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MAUPASSANT






« L'angoisse véritable, dit Heidegger, ne sait pas ce qui l'angoisse. » Maupassant, lui, parle d'une certaine peur, dont il est impossible de rien dire, sinon « j'ai peur, mais de quoi ? ». Dans ces deux cas c'est sans doute à la même sorte d'émotion qu'il est fait allusion. Il s'agirait d'une peur si troublante et en même temps si peu justifiée et si profondément irrationnelle qu'il serait impossible de lui trouver un motif évident, une cause déterminée. La peur, telle que Maupassant l'entend, et, d'autre part, l'angoisse heideggerienne, celle que, dans la pensée de Heidegger, tout homme est contraint d'éprouver comme le sentiment premier et fondamental de son existence, ne sont donc, semble-t-il, qu'une seule et même chose. Pour le philosophe allemand, c'est l'expérience initiale, à partir de laquelle se révèle toute la profondeur tragique de l'existence. Or, sans trop s'en rendre compte, Maupassant, avant lui, avait reconnu à la pensée humaine le même point de départ. Heidegger voulait qu'on l'appelât Angst, angoisse. Maupassant, lui, de façon à peu près constante, l'appelle peur, mais c'est pour lui une peur spéciale, exceptionnelle, qui a pour trait caractéristique de ne pas avoir de cause déterminée : sentiment intense, mais sans cause, qui est celui éprouvé par l'être précisément incapable de trouver la raison pour laquelle il a peur. Or, c'est bien là l'angoisse décrite par le penseur allemand : « L'angoisse, dit-il, ne sait pas de quoi elle est angoissée. » Et il ajoute : « Ce qui semble menaçant dans ce cas ne peut venir d'une cause déterminée. »



La peur chez Maupassant, l'angoisse chez Heidegger sont donc toutes deux caractérisées par la même étrange absence de motif. L'une et l'autre ont pour trait principal non une expérience en elle-même concrète et positive, mais au contraire une absence, un manque, quelque chose d'indéfinissable et de négatif. Dans combien de textes de Maupassant ne trouvons-nous pas décrite, autant qu'il est possible de la décrire, cette chose sans forme qui, aux yeux de Heidegger, est très exactement ce qu'il est vain de vouloir formuler, car c'est le vide redoutable qui se situe à l'origine de chaque existence. Qu'on l'appelle peur ou angoisse, c'est toujours dans la même ignorance qu'on se trouve obligé de renoncer à définir ce qu'on éprouve. La même question monte chaque fois aux lèvres et se trouve chaque fois sans réponse. « Je ne sais pourquoi j'ai peur », dit le personnage de Maupassant. Et s'il commente cette ignorance essentielle, c'est pour dire : « Peur de quoi ? Je suis incapable de le dire, c'est un sentiment que je ne comprends pas. » Toutes ces remarques se trouvent mises dans la bouche de n'importe quel personnage du romancier, le plus souvent sous forme interrogative : « Attendant quoi ? Ayant peur de quoi ? Je voudrais quelque chose, mais je ne sais quoi. »



On pourrait ainsi faire une longue liste de ces questions sans réponse, prononcées soit par Maupassant lui-même, ou, plus souvent encore, par l'un ou l'autre de ses personnages. Tous, ils s'interrogent, mais de telle sorte qu'à leur question, toujours la même, ils ne trouvent jamais de réponse. « Suis-je fou ? », dit l'un d'eux. Il ne peut que constater qu'il n'en sait rien. Toutes ces questions n'aboutissent qu'à un aveu d'impuissance, que prolongent parfois des paroles découragées : « La moindre chose contient de l'inconnu », « L'on est enveloppé de choses incertaines », « L'on est perdu dans un brouillard ». La peur, la peur inexplicable toujours, saisit sa victime, dès l'instant où elle perçoit le caractère incompréhensible de ce qu'elle éprouve : « On craint vaguement. »



Ainsi il se fait que l'auteur ou son personnage - c'est tout un - perçoive - est-ce dans la brume, ou est-ce au fond de lui-même - « une plainte qui, dit Maupassant, ne s'adresse à rien ». C'est cette plainte, ce cri d'angoisse anonyme qui provoque le plus souvent en lui ce qu'il appelle « une peur d'aveugle qui a lâché son chien ». Il découvre au fond de soi une absence d'être. Il la constate avec horreur, mais il ne l'explique pas et n'essaie pas de le faire. « C'est, dit-il encore, une peur inexplicable devant ce qu'on ne comprend pas. »



