Essais littéraire |
Mérimée ne se départit jamais d'une position très nette, celle d'un témoin non participant, se cantonnant strictement dans son rôle d'observateur, percevant toujours ce qu'il voit avec le maximum d'objectivité et s'exprimant toujours aussi avec le maximum de précision. On ne saurait donc concevoir un esprit qui plus scrupuleusement se tienne à distance du spectacle dont il est témoin, mais qui soit aussi plus conscient du mélange impur de réalités et de faussetés, de faits réels et de faits fictifs que ce spectacle comporte. Toute la politique de l'esprit pratiquée par Mérimée se ramène à ne pas être dupe de cette confusion. D'un côté, il y a un petit nombre de faits réels, déterminés, dont on ne peut douter; de l'autre, il y a une multitude indéterminée de fictions absurdes, contradictoires et mensongères, qu'il faut démêler et tenir à distance pour ne pas être abusé par elles. La séparation qui doit être faite entre ces deux mondes doit donc être très nette. Ou bien on se laisse persuader que ces rêveries sont vraies, et on est trompé par elles; ou bien, on se tient à distance, on refuse d'être contaminé par leur vague et profuse apparence. Il n'y a pas de partisan plus rigoureux de cette seconde attitude que Prosper Mérimée. Il est celui qui, sans faiblir, se tient à l'écart, qui refuse de se laisser séduire ou émouvoir par n'importe quelle situation équivoque, qui se méfie de toute pénombre et de tout mystère. Cette attitude est si méticuleusement observée qu'elle ne tolère même aucune intervention active. Aux yeux de Mérimée, ce serait non seulement une erreur, mais un danger, que de s'aventurer trop près, physiquement et mentalement, de l'ensemble impur et troublé, mais intrigant peut-être, dont par pure curiosité l'on aurait eu l'imprudence de se rapprocher. Mérimée ne se laisse pas séduire. Il ne se permet aucun accommodement avec le mystérieux, l'embrouillé, l'indéterminé. De loin, il en note avec soin les aspects réels ou illusoires. Il en décrit même, aussi minutieusement qu'il peut le faire vis-à-vis d'événements qu'il s'interdit d'examiner de près ou du dedans, les complications troublantes. Mais il ne cède pas d'une ligne sur ce qui est pour lui le point essentiel : s'abstenir de toute adhésion, de toute complicité et, par-dessus tout, d'identification, avec la pensée indéterminée. Il ne s'agit à aucun degré de clarifier ce qui est confus, d'expliquer ce qui ne mérite pas d'explication. La pensée proprement déterminée, telle que la comprend et la pratique Mérimée, doit se limiter étroitement à la notation précise de ce qui est précis, à la détermination de ce qui est indubitablement déterminable ; et mentionner succinctement le reste, ou n'en pas parler du tout. La coupure est donc absolument nette. Le rejet de toute forme d'indéterminisme l'est également. Pourtant, une sorte de confrontation semble subsister encore ici entre le net et le vague, entre le clair et l'obscur. Ils existent l'un en face de l'autre, il est vrai, mais sans compromission aucune, sans mélange. Leur dissociation est totale. Mais elle n'équivaut pas à un silence total. Une relation est maintenue, encore qu'elle soit négative. On peut même s'étonner de la peisistance avec laquelle, dans ses écrits, jusqu'à une certaine époque, Mérimée s'est obstiné à réserver un rôle à cett» présence antagoniste, imprégnée de trouble, de mystère, de confusion, de négativité. Est-ce simplement pour se donner le plus d'occasions possibles de témoigner de son mépris à son égard ? Ou est-ce parce que, toute sa vie, il a éprouvé le besoin de maintenir explicitement à l'égard de cette forme de pensée une digue, une barrière, et que, sans l'avouer, il se sentait menacé ? MÉRIMÉE : TEXTES Vous ne pouvez comprendre, madame..., la difficulté que j'éprouve à croire, et la différence qu'il y a entre les choses qui me plaisent à supposer et celles que j'admets comme vraies. Comment croire sans passion ? Pratiquement parlant, il me semble que le doute a moins d'inconvénients que la croyance. Nous ne connaissons l'homme que par le dehors, par ses gestes, par ses paroles, par toutes les manifestations extérieures de son intelligence, de ses passions, de sa volonté. Je n'ai pas d'instinct. Je suis sceptique malgré moi, et ce qu'on appelle foi est chose qui m'est tout à fait étrangère. (Cf. Trahard, Vieillesse de Mérimée, p. 242 : « Mérimée s'arrête au seuil du rêve de la conscience et de l'infini : il reste obstinément déterminé. ») |
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