Essais littéraire |
Ni l'histoire, à part de brillantes exceptions, comme Voltaire et son Siècle de Louis XIV, ni la critique n'étaient, avant le Romantisme, des genres bien féconds ni représentés par des esprits de premier ordre. Ce fut un des grands titres de gloire du xixe siècle d'avoir, sous l'impulsion de l'école romantique, donné à ces deux genres un développement considérable et une qualité supérieure. L'effet qu'a eu, nous l'avons vu, le goût nouveau pour le vrai, le réel, le concret, sur le théâtre et surtout sur le roman, devait tout naturellement se produire pour l'histoire, de même que l'élargissement du goût et le respect des impressions individuelles devaient ouvrir à la critique et à l'histoire littéraire, encore mal séparées, des horizons nouveaux. C'est à propos de ces genres que se vérifie particulièrement le principe de Mme de Staël, qu'une civilisation nouvelle voulait une littérature nouvelle. En effet, avec la Révolution française, un monde s'était achevé et était entré dans l'histoire ; un autre avait commencé, fondé sur le principe de la liberté du jugement nécessaire à l'histoire, et sur celui de la participation des citoyens au gouvernement de la Cité, ce qui fait naître leur curiosité pour le passé d'une patrie dont ils se sentent plus directement membres. D'autre part, le Romantisme, fut d'abord surtout uri effort poux remplacer l'an-1, tiquité classique par l'antiquité nationale, pour trouver dans notre passé des sources d'inspiration ; or, ce passé était mal connu, et les ouvrages pour le connaître étaient ou inexistants, ou mal faits. Il est donc naturel que des historiens se soient donné comme tâche de le faire connaître avec autant de relief, de vie et d'impartialité que possible. Ajoutons que, si l'histoire a avant tout comme but de faire ressortir ce qu'il y a de particulier dans chaque civilisation, mettant ainsi l'accent sur le côté de l'homme qui varie suivant les temps et les lieux, c'est justement là une des tendances les plus caractéristiques du Romantisme ; le goût de la couleur locale, c'est-à-dire de la particularisation extérieure des hommes et des choses, obligeait l'histoire à montrer l'originalité du passé non seulement dans les âmes et les esprits, ce qui l'eût rendue abstraite et en eût écarté peut-être la partie du public la moins instruite, mais encore dans le décor extérieur de la vie, capable de plaire à tous. Mais il ne suffit pas à l'historien de s'intéresser au passé et de désirer d'en donner au public une image vraie et vivante ; encore faut-il qu'il puisse aisément trouver les matériaux nécessaires à son travail. La science ne peut progresser sans laboratoire ; l'histoire, sans archives et sans musées. La Convention avait groupé au Musée des Monuments français des fragments architecturaux anciens, y compris ceux de l'art gothique, alors presque généralement méprisé ; des fragments de sculpture française ancienne furent groupés au Musée de Cluny, et d'autres au Louvre, sous la Restauration. Pour les monuments encore debout, l'Etat décide, en 1834, de les protéger, comme le réclamaient avec éloquence, depuis une dizaine d'années, Chateaubriand et Hugo, afin de les protéger contre la Bande Noire qui avait entrepris leur démolition. Les textes difficiles à trouver et qui sont la base des études historiques sont publiés par des organisations officielles ; deux grandes collections, d'une trentaine de volumes chacune, de Mémoires relatifs à l'histoire de France depuis le moyen âge sont publiées sous la Restauration, ainsi qu'une énorme collection en quarante-sept volumes de nos chroniqueurs du moyen âge, et d'autres d'archives et de documents. Des sociétés historiques se fondent un peu partout, à Paris comme en province, et de nombreuses revues spécialisées publient les résultats de leurs travaux ; les grandes revues elles-mêmes ne craignent pas de s'ouvrir à des articles historiques, sûres de voir leurs lecteurs les moins savants approuver ce nouvel aspect de la littérature. Mais cet effort fait par le gouvernement de la Restauration en faveur des hautes études historiques n'était pas descendu à l'enseignement secondaire ; pour des raisons politiques, on se défiait de l'enseignement de l'histoire dans les classes ; ce n'est que peu avant 1830, et surtout après cette date, que l'histoire tient dans les programmes scolaires un plan digne de la faveur du public pour cette science. Avant l'éclosion du Romantisme, de nombreuses ouvres historiques