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MADAME GUYON






Il est difficile, peut-être même impossible, de définir avec précision un être qui, mentalement, spirituellement, se trouve dénué de toute forme. Or, c'est le cas de Mme Guyon. Sans doute, en remontant dans son passé, on peut toujours supposer l'existence d'un temps, celui de l'enfance, de la première jeunesse, où il eût été possible de distinguer en elle une créature déjà entièrement formée ou en voie de l'être, et révélant ainsi une vraie personnalité. Mais ce temps premier, s'il a jamais existé, a dû très rapidement céder la place à un autre, faisant apparaître une personne toute différente, si différente même qu'il serait vain de vouloir à toute force lui trouver des points de ressemblance avec qui que ce soit. Du moins, avec qui que ce soit, ayant la moindre personnalité. Toute personnalité, tout trait individuel chez Mme Guyon, semble n'avoir jamais existé, ou avoir disparu très tôt sans laisser de trace, et, en ce dernier cas, sans avoir été remplacé par rien. Certes, au moral comme au physique, elle présente certains traits qui permettent de ne pas la confondre avec quelque autre créature, elle s'en distingue même de façon extraordinaire par ses idées, sa conduite, par le retentissement que son comportement n'a pas manqué d'avoir; mais toute la rumeur et le scandale qui en furent les conséquences ne doivent pas nous induire à croire que Mme Guyon fût naturellement un être hors du commun. Au contraire ! Le singulier paradoxe que révèle son existence nous laisse voir une personne sans rien d'exceptionnel, sinon une dose d'obstination remarquable. Médiocrement douée pour quoi que ce soit et s'appliquant d'autre part à effacer soigneusement les quelques caractéristiques qu'elle pouvait avoir, Mme Guyon nous offre d'elle-même une image assez neutre, celle d'une personne dépourvue de tous les signes qui permettent aussitôt de reconnaître les êtres doués de qualités positives, rendant facile la tâche de les définir. A l'inverse, Mme Guyon apparaît immédiatement à qui s'intéresse à elle comme un être mal définissable. Elle est mal définissable, non en raison de la nature occulte ou profonde qu'aurait sa vie intérieure, mais plutôt parce que celle-ci, assez vide et presque superficielle en elle-même, est rendue plus vide encore, plus complètement privée de toute marque personnelle par la volonté constante qu'elle avait de ne jamais rien laisser subsister en elle qui lui appartînt en propre. Aussi est-il difficile de trouver dans l'histoire des individus un être qui eût aussi complètement réussi à éliminer de son moi tout ce qui s'y trouvait d'individuel. Il est vrai que Mme Guyon n'est pas sans être douée de qualités remarquables. Celles-ci sont variées et continuellement maintenues en activité. De plus, elle est une personne incontestablement vertueuse, quoi qu'en ait dit Bossuet. Mais toutes ces qualités ne semblent pas avoir de fondement positif. Elles ne paraissent pas devoir former un caractère, ni affirmer une véritable originalité. Il n'y a rien de net, de clair, d'indubitable dans la pensée et dans la vie de Mme Guyon. Cette pensée comme cette vie sont curieusement dépourvues de personnalité. Non pas tant par une sorte de privation naturelle que par la volonté expresse de celle qui choisissait d'en rester démunie. Tout se passe comme si l'absence de toute forme d'esprit déterminée avait justement été l'objet constant, peut-être unique, de Mme Guyon. Parlant d'elle-même dans un ouvrage où elle décrit longuement sa propre existence, elle écrit ceci : « Il en est de la forme de même que de la couleur. Comme l'eau est fluide et sans consistance, elle prend toutes les formes des lieux où on la met. » A n'en pas douter, Mme Guyon se reconnaît ici semblable à cette eau qui, prenant toutes les formes, n'en a par elle-même aucune. C'est son cas, comme c'est aussi celui de Fénelon. Ecrivant à celui-ci, elle lui dit : « Vous savez que l'eau prend toutes les couleurs, toutes les formes, tous les goûts. » Mais, ajoute-t-elle, « c'est parce que l'eau n'a ni couleur, ni goût, ni forme. Soyons de même ».



Ce dernier trait met singulièrement en relief ce qu'on pourrait appeler la volonté maîtresse, le mobile essentiel de Mme Guyon, à supposer que dans l'état auquel elle était volontairement parvenue il pût y avoir encore place pour une volonté quelconque : volonté qui, à ce point, n'aurait plus pu être que la volonté de ne plus avoir de volonté - ou, en d'autres termes, volonté de renoncer à toute consistance mentale, à tout état d'esprit qui nécessiterait en celui qui l'adopterait une structure déterminée. Devenir semblable à l'eau, c'est devenir semblable spirituellement à quelque chose qui n'est jamais précisé, arrêté, qui n'est jamais déterminé. C'est devenir fluide, malléable, et faire de cette malléabilité interne le principe de son existence. Ainsi l'on peut dire que l'absence de forme particulière, quelle qu'elle soit, qu'on trouve chez Mme Guyon n'est pas une faiblesse, une défaillance de l'esprit, pas plus qu'une renonciation désintéressée, imposée héroïquement à sa nature profonde. C'est la reconnaissance en elle, par elle, d'un état entièrement négatif, qu'elle accepte, qu'elle s'impose, ou que, tout simplement, elle reconnaît comme étant depuis toujours son être vrai. Et cet état serait le contraire même de tout état positif, en sorte que sa négativité a quelque chose de fondamental. Ce serait un état caractérisé par la nullité totale de l'être qui s'y soumettrait, comme si cet être non seulement n'avait pas ou n'avait plus de caractéristiques quelconques déterminables, mais était devenu (ou avait toujours été) un être absolument nul, impersonnel, et tel qu'il ne pouvait apparaître à la personne même qui se reconnaissait en lui autrement que comme un étranger avec lequel on n'avait aucune attache. Le nom de cet état est désappropriation. Désappropriation d'une telle rigueur que celui ou celle qui s'y trouverait sujet ne pourrait même plus reconnaître son moi comme sien et se verrait même interdire de dire de soi-même : Je suis. « Le moi, dit Mme Guyon en parlant d'elle-même, est tellement disparu que si vous me demandez de mes nouvelles je n'ai qu'une chose à vous répondre : Je ne suis. »



