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LES MUTATIONS DU ROMAN FRANÇAIS






La littérature française connaît des mutations de plus en plus rapides. Après les années i960 et le «nouveau roman», qui prônait l'abandon des personnages et de la psychologie, après les tentatives de l'avant-garde et le retour aux mythes, les années 1990 furent celles de l'autofiction. Défait, perdant jusqu'à la possibilité même de raconter des fictions, le roman hexagonal semble aujourd'hui à la croisée des chemins. Et la jeune génération, sur le point de ne pas se contenter d'une seule voie.



- Mise en perspective - Les écrivains d'aujourd'hui ne sont pas nés d'hier... Avant l'autofiction, il y eut Rousseau, avant les avant-gardes il y eut Rabelais, avant le nouveau roman, il y eut Stendhal, et l'on pourrait pour tous remonter ainsi le courant des influences. Pour faire la pelote de ce qui s'écrit aujourd'hui, il y aurait beaucoup de fils à tirer dans l'histoire de la littérature nationale ou d'ailleurs. Faisons court et traversons fissa le dernier siècle. Le XXe siècle littéraire français débute en 1916, en Suisse. La vulgate retiendra le Cabaret Voltaire, l'histoire gravera le nom de Tzara, qu'elle fera rimer avec dada. Le mouvement naît à Zurich, pas si loin des tranchées où l'on se massacre. Avec dada, la littérature et l'art sont des armes. Il s'agit d'attaquer une société coupable de la guerre en minant ce qui la fonde: le langage, la représentation qu'elle se donne du monde. Dada visait, pour dire vite, la table rase. Il s'agissait d'en finir avec l'aliénation de l'homme aux valeurs qui l'assassinent: travail, patrie, raison. On voit que la naissance de notre contemporanéité littéraire est cosmopolite, et qu'elle se donne l'humanité pour horizon.

Avec le surréalisme aussitôt né de l'impasse dans laquelle se trouve dada (ne pas construire, c'est périR), le mouvement se règle : il s'agit toujours de libérer l'homme, et les surréalistes rejoignent dans leur credo le communisme naissant. La littérature s'avancera aux bras du politique durant les cinquante premières années du siècle. Gide est réquisitionné au congrès de 1936, Drieu trouve le marchepied nazi à sa mesure, Sartre, ensuite, dégage les éléments fondateurs de sa théorie de l'engagement. On est surpris aujourd'hui de voir que, dans la presse d'après-guerre, les écrivains peuvent encore faire les gros titres des journaux. Pourtant, l'élan donné par dada, poursuivi par le surréalisme, s'est enlisé depuis la Seconde Guerre mondiale, la fuite des uns, la découverte des camps de concentration, la bombe atomique. L'horreur signe l'échec de ceux qui voulurent réformer le monde par leurs écrits, leur art. Faut-il voir dans ce constat les raisons qui présidèrent à la naissance du nouveau roman? On sait déjà que le nom de ce «mouvement» est lié à Emile Henriot, qui l'utilisa dans un article de 1957 : déjà le médiatique s'immisçait dans la littérature. Avec le nouveau roman, le personnage est évincé, la psychologie jetée aux orties, l'engagement prôné par Sartre ne s'attachera qu'à la littérature.

L'année i960 accouche d'une décennie fleurie et, aux bras de la littérature, le politique semble laisser place à l'idéologie. C'est le joyeux temps de Tel quel, du structuralisme, d'une langue qui se délite au fur et à mesure qu'on la travaille. Résolument du côté de la «nouvelle critique», Philippe Sollers abandonne la ponctuation, se voit en Mao (plus tard, il sera balladurien...}. Les mots se génèrent d'eux-mêmes, la psychanalyse, la linguistique, les sciences humaines, viennent nourrir la machine à produire du texte. Ces années-là forment parfois le laboratoire attractif de ce qui s'écrit aujourd'hui. Le foisonnement idéologique, les années gauchistes, donneront quelques écrivains majeurs d'aujourd'hui (Olivier et Jean Rolin, Pierre MichoN), qui feront le deuil des illusions en se lançant dans l'écriture. Et souvent, dans une écriture au classicisme maîtrisé. D'autres revendiqueront une lignée moins spectaculaire (Jean-Claude Pirotte, Eric HoldeR), exhumée du côté des solitaires, des Hussards, des francs-tireurs, qu'on (rE)découvrira plus tard, de Roger Nimier à Henri Calet, de Jacques Chardonne à Georges Perros ou André Dhôtel.



