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Maurice Henry - DISCOURS DU RÉVOLTÉ






(extraiT)



«Il n'y a plus rien ici-bas. Les larmes me servent à tresser des haies. De quelque côté que je me tourne, mes regards glissent sur la façade lisse des murs, ou s'enchevêtrent dans les épines. Si j'étends le bras, je renverse un objet ; si je peux marcher, mes pieds rencontrent des pièges à loups, des tessons de bouteilles ou des rails en saillie, je tombe et voilà mon front qui saigne. Des obstacles, toujours.

«Les cris que je jette n'émeuvent personne. Je suis égaré dans la forêt de l'indifférence; je voudrais m'ar-racher les cheveux, que je m'exposerais aux sarcasmes des hommes. J'ai mal, vous dis-je, j'ai mal à tout mon grand corps désespéré, mes os sont durs, ma chair est coriace et les coups que je reçois y laissent des morceaux d'arcs-en-ciel douloureux. Le monde est trop petit, je heurte le plafond, je heurte les murs, je ne vois rien. Et mes poings qui se meurtrissent, et mon crâne qui sonne comme une boîte creuse, et mes jambes qui ploient !



«Moi, j'admire les hommes: les orties leur rongent les mains, et ils acceptent cela comme une fatalité. Ils vivent, ils vivent, et moi je meurs de me savoir vivant.

« Couper toutes ces poutres dressées contre moi, qui me maintiennent immobile, laver ce sang et cette boue qui me souillent et m'enlaidissent! Quand je pense à cette libération que je me promets comme une femme mes muscles se durcissent et une activité désordonnée s'empare de mon esprit sans boussole. Je n'entends plus les paroles des hommes, je ne vois plus qu'un brouillard de chair et de fer, et mes yeux tournent comme des billes noires; le silence n'est plus maître de moi, mes nerfs se tendent comme des rayons de lumière. La Révolte.

«La Révolte crève, éclate comme un tambour. Des voiles sanglants flottent au-dessus du sol; les voiles des navires se ternissent parmi les vagues de sel. Le ciel tombe lentement, comme un rideau de théâtre. C'est une nuit zébrée de grondements et d'éclairs, pleine de gonflements et de bruits. Le fer et le feu. Des déchirures de nuages laissent couler des torrents de sang lourd comme le plomb.

« Détruire, arracher tous les masques, griffer et crever les chairs pâles, les chairs effrayées, tremblantes. Renverser tous les échafaudages ridicules et se dresser parmi les ruines et la poussière, avec un rire horrible et triomphant. Mes bras se lèvent vers le ciel, vers la grande paix, et mon rire se fige dans l'éternité...

« Je me révolte contre tout. Je sens déjà que mes pieds quittent le sol, que d'admirables ailes s'attachent à moi pour m'aider à échapper à ces démons. J'ai envie de crier, de supplier, de pleurer, mais le froissement des plumes blanches me brise le cour. Alors je hurle. Ne me touchez pas ! Je vais être divin ! »



MAURICE HENRY

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