles immédiats de ceux de la fin du Moyen Age qui en sont pour la plupart des remaniements ou des mises en prose. Pour la première fois, la littérature française joue des perspectives ouvertes par la perspective de son propre passé. Elle éprouve le vieillissement des modes et celui de la langue. Elle découvre que le vers est devenu difficile et rebutant pour le public contemporain qui lui préfère la prose. D'où le besoin de rajeunir les vieux romans, et en particulier de récrire en prose ceux qui étaient en vers. On justifie ces mises en prose en arguant que les anehiennes histoires rymees, la vieille rime ont cessé de plaire, pour ce que aujour d'huy les grans princes et autres seigneurs appetent plus la prose que la rime (Histoire de Charles Martel et de ses successeurS), car plus volontiers s'i esbat l'en maintenant qu'on ne souloit et plus est le laingage plaisant prose que rime (Guillaume d'Orange en prosE) : tel est Y appétit du temps, concluent les auteurs d'Anséis de Carthage et de Florent de Lyon. On s'aperçoit que le français d'il y a deux ou trois siècles est du vieux français, différent de la langue moderne, presque incompréhensible : Et a esté le présent livre nouvellement reduict de vieil langage corrompu en bon vulgaire françois (MabriaN). En 1500, Jean Molinet adapte et moralise en prose le Roman de la Rose, car, depuis le XIIIe siècle, le français est devenu, dit-il, fort mignon et renovellé. Un peu plus tard, Pierre Durand, adaptant Guillaume de Pakme, dit avoir mis en langage moderne François ce qui estait Romant antique rimoyé en sorte non intelligible ne lisible. Ainsi se fait jour une sorte de dialectique du renouvellement et de la fidélité. Il faut bien récrire les vieux romans, puisque la langue et la mode ont changé. Mais s'il faut les récrire, c'est pour les sauver, pour les garder, comme le dit Pierre Durand, « lisibles ». Le principe de la réécriture, qui, dans la pratique, prend la forme de la mise en prose, suppose, plus qu'une évolution continue, une pérennité figée de l'univers littéraire. A cet égard, la comparaison entre les premiers romans en prose, au XIIIe siècle, et les mises en prose de la fin du Moyen Age est éclairante. Les premiers romans en prose ne répètent pas leurs prédécesseurs en vers. Ils constituent une création originale à partir des personnages, des situations, de l'imaginaire que ceux-ci leur fournissent. Les écarts d'esprit, de signification, de choix esthétique entre les uns et les autres témoignent de l'évolution vivante d'un courant littéraire. La tradition s'en perpétue encore au XIV siècle : Tsay'e le Triste se greffe sur le Tristan en prose, le Petit Artus de Bretagne, bien qu'indépendant en fait des cycles antérieurs, surdéterminc par son titre même l'idée d'une filiation par rapport au monde arthurien, l'immense Perceforest écrit la préhistoire arthurienne. Jusqu'à la fin du Moyen Age, d'ailleurs, de nouvelles copies sans cesse remaniées, redécoupées, contaminées, des grands romans cycliques - le Lancelot-Graal ou le Tristan en prose - témoignent à la fois de leur survie et de leur ressassement. Mais la mise en prose - dont le principe est ancien, puisqu'elle est pratiquée pour la première fois, autant qu'on puisse en juger, sur l'Histoire du saint Graal de Robert de Boron - ne se veut rien d'autre qu'une traduction. Elle est conservatrice d'une activité littéraire qu'elle considère comme achevée et passée, qu'elle admire de l'extérieur, dont elle cherche à donner une idée à un public moderne plus qu'elle ne prétend la faire sienne et la poursuivre. Le poids du passé littéraire, conservé et aménagé en tant que tel, étouffe l'élan créateur sous les impératifs d'une restauration respectueuse. Certes, les mises en prose les plus fidèles à leur modèle s'en écartent en réalité sensiblement. Mais elles semblent peu conscientes de leur propre nouveauté, où elles prétendent ne voir qu'un tribut payé au vieillissement de la langue, et elles se satisfont d'emprisonner la création romanesque dans le miroir du passé en en faisant le fruit de la répétition. Syncrétisme de la prose L'hégémonie progressive de la prose, qui, à la fin du XV siècle, détient à peu de chose près le monopole de la narration, a des causes multiples et souvent étudiées, au nombre desquelles figurent probablement d'une part l'assouplissement de la langue, d'autre part le développement de la lecture individuelle. Mais le succès a sans doute appelé le succès : celui de la