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LES GENRES LITTERAIRES: Le roman, La poésie






Rien de grand dans les genres traditionnels, sauf AtSo/ie, étouffée : moins de poésie que jamais et la tragédie décline. Un fourmillement de petites ouvres où une époque en crise s'amuse à gratter ses plaies : comédies de mours et nouvelles fouineuses, qui prétendent révéler des secrets ; tandis que Versailles se fige dans l'étiquette et la dévotion, à Paris, c'est déjà la Régence. Une grande nouveauté : les ouvres déjà « philosophiques » et peu soucieuses d'esthétique de La Bruyère, Fénelon et surtout Bayle et Fontenelle.



1. La poésie



« L'amour de la poésie s'en va » (Anonyme, 1700). Une époque soucieuse de naturel, de raison et d'utilité pouvait-elle admettre ce genre «faux et ridicule» (Fontenelle, 1678) qui nous repaît «de fables et de mensonges » (Bayle, 1687) et « où presque rien n'est naturel » (F. Lamy, 1698) ? Bientôt, le langage des dieux passera pour « le plus méprisable et le plus dangereux de tous les arts » (Du Perrier, 1704). La meilleure poésie est celle des survivants : la Satire X et les Épitres X à XII de Boileau et surtout Esther, Athalie, le livre XII des Fables : moins de fraîcheur et de vivacité que jadis, mais plus d'émouvante profondeur dans la méditation philosophique ou affective. La dernière (Le Juge arbitrE) est un testament spirituel qui oppose la sagesse contemplative aux déboires de la vie active. Les cinq précédentes, des contes sentimentaux. Le malaise de La Fontaine face au régime s'est encore aggravé, ses espoirs vont vers le duc de Bourgogne, le prince de Conti, l'Angleterre.

En moyenne, on publie quatre fois moins de poésie en 1680-1690 qu'en 1655-1670. Mais il faut tenir compte des badinages mondains (dont plusieurs gentilshommes : Chaulieu, Coulanges, La Fare, Hamilton, le duc de NeverS), qui dédaignent la publication. On cultive de petits genres ludiques, acrobatiques, caractéristiques d'un moment où fleurissent l'individualisme, l'esprit et la frivolité. Des jeux élégants de fines allusions prolongent le badinage de Sarasin et préparent Cré-billon, Marivaux, Voltaire. La chanson fleurit dans tous les milieux : Ma belle si tu voulais. Auprès de ma blonde, A la claire fontaine. Dans les prisons de Nantes. L'auteur le plus connu, Coulanges, chante l'amitié, la table et l'amour, mais aussi le bonheur d'une vie simple.



2. Le roman



Plus de quinze romans par an en 1680-1685, malgré le dédain des doctes et les cris des moralistes, contre dix sur l'ensemble du siècle. Une chute rapide jusqu'à une moyenne de six en 1689-1693 et une remontée spectaculaire : vingt et un par an de 1694 à 1700. Plus encore que la montée de l'esprit bourgeois, cela traduit l'insatisfaction d'une société en crise, qui réagit à la fois par l'analyse critique (des mémoires « secrets » aux romans utopiqueS), le moralisme, une complaisance affective, un goût de l'extraordinaire, du merveilleux, du scandaleux : des contes de fées au roman scabreux.

Les « petites histoires » ont « entièrement détruit les grands romans » (Du Plaisir, 1683). On veut le choc du témoignage : nouvelles, relations, histoires et mémoires « véritables », qui sentent la révélation et la confession, triomphent à partir de 1694, expliquant l'histoire par les amours de César, de Néron, de Richelieu ou du pape Grégoire VII. Peu d'analyse et de composition : des péripéties. Un aventurier, Courtilz de Sandras, écrit une vingtaine de Mémoires apocryphes (dont ceux de D'ArtagnaN) et les Testaments politiques de Colbert, Louvois, Mazarin...

C'est aussi le goût pour une authenticité un peu scabreuse qui nous vaut L'Histoire des amours de Cléante et de Bélise (1689), transposition simple et fine des relations du baron de Breteuil et d'Anne Bellinzani, devenue depuis la présidente Ferrand, dont soixante-douze lettres (authentiques?) furent ajoutées en appendice en 1691. Une passion lucide nous est ainsi présentée sous trois angles : les réactions immédiates des lettres et deux récits a posteriori, divergents : celui de Bélise et celui d'un ami de Cléante.



