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Nostalgies, tentations, illusions






Le courant naturiste et primitiviste



Cette méfiance envers la civilisation et ses prétendus progrès engendre un intense désir de « retour à la nature ». On cherche diverses voies pour retrouver un contact authentique avec ce qui est naturel. Le succès d'un livre comme celui du Dr Alexis Carrell, L'Homme, cet inconnu (1935), traduit bien ce besoin de réagir contre les artifices de la civilisation.

On fait donc l'éloge du corps, de la beauté physique et du sport. Autour de 1925, la littérature à thème sportif est très abondante, encouragée par la présence des Jeux olympiques à Paris en 1924. Genevoix avec Euthymos, vainqueur olympique (1924), Jean Prévost avec Plaisirs des sports (1925) et surtout Montherlant avec ses Olympiques (1924), vantent la beauté des muscles et des gestes mais aussi la leçon de discipline que peut donner le sport.

Certes, ce sont les vertus guerrières que Montherlant veut retrouver dans le sport - et ce n'est pas le cas de tout le monde, notamment de Genevoix - mais chez lui comme chez la plupart de ses contemporains, le sport est considéré surtout comme un antidote à l'excessive mécanisation du monde moderne, comme un retour à la santé et à la joie de vivre. On demande en quelque sorte au corps de réconcilier l'homme avec le monde. Céline lui-même, malgré sa volonté de dérision universelle, ne reste pas insensible à la beauté du corps humain, par exemple dans la danse.

La valorisation, voire la réhabilitation, du corps s'accompagne souvent d'un éloge de l'amour physique et d'une exaltation du désir. Les surréalistes saluent celui-ci comme la grande force vitale, en écartant toute idée de péché. Mais ils tendent à « spiritualiser » l'amour charnel lui-même et ce faisant ils ne relèvent pas d'un simple « naturisme ».

Montherlant, au contraire, qui se veut libéré de toutes les servitudes morales et sociales ainsi que de tous les idéalismcs, ne croit plus qu'aux plaisirs que donnent les sens (Aux fontaines du désir, 1927, et La Petite Infante de Castille, 1929). II s'agit pour lui de rentrer en contact avec les forces naturelles et instinctives, oblitérées par les tabous sociaux. C'est pourquoi aussi l'animalité exerce sur lui une véritable fascination, sensible notamment dans Les Bestiaires (1926), où le héros de Montherlant trouve dans son adversaire, le taureau, une noblesse qu'il ne rencontre pas dans la société humaine.

Quoique dans une tonalité bien différente, dépourvue du cynisme et du défi propres à Montherlant, d'autres écrivains valorisent également le monde des bêtes. André Demaison s'intéresse aux animaux sauvages d'Afrique, capables plus que les hommes de percevoir le langage secret du cosmos (Le Livre des bêtes qu'on appelle sauvages, 1926). Quant à Genevoix, il prend plusieurs fois pour héros un animal dont il nous conte les joies au sein de la nature tout comme le destin tragique : un chat dans Rroû (1931) et un cerf dans La Dernière Harde (1938), où se manifestent la méchanceté de l'homme et son goût gratuit du meurtre. Imaginer le point de vue de l'animal est pour l'auteur une façon de se rapprocher de la nature.



Le personnage de l'enfant, lui aussi, se trouve idéalisé, puisqu'il est tout proche des origines, moins marqué que l'adulte par le monde social. Ainsi les surréalistes exaltent l'enfance, l'âge de la liberté et du rêve (Manifeste du surréalisme, 1924). Montherlant y voit « l'âge de l'âme2* » (La Relève du matin. 1920). Et pour Duhamel, c'est l'âge de la vraie sagesse, celle qui ne se laisse pas enfermer dans les bornes étroites de la raison (Les Plaisirs et les Jeux, 1922). Quant à Genevoix. il recherche dans sa propre enfance le paradis perdu (Le Jardin dans l'île, 1936). Pour tous les anti-intellectualistes de l'après-guerre, l'enfant incarne une authenticité, une noblesse naturelle, dont l'adulte se trouve ensuite privé.

La méfiance envers les artifices de la civilisation va encore se traduire au cours de l'entre-deux-guerres par de nombreux romans consacrés au monde paysan. Mais il s'agit moins de peindre des mours ou des paysages particuliers que de montrer l'homme fondamental aux prises avec les grandes forces de la nature et les lois primordiales de la vie. Le paysan, c'est l'homme hors du temps incarnant la condition humaine dans son authenticité. Sous une apparence de réalisme, ces livres ont en fait une dimension mythique : ce sont des romans de l'originel, de l'élémentaire.