prose a dû accélérer, avec l'évolution de la langue littéraire, le vieillissement du vers, dont la syntaxe, devenue étrangère, rebutait le lecteur habitué à la prose. L'uniformisation du mode de diffusion et de lecture des textes littéraires avait retiré sa pertinence à la distinction traditionnelle entre les genres narratifs (chanson de geste, romaN), qui étaient fondés en grande partie sur des oppositions de forme poétique, liées elles-mêmes à des modes de réception différents. Elle avait ainsi favorisé le développement de la prose, dans l'uniformité de laquelle se fondent ces genres divers. La résolution des différents genres littéraires et des modes d'utilisation variés qui leur sont liés en une forme unique, celle de la narration en prose divisée en chapitres, a pour conséquence que l'attente du public est la même quelle que soit l'histoire racontée, et qu'elle dérive d'une chanson de geste, d'un roman antique ou breton, d'un récit hagiographique. La vision du monde propre à chacun de ces genres perd dès lors de sa spécificité aux yeux du lecteur et se fond dans une sorte de syncrétisme idéologique commun à toute la littérature narrative. Certains romans au caractère un peu hybride ont ainsi obtenu peu de succès dans leur version d'origine en vers, dont seuls des fragments nous sont parfois parvenus, alors que leur mise en prose a été ensuite largement diffusée : c'est le cas de Bérinus, de la Belle Hélbie de Constantinople, de Baudouin de Flandres ou, dans des conditions un peu différentes, d'Apollonius de Tyr. En prose, tout est bon pour l'aventure. Si fidèle que soit chaque mise en prose à l'égard de son modèle, l'ensemble du corpus littéraire ainsi constitué reçoit de cette manière une tonalité et une valeur nouvelles. Survie du roman en vers Le roman en vers, encore bien vivant au début du XIV siècle où le Roman du comte d'Anjou de Jean Maillait, par exemple, s'inscrit dans la droite ligne des romans dits « réalistes » du XIII siècle, ne survit à la fin que dans des cas limites. C'est que la fusion de tous les types de narration dans l'uniformité de la prose donne par contraste au vers une unité qu'il n'avait jamais eue. Il trouve cette unité dans la coloration affective et subjective qui commence à le marquer en tant que tel et à définir la notion de poésie. Les romans en vers qui continuent à s'écrire se ressentent de cette évolution. Es tendent souvent à donner à l'aventure amoureuse l'expression intériorisée de l'allégorie. Le titre même du Roman de la Dame à la licorne et du Beau Chevalier au Lion (XIV sièclE) réunit, derrière l'apparente symétrie des deux héros dotés chacun d'un animal emblématique, un chevalier de roman d'aventures qui évoque bien entendu l'Yvain de Chrétien de Troycs et un personnage féminin à demi allégorique, associé au symbolisme amoureux de la licorne et dont le mari s'appelle Privé Dangier, comme s'il n'était que la personnification de sa pudeur. Aussi bien, le lion et la licorne se font cmblématiqucment face sur les tapisseries du Musée de Cluny à Paris et des Cloisters à New York. Entre ce roman, qui reste un vrai roman, et les dits qui, racontant un songe allégorique du poète ou retraçant l'aventure du moi, échappent, malgré leur caractère narratif, au genre romanesque, des poèmes ou des prosimètres au classement incertain assurent une continuité : dits amoureux influencés par le Roman de la Rose comme Pamphile et Galatée de Jean Brasdcfer de Dammartin-en-Goële ; romans du moi issus du croisement du roman allégorique et du roman breton comme, à la fin du XIV siècle, le Chevalier errant du marquis Thomas III de Saluées ou, au milieu du XV, le Livre du Cour d'Amour épris du roi René d'Anjou. Le premier emprunte des passages entiers au Roman de la Rose, sans pour autant que l'ouvre, immense et de conception assez originale, soit d'un plagiaire. Le second, dont la narration est plus conforme au modèle romanesque, s'inspire ouvertement à la fois du Roman de la Rose et des romans arthuriens. Livres de princes dilettantes, livres de lecteurs, ils font la synthèse de ce qui en leur temps séduit et nourrit l'imaginaire sur le versant subjectif de la narration. C'est sur ce versant que se trouve désormais l'avenir du vers. Paraissent anachroniques, à partir du dernier tiers du XIVe siècle, les romans en vers qui ne sont pas en même temps des romans du moi. Le recours au vers peut être simplement la marque d'une nostalgie. Il l'est sans doute pour Froissait, qui