avaient traduit positivement ce renouveau du goût pour l'histoire. "L'Histoire de France d'Anquetil avait commencé à paraître en 1805 ; l'Histoire des Croisades de Michaud parut de 1811 à 1822 ; en 1819, Villemain publia son Histoire de Cromwell, où Hugo, Mérimée et Balzac puisèrent le sujet du drame que chacun d'eux autour de 1827 écrivit sur Cromwell. En 1821, paraissent l'Histoire universelle de de Ségur et l'Histoire de Paris de Dulaure. Mais à tous ces écrivains, d'ailleurs sérieux et relativement bien documentés, il manquait le don d'artiste original, il manquait le style, la méthode, l'idée générale directrice, la philosophie de l'histoire. Le public, que rendait plus difficile la qualité des ouvres parues dans les genres poétiques, dramatiques ou romanesques, de 1820 à 1830, demandait autre chose, quelque chose de plus vivant surtout. C'est ce que se sont efforcés de faire de Barante (1782-1866) dans son Histoire des ducs de Bourgogne (1824-26), Thiers (1797-1877) dans son Histoire de la Révolution (1823-1827) et son Histoire du Consulat et de l'Empire (1845-1855) ; celui-ci ne cherche guère à dépasser les faits pour s'élever aux idées générales, et il ne cherche nullement le pittoresque ; il se contente de faire comprendre ; il s'adresse à la seule intelligence ; mais le fait que la narration tient chez lui presque toute la place montre la différence entre l'école nouvelle qui veut une image aussi complète que possible de la réalité passée et un Voltaire qui domine l'époque qu'il raconte et se contente de peu de faits caractéristiques. Henri Martin (1810-1883), dans son Histoire de France (1833-1836), se contente de raconter agréablement, tout en voyant notre histoire nationale comme une série d'affirmations successives de l'élément celtique de notre race. Mignet (1796-1884) a les mêmes soucis d'exactitude un peu froide que son ami Thiers dans son Histoire de la Révolution française (1824) et son histoire de Marie Stuart (1851). Par opposition à cette conception presque uniquement narrative de l'histoire, d'autres historiens s'efforcent d'en faire l'illustration d'une idée générale ; ils sont philosophes et non plus seulement narrateurs. Guizot (1787-1874) est leur maître ; mêlé de très près à la vie politique de la France pendant de longues années, il s'intéresse surtout à la philosophie politique de l'histoire : Histoire du Gouvernement représentatif (1822) ; Histoire de la Révolution d'Angleterre (1826-1856). Tocqueville a les mêmes préoccupations dans De la Démocratie en Amérique (1836-1839) et L'Ancien Régime et la Révolution (1856). Edgar Quinet (1803-1875), dont l'immense production n'est qu'en partie historique, est plus nettement romantique, par son imagination intellectuelle, par ses tendances mystiques, par l'influence profonde sur sa pensée de la pensée allemande. L'histoire n'est pas pour lui un ensemble de faits dont il faut discerner les causes, mais un ensemble de symboles qu'il faut déchiffrer à la manière d'un poète. Sa conception philosophique de l'histoire lui est révélée par l'Allemand Herder, dont il traduit, à 22 ans, les Idées sur la philosophie de l'histoire ; il l'applique ensuite dans ses Révolutions d'Italie (1848-1852), sa Révolution (1865) et dans ses essais d'histoire religieuse (Le Christianisme et la Révolution française, 1845). Mais deux noms dominent toute la production historique de l'époque romantique : Augustin Thierry et Michelet. Eux seuls lui ont donné le cachet d'un génie particulier, et ont fait de l'histoire une ouvre d'art. Augustin Thierry (1795-1856), d'abord professeur de collège, puis journaliste politique, se consacra définitivement à l'histoire à partir de 1820, et publia d'abord, jusqu'en 1827, des articles sur divers sujets historiques, qui furent suivis d'ouvrages comme l'Histoire de la conquête de F Angleterre par les Normands (1825), les Récifs des temps mérovingiens (1840), l'Essai sur l'histoire de la formation et des progrès du Tiers Etat (1853). Thierry part d'une théorie : l'histoire intérieure des peuples n'est autre chose que la lutte continue entre le peuple conquis et le peuple ou les peuples conquérants. Cette idée intéressante explique beaucoup de faits, mais on peut estimer que Thierry veut lui faire expliquer trop de faits. Le grand mérite de cet historien ne réside pas tant dans une théorie que dans son art. C'est lui qui, non seulement le premier, mais avec une habileté et une puissance inégalées, s'est efforcé de faire