3. Les contes de fées : Perrault



« Notre siècle est devenu bien enfant sur les livres : il lui faut des contes, des fables, des romans et des historiettes » (Du Bos, 1" mars 1697). Une époque de crise, prise entre le dogmatisme officiel et le rationalisme critique de l'opposition, s'éprend, à partir de 1685, des contes de fées, réservoir de merveilleux et secrète inversion de l'ordre établi. On en adapte et on en invente. Cette mode attire l'attention de Charles Perrault. Ce petit Poucet, benjamin de sept enfants, avait un frère jumeau, son aîné de quelques heures, qui mourut à six mois. Il n'a pu vivre le processus d'intimité et de rivalité où s'affirment les jumeaux. Il n'a jamais pu affronter l'objet principal de son affectivité. Il est resté marqué par ce statut qu'il signale dès la première phrase de ses Mémoires et dont M. Soriano a retrouvé de multiples reflets dans son ouvre : gémellité, miroir, écho, préférence des parents pour les aînés, goût de la collaboration, de la rivalité, de la revanche. Or, les contes populaires transposent souvent la condition des dominés et leurs espoirs de revanche dans l'histoire d'un cadet qui finit par triompher, comme c'est le cas dans les huit contes adaptés par un homme qui, de plus, sortait d'un conflit avec un aîné, Boileau, champion des Anciens. Il adapte donc, en vers. Les Souhaits ridicules (1693), Griselidis et Peau d'Âne (1694). Il demande, semble-t-il, à son troisième fils, né en 1678, de collecter d'autres contes, qu'il réécrit en 1695. En janvier 1697 paraissent huit Histoires ou Contes du temps, passe' ou Contes de ma Mère /'Oye, en prose, qui auront onze éditions en six ans. Ce recueil est. aussitôt suivi de ceux de Mme d'Aulnoy, de Mlle de La Force, de Mailly et de Préchac.

Perrault respecte l'intrigue du conte populaire, à part des violences choquantes à ses yeux. Il soigne la composition et les effets dramatiques. Il conserve les structures stylistiques utiles au conteur et agréables à son public (énumérations, répétitions, clichés, rythmes ternaireS), le vocabulaire familier ou archaïque, les locutions : « hacher menu comme chair à pâté », « tire la bobinette, la chevillette-cherra ». Il aime cette naïveté rétro. Mais son regard et son public étant différents de ceux des originaux, sa réécriture a quelque chose de légèrement parodique, qu'accentuent des apartés narquois d'intellectuel mondain supérieurement désabusé. Il ironise sur la féerie, qu'il réduit, dans Cendrillon, à des jeux légers, un peu absurdes. Il n'a aucune sympathie pour le peuple dont il travestit les rêves et la morale pour le plaisir ironique d'un public distingué. D'où « cette combinaison particulièrement raffinée d'émotion frémissante et d'ironie qui donne au texte l'inimitable saveur aigre douce qu'il a » (M. SorianO). Perrault accentue la conclusion morale, dont il modifie l'orientation, dans une perspective économiste et bourgeoise : vertu, soumission, travail, famille, refus des passions. Nos vieux contes « tendent tous à faire voir l'avantage qu'il y a d'être honnête, patient, avisé, laborieux, obéissant » (préfacE). Ici encore, le décalage entre cette morale, le conte et la vie mondaine produit un effet d'ironie.

Des onze contes, seul Le Chaperon rouge, mise en garde contre les dangers de la forêt, s'adressait aux enfants. Mais le statut de ceux-ci est relativement analogue à celui des dominés, qui, plus ou moins transposé, est à la base des autres contes. Adaptés par un bourgeois qui les dédaigne un peu et y transpose les problèmes non résolus de son enfance, ils deviennent encore plus aptes à satisfaire les deux publics, populaire et enfantin qui émergeront en même temps, à partir de la loi Guizot sur l'enseignement primaire (1833) : ce sera le triomphe des Contes. L'ouvre la plus lue du XVII' siècle restera longtemps la moins étudiée. La critique récente y recherche la transposition des conflits sociaux et des fantasmes, un mode de compensation, les structures du conte, une conscience des pouvoirs du langage (Le Chat botte').