compose dans les années 1380 un long roman arthurien en vers, Méliador, alors que plus personne n'en avait écrit depuis leEscanor de Gérard d'Amiens, un siècle plus tôt. Ce roman, semble-t-il, n'aura de vrai succès qu'à la cour, certes brillante mais malgré tout provinciale, de Gaston Phébus. Ailleurs, le recours au vers peut aller de pair avec une certaine maladresse et relever ainsi du conservatisme propre à des ouvres semi-populaires, ou tout au moins littérairement peu évoluées. On l'a soutenu à propos du Roman de Mélusine de Cou-drette, bien que ce soit faire quelque tort au talent de ce poète et bien que son roman ne dérive pas, contrairement à ce qu'on a longtemps cru, du Mélusine en prose de Jean d'Arras, qui le précède de quelques années en cette fin du XIV siècle. Il reste que Coudrette écrit en vers pour la famille assez obscure des seigneurs de Parthcnay, Jean d'Arras en prose pour le duc Jean de Berry, le prince le plus au fait des modes artistiques. Le trait est toutefois plus net s'agissant d'eeuvres comme Eledus et Serena, Brun de la Montagne, le roman franco-italien de Belris et Machabia ou Richard sans Peur, une suite de Robert le Diable qui possède, il est vrai, les mêmes caractères dans sa version en prose, appelée au-delà du Moyen Age à un grand succès, que dans sa version en vers. Dans les toutes dernières années du XVe siècle, cependant, sous le règne de Charles VIII, l'humanisme naissant paraît donner au vers une valeur nouvelle : pour Octovicn de Saint-Gelais, c'est visiblement la marque du bel esprit que de traduire en vers - même exécrables - l'Enéide ou Eurialus et Lucrèce d'Eneas Silvio Piccolomini (le pape Pie II), traduit aussi vers la même époque en vers et prose alternés par Antitus Faure. Ecriture historique du roman La généralisation de la prose ne donne pas seulement par contraste au vers une coloration nouvelle. Elle témoigne aussi du rapprochement entre le roman et l'histoire, ou plutôt de la mise en forme historique du roman. Ce sont les formes de la littérature historique en français qui s'imposent dans une large mesure à la littérature de fiction dès lors qu'elle a perdu, en passant à la prose, les caractéristiques des différents genres auxquels elle empruntait sa matière. L'écriture romanesque se modèle sur celle de l'histoire, et le roman retrouve les prétentions historiques qui avaient été les siennes à ses débuts. Aussi bien, ni le vocabulaire ni les catégories littéraires de l'époque ne distinguent nettement le roman et l'histoire. Compilant au XV siècle l'ensemble de la matière épique, le Bourguignon David Aubert intitule son énorme ouvrage Chroniques et conquêtes de Charlemagne. La matière antique de Troie ou d'Alexandre, celle des croisades, sont refondues sous une coloration historique plus soutenue, même lorsque les sources des nouveaux ouvrages sont purement romanesques ou épiques, même lorsque leur contenu fait la plus large part au merveilleux. Gilles de Chin ou Gilion de Trasignies fondent systématiquement sur des souvenirs historiques l'accumulation des aventures fabuleuses. Au début de Baudouin de Flandres, un comte de Flandre épouse un démon qui s'est incarné dans le cadavre d'une princesse orientale. Ce motif, bien connu de la littérature indienne et arabe, se retrouve un peu plus tard dans Richard sans peur. Mais à partir de là, au lieu de se concentrer sur les aventures d'un héros, le roman se transforme en une chronique qui s'intéresse à de multiples personnages et se déroule sous les règnes de Philippe Auguste, de Saint Louis et de Philippe III le Hardi. Il s'achève, non par le dénouement d'une intrigue ou d'un récit, mais avec la mort de ce dernier souverain et la montée sur le trône de Philippe le Bel. Il réécrit l'histoire, celle de Bouvines ou celle de la septième croisade. Il s'attache à des personnages historiques qu'il affuble de destins fantaisistes, comme Ferrant de Flandre ou comme Jean Tristan, dans la réalité troisième fils de Saint Louis, né à Damiette et mort devant Tunis, qui, devenu le fils aîné du saint roi, se voit attribuer une vie particulièrement mouvementée. Le mécénat princier favorise les romans généalogiques écrits sur commande à la gloire d'une famille, de ses racines dans l'histoire et dans le mythe, des personnages qui l'ont illustrée. C'est le cas de l'Histoire des seigneurs de Gavre, des deux versions de Mélusine, écrites pour des commanditaires apparentés aux Lusi-gnan, de Fouke le Fitz Warin