Essais littéraire |
Toute une série de textes indique dans les romans de Mme de La Fayette les rôles divers joués par la pensée indéterminée. Il y a d'abord le rôle de la surprise : thème banal, mais qui, chez Mme de La Fayette, est d'une grande portée. La surprise est ce qui surgit imprévisiblement dans un milieu familier et paisible, pour en détruire la tranquillité. C'est la création soudaine d'un hiatus dans l'existence, par l'ouverture duquel tout peut basculer. Il en va souvent ainsi chez Mme de La Fayette. La surprise est, avant tout, chez elle une sorte d'invasion. Elle a pour effet de briser le rythme régulier de la vie, d'introduire une discontinuité, le plus souvent inattendue, en celle-ci. La surprise n'est donc pas en elle-même une chose positive. C'est un événement essentiellement négatif, le passage sans transition du connu à l'inconnu, du déterminé à l'indéterminable. Tel est le grand thème de Mme de La Fayette. Dans la scène de l'aveu, l'héroïne dira : « Je vous avoue que vous m'avez inspiré des sentiments qui m'étaient inconnus. » S'ils étaient inconnus, ils étaient nécessairement ignorés. C'est à partir de la découverte de cette ignorance que l'action proprement dite commence. C'est donc l'irruption de l'inconnu, donc de l'indéterminé, qui constitue le véritable début du drame. Toute découverte de l'indéterminé est liée à une ignorance. A l'ignorance s'associe naturellement la confusion, l'indistinction : « Ses pensées étaient si confuses qu'elle n'en avait aucune distincte. » « Cet objet était trop proche pour me laisser voir des voies claires et distinctes. » De l'indistinction il est impossible aussi de séparer l'incertitude, qui n'est que la conscience du caractère imprévisible de ce qui nous arrive. A l'extrême, ce sentiment confus devient en nous la difficulté, l'impossibilité même de se reconnaître en l'être qu'on craint de devenir. On a peur de devenir pour soi-même une espèce d'étranger. On s'apparaît méconnaissable. C'est pourquoi, chez Mme de Clèves, comme chez sa créatrice et peut-être son prototype, Mme de La Fayette elle-même, l'on peut percevoir le désir, parfois presque désespéré, de contrebalancer à tout prix cette incertitude par une certitude. L'héroïne de Mme de La Fayette se demande plus d'une fois avec angoisse : « Puis-je me mettre en état de voir certainement finir cette passion ? » Finir, terminer, tracer une limite ferme et certaine à l'aventure incertaine, tel est le vou profond de la princesse de Clèves. Il se résume, en somme, à ceci : tâcher, coûte que coûte, d'échapper au danger mortel de l'indétermination. MADAME DE LA FAYETTE : TEXTES Si je ne suis surpris d'abord, je ne puis être touché. Je vous avoue que vous m'avez inspiré des sentiments qui m'étaient inconnus. Ses pensées étaient si confuses qu'elle n'en avait aucune distincte. Cet objet est trop proche pour me laisser des vues claires et distinctes. Je n'ai que des sentiments violents et incertains dont je ne suis pas le maître. Puis-je me mettre en état de voir certainement finir cette passion? |
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