4. Le théâtre



Le 21 octobre 1680, le Roi ordonne la fusion des deux troupes parisiennes pour former la Comédie-Française. Opération de prestige, mais aussi réduction. Devenu dévot, Louis XIV assiste de moins en moins' aux spectacles. Le théâtre perd beaucoup de son importance à la cour, d'autant qu'on y préfère la pompe de l'opéra. Paris et la bourgeoisie donnent le ton : d'où le succès de la comédie satirique, le déclin de la tragédie et son évolution vers le pathétique. a. La condamnation du théâtre



« Depuis que le Roi n'y va plus, c'est devenu un péché » (Madame*, 2 nov. 1702). Les moralistes se déchaînent contre le théâtre. « De tous les moyens qu'a le démon pour perdre bien des âmes », voici « le plus doux, le plus fort et le plus caché » (le Père Guilloré, 1684). Il faut refuser « l'absolution à tous ceux qui fréquentent » cette « école du Démon », qui apprend « à séduire la jeunesse, à mépriser les parents à vivre dans le crime, à flatter les passions, à honorer les vices » (le Père Soanen, 1686 ou 1688). En 1687, sur requête de la Faculté de théologie, le gouvernement somme les Comédiens-Français de quitter la rue Guénégaud, pour protéger les étudiants du Collège des Quatre Nations, trop proche. « Partout où ils vont [...], les curés crient » (Racine, 8 août 1687). C'est seulement en mars-avril 1689 qu'ils peuvent déménager dans une petite salle inconfortable. Cette même année, les représentations d'Esther à Saint-Cyr suscitent des réactions qui aboutissent, en 1690, à l'étouffement d'Athalie. En 1694, la réédition des Ouvres de Boursault est accompagnée d'une « Lettre d'un théologien illustre », le Père Caffaro, supérieur des Théatins, un ordre venu d'Italie. Tolérants envers le théâtre comme on l'était à Rome, ils faisaient des cérémonies religieuses de véritables spectacles (15). Caffaro disait que le théâtre n'a pas pour but d'exciter les passions. Il ne le fait que « par hasard et par accident », comme tant d'autres choses. Bossuet le somme de désavouer sa Lettre (9 maI), ce qu'il fait aussitôt (11 maI). La Sorbonne* condamne comédiens, auteurs et spectateurs (20 maI), Caffaro perd sa chaire et plusieurs ouvrages paraissent contre lui. Bossuet publie des Maximes et réflexions sur la comédie (1694). Il condamne les ouvres de théâtre, parce que « le dessein formel de ceux qui les composent, de ceux qui les récitent et de ceux qui les écoutent » est toujours d'exciter les passions et souvent de combattre la vertu et la piété. Mais il admet la possibilité d'un théâtre purifié, conformément à saint Thomas, qui le dit bon ou mauvais selon l'usage qu'on en fait. De son côté, le pouvoir, à partir de 1685, surveille de plus en plus le théâtre. Les Italiens, soupçonnés de viser Mme de Maintenon dans La Fausse prude, sont expulsés en 1697. La censure est institutionnalisée en 1701.

C'est le spectacle de divertissement qui l'emporte : l'opéra et la comédie. Ses admirateurs voient dans le premier la synthèse des arts. Même La Bruyère, qui s'y ennuie, reconnaît qu'il peut « tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un égal enchantement » (I, 47). La comédie, en recul après la mort de Molière, remonte puis triomphe : 30 créations en 1673-1680, 40 en 1680-1689, 119 en 1690-1700 - enfin chute de moitié. Les deux tiers, puis les trois quarts du répertoire de la Comédie-Française pour les deux dernières décennies. La comédie de caractère peint des comportements sociaux : J.B. Rousseau, Le Flatteur, 1691 ; Regnard, le Joueur, 1696. Le tableau de mours, mi-complaisant, mi-satirique, en un acte et en prose, triomphe après 1685. Il montre une société dominée par l'argent où l'on a pour mobile « le plaisir, l'intérêt, l'ambition », selon la formule du meilleur auteur, Dancourt (1661-1725). Dans plus de cinquante, pièces brillantes et superficielles il présente avec une indulgence narquoise une riche galerie de profiteurs de tous les milieux. Son chef-d'ouvre est Le Chevalier à la mode (1687).

Quand l'esprit critique remplace le sentiment de la transcendance, la tragédie recule : 48 créations de 1680 à 1700 (dont la moitié non publiéeS) contre 27 de 1673 à 1679- Pour se. renouveler, elle traite des sujets modernes, se veut édifiante ou donne, avec Campistron, dans l'horreur pathétique. b. « Esther »



Ouvre de commande destinée à être jouée par des jeunes filles de couvent dans des circonstances pompeuses, Esther (26 janvier 1689) pouvait-elle éviter la fadeur ? Les chours et la musique rappellent la tragédie grecque mais aussi l'opéra. Lulli et Quinault venaient de mourir (1687 et 1688). C'était le moment, dans une cour devenue dévote, de remplacer leurs « lieux communs de morale lubrique » (BoileaU) par l'éloge de Dieu et du Roi.