et de Guy de Warwick, qui poursuivent la tradition anglo-normande du roman familial. Les romans écrits à la cour de Bourgogne jouent volontiers de leur apparence historique pour flatter le duc par des allusions ou des parallèles implicites : ainsi le Roman du comte d'Artois ou l'Histoire de Jason et de Médée de Raoul Le Fèvre, évidemment liée à la création de l'ordre de la Toison d'Or. Même les mises en prose des romans les plus « classiques » et les moins historiques de l'époque précédente tentent de les tirer vers l'histoire : on multiplie les précisions dynastiques et familiales dans les entrées en matière et les épilogues, les repères chronologiques, les allusions à des événements ou des personnages réels. Ces traits sont sensibles dans les mises en prose d'Erec et de Cligès de Chrétien de Troyes, de Cléo-madès d'Adcnct le Roi, du Roman de Chastelain de Coucy et de la Dame du Fayel de Jakesmes, et dans bien d'autres. En même temps, bien des romans manifestent le même souci éducatif ou pédagogique qui anime, on l'a vu plus haut, des ouvrages qui prétendent échapper totalement à la fiction, comme le Lime de Boucicaut, celui de Jacques de Lalaing, le Jouvencel. Ce souci se rencontre aussi bien dans des romans bretons comme Ysaïe le Triste ou Perceforest, dans Cleriadus et Meliadiee ou dans l'Histoire d'Olivier de Castille et d'Artus d'Algarbe, que dans un roman situé dans un passé récent, et proche par certains aspects de Jacques de Lalaing, comme Jehan de Saintré d'Antoine de la Sale. Les proses et les remaniements de la fin du Moyen Age ajoutent volontiers à leur modèle des développements sur les qualités du bon prince et de son gouvernement, comme dans la version de Vienne d'Apollonius de Tyr ou dans Floriant et Florete. Du roman romanesque au roman populaire Mais la revendication de la vérité historique comme celle de l'utilité didactique sont évidemment des masques de la séduction romanesque. Le roman connaît à la fin du Moyen Age une déperdition du sens qu'il compense en prétendant à la vérité référentielle et à l'enseignement. Il se veut histoire dans le même temps qu'il devient romanesque au sens moderne du terme : ce sont les deux aspects d'une même évolution. Et il devient romanesque si l'on entend par là qu'aucun enjeu transcendant n'est plus impliqué par l'aventure individuelle, réduite à une étape dans la conquête par le héros de l'amour et du bonheur, parfois du salut, éventuellement au service d'une communauté, mais dont les intérêts et les visées peuvent être circonscrits, mesurés, satisfaits. De l'appel à des luttes nouvelles pour la défense de la chrétienté sur lequel s'achève la Chanson de Roland à la grande histoire du Graal qui ordonne à un dessein divin les aventures et les amours des chevaliers de la Table Ronde, chaque chanson de geste, chaque roman courtois classique, apparaît comme un fragment, certes centré sur un destin particulier, d'une histoire qui le dépasse, lui donne, mystérieusement parfois, son sens, l'affronte et le soumet à des valeurs impérieuses dont la soudaine émergence révèle la cohérence souterraine. Désormais, au contraire, rien ne passe la mesure du héros, et la fin de ses aventures est la fin de tout. D'où la tendance à les multiplier et à allonger le roman par leur accumulation, l'histoire sachant qu'elle mourra avec elles et qu'aucune résonance ne la prolongera. D'où également l'impression que tout se limite à la recherche d'un petit bonheur romanesque, qui n'épargne même pas l'idéal de l'amour. Micheau Gonnot, dans sa compilation arthurienne (manuscrit Bibl. Nat. fr. 112), écrit d'un personnage : Amoreux nefiit il gueres, autant amoit l'une comme l'autre ; il prenoit son aventure la ou il la pouvait trouver. Cette tendance apparaît dès le XIIIe siècle, mais elle se généralise à la fin du Moyen Age. En voici deux exemples empruntés au domaine arthurien, qui se prêtait à l'origine si peu à une telle attitude. Le Chevalier au pape-gau, petit roman en prose du XV siècle, relate une aventure de jeunesse du roi Arthur lui-même. Il est évident qu'Arthur ne peut devenir le héros d'un roman qu'en renonçant à son rôle d'arbitre et de garant des valeurs du monde sur lequel il règne, puisque l'excellence de ses exploits ne peut être sanctionnée par son propre verdict. C'est pourquoi, dans les anciens romans, lorsqu'il occupait le devant de la scène, c'était pour son malheur, dans l'épisode de l'enchanteresse Gamille ou dans celui de la fausse Guenièvre