C'est dans cette perspective que Pourrat reprend, en l'enrichissant, un récit populaire auvergnat, dans le cycle de Gaspard des montagnes (1929-1931), qui tient à la fois du conte oral avec ses vingt-huit « veillées » et de l'épopée médiévale par la stylisation des personnages et de l'action. Autour du héros, le joyeux et vaillant Gaspard, en lutte contre les forces du Mal dont est victime la pure Anne-Marie, Pourrat fait revivre les mours et les croyances des montagnards d'Auvergne au début du xixc siècle. Mais il vise, au-delà des particularismes locaux, à retrouver le fond même de l'âme populaire.

Ce sont d'autres montagnards, ceux du pays de Vaud. que Ramuz s'attache à peindre. Ici encore il s'agit d'atteindre l'élémentaire et l'universel : pour lui le paysan est aussi significatif de l'humanité que, à l'autre extrémité, le prince des pièces de Racine. Dans ses récils Ramuz célèbre la beauté du monde (Salutation paysanne, 1920 ; La Beauté sur la terre, 1927) ou fait sentir le mystère et la toute-puissance de la nature ainsi que la faiblesse de l'homme en face d'elle (La Grande Peur dans la montagne, 1926 : Derborence. 1934).

Un des grands thèmes de ces romans de la nature est l'affrontement entre le monde naturel et le monde moderne. On y raconte souvent les drames entraînés par la modernisation des campagnes et le héros principal y a pour fonction de rester fidèle à la terre ancestrale.



Ainsi, dans Les Hommes de la route (1927) d'André Chamson, dont l'action se situe dans la deuxième moitié du xix= siècle, la construction d'une route détourne de la terre nombre de paysans, séduits par les tenta-lions de l'argent et de la ville. Rares sont ceux qui resteront lidèles à leurs racines. Ce roman se rattache ainsi à une préoccupation centrale de la pensée de Chamson qui s'était manifestée dans un duel oratoire avec Malraux lors d'une décade de Pontigny en août 1928 : il défendait une évolution qui ne renie pas le passé, symbolisée par le « Pommier », contre la révolution violente préconisée par Malraux, représentée par la « Hache ». Selon le titre d'un essai de 1927. Chamson prend le parti de « L'Homme contre l'Histoire ». C'est ainsi que le protagoniste de Roux le Bandit (1925). héros de la conscience individuelle et des lois non écrites, refuse la mobilisation.

Bien des héros de ce type de récit luttent pour préserver les liens qui les unissent à la terre. Tel est le garde Aoustin dans La Brière (1923) d'Alphonse de Châtcaubriant, qui se bat contre les sociétés capitalistes voulant moderniser le marais vendéen tout en poursuivant sa vengeance contre le séducteur de sa fille. L'auteur donne au personnage une grandeur sombre et sauvage à l'image du pays d'eau, de tourbe et de brume, qui est le décor de l'action. Cette farouche résistance à la modernité est aussi celle du vieux Ferrague refusant l'invasion des machines dans Marcheloup (1934) de Genevoix. Quant au braconnier, héros de Raboliot (1925) du même auteur, il défend une sorte de loi naturelle contre des lois sociales, artificielles.

Ces personnages vivent en harmonie avec la nature. Mais c'est une communion véritablement sensuelle que chante Giono dans des récits comme Colline (1929) ou Regain (1930). Avec Les Vraies Richesses (1936) ou Le Poids du ciel (1938). Giono théorise ce que ses romans suggèrent. L'homme ne peut être heureux que dans la nature, le plus loin possible de la civilisation moderne. C'est aussi ce que veut montrer Que ma joie demeure (1935) où l'acrobate Bobi, sorte d'ange terrestre, prêche la « passion pour l'inutile », absolument contraire à l'esprit moderne de profit mais indispensable à la joie de vivre. Bobi peut faire penser au vannier nomade et poète qui fait découvrir la beauté des choses les plus simples aux paysans vaudois. chez Ramuz (Passage du poète, 1923).

Mais ces romans du monde paysan n'idéalisent pas la nature. Loin de l'édulcorer. ils en montrent au contraire toute la grandeur sauvage. Les drames de Colline, la catastrophe finale de Que ma joie demeure, celle du roman de Ramuz, Derborence. où la montagne engloutit tout un groupe de bergers, le montrent bien. La nature inspire parfois une terreur proprement « panique », mais ce n'est que par sa participation à la vie cosmique que l'homme peut vivre en toute authenticité.



