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OLYMPE BHÊLY - QUÉNUM - Un piège sans fin






«Je ne veux plus vivre, vous entendez bien? Je suis un être inutile, une absurdité, un non-sens.

Ni cicindèle1, ni crocodile ne vint me visiter. M'étais-je endormi? Je n'en sais plus rien. Vers trois heures, la lune, qui s'était levée sans que je m'en fusse aperçu, était haut dans le ciel, enveloppant admirablement le marigot de son éclat. Des nénuphars aux feuilles très larges et aux fleurs blanches, noires et rouges à peine épanouies couvraient la surface de cette eau presque dormante. Un souffle léger ployait les joncs et faisait froufrouter les autres herbes. Je perçus des pas dans un sentier situé à quelques mètres de l'endroit où j'étais. Je sortis de mon refuge avec l'intention de me remettre en route. Vers où?



Arrivé dans le sentier, je vis une femme portant sur sa tête une gourde volumineuse pleine d'huile de palme comme je m'en apercevrais une ou deux minutes plus tard. Elle me vit et, saisie de panique, elle laissa tomber son bagage dont l'huile se répandit par terre et dans l'herbe, prit la fuite en criant:

«Au voleur! Au revenant! À l'assassin! À l'assassin! »

Je perçus la voix d'Anatou dans ces accusations et cris démentiels, et, pris d'une colère sans nom, l'âme soudain envahie de rage, je dégainai mon poignard et poursuivis cette femme hurlant dans sa fuite de feu follet.

Pourquoi serais-je un voleur? Lui avais-je volé quelque chose?

Pourquoi serais-je un revenant? Avait-elle jamais vu un cadavre enterré sortir de la terre et continuer à vivre? Pourquoi me traitait-elle d'assassin? Me connaissait-elle? Où? Quand?

Et qui aurais-je déjà tué?



Je l'attrapai, la jetai brutalement sur l'herbe, m'assis à califourchon sur son ventre. L'impudique se mit à me supplier à voix roucoulante d'y aller de mon pénis et de la laisser partir. Cette proposition m'horripila davantage, je saisis sa gorge et y plongeai jusqu'à la garde le poignard que j'étreignis, puis je retirai mon arme.



Le sang coulait abondamment de la gorge, de la bouche et des narines de la victime qui, comme je le sus quelques minutes plus tard, tout en fuyant, s'appelait Kinhou. Kinhou, si les noms fons2 ont quelque signification, doit vouloir dire: à cause de la haine. »



(Paris, Présence Africaine, 1985, p. 160-161)



Ecrivain béninois, né en 1928 à Ouidah (au Bénin, ex-DahomeY), ville historique et creuset du vaudou, Olympe Bhêly - Quénum s'initie à la langue anglaise à Accra (GhanA) et, grâce à ses économies, quitte son pays pour la France pour poursuivre ses études (sans l'aide du père qui, polygame, a trente enfants, dont Olympe est le onzièmE), mais revient régulièrement au pays qu'il aime. Sa mère, femme d'affaires très aisée, mais aussi grande prêtresse vaudou, lui donne un cours de gestion en économie et de l'argent.

En France, il obtient le baccalauréat en lettres classiques et philosophie - lettres (CaeN). Sportif, il est champion de saut en hauteur (1,85 M) de l'Académie de Caen et deuxième de France. (1952) Il obtient également une licence de sociologie et une maîtrise de socio-anthropologie à la Sorbonne (PariS). Professeur de lettres classiques (Coutances, Suresnes, Seinc-Saint-DcniS), il est certifié d'études diplomatiques de l'Institut des Hautes-Études d'Outrc-Mcr de Paris, il fait des stages diplomatiques au Quai d'Orsay, à l'Académie diplomatique (La HayE) et dans les consulats généraux de France à Gênes, Milan, Florence, ainsi qu'à l'ambassade de France à Rome. Il a épousé une Normande et un de ses enfants, photographe de renom, a travaillé avec le célèbre Doisneau.

La rencontre avec André Breton, en 1949, est décisive, car celui-ci lui conseille d'écrire. Outre ses romans et nouvelles, il écrit de la critique littéraire pour Bingo, France-EurAfrique et, occasionnellement, pour Combat, Le Monde diplomatique, Student 's World, Afrique nouvelle, etc.