du Lancelot en prose, dans la Mort Artu. L'accumulation des motifs traditionnels du merveilleux breton n'empêche pas le Chevalier au papegau, où la présence bouffonne du perroquet introduit un élément comique, de se borner à la relation de succès guerriers ou sportifs dont la seule raison d'être est d'ouvrir la voie aux succès amoureux, limités eux-mêmes à un éphémère repos du guerrier. Aventures et amours ne sont plus le signe d'une vérité essentielle et cachée, mettant en jeu le destin de l'homme. Le héros des unes et des autres pourrait être n'importe qui. Son identification au roi Arthur a pour seule fonction d'éveiller les échos du passé pour en faire les succédanés de ceux, absents, du sens. Telle est aussi la fonction du monde arthurien dans Méliador. Le roi Arthur propose aux meilleurs chevaliers du monde entier une quête, comme à la grande époque- Mais cette quête, qui doit durer cinq ans, est une sorte de championnat par points dont les épreuves consistent en des tournois et des joutes variés et dont le vainqueur épousera la belle princesse d'Ecosse Hermondine. En outre, pour que tout finisse vraiment bien, les suivants, classés par ordre de mérite, obtiennent des lots de consolation, c'est-à-dire que chacun épouse sa chacune, choisie parmi les jeunes personnes présentées au cours du roman. Ainsi la quête, au lieu d'être un engagement collectif mettant en cause, à travers les aventures individuelles, les valeurs fondamentales du monde arthurien et son sens, et débouchant sur une révélation lourde de conséquence pour ce monde tout entier, devient une chasse au beau parti sous forme de compétition sportive entre jeunes gens ambitieux. Et la série de mariages qui clôt le roman montre que le dénouement de la quête n'est marque par rien d'autre que par la juxtaposition de bonheurs particuliers, sanctionnant la réussite limitée à eux-mêmes des couples qui se constituent. Loin de toute métaphysique, le romanesque apparaît ici comme ce qui, par le biais de la fiction, rend désirables les choses de la vie. Le lecteur est invité, plus qu'il ne l'avait jamais été, à s'identifier à un héros dont les succès ne dépassent pas ses propres désirs et qui n'est séparé de lui que par la distance d'un passé littérairement prestigieux, qui permet à l'évasion de se joindre à l'identification pour le séduire d'autant plus complètement que l'écriture historique, non pas dans Méliador, mais dans les romans en prose, prétend garantir la vérité du récit. De tels romans ont tout pour provoquer l'erreur de Don Quichotte. Cette erreur - l'effort pour actualiser dans le présent et dans le réel le passé chevaleresque, substitut du sens - est encouragée au XV siècle par la circulation mimétique, décrite au début de ce chapitre, entre le roman d'une part, la vie de cour, ses valeurs et ses divertissements de l'autre. De cette façon, alors même qu'il est plus que jamais un genre aristocratique, produit des cours princicres et consommé par elles, le roman de cette époque, en tant qu'il est un roman historique et un roman gratifiant, est l'ancêtre du roman « populaire », c'est-à-dire s'adressant à un public soit socialement indifférencié, soit constitué de ceux qui viennent d'accéder à la lecture et à qui échappe la mise en forme de la culture : le public des livres de colportage, de la bibliothèque bleue, plus tard des feuilletons. Bien des romans du Moyen Age finissant ont été diffusés sous cette forme jusqu'au siècle dernier : Robert le Diable et sa suite Richard sans Peur, Jean de Paris, Pierre de Provence et la Belle Maguelonne, Griseldis au succès multiforme, de la version en vers de Philippe de Mézières à celle de La Fontaine, du théâtre aux livres populaires. Définir la fascination exercée par le roman de la fin du Moyen Age comme celle du roman historique, c'est préparer la compréhension de la fascination exercée du XVIe siècle à nos jours par le roman comme littérature popularisante ou comme infra-littérature. Déjà au début du XVT siècle, le Tristan de Pierre Sala, écrit Lynctte Muir, « tient plus du roman de cape et d'épée que du roman courtois ». Au XXe siècle encore, Henri Pourrai est sensible à cette filiation quand il donne à la première version de Gaspard des Montagnes un titre inspiré des livres de colportage et comme sous-titre « roman campagnard de chevalerie ». Or, on l'a vu, ce processus n'est pas propre au roman. Dans le domaine de la poésie lyrique, on sait que les manuscrits de cour qui