L'être qui arrive ainsi à cet état extraordinaire, consistant à refuser à soi-même la qualité d'être, se trouve du même coup contraint de se dénier jusqu'aux attributs les plus essentiels, attachés d'ordinaire invariablement à la reconnaissance, par le sujet, de son caractère proprement subjectif. Il cesse, ou il croit cesser, d'être sujet. Il devient à ses propres yeux une espèce d'objet, d'entité impersonnelle, dénuée de toute caractéristique particulière, et qui aurait pourtant toujours le don de la conscience : conscience cependant anonyme, conscience d'automate, dépourvue de sentiments, réduite à la sécheresse la plus inhumaine. Sans attraits, sans attache, sans sympathie, sans préférence, cette étrange entité assisterait donc à tout ce qui lui arriverait comme si cela arrivait à quelqu'un d'autre et que ce quelqu'un d'autre lui inspirât la même indifférence qu'il aurait pour lui-même et pour tous les autres objets. Indifférence générale, universelle, entraînant de toute part, à la circonférence comme au centre, le même état d'esprit, la même impression que tout serait réduit au même nivellement, à la même insignifiance - sauf, peut-être, placé hors du cercle des facteurs naturels, un acteur divin, devenu seul opérant et, par conséquent aussi, seul efficace dans l'esprit de celle qui a fait d'elle-même, comme du reste, une quantité nulle : « Le propre de l'abandon à Dieu, écrit Mme Guyon, est de mettre l'âme dans une certaine indifférence qui fait qu'elle veut tout et ne veut rien. Elle est sur un pivot où on la remue et fait tourner du côté qu'on veut. » - « Il va de soi, ajoute-t-elle, qu'une telle disposition ne peut qu'éteindre tous les désirs. »



Cette extinction générale des désirs, des volontés, des représentations et des déterminations particulières, ne pouvait conduire Mme Guyon qu'à un seul résultat - résultat tout négatif, bien entendu. C'est la suppression du pouvoir d'ordinaire exercé par tous les êtres et par chacun pris en soi, qui consiste à fixer sa pensée avec une intensité toujours variable, mais toujours agissante, sur quelque objet que ce soit. Tous les objets étant réduits à une égale insignifiance, ils sont affectés du même coup par une égale indétermination. Aucune chose, aucun être, aucune idée particulière ne peut obtenir de celui qui pose son regard sur cet objet la moindre attention. Abolie est cette opération de l'esprit par laquelle les objets sur lesquels le regard fermement s'arrêtait devenaient distincts en raison de cet acte même. L'indétermination ne peut qu'être totale. Elle a pour effet de ramener tout ce qui existe, tout ce qui est pensé, y compris le penseur lui-même, à zéro. Comme tout le reste, la vie de Mme Guyon, dans ses propres termes, se trouve donc muée en un « néant vécu ». Et cet anéantissement illimité du monde extérieur et intérieur ne peut même simplement se borner au moi et au monde. Certes, Dieu semble survivre à ce total holocauste, mais le Dieu de Mme Guyon est appelé par elle-même un « Dieu-abîme », une « Essence nue ». Poussée à l'extrême, Indétermination devient une totale annulation.



MADAME GUYON : TEXTES

Je pensais hier au matin : Mais qui es-tu ? (Vie de Mme Guyon, t. 3, p. 100.)



Je suis une machine qui parle. (Vie de Mme Guyon, t. 3, p. 100.)

En m'abîmant dans ce grand Tout, je deviens étrangère à moi-même (Poésies, t. 1, p. 137.)



Ce qui n'a plus ni sentiment ni forme - Est dans le rien, en possédant son Dieu. (Poésies, t. 1, p. 51.)



Dieu, ayant consommé l'âme dans son amour, la met dans une indifférence sans égale. (Discours chrétiens, t. 1, p. 419.)



Le propre de l'abandon à Dieu est de mettre l'âme dans une certaine indifférence qui fait qu'elle veut tout et ne veut rien. (Lettres chrétiennes, lettre 76.)



Si nous regardons saint Jean comme un saint particulier, nous remarquerons qu'il a été infiniment grand par son anéantissement. Trois fois il répète : Je ne suis. (Discours chrétiens, t. 1, p. 96.)

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