Du « roman nègre » à l'invention de la « négritude »



Le paysan intéresse pour ce qu'il représente d'élémentaire, de primitif. Il en est de même pour le « Nègre ». Depuis les années d'avant-guerre, les milieux artistiques admirent l'art nègre. Au lendemain de la guerre, la musique nègre - le jazz, venu des États-Unis - commence à se répandre en Europe. La Revue nègre, avec Joséphine Baker, connaît un grand succès. On est curieux des mours et de la mentalité africaines. Cendrars publie en 1921 une Anthologie nègre, puis des Petits Contes nègres pour les enfants des Blancs, en 1928, à partir de textes rapportés par les ethnologues. Il en apprécie la poésie naïve, fraîche, toujours déconcertante pour la raison. Pour tous les Européens qui sont dégoûtés ou las de leur civilisation, le « nègre » symbolise l'authenticité de l'instinct, la force, la joie et la liberté, à l'inverse du Blanc, empoisonné d'hypocrisies et de calculs mesquins. Tel est le héros du roman de Philippe Soupault. Le Nègre (1927).

Ce mouvement de curiosité et d'intérêt va se trouver, au cours de la période, de plus en plus étroitement associé aux problèmes posés par la colonisation. Dès avant la guerre, tout un courant de la littérature exotique avait pris la forme de ce qu'on a appelé la « littérature coloniale », ayant pour objet les territoires d'outre-mer et sous-tendue par une idéologie colonialiste. André Demaison. par exemple, se fait le peintre de l'Afrique noire avec des récits qui veulent nous faire participer à la vision propre à l'Africain (Diato, 1924 ; Diaeli, le livre de la sagesse noire, 1931).

Mais c'est René Maran qui lance la mode du « roman nègre » en 1921 avec Batouala, véritable roman nègre. L'attribution du prix Goncourt à ce livre déclenche un scandale presque aussi retentissant que celui de La Garçonne : Maran. Noir d'origine guyanaise et administrateur colonial, se voit obligé de démissionner. En effet dans Batouala, le romancier adopte le point de vue de l'Africain, sa façon de parler et de penser, afin de montrer comment la colonisation, loin d'apporter le bien-être au Noir et de l'élever moralement, vient au contraire l'exploiter et l'humilier. Le livre marque donc une date. Avec lui commence vraiment la critique de la colonisation, sinon dans son principe même, du moins dans ses effets.

Alors que la plus grande partie du public est favorable à la colonisation, comme le montre le succès de l'Exposition coloniale de 1931, certains intellectuels commencent à la dénoncer. Un tract surréaliste proclame : Ne visitez pas l'Exposition coloniale.

Au cours des années vingt et trente, beaucoup d'écrivains voyagent, notamment en Afrique, poussés par le désir de s'éloigner de la civilisation et de reprendre contact avec une nature primitive, plus authentique. Ainsi Gide rapporte de son passage en Afrique noire des carnets de voyage remplis d'observations exactes, où la sympathie pour les indigènes se transforme bientôt en indignation contre les pratiques coloniales (Voyage au Congo, 1927, et Le Retour du Tchad, 1928). Ces écrits constituent les premières ouvres « engagées » de Gide.

Dans une tonalité bien différente, L'Afrique fantôme (1934) de Michel Leiris. à la fois journal personnel et relation de la Mission ethnologique Dakar-Djibouti, dirigée par Marcel Griaule (1931-33), participe à ce mouvement de découverte de la civilisation africaine, mais il cherche surtout un remède à ses problèmes personnels par cette plongée dans la mentalité primitive27.

___Les voyageurs transposent parfois leur expérience dans le roman.

Céline, par exemple, qui a eu l'occasion de voir l'Afrique, consacre un épisode du Voyage à la vie coloniale. Il y met en scène de façon grand-guigno-lesque l'exploitation féroce des Noirs par les Blancs, eux-mêmes avachis par le climat accablant et la consommation abusive d'alcool. Bardamu vit cet épisode comme un cauchemar moite et étouffant. C'est la même impression que veut donner à son tour Simenon dans Le Coup de lune (1933), écrit après un voyage en Afrique noire dont il avait rapporté un reportage accusateur28. On y voit la justice coloniale accuser de meurtre un Noir innocent afin de disculper la vraie coupable, une Blanche. Quant au héros, fraîchement débarqué d'Europe, son malaise dû à l'atmosphère morale aussi bien qu'au climat devient à ce point insupportable qu'il sombre dans la folie.