L'idéologie rompt vite les fiançailles d'avec la littérature. La crise pétrolière de 1973 met un frein à la profusion. La crise économique va formater l'édition : retour au roman traditionnel, aux personnages, réédition des ouvres à succès (le livre de poche entre dans son régime de croisièrE), concentration de l'édition, dictature de la distribution. Il faut vendre, et comme il est plus difficile de vendre la nouveauté que le déjà connu, l'édition entre dans le ronronnement des bureaux comptables. On abandonne le laboratoire pour la production industrielle, standardisée.

Quelques écrivains pensent que le secours viendra des mythes, qu'ils réinvestissent (Michel Tournier, notammenT), et l'on ressuscite le roman balzacien occis dix ans auparavant.

Si des écrivains naquirent de la fin des idéologies, il en fut de même des éditeurs (Verdier, Le Temps qu'il fait, L'Atelier du Gué, Plein ChanT). C'est en province qu'ils ouvrent leur officine, où la littérature trouve, rapidement, un refuge salutaire.

Pour l'heure, les écrivains connus passent chez Pivot : après l'ère politique, l'ère idéologique et l'ère économique, nous voici entrant dans l'ère médiatique. On a vu Giscard d'Estaing venir devant les caméras manger des oufs brouillés dans la famille d'un éboueur. Le ton est donné. Le nerf de la guerre passe par la télévision : le quart d'heure de célébrité warholien est une promesse qui sera tenue. Chacun est convié à venir se montrer, s'exprimer. Du mannequin siliconé au postier à la retraite qui a gratté un ticket de loterie.

C'est comme si l'existence était, désormais, validée par le petit écran. Difficile, pour les écrivains, de résister...

L'autobiographie et l'autofiction deviennent alors naturellement dominantes dans le paysage éditorial... dont on parle. Les écrivains n'ont pas attendu les talk-shows pour écrire «je». Mais les médias vont être plus sensibles à ceux-là qui font mine (ou noN) de se dévoiler.



- «Je» et pas un autre - Les années 1990 sont donc celles de l'autofiction. Le terme naît en 1977 sous la plume de Serge Doubrovsky. Le romancier, qui vient de publier Fils, insiste sur le fait que ce mélange entre fiction et autobiographie se fait dans un travail sur la langue. S'il donne un cadre à l'autofiction, il va malgré lui illustrer le rapport ambigu que le genre va entretenir avec les médias, principalement la télévision, lorsque paraît Le Livre brisé. Dans ce roman, l'écrivain raconte le suicide de sa femme, à laquelle il venait de donner à lire le début du livre qui expose leur relation. Invité sur un plateau de télévision, Doubrovsky est accusé de jouer de ce drame quand ce n'est pas d'en être le principal protagoniste...

Le Livre brisé paraît en 1989. L'année suivante, c'est À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie, d'Hervé Guibert, qui concentre les commentaires. Hervé Guibert y dévoile son sida, celui aussi qui emporta Michel Foucault. Son roman lui vaut la célébrité (lui qui commença sa carrière en 1977...). Mais c'est toute son ouvre qui se place dans la lignée de Michel Leiris et frôle sans cesse «la corne acérée du taureau », dévoilant, de livre en livre, un «je » en quête de lui-même au prix de la cruauté. Hervé Guibert meurt du sida en 1991.