revivre les temps les plus reculés de notre histoire en parlant à nos yeux et à notre imagination ; appuyé sur une documentation aussi solide que les éléments â sa disposition pouvaient la lui fournir, il a laissé, avec ses Récits des temps mérovingiens, un inoubliable tableau des luttes fratricides de Chilpéric et de Sighebert, de Frédégonde et de Brunehaut ; son art est à la fois celui du romancier et celui du dramaturge ; l'élément humain de l'histoire est mis en pleine lumière, et cependant le drame humain est habilement éclairé par les mours de l'époque où il se déroule, et intégré à un moment précis de l'histoire qu'il illustre. Après lui, l'historien, lorsqu'il aura à raconter une période d'une civilisation ancienne ou étrangère à la nôtre, ne pourra plus se passer d'une couleur locale exacte, vivante, frappante et évocatrice. Par lui, l'histoire. entre pleinement dans le domaine de l'art, se rapproche du roman historique, sans s'en permettre les fictions, et de la poésie. C'est parce que l'his--toire aura fait ce grand pas vers l'art que les poètes, les romanciers, les peintres, s'adresseront dorénavant si souvent à elle pour y puiser leurs sujets. Michelet (1798-1874), après une enfance pauvre et presque misérable, s'éleva, par un travail acharné et grâce à sa puissance intellectuelle, et après avoir hésité entre l'histoire et la philosophie, jusqu'au rang de professeur d'histoire à la Sorbonne et au Collège de France. Mêlé de près aux mouvements d'opinion qui amenèrent la Révolution de 1848, il fut dépossédé de sa chaire au début de l'Empire, renonça à l'histoire et se plongea dans la contemplation de la nature qu'il décrivit dans des ouvrages comme L'Oiseau, La Mer, La Montagne (1856-1868), rivalisant avec la poésie par l'éclat de la description I et surtout la sensibilité et le don d'animer toute chose. Rénovant le genre usé du poème descriptif, * il en ôte la versification, mais y ajoute la poésie et l'émotion, entrant, par une sorte d'acte mystique, en communion avec l'objet de sa description ou de son analyse, au point de ne faire qu'un avec lui, de lui prêter ses émotions, ou de ressentir lui-même la souffrance ou la joie qu'il imagine dans l'oiseau ou même dans les flots. Ces ouvrages, composés à la fin de sa vie, révèlent le vrai caractère de Michelet, un poète prodigieusement imaginatif dont la sensibilité, dont le coeur et les nerfs sont toujours en action au moindre spectacle et qui ignore la sérénité comme le sang-froid. Si contraire que ce caractère puisse paraître aux nécessités de l'esprit historique, c'est pourtant bien lui que nous trouvons dans Michelet historien, moins nettement affirmé, parce que la documentation historique canalise un peu sa sensibilité, mais aussi puissamment agissant. De tous les gens de sa génération, Michelet fut peut-être celui qui eut le plus le caractère romantique ; Berlioz, seul, pourrait lui être comparé ; mais que va donner ce Romantisme brûlant au service de l'histoire ? Après un Précis d'histoire moderne (1827), manuel I destiné aux classes de l'enseignement secondaire, et la traduction d'un ouvrage du philosophe italien Vico sur la philosophie de l'histoire, Michelet publie une Histoire romaine (1831), dont l'originalité réside d'abord dans l'interprétation symbolique des légendes des temps primitifs, puis dans la couleur des évocations ; c'est dans cet ouvrage que Flaubert trouvera plus tard non seulement le sujet de Salammbô, mais l'invitation à en faire un roman. Nommé en 1831 chef de la Section historique des Archives, Michelet se trouve maître de la niasse des documents qui sont à la base de l'histoire de France. Son premier contact avec ces dépôts immenses entassés dans d'obscures galeries semble ainsi diriger toute sa conception de l'histoire de la France : dans une sorte d'hallucination, il crut voir apparaître nos ancêtres les plus reculés, et surtout les plus malheureux d'entre eux, les plus anonymes, la foule du peuple, ces Jacques Bonhomme dont Thierry avait résumé l'histoire séculaire en quelques pages dramatiques dans un article de 1820, et il crut les entendre réclamant de l'historien la justice et la vérité, leur place au soleil de l'histoire, qui n'avait guère éclairé jusque-là que les rois et lés puissants. Délaissant alors Rome, il se consacra à la France et publiera successivement son Histoire de France, du Xe au xv« siècle (1833-1844) ; son Histoire de la Révolution française (1847-1853), son Histoire de France, de la