En réalité, c'est toujours la même peur, d'autant plus vive que celui qui en est affecté se trouve incapable d'en définir la nature. Peur de quoi ? Peur de tout, peur du rien, qui est encore pire que le tout. « J'ai peur tout seul, dit un personnage du conteur. J'ai peur de moi. J'ai peur de la mort. » L'objet est incertain, mais le sentiment est toujours le même. « J'ai peur parce que je ne comprends pas ma peur. » C'est, dit encore Maupassant, « croire à quelque chose de vague et de terrifiant qu'on sent passer dans l'ombre ». Mais ce « quelque chose », peut-on lui donner un nom ? Il y a dans l'ouvre de Maupassant un conte fameux qui exprime plus tragiquement qu'un autre l'effort presque désespéré que fait la pensée pour déterminer à tout prix ce qui n'a pas, qui ne peut pas, avoir de nom. Ce conte, un des plus célèbres écrits de Maupassant, exprime admirablement ce qui est toujours bordé ici par l'inexprimable, c'est le Horla. Jamais l'impossibilité physique de définir ce qu'on éprouve ne s'est trouvée exprimée avec une telle netteté. Et pourtant jamais aussi ce qui est ici si nettement présenté à la pensée ne s'est trouvé contra-dictoirement si impossible à définir. On dirait que c'est la pensée même de celui qui en subit l'expérience, qui en est à la fois la victime et l'auteur. Cause et sujet de ce qu'il éprouve, un être se débat contre un fantôme de lui-même qui est en même temps un étranger maléfique et son propre moi. Ici, il n'y a pas de doute, le malheureux qui vit cette expérience est proche de la folie. Il se reconnaît sans pouvoir s'identifier. L'être qu'on est et qu'on se reconnaît être se sépare de nous pour devenir incompréhensiblement notre pire ennemi. Entre lui et moi la solution de continuité est totale. Il y a un trou. On songe à Shakespeare, à certains passages de ses drames, Macbeth, Le rot Lear, Hamkt surtout, où, soudain, dans la continuité apparente d'une existence, le plus souvent sans raison décisive, une faille a lieu, un trou se présente, et c'est là le signal d'une scission foudroyante. Elle a pour effet de séparer en deux tronçons le moi, mais aussi, et surtout, de faire apparaître entre ces deux moitiés sanglantes d'un même être, la révélation d'un abîme dont les bords ont pu longtemps se toucher, mais dont la profondeur est infinie.

Chose singulière, cet hiatus brutal, on peut le sentir éclater en nous à n'importe quel moment de notre vie : par exemple dans le train-train des occupations familières et jusque dans le farniente d'un instant de détente. Maupassant raconte que, se trouvant à bord de son yacht, non loin de Portofino sur la côte italienne, le simple battement d'une petite pendule lui donna tout à coup « la surprenante sensation des solitudes illimitées ». Par ce jour étouffant d'été, raconte-t-il, un sentiment surprenant envahit ma conscience, quelque chose d'accablant, d'anéantissant, « comme le contact du vide infini ». En face de celui-ci la volonté, ajoute-t-il, défaille.

Est-ce là un de ces trous dont nous parlions, qui se font soudain dans la continuité de l'existence, comme une déchirure inexplicable et tragique dans le tissu d'ordinaire ininterrompu qu'elle présente ? En tout état de cause, il s'agit d'une rupture alarmante dans le fil des jours. Cela se produit au centre de nous-même, comme si la base même de notre esprit cédait sous quelque pression. L'on pourrait croire que s'il en est ainsi, c'est en raison de quelque événement déterminé. Mais ce n'est pas toujours le cas. L'événement peut être, en quelque sorte, négatif. Il peut nous faire prendre conscience non plus, cette fois, de quelque fait positif qui nous affecte, mais du néant même de notre vie.