contiennent les recueils de chansons dites « populaires » du XVr siècle constituent dans les faits une sorte d'étape entre la poésie courtoise et la chanson populaire française telle qu'elle s'épanouit à partir de la fin du XVIIe siècle. Ainsi, et dans plusieurs domaines, l'autre versant, ou la face cachée, du discrédit qui pèse sur la littérature de la fin du Moyen Age durant les siècles ultérieurs dans la culture officielle est la folklorisation, pour le dire vite, de pans entiers de cette littérature, tandis qu'inversement, et parallèlement, son retour à la mode à l'époque romantique est lié lui aussi à l'association du Moyen Age et du folklore. L'un des intérêts de l'étude de la littérature française du XVe siècle est d'aider à la compréhension de cette mutation. La nouvelle Mais, à la même époque, cette évasion complaisante dans l'histoire rêvée est refusée par la nouvelle en prose qui connaît alors un vif succès. Des recueils apparaissent sur le chemin qui va du Decameron de Boccace à YHeptaméron de Marguerite de Navarre, tel, vers le milieu du XVe siècle, celui des Cent nouvelles nouvelles dont le cadre est la cour de Bourgogne et où chaque récit est placé dans la bouche d'un devisant. L'influence italienne s'y fait tôt sentir, précédant celle qui s'exercera plus tard sur d'autres genres littéraires. La tradition du fabliau qui s'y perpétue donne à la nouvelle un ton volontiers grivois, en même temps que s'y introduit une réflexion polémique sur l'amour et sur la place des femmes dans la société, réflexion liée à la querelle du féminisme, comme en témoigne la charge misogyne des Quinze joies de mariage, ou poursuivant les débats courtois de casuistique amoureuse comme dans les Arrêts d'Amour de Martial d'Auvergne, où l'exposé de chaque « cause » est prétexte à conter une anecdote. La nouvelle se situe tout entière dans le présent. Elle met en cause ses valeurs, que le roman célèbre en les prétendant fondées sur le passé, car elle regarde le monde contemporain directement, et non dans le miroir déformant d'un passé illusoire. Elle est critique, alors que le roman est emphatique. Ce trait la définit plus sûrement peut-être que la brièveté, si l'on considère que l'abrègement accompagne aussi souvent, dans des conditions bien différentes, l'entrée du roman dans la littérature semi-populaire. On peut voir aux frontières entre le roman et elle la montée du pessimisme corrosif qui lui est propre dans Jehan de Saintré d'Antoine de La Sale (1385 ou 1386-1460 ou 1461). Cet écuyer au service, comme son père, de la maison d'Anjou, précepteur de Jean de Calabrc, le fils du roi René, a sur le tard, alors que son pupille princier n'avait plus besoin de lui, exercé, à partir de 1448, les mêmes fonctions auprès des enfants de Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol. 11 est l'auteur de deux compilations pédagogiques où se mêlent des récits de sa vie et de ses voyages, La Salade, où se trouve insérée sa visite au Paradis de la reine Sibylle, et La Salle, d'un traité Des anciens tournois et faits d'armes, d'un récit de la croisade de Ceuta (1415) contenu dans le Réconfort de Madame de Fresne et surtout de Jehan de Saintré, qui raconte comment une jeune veuve choisit un petit page pour faire, en même temps que sa fortune, son éducation sentimentale et chevaleresque, puis le trahit. La duplicité de cette dame des Belles Cousines, la vulgarité triomphante de l'abbé son amant, l'humiliation de Jehan de Saintré, la cruauté de sa vengeance, tout cela dément l'élégante perfection traditionnellement attribuée aux amours courtoises et à l'univers chevaleresque, et dont l'ouvre conserve dans sa première partie l'apparence, en même temps que la vertu de la dame des Belles Cousines semble garantie par l'enseignement moral et religieux qu'Antoine de La Sale emprunte mot pour mot à Simon de Hesdin pour le placer dans sa bouche. Il semble que l'idéalisation de la vie chevaleresque et du service d'amour ne résiste ni à la localisation du récit dans un passé proche et un milieu identifiable (la cour de Jean le BoN) ni à l'attention portée aux contingences matérielles. Dans le roman courtois, le chevalier errant parcourt le monde sans un sou sur lui, et il n'est jamais question d'argent. Les contraintes financières ne sont guère mentionnées que par Jean Renaît, et avec une légèreté optimiste dénuée de tout réalisme. Au contraire, l'ascension de Jehan de Saintré n'est rendue possible que par la générosité de