Renaissance à la Révolution (1855-1867). Le premier, Michelet a vivement perçu la nécessité pour l'histoire de s'appuyer sur la géographie ; et il a fait précéder sa narration d'un tableau de la France qui en décrit rapidement les différentes provinces en dégageant le caractère propre de la race qui l'habite, dans un effort de synthèse trop souvent insuffisamment respectueux des faits. A la suite de Voltaire, il a aussi profondément compris que l'histoire n'était pas le seul récit des faits poli- tiques mais un tableau aussi complet que possible de la civilisation d'une époque. C'est pourquoi il donne ' beaucoup de place aux institutions, aux mours, à la culture intellectuelle et artistique, à la vie religieuse. L'art, en particulier, lui semble, plus qu'un document, un symbole ; ses pages fameuses sur la cathédrale gothique montrent bien cette interprétation puissante. Enfin, il ne lui suffit pas de raconter ; avec un souci moins scrupuleux que Thierry de la couleur locale extérieure, il a plus que celui-ci le sens de la vie profonde, le don d'inventer ou de découvrir une âme dans les êtres, et d'élever cette âme jusqu'à être symbole d'une époque, d'une tendance, d'une classe, d'un pays. Plus encore, placée au centre de la première partie de son Histoire de France, Jeanne d'Arc apparaît comme l'âme de la France, non comme un symbole, mais comme l'âme elle-même de tout un peuple souffrant et humble, miraculeusement présente dans la jeune fille élue, dont il raconte la vie obscure, le triomphe et le martyre avec une sympathie ardente qui l'assi» mile à son héroïne, comme un romancier, comme un dramaturge s'assimile à ses personnages. Jamais impartial, jamais neutre, Michelet n'est jamais froid. Les haines vigoureuses qui l'inspirent, lorsqu'il écrit l'histoire de la Renaissance à la Révolution, contre les prêtres et les rois, ne sont pas moins créatrices de beautés et de vie que l'amour que lui inspire Jeanne d'Arc ou le Grand Ferré. H faut lire son histoire comme une épopée, comme une Légende des siècles, où l'on cherche la poésie créatrice plutôt que la vérité historique, où la beauté vient du reflet de Pâme de l'auteur, et non d'une image fidèle du passé. Ce n'est pas avec son intelligence que Michelet pénètre le passé, mais avec son cour. De là provient ce style étrange, cette prose presque unique, que l'on ne saurait comparer qu'à celle de Saint-Simon, prose surchargée d'images, brisée, disloquée, haletante, où surabondent les points de suspension, les points d'interrogation, les points d'exclamation, les vers blancs, absolument opposée à la prose historique traditionnelle, mais qui fait de Michelet un de nos plus grands prosateurs, le plus grand prosateur romantique. L'histoire littéraire, mal dégagée alors de la critique sous le nom de laquelle elle se range, devait suivre une marche parallèle à celle de l'histoire. D'abord, la critique devient peu à peu un genre littéraire ; sans doute de nombreux écrivains, au XVIIe et au xvrne siècle, s'étaient-ils spécialisés dans l'étude des ouvrages de l'antiquité, ou de leur époque ; mais aucun ne s'était élevé, par son style ou par la force de sa pensée, jusqu'au niveau des écrivains qui s'imposent au grand public ; la critique restait affaire de spécialistes obscurs, d'érudits, presque de petits esprits, rabattus sur la critique faute de pouvoir atteindre à l'art. D'ailleurs, depuis Boileau, depuis Voltaire, la critique consistait à comparer les ouvres à un modèle admis comme canon du genre, et à le juger d'après ce modèle ; besogne de régent, qui exclut tout effort de compréhension personnelle, et qui ne tient nul compte de ce qu'a voulu faire l'auteur ; c'est la critique dogmatique. Chateaubriand et Mme de Staël en réclamèrent une autre, une critique où l'admiration eût sa place, qui cherchât les beautés, au lieu de ne s'attacher qu'aux défauts, qui se mît à la place de l'auteur pour comprendre et sentir ce qu'il voulait faire, qui tînt compte du temps et du pays où l'ouvre avait été écrite ; critique compréhensive et relative. C'est Villemain (1790-1867) qui fut le premier à pratiquer cette conception de la critique. H eut l'intuition même de la littérature comparée, et fut, en tout cas, profondément persuadé qu'on ne pouvait séparer l'arbre du fruit ni juger l'ouvre sans tenir compte de l'auteur ni de son milieu. Son Cours de littérature (1828-29), ses divers volumes de Mélanges et d'Etudes sont très significatifs à cet égard. Les luttes qui, nous