Cette condamnation du colonialisme déborde le domaine de l'Afrique noire et constitue une condamnation de la civilisation occidentale elle-même. Ainsi le séjour que Nizan effectue à Aden en 1927, par dégoût de la vie européenne, le conduit lui aussi à ouvrir les yeux sur la réalité coloniale et à « demander des comptes » avec violence à un Occident qui prétend « civiliser » ceux qu'en réalité il exploite (Aden Arabie, 1931).

Le mépris que Montherlant porte à la civilisation occidentale l'amène à condamner le principe de la colonisation. Il oppose à un Occident décadent les vertus viriles et austères de l'Afrique du Nord. Dans les années 1930 à 1932, il écrit un ouvrage. La Rose des sables (publié dans son intégralité en 1968 seulemenT), où l'on voit un officier français aimer une jeune bédouine et perdre sa bonne conscience de « colonisateur ». En Indochine, c'est Malraux qui en 1925 fonde deux journaux pour protester contre l'administration coloniale. En Algérie, c'est Camus qui, vers la fin des années trente, consacre son activité de journaliste à dénoncer les abus et les injustices de la colonisation.



Mais l'expression la plus originale du refus du système colonial viendra sans doute des « colonisés » eux-mêmes, de certains poètes noirs surtout, qui au cours des années trente commencent à définir les valeurs de la « négritude2" », contre celles de la civilisation européenne. Le journal L'Étudiant noir, fondé en 1932. notamment par Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor et Gonlran-Léon Damas, est le premier support de cette prise de conscience. Damas, qui est métis, publie en 1937 le recueil de poèmes Pigments, où il rejette violemment toute assimilation aux Blancs. Le Sénégalais Senghor, lui, ne se révolte pas contre la culture française dont il a été nourri (il est le premier Africain agrégé des Lettres et sera élu à l'Académie française en 1983), mais pourtant il revendique lui aussi son identité de Négro-Africain. Avec Ce que le Noir apporte (1939). il fait l'éloge de la culture noire et des valeurs et caractères propres au Noir (sensualité, émotivité, intuitioN), qui lui permettent un contact plus profond, plus charnel avec le cosmos. Pour Senghor. la culture nègre fait partie du patrimoine de l'humanité. « Ce que le Noir apporte » ne vient pas contredire ou détruire la culture des Blancs, mais plutôt l'enrichir et la compléter.

Aimé Césaire enfin, originaire de la Martinique, rédige Cahier d'un retour au pays natal en 1939, qui se veut un manifeste autant politique que poétique, alors que Senghor insiste sur la primauté de la culture par rapport à la politique. Dans cette prose poétique, où l'on sent l'influence du surréalisme. Césaire dénonce la misère et l'humiliation du peuple antillais et conclut en annonçant le sursaut de révolte qui redressera la race noire.



Ainsi, tout au long de l'entre-deux-guerres. on voit progressivement les colonisateurs perdre leur bonne conscience, et inversement les colonisés, notamment les Noirs d'Afrique, commencer à prendre conscience de leur identité culturelle et de leurs valeurs propres. Dans ce double mouvement on peut reconnaître un semblable désaveu de la civilisation occidentale et un semblable désir de retour aux sources.



Nostalgie de l'ordre traditionnel et tentation fasciste



La conscience d'une crise fait naître par réaction un besoin de stabilité, d'ordre, voire de renaissance. Dans un monde bouleversé par la Première Guerre mondiale et ses conséquences, on aspire donc à la restauration des valeurs traditionnelles.

Certains livres exaltant l'accord de l'homme avec la nature s'inscrivent dans cette tendance et cela répond à une attente réelle du public, comme le montre par exemple l'immense succès obtenu en 1921 par la réédition de Maria Chapdelaine de Louis Hémon. Le livre, qui évoque la nature grandiose du Canada, a aussi un accent traditionaliste en ce qu'il célèbre la fidélité de l'héroïne à sa terre et à ses devoirs.