la dame des Belles Cousines. L'argent appelle l'argent. Entretenu par sa maîtresse, le jeune homme est couvert de bienfaits par le roi, sensible à son élégance vestimentaire et à sa prodigalité. Equipé par sa maîtresse, il peut courir les tournois dans un équipage somptueux et avec une suite nombreuse, rafler tous les prix, s'enrichir toujours davantage. Dans le roman courtois, combats et quêtes répondent à une nécessité et à un devoir. Dans Jehan de Saintré, défis et tournois ne sont que les manifestations gratuites de la vaine gloire, et l'abbé n'a pas tort d'en dénoncer la pose et la futilité. Dans le roman courtois, l'amour, vécu comme une passion exigeante ou comme un aimable divertissement, permet la maturation du héros dans l'ascèse ou dans la sensualité. Jehan de Saintré, trop jeune élève d'une femme mûre, se satisfait de la gloire chevaleresque et ne comprend pas que sa maîtresse ne la lui propose que comme une étape de son initiation, au-delà de laquelle elle attend de lui d'autres satisfactions. Il encourt sa colère en repartant pour une nouvelle expédition au moment où elle attendait qu'il les lui donnât. Les faiblesses, les contradictions, les petitesses, les contraintes de la vie chevaleresque transparaissent irrésistiblement sous le masque de perfection qui les farde et autorisent le pessimisme et la dérision de la seconde partie. Or, l'histoire littéraire confirme les conclusions de la critique interne. Comme le montre un passage, raturé par la suite, d'un des manuscrits, Antoine de La Sale entendait primitivement écrire à la suite de Jehan de Saintré l'histoire de Paris et Vienne, à la demande expresse de Jean de Calabrc. Mais la dédicace à ce prince promet finalement, après Saintré, l'histoire de Floridan et Ekide, traduite de Nicolas de Clamangcs, que trois manuscrits donnent en effet à sa suite, mais sous la plume de Rasse de Brun-hamel, qui la dédie à Antoine de La Sale. Entre-temps, ce dernier était passé au service de Louis de Luxembourg, où Rasse se trouvait déjà. Que la collaboration que l'on peut supposer entre les deux auteurs ait pris la forme d'une révision par Rasse du travail d'Antoine ou l'inverse, il est certain que le début de Jehan de Saintré est dans l'esprit de Paris et Vienne, qui devait à l'origine lui faire suite, et que la fin s'accorde davantage avec Floridan et Elvide, qui figure réellement à sa suite dans les trois manuscrits révisés. D'un côté, l'idéal chevaleresque et la tradition du roman d'aventures et d'amour. De l'autre, la noirceur de l'étude de mours, une manière de sadisme, la brutalité d'un érotisme cruel. Quel que soit le rôle exact joué par Rasse de Brunhamel, le changement d'esprit de la première à la seconde partie de Jehan de Sainte correspond à la modification de l'environnement littéraire qu'Antoine de La Sale prévoyait de lui donner. Dans les deux cas, au roman - Paris et Vienne, début de Saintrê - succède la nouvelle - Floridan et Elvide, fin de Saintrê. Le récit de Nicolas de Clamanges mérite d'autant plus l'appellation de nouvelle qu'il n'a pas été seulement traduit par Rasse de Brunhamel, mais qu'il fournit aussi la matière de la quatre-vingt-dix-huitième des Cent nouvelles nouvelles. Ainsi, dès que le recours au passé romanesque n'est plus là pour les embellir, les mours contemporaines apparaissent telles qu'elles sont, basses. Et c'est parce qu'il refuse l'illusion du passé que le nouvelliste du XV siècle apparaît comme un moraliste. A ce compte, le roman au sens moderne est fils de la nouvelle et non du roman médiéval traditionnel, du roman de chevalerie, qu'on a vu rejoindre la littérature populaire. Anjou et Bourgogne Mais, et pour en revenir une dernière fois à la relation entre Jehan de Saintrê, Paris et Vienne et Floridan et Elvide, il faut souligner que le gauchissement de Jehan de Saintrê, le remplacement de Paris et Vienne par Floridan et Elvide, le passage du roman à la nouvelle, de l'idéalisation courtoise à la critique des mours, accompagnent le passage d'Antoine de La Sale de la cour d'Anjou au service de Louis de Luxembourg, qui appartient au monde bourguignon. Les caractères et l'évolution du roman français à la fin du Moyen Age tels qu'on a essayé de les faire apparaître ne peuvent être compris si l'on ne tient pas compte des modes et des styles imposés par les grandes cours, et particulièrement par celles d'Anjou et de Bourgogne. Quelques mécènes étrangers à ces deux cours favorisent, certes, la production