On retrouve Racine dans la pureté du chant, dans certaines formules où la contradiction devient jouissance (27-28, 306), dans « l'impudente audace » de Mardochée (438-441) et surtout dans le portrait d'Aman. La Bible de Sacy venait de rappeler les raisons de sa hargne : c'était un Amalécite et Mardochée l'avait empêché de se faire roi et d'épouser Esther. Racine les écarte (481-490) au bénéfice d'une explication où vibre sa secrète mauvaise conscience d'arriviste. Aman est un ancien esclave qui a su de son « destin corriger l'injustice » (450) :



Je gouverne l'empire où je fus acheté'. (452)



Mais, devant l'inflexible fierté de son rival, il ne peut oublier que, pour parvenir, il a « foulé sous les pieds remords, crainte, pudeur », qu'il a « chéri » et « cherché la malédiction » (867, 871)- Le couple Aman-Mardochée, c'est, face à face, l'ancien Racine et le nouveau, revenu, en 1687 au plus tard, à la foi des jansénistes. A-t-il pu ne pas penser à ses amis en écrivant cette pièce sur la persécution et le triomphe des justes ? c. « Athalie »



Le succès à'Esther entraîne une nouvelle commande. Athalie est prête en novembre 1690. Il y a des répétitions jusqu'à fin février ; le Roi y assiste. Mais le moralisme gagne, les représentations à'Esther ont pu exciter les concupiscences. Athalie ne sera jouée qu'en 1702, par des princes chez Mme de Maintenon, et en public par des acteurs qu'en 1716.

Cette pièce (16) se ressent de la vogue de l'opéra : onze personnages, cinq figurants, une « troupe de prêtres et de lévites », la « suite d'Athalie ». Joad a une vision et prophétise « au son de toute la symphonie des instruments » (III, 7). A la fin, « le fond du théâtre s'ouvre : on voit le dedans du temple ; et les lévites armés sortent de tous côtés ». Les chours imitent l'opéra plus que la tragédie grecque.

La structure des tragédies profanes se retrouve et s'achève ici. Le schisme d'Athalie et de Mathan est révolte contre un Père qui a trouvé sa vraie figure : celle de Dieu.

Par ambition, Mathan (où Racine se libère de son passé) a trahi Dieu pour « une vaine idole » (930-932). Pour parvenir, il a choisi de flatter le pouvoir aux dépens du * sang des misérables » (931-944). Mais il ne peut étouffer ses remords (935-962). Confronté au prêtre du vrai Dieu, il est saisi du même trouble (1041-1043) qui vient de paralyser Athaiie, jusque-là triomphante (475-489 et 870-876). C'est qu'elle a vu le fantôme de sa mère et surtout Joas. Ce que les tragédies profanes présentaient comme l'objet d'amour révèle ici son vrai visage : celui de l'ange exterminateur. Ce charmant lapsus de son crime, cet ancêtre du Christ est pour Athaiie la révélation meurtrière (409-410), comme l'étaient symboliquement Junie et Hippolyte. Dans sa perte, elle reconnaîtra l'ouvre du « Dieu des Juifs » (1768) :



Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit ! (1774)



Cette tragédie religieuse n'a rien de simpliste. Athaiie est admirable par son audace, sa lucidité, sa tolérance. Joas n'échappe pas au péché originel. Les derniers mots de la reine annoncent sa trahison et de fait, succombant aux flatteurs et au « charme empoisonneur > du pouvoir-(1387-1408), il égorgera le pontife dans le temple. L'intime déchirure de l'homme subsiste, figurée par l'affrontement des frères ennemis : Dieu et Baal, Juda et Israël, Joad et Mathan, Joas et Zacharie. A la fureur sacrilège des impies répond la violence jouissive des vengeurs :



Dans l'infidèle sang baignez-vous sans horreur recommande Joad, donnant en exemple « ces fameux lévites »



De leurs plus chers parents saintement homicides. (1360-6-5)



Quand on assassine Athaiie, Jérusalem



Avec joie en son sang la regarde plongée. (1812)



Le parcours racinien, commencé par la violence suicidaire qui résultait du péché du père charnel (La The'baïdE), s'achève au moment où le Père éternel bénit une violence salutaire.

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