Ce besoin d'ordre et de tradition explique le prestige dont jouit Maur-ras au lendemain de la guerre, et pas seulement dans les milieux conserva-teurs ou catholiques. En 1923. le jeune Malraux pouvait saluer en Maurras « une des plus grandes forces intellectuelles d'aujourd'hui30 ». Drieu La Rochelle fut tenté un moment par l'Action française, aux alentours de 1922. Si le Mauriac des années vingt ne suit pas Maurras sur le plan esthétique, il l'admire sur le plan idéologique.

La création en 1920 de La Revue universelle témoigne de la vigueur et de la présence de la pensée maurrassienne. En 1924. Y Histoire de France de Jacques Bainville connaît un grand retentissement : l'auteur y rompt avec la vision romantique que le XIXe siècle avait donnée de notre histoire, car il valorise l'apport « classique » de la civilisation latine au détriment des influences germaniques et il insiste sur le rôle organisateur de la monarchie capétienne. Pour lui la France n'est pas un pays à vocation révolutionnaire mais un pays qui a besoin d'ordre.

La condamnation de l'Action française par le pape en 1926 réduit sans doute l'audience de Maurras auprès des catholiques. Ainsi Maritain s'éloigne de lui et il affirme la « primauté du spirituel » (Primauté du spirituel, 1927). Beaucoup de catholiques ressentent cependant colère et indignation et se sentent déchirés entre l'Église et l'Action française. Jean de La Varende traduit ces réactions dans plusieurs nouvelles des Manants du roi (1938), recueil consacré à illustrer, à travers le temps, le thème de la fidélité à la monarchie. C'est la même fidélité qu'il voue à sa terre natale, le Pays d'Ouche, et aux traditions aristocratiques. Amoureux du passé, il adopte un style truffé de tournures parlées : provincialismes ou archaïsmes, rompant ainsi avec le français académique, mais tournant le dos au français actuel.

Cette idéalisation du passé liée au rejet du monde moderne s'exprime dans des revues comme Réaction (« réaction pour Tordre »), fondée en 1930, ou Combat, fondée en 1935, où écrit Thierry Maulnier, auteur en 1935 de La crise est dans l'homme. Bernanos est un des maîtres à penser de Réaction et il y collabore. Lui aussi en effet, ancien « camelot du roi », souhaite la restauration de l'« ordre chrétien ». Mais son époque de référence est le Moyen Âge plutôt que le XVIIe siècle classique. Indigné comme beaucoup d'autres par la condamnation de 1926, il ne rompra avec Maurras qu'en 1932 (avec son fameux « À Dieu, Maurras »), car ce dernier lui paraît alors trop lié aux forces conservatrices et trop peu profondément chrétien.

Un problème qui préoccupe les milieux de la droite traditionnelle, c'est celui de l'autorité, celui du « chef ». La réflexion sur le régime monarchique va être associée à une réflexion sur les dictatures qui surgissent alors dans plusieurs pays d'Europe. Après avoir critiqué les échecs et les illusions du régime républicain dans Histoire de trois générations (1934), Bainville publie en 1935 Les Dictateurs. Il reconnaît dans le phénomène de la dictature, depuis la Grèce antique jusqu'à l'Europe moderne, une conséquence naturelle des faiblesses du système démocratique. Mais s'il s'attaque violemment à Hitler, il est moins sévère pour Mussolini. Ce dernier, d'ailleurs, suscite souvent l'intérêt des intellectuels français de droite. Ainsi dans Dialogues sur le commandement (1924), Maurois fait discuter le Philosophe, image de son maître Alain, et le Lieutenant, image de l'homme d'action, lequel défend le principe d'autorité et justifie le fascisme italien". Mauriac lui-même, encore en 1935, montre de l'intérêt pour le régime mussolinien32 ; c'est l'invasion de l'Ethiopie qui lui fera prendre conscience du danger fasciste. Le fascisme est souvent apprécié en tant que rempart contre le communisme". Ramon Fernandez s'engagera ainsi aux côtés de Doriot, fondateur du PPF, d'orientation fasciste.

Des écrivains comme Brasillach ou Lucien Rebatet, collaborateurs de L'Action française, ou bien Drieu vont céder totalement au vertige fasciste. Pour eux, le fascisme représente l'espoir d'un homme nouveau et d'une société régénérée. Les événements de février 1934, qui déconsidèrent le régime républicain, ont été décisifs par exemple dans l'évolution de Drieu vers le fascisme (Socialisme fasciste, 1934). On espère du fascisme un bain de Jouvence qui guérirait une civilisation malade.