Christine Angot vient de publier Vu du cielT*, son premier roman. La romancière n'a pas encore mis en place son dispositif d'écriture, frontal, direct. Vu du ciel use de la métaphore, du détour pour conduire à l'autofiction. On y voit l'ange gardien du personnage Christine Angot évoquer le meurtre et le viol d'une petite fille dans la ville où vit l'héroïne. Et ce que cela éveille en elle d'échos, de réminiscences de l'inceste qu'elle vécut avec son père. C'est avec Léonore, toujours'""', que la romancière aiguise son style. La narratrice, Christine Angot, évoque la naissance de sa fille et combien celle-ci l'empêche d'écrire. Elle se contente alors, écrit-elle, de «marquer» ce qu'elle vit. Mais loin de noter au jour le jour les bonheurs de la maternité, c'est vers les tabous de notre époque que l'écriture conduit. La narratrice imagine la sexualité à venir de sa fille, la rapporte à la sienne, met en balance la vie de Léonore et la nécessité d'écrire. Sur le mode de la confession, le roman frappe fort. Mais Christine Angot propose aussi un décryptage de son travail : elle donne à lire un poème que, contre toute attente, elle vient d'écrire: «Très vite, au fil de la plume. Je suis contente et je le dois à Léonore. Je te le dédie ma chérie. »' Joie de la maternité démentie vingt pages plus loin : «Maintenant je dois avouer quelque chose. J'ai menti.»2 Et d'avouer que le poème était en fait de Marina Tsvetaieva. Ainsi, sous couvert de tout dire, d'être au plus près de la vérité intime, l'écrivain expose sa propension à mentir. Paradoxe inextricable: celui qui dit «je mens», s'il dit vrai ment et s'il ment dit vrai. L'ouvre de Christine Angot, jusqu'à Quitter la villem, joue de cette frontière imperceptible entre autobiographie et autofiction. Que les noms des personnages soient ceux de ses proches, d'elle-même, de sa famille, qu'il soit aisé de reconnaître des faits réels dans ce qu'elle évoque, ne lève pas cependant le doute. Tout l'art de la romancière tient à ce jeu, déroutant d'autant plus que ce qu'elle dit touche bien souvent aux plus forts tabous de l'époque (le sexe, l'inceste, l'infanticide...). Proche des artistes qui s'exposent (Sophie Calle par exemplE), Angot joue sur la fragilité des frontières, entre auteur et narratrice, personnage et auteur, réalité et fiction, mensonge et vérité.

Un roman exprime au mieux les enjeux de cette littérature: InterviewT. Dans une alternance de chapitres, Interview oppose une langue et une pensée journalistiques (chapitres impairS) à une langue littéraire (chapitres pairS). À la restitution d'un interrogatoire que lui a servi une journaliste à propos de son inceste, l'écrivain semble préférer évoquer la lumière de ses vacances en Italie. Mais à neuf pages de la fin du roman, l'auteur renverse son dispositif et propose un étrange pacte aux lecteurs : « Pour les curieux, dix pages suivent, très autobiographiques. Pour ceux que ça gêne, déchirez-les, je les en remercie. Et à la fois... ces pages j'en suis plutôt fière. »3 C'est avec L'IncesteT que la romancière se fait connaître au point de devenir une habituée des plateaux de télévision. Christine Angot va se détacher de l'autofiction (qu'elle nie avoir pratiquéE) pour établir une équivalence absolue entre elle-même et son personnage homonyme. Je vis ce que j'écris et j'écris ce que je vis. Pas sûr qu'il y ait là l'espace suffisant pour que respire un peu de littérature.



Deux autres romancières françaises vont avoir un parcours proche au regard de l'autofiction : Régine Detambel et Camille Laurens. Régine Detambel publie son premier roman en 1989. L'Amputation raconte comment l'ouvre d'art peut s'emparer de son créateur. Ici, un sculpteur essaie d'apprivoiser un bloc de dio-rite, réputée impossible à sculpter. Il se retrouvera le bras prisonnier de la roche. L'écriture du roman se fonde sur des pratiques oulipiennes et une contrainte principale: écrire cette histoire en y incluant tous les mots du dictionnaire dont l'auteur ne connaît pas la définition !

On retrouve une autre contrainte avec La Modéliste'T où tous les substantifs du roman sont féminins. Et à nouveau, le roman met en scène le désir d'une ouvre (une robE) maîtresse. On est loin ici de l'autofiction, mais l'ouvre déjà révèle ses leitmotive. Puis, peu à peu, le parcours de Régine Detambel va bifurquer. C'est avec La Lune dans le rectangle du patio"" (fruit d'une commandE) que la romancière débute une série de livres de plus en plus autobiographiques. C'est son enfance qui est explorée dans La Lune dans le rectangle du patio. Plus particulièrement son rapport difficile avec ses parents, qui sera à nouveau au cour de La VerrièreT, peut-être le climax de cette période autofictionnelle. Il serait réducteur cependant de n'envisager l'ouvre de Régine Detambel que sous l'angle qu'elle forme avec l'autobiographie. Detambel est un écrivain du lexique : son écriture méticuleuse et sensuelle circonscrit, chapitre après chapitre, des univers sémantiques très variés.