A un autre moment, se situant à une époque plus tardive, quand sa conscience avait été déjà profondément troublée par les désordres mentaux qui allaient lui être si funestes, Maupassant, dans une lettre à Franck Harris, nous fait le récit de ce qu'il appelle de façon assez singulière, l'émiettement des événements disparus en lui. « La réalité, explique-t-il, est que la vie, elle-même, me quitte. » Une autre fois, avec une force plus saisissante encore, l'événement vécu se présente à lui, dit-il, non comme une apparition, mais comme une disparition. Dans le délire qui prend de plus en plus possession de lui-même, les images, raconte-t-il - imprévisibles -, ne se lient plus les unes aux autres : on dirait*, au contraire, qu'elles se présentent à lui, isolément et comme autant de lacunes ou de fuites, ne laissant plus entre elles, à mesure qu'elles se cèdent la place les unes aux autres que des fragments séparés, ou, pour employer le terme précis dont il se sert, des parcelles de son existence antérieure. Constatons ce singulier morcellement qui s'accomplit dans la pensée et dans l'expression de celle-ci. Il consomme la fragmentation des traits qui avaient constitué jadis les points de mire de l'existence. Autour d'eux les espaces deviennent vacants. A ce propos, on peut rappeler une déclaration étrange de Maupassant à cette époque. Il dit : « La liberté, pour un vieux garçon comme moi, c'est le vide, le vide partout, c'est le chemin de la mort, sans rien dedans pour empêcher de voir le bout. » Le lien qui existe entre toutes ces expériences intimes se rattachant pour la plupart à des époques très variées n'est donc pas toujours apparent, mais il n'en est pas moins de grande importance. Il n'est pas apparent, justement, parce qu'il se réfère à des événements ou à des états mentaux largement séparés les uns des autres et se révélant chaque fois non sous l'aspect de formes déterminées, occupant une place définie, mais sous l'aspect au contraire de coupures ou d'interruptions, parfois très nettes dans la détermination continue de ces formes. Tout se passe comme si, chaque fois, le phénomène essentiel dont il s'agissait de comprendre la signification consistait, chose étrange, dans une omission, comme si un certain état d'esprit, plus ou moins déterminé, était brusquement arrêté net et remplacé par son contraire, c'est-à-dire par un vide. Vide constamment interrompu lui-même, se divisant en une série de trous répétés, mais s'unifiant en profondeur, comme une suite d'intervalles rappelant à chaque instant sur quel fond impalpable s'étale pour Maupassant la fausse plénitude des formes. Sans aucun doute, il convient de rattacher cette singulière composition où le positif semble reposer sur du négatif, au désastre mental qui, comme nous le savons, affecta irrémédiablement les derniers jours de Maupassant. Mais sous une forme plus anodine, presque normale, des ruptures de continuité de cette sorte sont toujours apparues de façon répétée chez le grand conteur. Dès le début de sa carrière littéraire, on en reconnaissait déjà les traces. Elles ont une force exceptionnelle. C'est peut-être que chez Maupassant, à l'inverse de ce qui se passe d'ordinaire normalement dans le fonctionnement de la pensée, on voit celle-ci procéder plus souvent par reprises successives que par un mouvement ininterrompu, de sorte que la pensée s'y développe par pulsions. Est-ce la raison pour laquelle Maupassant, malgré la réussite incontestable d'un petit nombre de grands romans, s'est montré toujours plus à l'aise en tant que conteur qu'en tant que romancier ? Un conte c'est si souvent, pour lui, une impulsion qui jaillit à partir d'un vide. Disons plus modérément que c'est souvent l'expression d'un choc redéclenchant l'action sur de nouvelles bases. Dans la plupart des contes se révèle cette poussée immotivée qui arrache l'être aux déterminations qui risquaient de l'immobiliser en cours de route.



MAUPASSANT : TEXTES



Il faut tenir compte de ce que, si à force d'observer les hommes, nous pouvons déterminer leur nature assez exactement pour prévoir leur manière d'être dans presque toutes les circonstances, si nous pouvons dire avec précision : « Tel homme de tel tempérament dans tel cas fera ceci », il ne s'ensuit point que nous puissions déterminer, une à une, toutes les secrètes évolutions de sa pensée, toutes les mystérieuses sollicitations de ses instincts...



Un frisson singulier lui passa dans l'âme et lui courut sur la peau ; une angoisse confuse lui serra le cour. Pourquoi ? Elle ne comprenait pas. Mais il lui semblait qu'elle était perdue, noyée... Elle murmura : « J'ai un peu peur. »



... Une sorte de trou noir au fond duquel il regardait...

Qui donc était là, toutes les nuits, près de moi ?

Quel était-il ? De quelle nature ?

Qui est-ce ?

Mais est-ce moi ? Est-ce moi ? Qui serait-ce ? Qui ?

Je ne comprends pas ma peur.

Et une angoisse inconnue, atroce, entrait en lui.

Détresse de chien perdu...

Je me sens mourir.

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