ou la compilation romanesques, comme Jacques d'Armagnac, féru de littérature arthurienne. Plus souvent, un grand personnage patronne exceptionnellement un roman célébrant ses origines familiales : Jean de Berry et les Parthenay-Larchcvêquc pour les deux versions de Mélusine, Charles Ier de Nevers, lié, il est vrai, à la Bourgogne, pour Gérard de Nevers, Anne de Lusignan pour Philippe de Madien, si l'on admet qu'un roman dont l'action est située en Grèce pouvait flatter la nostalgie d'une princesse de Chypre mariée en Savoie. A la fin du XV et au début du XVIe siècle, d'autre part, le milieu littéraire lyonnais contribuera à la survie du roman de chevalerie, avec des ouvrages comme le Tristan de Pierre Sala ou Palanus, comte de Lyon de Sym-phorien Champier. Mais, au XVe siècle, Anjou et Bourgogne constituent les deux pôles essentiels, bien qu'inégaux, de l'activité littéraire dans le domaine romanesque. La cour d'Anjou est naturellement très sensible à l'influence italienne : un exemple en est Troïius et Griseida, traduction par l'un des Beauvau du Filostrato de Boccace. Elle s'intéresse aux histoires exemplaires, recueille des romans séparés traitant souvent des sujets à peu près inconnus jusqu'alors, même s'ils exploitent des motifs éculés : Paris et Vienne, Pierre de Provence et la Belle Maguelonne, Pontus et Sidoine, Jehan de Saintrê, malgré son caractère particulier. En revanche, clic n'a pas produit de grande construction cyclique et historique. La bibliothèque du roi René semble n'avoir contenu aucun roman arthurien, bien que le Livre du Cour d'Amour épris se réfère explicitement à la matière arthurienne et que la prose de Floriant et Florete soit peut-être d'origine angevine. Au contraire, la cour de Bourgogne encourage les vastes ensembles : les mises en prose systématiques des romans anciens (romans de Chrétien dont la matière n'avait pas été reprise dans les romans en prose du XIIIe siècle, comme Erec et Cligès, romans en vers du XIIIe siècle comme Blancandin et l'Orgueilleuse d'Amours, le Châtelain de. Coucy, Cléomadès, la Manekine, la Belle Hélène de Constantinople, etc.) ; les grandes compilations cycliques à prétentions historiques (cycle de la croisade, flanqué de romans comme Gilion de Trasignies, Gilles de Chin, Baudouin de Flandres, cycle de Troie, cycle d'Alexandre, avec ses annexes Florimont et Philippe de Madien - écrit, il est vrai, par un auteur de La Rochelle pour la duchesse de SavoiE). Ces romans sont généralement l'ouvre des écrivains fonctionnaires de la cour de Bourgogne, qui accomplissent sur commande leur tâche d'historiens et de compilateurs : Jean Wauquelin, David Aubert, Philippe Camus, Raoul Le Fèvre, Jean de Wavrin. Les manuscrits sortent d'ateliers repcrables, fournissant un travail suivi, comme ceux de Lille, dont les illustrations portent la marque originale et humoristique du « maître de Wavrin », ou comme toute une série de romans copiés sur papier dans des conditions relativement économiques. Tous ces romans figurent dans la librairie des ducs de Bourgogne et sont répertoriés dans les inventaires dressés à la mort de chacun d'entre eux. Si le rôle des deux premiers ducs de la seconde dynastie, et surtout celui de Philippe le Hardi, n'a pas été négligeable, si Charles le Téméraire et Marie de Bourgogne ont enrichi la collection, le grand mécène de la dynastie est naturellement Philippe le Bon. Un nombre considérable de romans font leur entrée dans la librairie sous son règne et apparaissent pour la première fois à sa mort dans le grand inventaire de 1467-1469. Mais le duc n'est pas seul. D'autres mécènes bourguignons jouent à ses côtés un rôle essentiel, parfois même plus important que le sien, dans la mesure où ils ont dû guider de plus près les auteurs et où les ouvres qui leur sont dédiées offrent probablement un reflet plus exact de leur goût personnel. Au premier rang d'entre eux figurent Antoine, grand bâtard de Bourgogne, Jean et Louise de Crcquy, Louis de Bruges, Jean de Croy. La masse de la production bourguignonne, son caractère systématique, sa cohérence sont tels que l'on confond volontiers le roman français de la fin du Moyen Age avec le roman bourguignon, qui est lui-même essentiellement le roman de la cour de Philippe le Bon, et que l'on est tenté d'attribuer aux caractères et aux déter-minismes généraux de l'époque ce qui relève en réalité du style en vogue dans un milieu précis. |
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