Il en est de même de Camille Laurens. Cette amoureuse des mots (lire Quelques-unsT) débute par le premier volet de ce qui allait devenir une tétralogie: Index"", qui sera suivi de RomanceT, puis des Travaux d'HerculeT et enfin de L'AvenirT. Ces quatre romans-là empruntent les voies du polar, jouent des mots et des situations avec un brio hors du commun, mêlent aux masques multiples des thèmes récurrents (l'amour, le secret...). La tétralogie est interrompue, au moment de l'écriture du quatrième opus, par un drame qui va modifier le chemin pris par l'écrivain. Ce drame est raconté dans PhilippeT, récit sur la mort de son nouveau-né, dans lequel Camille Laurens abandonne les jeux de la fiction pour dire, au plus près, la tragédie qu'elle vient de vivre. Dès lors, l'ouvre va prendre à sa charge un peu plus de part autobiographique, démarche à laquelle la tétralogie semblait vouloir tourner le dos. Les lecteurs de Camille Laurens savent que les frontières sont mouvantes et retrouvent dans le roman qui lui vaudra un fort succès, Dans ces bras-là*T, des scènes déjà évoquées dans la tétralogie. Le fil autobiographique est donc moins épais que chez Christine Angot, et on le retrouve aussi dans les fictions pures. Ce que Camille Laurens explore, dans une langue précise et joueuse, c'est, presque toujours, le romanesque amoureux dans ce qu'il a de fictif, dans ce qu'il a de réel. Normal dès lors qu'on soit, en la lisant, dans le trouble de l'indécision.



- Du jeu dans le moi - Au regard du style, il paraîtra étonnant d'inclure Christian Prigent parmi les auteurs dont l'autofiction ou l'autobiographie forment le fonds de l'ouvre romanesque. Voici un écrivain, chef de file de l'avant-garde des années i960 et 1970 avec la revue TXT, poète et performeur, qui a su marier les fruits de la recherche stylistique au roman. Christian Prigent, par l'invention d'une langue singulière qui connaît son Lacan par cour (par corps?), est devenu un écrivain majeur de la littérature française. Son travail romanesque, débuté avec... Commencement,m, explore via les méandres de l'inconscient la prime enfance de l'auteur [Une phrase pour ma mèreT ou Grand-mère Quéquette*") ou sa relation amoureuse (CommencemenT) avec une énergie proprement inouïe: jeux de mots, glissements sémantiques, accélération de la syntaxe, rhétorique hallucinée, développent tout un univers mental qui dévoile plus (mais avec la pudeur du comiquE) qu'une confession classique. Longtemps considéré à tort comme un formaliste, Christian Prigent est en fait celui qui pousse peut-être le plus loin l'exploration d'un moi atterré, traumatisé d'être au monde. Surtout, c'est celui qui parvient le mieux à fondre ce moi-là dans un moi universel. C'est en cela qu'il nous émeut (voir la scène d'adieu à la grand-mère dans Grand-mère QuéquettE). Le fait que l'écrivain soit aussi un essayiste incisif [Ceux qui merdRent,M), un poète reconnu (Écrits au couteau"") et un fin connaisseur de la peinture (Rien qui porte un nom"*), explique qu'il soit devenu une figure majeure du paysage littéraire français.

Si l'on avait tracé l'axe de l'autobiographie sous la forme d'un trait vertical, et placé Christine Angot sur ce repère, Camille Laurens, Régine Detambel et Christian Prigent aux alentours, il conviendrait maintenant de tracer une ligne plus oblique pour évoquer ceux qui suivent.