L'attrait exercé par le fascisme n'est pas sans rapport avec l'appel naturiste puisqu'il correspond à un désir de retrouver la force primitive et la beauté originelle. C'est aussi une sorte de mystique que représente l'idéologie fasciste34. Drieu, comme Brasillach, est fasciné par l'atmosphère des cérémonies nazies, à Nuremberg par exemple (Les Sept Couleurs, 1939). De même Châteaubriant, qui a vu dans la guerre le naufrage du rationalisme occidental, exprime un besoin de communion mystique (La Réponse du Seigneur, 1933), que viendra satisfaire le nazisme (La Gerbe des forces, 1937).



Celte mystique totalitaire est une attitude irrationnelle, à laquelle cède une époque désorientée. Au culte du chef-sauveur fait pendant la recherche d'un bouc émissaire, ce qui explique la montée de l'antisémitisme au cours des années trente. C'est un phénomène caractéristique de ces pulsions qui peuvent s'emparer de l'homme moderne, parfois jusqu'au délire. En témoignent par exemple l'ironie de Morand dans France-la-doulce (1934), satire des milieux cinématographiques envahis par les étrangers ou bien Le Péril juif (1939) où Jouhandeau exprime violemment sa haine. Céline avec ses cris hystériques de Bagatelles pour un massacre (1937) et de L'École des cadavres (1938) constitue un cas-limite. Mais très sympto-matique aussi est l'évolution d'hommes de sens plus rassis comme les Tha-raud. Après avoir écrit des ouvres plutôt documentaires sur les Juifs où s'expriment de la curiosité, voire une certaine sympathie (L'An prochain à Jérusalem, 1924). ils en viennent à une critique acerbe (Quand Israël n'est plus roi, 1933). Cela les entraînera à justifier l'antisémitisme et à montrer beaucoup d'indulgence à l'égard d'Hitler. Quant à Lacretellc. qui semblait avoir condamné l'antisémitisme avec Silbermann (1922), son Retour de SU-bermann (1932) trace du Juif un portrait critique en laissant entendre que cette race se complaît dans le malheur et l'esprit de négation.

Un rationaliste comme Alain peut donc à juste titre s'inquiéter dans plusieurs de ses Propos de cette flambée de réactions irrationnelles : montée des fanatismes, recul de l'esprit critique, attitude aveuglément mystique, qui se manifestent en Europe, particulièrement dans les régimes totalitaires, mais aussi à un moindre degré en France.



Les « appels de l'Orient »



L'Orient a toujours fasciné les Occidentaux et surtout dans les moments de troublé et d'inquiétude. La crise de l'humanisme occidental, au cours de l'enetre-deux-guerres, va se traduire par ce qu'une enquête des Cahiers du mois en 1925 a nommé « les appels de l'Orient ».



L'exotisme peut assumer une fonction critique car il permet de renverser les points de vue et de les relativiser. En 1926. Malraux publie La Ten-tation de l'Occident où deux cultures sont confrontées grâce aux lettres qu'échangent deux jeunes intellectuels, un Européen visitant la Chine et un Chinois visitant l'Europe. Le Chinois est rebuté par l'intellectualisme et l'individualisme occidentaux, qui d'ailleurs commencent à s'infiltrer en Orient, alors que l'Européen ressent la nostalgie d'une sagesse millénaire, fondée sur le détachement et la négation du moi individuel. Mais cela ne peut être qu'une « tentation » : l'Occidental semble condamné au scepticisme et au désespoir.

Aussi pessimiste est la conclusion de Morand dans son Bouddha vivant (1927). Ici il s'agit d'une « tentation de l'Orient », puisque le prince Jâli vient visiter l'Europe, que de loin il admire. Mais déçu par le matérialisme occidental, il revient en Asie et à ses vieilles croyances. Pourtant Morand, persuade du déclin de l'Occident, n'en idéalise pas pour autant l'Orient, comme le montre, dans « La nuit de Putney » (Fermé la nuiT), le portrait assez ironique du guérisseur oriental Habib, qui fait fortune en Occident.

À certains l'Orient fait peur. Car il représente le contraire de la pensée occidentale, de ses armes de prédilection, la raison et la logique. Il est donc perçu comme une force déstabilisatrice. À l'extrême droite, Henri Massis dénonce le péril oriental, menaçant les assises de la civilisation gréco-latine et chrétienne {La Défense de l'Occident, 1927).