l'avons vu, durèrent une vingtaine d'années entre romantiques et classiques, furent l'occasion d'une floraison d'ouvres critiques. Certains, comme Sainte-Beuve jusqu'en 1840, comme Philarète Chasles, plus tard comme Jules Janin, furent favorables au Romantisme ; d'autres, comme Saint-Marc Girardin, Nisard, auteur d'une Histoire de la littérature française (1844-1861) d'un style élevé et dont les jugements conservent, pour l'art classique, une singulière valeur ; Gustave Planche, critique de la Revue des Deux Mondes, représentent au contraire la défense du classicisme contre le Romantisme. Sainte-Beuve (1804-1869) domine de haut tous les critiques de son temps et reste encore, dans l'ensemble de notre histoire Littéraire, le plus grand. Après des études en médecine, qui lui donnèrent le goût de l'observation humaine et l'habitude de voir l'être vivant derrière sa production intellectuelle, il se tourna vers la poésie et la critique littéraire ; c'est ainsi qu'il entra au Globe, revue romantique libérale, à laquelle ses articles donnèrent un poids considérable dans les discussions de 1827 à 1830. Révélé par Le Globe, Sainte-Beuve ne cessa d'apporter sa collaboration aux principaux journaux : Le National, Le Constitutionnel, Le Moniteur, le Temps, et aux grandes revues : la Revue de Paris, la Revue des Deux Mondes. Ses articles furent réunis sous le nom de Portraits littéraires (1832-1852), Portraits de femmes (1844), Portraits contemporains (1846), et dans les vingt-cinq volumes des Lundis (1851-1872). Ses deux principaux ouvrages sont le Tableau... de la poésie française... au XVIe siècle (1827-1828), qui révéla tout un domaine de la littérature de notre pays à ses contemporains, et son magistral Port-Royal (1840-1848), développement du cours professé à Lausanne en 1837-1838, vaste tableau, à l'occasion de Port-Royal, du XVIIe siècle pensant. Sainte-Beuve s'attache surtout aux ouvres où se révèle l'homme derrière l'auteur : mémoires, correspondances, romans personnels, et, dans l'écrivain, s'intéresse plus à l'homme qu'à l'artiste. L'oeuvre d'art seule, isolée de son auteur, considérée en elle-même, n'est pas l'objet de son observation. La littérature qu'il étudie n'est qu'un moyen de pénétrer jusqu'à l'homme. Ce critique est surtout un moraliste. Mais ce moraliste apporte à son étude de l'homme particulier (et non de l'homme en général, comme faisaient nos moralistes du XVIIe sièclE), de l'homme unique, une méthode rigoureuse d'observation, de contrôle, d'analyse et de synthèse, celle, en somme, de l'histoire. Or, dans cette vaste étude de l'homme et des ouvres qui l'expliquent, Sainte-Beuve déploie l'intelligence la plus fine, la plus aiguë ; dans l'étude même des textes, il saisit avec une étonnante justesse les défauts de l'ouvre, et bien peu de ses jugements, après cent ans, sont à corriger ! Sans doute, il est infiniment moins compréhensif à l'égard des qualités qu'il n'est perspicace à l'endroit des défauts ; sans doute aussi, il est infiniment moins juste à l'égard des auteurs ses contemporains dont il est un peu jaloux, qu'à l'égard des écrivains du passé ; mais on est toujours étonné de voir combien il va directement à l'essentiel, et comprend avec autant d'intelligence qu'il a, d'autre part, de sensibilité artistique. Grâce à Sainte-Beuve, la critique s'est entièrement renouvelée. Il ne peut plus s'agir, après lui, de classer les ouvres selon leur mérite par rapport à un modèle immuable ; il ne s'agit même plus tant de juger que de comprendre des rapports ; rapports entre l'ouvre et l'homme, entre l'ouvre et d'autres ouvres antérieures, antiques, nationales ou étrangères ; la critique devient l'étude des rapports, voie infiniment féconde, d'où devait sortir la méthode de Taine, et toute l'histoire littéraire moderne. Inventeur d'une méthode, Sainte-Beuve est aussi, et peut-être surtout, un admirable écrivain, un modèle inégalé dans l'art d'exposer, et d'évoquer, de raconter, d'analyser, tout ce qui touche à la vie littéraire et mondaine du passé, tout ce qui touche au caractère de l'homme particulier que des documents écrits nous permettent de reconstituer. Avec l'histoire et la critique, le Romantisme a introduit dans l'esprit humain, dans la science de l'homme, de son action, de sa production intellectuelle, cette notion du relatif qui devait se révéler si féconde pour l'intelligence, dont l'horizon s'est, par là, si largement ouvert. |
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