À commencer par Claude Louis-Combet. En 1995, alors qu'il fait paraître Blesse, ronce noire, Claude Louis-Combet n'a guère eu l'occasion de voir des articles de presse sur son ouvre. L'homme, pourtant, écrit depuis 1970 et s'est vu publier par des éditeurs réputés (Bernard Noël chez Flammarion, Bertrand Fillaudeau chez José CortI). Son ouvre emprunte une langue d'une pureté toute classique, aux ondulations mélodieuses, qui contraste avec ses thèmes : l'inceste maternel et sororal, la monstruosité, la faute, la mort. Les revues de création littéraire, aussi nombreuses que peu diffusées, ne s'y sont pas trompées et ont depuis longtemps laissé à cet écrivain une place de choix dans leurs sommaires. C'est une écriture habitée que celle de Claude Louis-Combet: l'écrivain touche aux zones les plus reculées de l'âme humaine. Entre sacré et profanation, la langue de ce Lyonnais donne forme aux plus profondes pulsions. Claude Louis-Combet a inventé un genre: la mythobiographie. Pour ce spécialiste de la vie des saints (il dirige une collection aux Éditions Jérôme MilloN), la mythobiographie consiste à investir, via la fiction, la vie d'un personnage illustre (le poète Georg Trakl dans Blesse, ronce noire ou Rose de Lima dans L'Âge de Rose"") et à y insérer ses propres sentiments, angoisses, pulsions. Belle métaphore de la littérature quand celle-ci recherche une forme adéquate pour dire l'indicible...



Pierre Michon aussi écrit depuis avant 1990. De lui, ce qu'on évoque d'abord, c'est le style : une langue qui fait sonner toutes les notes du français pour forer, au plus profond de l'humain, un puits où déposer un peu de lumière, une gloire petite taillée dans un lyrisme retenu, corseté. Autobiographe oblique, l'écrivain l'est dès son premier livre, Vies minuscules"", où il évoque en textes assez brefs des figures de son «arbre généalogique mental». Ces hagiographies laïques rendent justice à des êtres de peu en lesquels l'auteur reconnaît sa famille. Mais pour mieux saisir l'art de Pierre Michon, peut-être faudrait-il s'arrêter sur Vie de Joseph Roulin'w: s'intéressant au modèle de Van Gogh, il pose son regard sur le peintre et sur sa relation au monde. Ce faisant, s'intéresse aux rapports du créateur avec la société. Et Van Gogh est un créateur qui, comme lui, Michon, prend modèle chez les modestes pour leur donner un peu d'éternité. Ainsi, sous couvert de parler de Joseph Roulin (ce qu'il fait égalemenT) et d'évoquer Van Gogh, c'est aussi de lui que l'écrivain nous parle. L'ouvre romanesque de Pierre Michon, plus de vingt ans après son premier livre, semble avoir atteint une sorte de point limite avec La Grande Beune"*. Roman stoppé abruptement après quatre-vingts pages seulement, La Grande Beune est ce qui reste d'un projet bien plus vaste. Il se peut que ce livre marque aussi le moment où l'on s'est mis à ne plus croire en la littérature. En effet, pour qu'un peintre donne un peu de gloire à son modèle, encore faut-il que son art soit appelé à durer. Les conditions faites à la littérature (l'ignorance où la tiennent les jurys littéraires et les médiaS) ont rendu sa pérennité plus qu'hypothétique. Si le genre romanesque est sans prestige, comment dès lors pourrait-il sauver de l'oubli les sans-nom? La Grande Beune cependant a accouché d'un roman d'une densité telle qu'aucune relecture ne saurait en épuiser l'énergie enclose. Pierre Michon a d'ores et déjà laissé son empreinte dans la littérature française : de nombreux écrivains l'ont lu, dont l'ouvre ensuite a porté la trace de cette lecture. On pourrait citer Jean Rouaud, le Pierre Jourde de Pays perdu*", Philippe Claudel ou François Migeot...



Dominique Fabre, tout comme Pierre Michon, s'attache à donner voix aux obscurs. Son univers est double. D'un côté, il monte de frêles histoires, qui se déroulent pour la plupart en banlieue parisienne (à AsniereS). Histoire d'un chômeur (Moi aussi un jour, j'irai loinT), d'un barman (La serveuse était nouvelle2T) : histoires de pas grand chose racontées à hauteur d'homme, saisissantes dans la justesse du regard posé. De l'autre côté, il développe la voix d'un gamin, Edgar, alter ego de l'enfant que fut l'auteur. Ma vie d'Edgar"» le voit tout gamin, abandonné par sa mère en famille d'accueil, les oreilles ouvertes sur un monde qu'il ne comprend pas. Fantômes'"" retrouve le même gamin, entré dans l'adolescence, revenu un temps chez sa mère, et qui porte au cour une blessure muette. Ce balancement dans l'ouvre, entre fictions et autofictions, passe par un changement de langue. Posée, proche de l'oralité ou de la voix de la conscience dans les fictions, l'écriture se fait bégayante, fantaisiste et tendrement déjantée dès qu'il s'agit d'endosser la peau d'Edgar. À l'inverse, cette fois, de Pierre Michon, son écriture vise toujours une simplicité apparente pour dire la vie de ses personnages de fiction... ou d'adoption.