Ce mythe de l'Orient destructeur est repris à leur compte par les surréalistes. Car, eux, ils espèrent cette destruction de l'Occident et de ses principes. Ils souhaitent que les hordes asiatiques viennent camper sur nos places {La Révolution d'abord et toujours. 1925). Artaud, dans son Adresse au Dalaï-lama et dans sa Lettre aux écoles du Bouddha (1925). insiste sur la spiritualité de l'Orient, alors que les Occidentaux se cantonnent de plus en plus dans les valeurs matérielles.

Ce besoin de valeurs spirituelles est bien ce qui pousse beaucoup d'Occidentaux à entendre les « appels » de l'Orient. Cela ressort de nombreuses réponses à l'enquête des Cahiers du mois. Souvent on espère, grâce à l'apport de l'Orient, une régénération spirituelle qui pourrait procurer le salut à un Occident en faillite. Il n'est donc plus nécessairement question d'un affrontement mais souvent au contraire d'une collaboration. D'où l'écho trouvé par les ouvres de Victor Segalcn (mort en 1919) inspirées par ses séjours en Chine, notamment René Leys (1921).



Ce sont les doctrines de l'Inde surtout qui intéressent. En 1935, Albert Schweitzer publie Les Grands Penseurs de l'Inde, dont il retient surtout la valeur éthique. Romain Rolland se montre lui aussi grand admirateur de la pensée hindoue (Essai sur la mystique et l'Action de l'Inde vivante, 1929-30). Admiration qu'il s'efforce de concilier avec celle qu'il voue au régime soviétique au cours des années trente. Il se réfère aux conceptions de Tagore ou de Coomaraswamy, pour qui Orient et Occident peuvent être complémentaires. Et il prône les idées de Gandhi dont la non-violence affirme la prééminence de l'Esprit (Mahatma Gandhi. 1924). Influencé par les études de Rolland. Lanza del Vasto. aristocrate d'origine sicilienne, effectue un voyage en Inde en 1937. dont il fera le récit dans Pèlerinage aux sources (1944). Ce « pèlerinage » est une quête d'absolu et cherche à combler l'exigence métaphysique qui tourmente bien des esprits occidentaux insatisfaits de ce que leur offre l'Occident.

Ainsi pour René Guenon, qui condamne violemment le monde occidental, les leçons de l'Orient pourraient aider l'Occident à retrouver son âme (Orient et Occident, 1924). Car le mal essentiel dont souffre notre civilisation, dominée par le culte de l'individu, par le pur matérialisme, par la superstition pseudo-scientifique du « fait ». c'est sa perte du sens religieux, son refus de la métaphysique. En ce sens Claudel, défenseur des valeurs chrétiennes, peut pourtant opposer la spiritualité orientale au manque de foi des Occidentaux ( L'Oiseau noir dans le soleil levant, 1923).

Du côté du Grand./eu. Daumal, qui consacre divers travaux aux textes hindous et qui est influencé par la doctrine ésotérique enseignée par Gurd-jieff35. exprime dans son ouvre son effort pour atteindre l'absolu de la connaissance, ce « mont analogue » reliant la terre et le ciel, selon le titre d'un ouvrage commencé en 1939 et resté inachevé : tant dans les poèmes du Contre-Ciel (1936) que dans La Grande Beuverie (1938). récit où l'essai de connaissance de soi s'associe à une satire virulente de la société. Comme l'indique le titre Le Contre-ciel. Daumal veut nier la réalité, renverser les perspectives.

Nier le réel, n'est-ce pas le propos essentiel d'Henri Michaux ? Dans Un barbare en Asie (1932), inspiré par un voyage en Extrême-Orient, il exprime son émerveillement pour l'Inde et la Chine, qui ont su se délivrer de la réalité, alors qu'il est rebuté par le Japon, trop moderne. Pour ce poète qui. selon ses dires, voyage « contre », l'Orient est un monde bouleversant parce que absolument différent du sien. Trop pessimiste sans doute pour espérer les bienfaits des leçons de l'Orient, le « barbare » qu'il est y trouve cependant un encouragement à faire table rase des principes sur lesquels vit la prétendue « civilisation » occidentale. Et c'est sur une condamnation sans appel de celle-ci que se clôt le livre. Une fois encore, les « appels de l'Orient » ont permis de rendre compte d'une crise de civilisation qui, chez Michaux comme chez beaucoup de ses contemporains, se trouve liée étroitement à une profonde « difficulté d'être ».

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