Ouvre



- Un piège sans fin (1960) - roman

- Le Chant du Lac ( 1965) - roman

- Liaison d'un été (1968) - nouvelles

- Un enfant d'Afrique (1970) - roman

- L'initié ( 1979) - roman



- Mashoka Elfu Moja ou l'Insurrection de mille haches (1986) - ensemble de ses nouvelles

- La naissance d'Ahikou (1998) - nouvelles

- Les appels du Vodùn ( 1994)

- C 'était à Tigony (2000) - roman



Un piège sans fin est un roman dense, philosophique, rappelant 1 Étranger de Camus par l'introduction de l'absurde, mais aussi un roman de mours décrivant la vie des cultivateurs - éleveurs du Nord-Dahomey, certaines croyances et pratiques traditionnelles liées à l'animisme (le conte, la musique, la danse, le discours africain, la géomancie et l'art divinatoire - qui pose à l'auteur des problèmes idéologiqueS). Le problème existentiel «de l'homme dans un univers vidé de la présence divine» est illustré par Ahouna, le héros du roman. Quelle religion choisir ? Le roman n'offre pas de choix précis, mais projette la vision de trois grandes religions, l'islam, l'animisme et le Christianisme. L'auteur lui-même, dans une interview accordée à J.-N. Vignondé et B. Magnier affirme : «Un piège sans fin. De quoi s'agit-il sinon, là aussi, d'un fait divers qui avait un peu bouleversé les consciences dans le Dahomey des années 1935-1938. Mais ce qui était arrivé à Ahouna, L'Africain, aurait pu être aussi le lot de n'importe quel homme, n'importe où ailleurs dans le monde.



Ainsi Un piège sans fin - on l'a dit, écrit, soutenu çà et là - «est un roman de la condition humaine», bien qu'il s'agisse, avant tout, d'un fait d'ordre national survenu dans mon pays à une époque de son histoire».



Le roman relate la vie d'Ahouna Bakary, noble paysan dont la femme, par la haine qu'elle nourrit après des années de mariage, lui trouble l'esprit et crée en lui une obsession qui conduit au meurtre gratuit.



Commentaire suivi



Ahouna en a assez de tout. Saisi par le désespoir que lui donne le sentiment de son inutilité, d'une existence devenue absurde, insensée, il voudrait mourir. C'est la nuit profonde (vers trois heures, la lunE), mais il est seul au monde, aucune présence ne se manifeste, ni même les insectes (cicindèlé) ou les animaux (crocodilE) qui régnent, la nuit, au bord du marais (marigoT). La nature, insensible à la douleur humaine, reste majestueuse : les nénuphars aux feuilles très larges et aux fleurs blanches, noires et rouges couvrent la surface de l'eau immobile (presque dormantE), les joncs et les autre herbes froufroutent sous un souffle léger. Dans ce silence immense, le bruit de pas tout près (à quelques mètreS) le fait sortir de son refuge voulant s'en éloigner mais ne sachant pas vers où.



Il rencontre, dans le sentier, une femme portant sur sa tête à la manière africaine, une grosse gourde pleine d'huile de palme (dont la couleur rouge est prémonitoirE). On comprend aisément la réaction de la femme : au beau milieu de la nuit, l'apparition d'un inconnu qui ne devrait pas avoir un aspect inoffensif ! Saisie de panique, clic laisse tomber son fardeau (dont l'huile se répand par terre et dans l'herbe, autre symbolE), prend les pieds à son cou en criant. Au voleur ! Au revenant ! A l'assassin ! A l'assassin !



Ces accusations infondées, ces cris démentiels, surtout le mot assassin donnent vie et présence à la voix d'Anatou, sa femme, qu'il avait fuie et déclenchent en lui, à cause de cette transposition, une colère sans nom, une rage meurtrière qui lui fait dégainer son poignard et poursuivre cette femme hurlant (dont la fuite de feu follet l'apparente à la nature mêmE). Il essaie de comprendre la raison de ces accusations; il n'avait rien volé, il n'est pas un fantôme, un zombi (un cadavre enterré sorti de la terre qui continue à vivrE), elle ne le connaît pas, ne l'avait jamais vu nulle part, il n'avait tué personne.

Mais voilà qu'il l'attrape, la jette sans ménagements (brutalemenT) dans l'herbe, l'immobilise (m'assis à califourchon sur son ventrE). Pour sauver sa vie et pour qu'il la laisse partir, elle le supplie avec des accents roucoulants de la prendre plutôt. Horripilé par cette proposition impudique, il plonge son poignard dans la gorge de la femme jusqu'à la garde. Le sang commence à couler de la gorge, de la bouche, des narines de sa victime dont il avait, peu avant, tout en fuyant, appris le nom: Kinhou. Par une étrange coïncidence, ce nom fon a une signification: à cause de la haine. Comme sur Meursault, la haine insensée, absurde, avait agi sur Ahouna.



A consulter

1. Huannou, Adrien, Olympe Bhêly-Quénum présenté par lui-même, Paris, Nathan, 1979.

2. Médéhouègnon, Pierre, Olympe Bhêly-Quénum: idéologie et esthétique (thèse de doctorat du 3e cycle, Univ. de DakaR).

3. Médéhouègnon, Pierre, «Olympe Bhêly-Quénum, entre l'animisme et le Christianisme», dans Notre Librairie, no. 124 ; oct.-déc. 1995, p. 100-108.

4. Vignondé, Jean-Norbert, Bernard Magnier,

«Entretien avec Olympe Bhêly-Quénum», dans Notre Librairie, no. 124, oct.-déc. 1995, p. 109-125.

5. Wauthicr, Claude, L 'Afrique des Africains. Inventaire de la négritude, Paris, Seuil, 1977.

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