- «je» DE dupes - On aurait envie, tout de suite, de prendre des chemins de traverse et dire la parenté d'un Pierre Michon avec Pierre Bergounioux, Richard Millet. Évoquer le fait que Dominique Fabre appartient à la race de ces écrivains instinctifs aux côtés d'un Hubert Mingarelli, d'une Dominique Mainard. Mais reprenons notre table d'orientation : si, face à nous, se tenait le pic très médiatisé de l'autofiction, sur les côtés les contreforts de la mythobiographie ou de l'autobiographie oblique, c'est en tournant le dos à l'autofiction qu'on pourra observer un groupe d'écrivains rassemblés sous la bannière de la «nouvelle fiction». On doit ce nom à Jean-Luc Moreau, journaliste, écrivain et essayiste, qui nomme ainsi ce mouvement dans La Nouvelle Fiction.4 Il s'agit pour ses membres de refuser, comme le dit l'écrivain et traducteur Marc Petit, de «montrer son vécu à tous les passants».5 Et d'aller chercher dans les mythes, l'exotisme, les voyages parfois, la matière des romans. La nouvelle fiction met l'imaginaire au cour du roman. Parmi les principaux membres de ce mouvement, il faudrait saluer le très prolixe Hubert Haddad, romancier, poète, dramaturge et essayiste. Ce lecteur de René Daumal et du Grand Jeu déploie des fictions qui ouvrent grand les fenêtres de la rêverie, de l'imaginaire ou même de la fantaisie. Haddad peut réinventer l'île au trésor de Stevenson (Meurtre sur l'île des marins fidèles""), suivre l'apprentissage d'un peintre argentin {L'Ami argentin'"1) au milieu du siècle, tenter de recréer le monde à travers le lexique (L'Univers""). Pour lui, la vérité ne peut être approchée que par le biais de l'imaginaire.

La nouvelle fiction, malgré ses tentatives collectives,6 ses positions polémiques (notamment par le biais de Marc PetiT), ne semble pas avoir d'impact comparable à l'autofiction. Il est vrai que l'époque, hors littérature, est plus à l'expression de la singularité qu'aux expériences collectives.

L'opposition à l'autofiction n'a d'ailleurs pas besoin de passer par une école ou un mouvement. Un écrivain comme Eric Faye puise son inspiration aux frontières du fantastique ou d'un réalisme fabuleux. Un fait divers lu dans la presse peut suffire à lancer la machine à fictions: celui d'une disparition, par exemple, qui allait conduire à l'écriture de la trilogie Solange Brillât (du nom de son héroïnE) : Les Lumières fossiles"*0 (nouvelleS), Les Cendres de mon avenir"" et La Durée d'une vie sans toi"". Le romancier et nouvelliste aurait de quoi séduire la nouvelle fiction: outre le fait divers, les voyages l'inspirent, les mythes aussi. Grand lecteur d'Ismaïl Kadaré, auquel il a consacré un essai,7 Éric Faye laisse son clavier d'ordinateur glisser du côté de la littérature d'Europe de l'Est (Pari]"* ou Croisière en mer des Pluies"") autant que du côté de l'Amérique latine (Le Général Solitude'"") voire des brumes romantiques de la Forêt-Noire (Le Mystère des trois frontières'"). On voit là que l'horizon s'agrandit considérablement, en comparaison de celui, nombriliste, de l'autofiction.



On pourrait aussi citer Christian Garcin, dont deux romans jouent d'une belle symétrie géographique. Si Le Vol du pigeon voyageur"" nous conduit au Japon à la recherche d'une jeune femme disparue (encore une !), c'est aux États-Unis que mène La Jubilation des hasardsT*, à la recherche de l'âme errante d'un père mort. Dans un besoin d'enchanter le monde tout en dénonçant ce que le monde abandonné à la consommation est devenu, l'un et l'autre, Garcin comme

Faye, tentent de donner plus d'espace au champ romanesque. Sans toutefois >999.p-

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